Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « les enfants exposés in utero au valproate présentent un risque élevé de troubles graves du développement et du comportement ». Cette phrase, on peut la lire sur les notices des médicaments qui contiennent du valproate, substance active d'un médicament antiépileptique. Et l'alerte est plus que fondée, car, dès 1984, des recherches médicales ont montré les effets nuisibles de cette substance lorsqu'elle est administrée pendant la grossesse.
Pour autant, le laboratoire Sanofi, qui vend le valproate sous le nom commercial de Dépakine, a attendu pas moins de vingt-deux ans pour mentionner ce risque sur la notice de son médicament !
Faute d'alerte sur les énormes risques associés, la Dépakine a été prise en cours de grossesse. Conséquence : des milliers d'enfants sont nés avec des malformations de leur colonne vertébrale, de leur crâne, de leur cœur. D'autres présentent des symptômes d'autisme ou des troubles d'hyperactivité. Une grande partie de ces victimes s'est jointe à une action de groupe introduite en 2017.
Dès l'année suivante, le fait d'être en âge de procréer est devenu une contre-indication à la prise de Dépakine. Il y avait là une première victoire directement imputable à l'action de groupe. Las ! cette première victoire pourrait rester un cas isolé. En effet, très peu d'actions de groupe ont effectivement été engagées en France ; or, si cette procédure est si rare, c'est parce que les règles qui en encadrent l'exercice sont particulièrement strictes et éloignées des besoins.
Pourtant, elle est susceptible d'améliorer la protection des citoyennes et des citoyens, qui sont trop souvent impuissants face à un acteur dominant comme l'est une grande entreprise.
Comme l'illustre tristement le scandale de la Dépakine, un enfant né avec des malformations peut difficilement traduire un grand laboratoire pharmaceutique en justice. La victime ne dispose guère d'informations sur l'étendue du problème, tandis que l'entreprise peut mobiliser d'importantes ressources pour se défendre.
En permettant aux victimes d'être représentées par un acteur tiers, l'action de groupe améliore l'accès à la justice. Mais cela n'est vrai qu'en théorie : en pratique, cette voie d'accès ne sert pas à grand-chose tant que demeurent les conditions qui la régissent actuellement, qui rendent l'action de groupe impraticable. En France, trente-cinq actions seulement ont été intentées depuis l'introduction de cette procédure dans notre droit en 2014.
Par comparaison, pendant la seule année 2022, pas moins de trente-sept actions de groupe ont été introduites au Portugal, et même quatre-vingt-neuf aux Pays-Bas !
C'est pourquoi nous soutenons, bien évidemment, l'initiative de nos collègues députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin, qui vise à faciliter le recours aux actions de groupe.
Pour y parvenir, ils ont prévu dans leur proposition de loi, en premier lieu, de faciliter l'introduction d'une action de groupe, notamment en élargissant la qualité pour agir. En second lieu, ils ont souhaité rendre la procédure plus équitable et plus efficace, par exemple en instituant des tribunaux judiciaires spécialisés en matière d'action de groupe.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souscrit pleinement à ces propositions, qui ont été améliorées grâce à l'important travail transpartisan mené au Palais-Bourbon.
Afin de lutter contre l'asymétrie entre les grandes entreprises, d'une part, et les citoyennes et citoyens, de l'autre, nous avons déposé une série d'amendements pour aller plus loin encore.
Monsieur le rapporteur, j'ai cependant constaté, avec grand regret, que vous souhaitiez aller dans le sens inverse.
Hormis quelques exceptions notables, comme la création d'une procédure d'action de groupe simplifiée, les amendements adoptés en commission sur votre initiative tendaient à recréer des obstacles aux actions de groupe que le texte initial avait pourtant pour objet de lever.
Ainsi en est-il de l'obligation d'une mise en demeure préalable, que vous avez voulu introduire alors même qu'elle n'est pas systématique dans le droit en vigueur.
Par ailleurs, j'ai entendu dire à plusieurs reprises, sur les travées de la droite, qu'il faudrait éviter une « surtransposition » de la directive européenne de 2020 sur les actions de groupe. Or cette directive n'est qu'un plancher, comme il est d'ailleurs rappelé dans le rapport de M. Frassa : libre aux États membres d'aller plus loin ! C'est le choix qu'ont fait d'autres pays. Au Portugal, le droit d'introduire une action de groupe est même inscrit dans la Constitution. Plutôt que de vous cacher derrière un tel argument, mes chers collègues, assumez ce que vous tentez de faire : créer des obstacles aux actions de groupe afin de protéger les intérêts des grandes entreprises ! Vous vous opposez ainsi à toute amélioration de la situation actuelle, dans laquelle la victime de mauvaises pratiques d'une grande entreprise n'a que peu de chances d'obtenir réparation.
Les actions de groupe permettent d'augmenter ces chances de réparation tout en améliorant la protection des consommatrices et des consommateurs ; nous nous devons donc d'en renforcer le régime juridique. C'est pourquoi le groupe écologiste votera en faveur de ce texte, à la condition qu'il permette, comparé au droit en vigueur, de lever certains obstacles. §