Intervention de Marc Fesneau

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 décembre 2023 à 16h35
Agriculture et pêche — Actualité européenne en matière agricole - Audition de M. Marc Fesneau ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire :

C'est tout l'enjeu, en effet. La question est de savoir ce que nous faisons avec ce géant qui grandit à nos frontières.

La France est une puissance céréalière exportatrice. Avec les Ukrainiens, nous pouvons construire une puissance agricole européenne. Sans eux, la question ne se pose pas dans les mêmes termes.

Sur la question des NTG, les scientifiques s'accordent à dire que les risques sont marginaux, voire inexistants.

Nous vivons dans un monde de controverses. D'aucuns ne nous ont-ils pas expliqué qu'on pouvait guérir du covid en avalant de l'eau de javel quand d'autres nous ont déconseillé de nous vacciner ? Dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, il n'existe plus de faits scientifiques avérés : vous trouverez toujours quelqu'un pour brandir une étude complémentaire contredisant les conclusions de la majorité des scientifiques. Pour ma part, j'ai tendance à me fier à la majorité des scientifiques.

Je le répète, se priver de ces techniques, c'est, à terme, se livrer à d'autres. C'est aussi simple que cela. Tout le monde utilise désormais ce levier puissant de transformation du modèle agricole. Si nous refusons les produits phytosanitaires, si nous refusons les NTG et si nous ne voulons pas non plus travailler la question de l'eau, je ne sais pas comment nous produirons demain.

L'Europe importe ses céréales et la France est le seul pays excédentaire en la matière. Les Russes sont en train de saturer le marché grâce à des prix très bas et une qualité médiocre, y compris en matière d'alimentation humaine. C'est, pour nous, certes, un avantage comparatif : nous pouvons encore intervenir sur ces marchés, puisque les céréales françaises sont réputées pour leur qualité. Il n'en reste pas moins que les Russes organisent ni plus ni moins la dépendance des pays africains. Pour y répondre, nous devons être un acteur du jeu. Il nous faut donc être en capacité de fournir et de produire. À défaut, nous regarderons M. Poutine placer ses pions et jouer aux dominos.

L'Europe a par conséquent rendez-vous avec sa stratégie de souveraineté. Le commissaire européen à l'Agriculture me disait que le marché des céréales avait produit autant cette année que les autres années, mais les disparités sont fortes selon les zones ! Si l'on étend le raisonnement, on peut considérer que l'énergie - gaz et pétrole - est en quantité suffisante, mais qui la détient ? Nous avons fait preuve d'aveuglement sur la question du gaz : il y en avait, mais il était chez les Russes, autrement dit nos adversaires d'aujourd'hui !

La question de savoir qui nourrit les Français, les Européens et nos voisins immédiats est centrale. Si nous voulons assumer ce rôle, il nous faudra nous doter des outils adéquats. Si une trajectoire de réduction des produits phytosanitaires paraît nécessaire, il me semble également que les NTG ou encore l'adoption de nouvelles pratiques agricoles sont utiles. À défaut, nous serons rapidement dans l'impasse. Nous le sommes d'ailleurs déjà en partie. Sur ces marchés, nous n'imposerons pas nos règles au reste du monde. C'est la nécessité de nourrir qui impose ses règles.

En début d'année, nous avons ainsi débattu de l'utilisation de la phosphine, un produit insecticide, dans les céréales. J'ai beaucoup oeuvré pour une libéralisation, car nous aurions pu, du fait d'une décision domestique, nous retrouver dans une situation nous empêchant d'exporter des céréales vers des pays demandeurs. Nous aurions alors ouvert les ports aux tankers de M. Poutine.

Nous n'avons pas à dicter nos volontés à nos partenaires commerciaux. Nous ne voulons pas de veau aux hormones, c'est très bien et c'est tant mieux ! Pour autant, nous n'empêcherons pas les autres d'en consommer. De même, on parle souvent de bien-être animal. La question n'est pas d'imposer à l'Algérie, au Maroc ou à la Tunisie le transport d'animaux non-vivants : ces pays veulent transporter des animaux vivants !

En résumé, si ce n'est pas nous, d'autres occuperont la place. On peut toujours améliorer les choses chez nous, mais gardons en tête que la puissance agricole européenne est en danger.

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