Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur la proposition de loi n° 423, présentée au cours de cette session par notre collègue Marcel Pierre Cléach et plusieurs membres du groupe UMP, qui vise, en modifiant le dernier alinéa de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, à allonger le délai de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’Internet. À cette occasion, la commission des lois a également examiné la proposition de loi n° 4, présentée par notre collègue Jean-Louis Masson.
Il convient de rappeler tout d’abord que le délai de prescription de droit commun est de trois ans pour les délits.
La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, qui est essentiellement une loi sur la liberté d’expression, a fixé dans son article 65 un délai de prescription abrégé de trois mois pour les infractions commises par voie de presse, nettement plus court que le délai de droit commun, cela étant considéré comme l’une des garanties fondamentales de la liberté d’expression.
Mais ce délai ne couvre pas toutes les infractions commises à travers les médias. C’est ainsi que la loi du 9 mars 2004 a porté le délai de prescription de l’action publique de trois mois à un an en cas de provocation à la discrimination ou à la violence à caractère raciste, en cas de contestation de crimes contre l’humanité, en cas de diffamation ou d’injures commises en raison de la race.
Certaines infractions susceptibles d’être commises par voie de presse figurent désormais dans le code pénal et relèvent du régime de droit commun de la prescription et non des dispositions dérogatoires de la loi de 1881. C’est le cas de l’incrimination visant la diffusion d’un message à caractère pornographique susceptible d’être perçu par un mineur.
Ce régime juridique apparaît bien adapté aux cas d’ouvrages, de journaux et même d’affiches. Mais il s’applique aussi à une mise en ligne sur Internet. Cependant, ce dernier support présente des spécificités telles qu’elles ont déjà conduit le juge et même le législateur à s’interroger sur la pertinence d’un délai de prescription très court pour les infractions commises par ce moyen de communication.
La spécificité est évidente : la sphère de diffusion est considérable, puisque qu’elle concerne toute la planète ; la durée de diffusion est infinie, puisqu’elle dépend uniquement de la volonté de l’émetteur ; tout message diffusé sur Internet est à la disposition de tout un chacun.
En fait, tout ce qui est diffusé sur Internet est susceptible d’être conservé pour toujours et par des millions de personnes ! Cette particularité plaide en faveur de l’application d’un délai de prescription plus long que le délai de trois mois.
La transposition à Internet des principes applicables à la presse en matière de prescription ne paraît pas garantir l’équilibre indispensable entre les exigences de la liberté d’expression et l’intérêt des victimes.
Les juges du fond ont essayé, sans succès jusqu’à ce jour, d’élaborer une formule plus satisfaisante. La cour d’appel de Paris, dans une décision du 15 décembre 1999, a souligné la spécificité du média Internet, concluant que la publication d’un texte litigieux relevait de la catégorie des infractions continues et que la prescription ne commençait à courir qu’à compter de la suppression du texte en cause.
La Cour de cassation a récusé cette interprétation par trois arrêts successifs, en date des 30 janvier, 16 octobre et 26 novembre 2001, retenant que le point de départ de la prescription doit être fixé à la date de la première publication c’est-à-dire, pour Internet, la mise à disposition des utilisateurs du réseau.
Le législateur s’est, lui aussi, efforcé d’avancer dans ce sens. Lors de l’examen en deuxième lecture du texte qui allait devenir la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Sénat avait adopté un amendement signé par M. Robert Badinter et par Michel Dreyfus-Schmidt, à qui vous avez rendu tout à l’heure un hommage particulier, monsieur le secrétaire d’État, hommage auquel je m’associe. Cet amendement visait à porter le délai de prescription à un an pour les infractions commises par l’intermédiaire d’Internet. Cette disposition n’a été écartée que lors de l’examen du texte par la commission mixte paritaire, au motif que la question méritait une réflexion plus approfondie.
Une autre tentative a été faite par notre ancien collègue René Trégouët, lors de la discussion du projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique. Il s’agissait de fixer le point de départ de la prescription à la cessation de la mise à disposition du message sur un service de communication en ligne. Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, mais tout en reconnaissant, ce qui est capital, la nécessité de prendre en compte les spécificités respectives du support papier et du support informatique. Le Conseil constitutionnel a ainsi admis le principe d’une différence de traitement entre les deux supports dès lors qu’elle demeure proportionnée.
Ce souci d’équilibre est précisément au cœur de la présente proposition de loi, qui vise à porter à un an le délai de prescription pour les infractions commises par l’intermédiaire d’un service de communication en ligne.
C’est la bonne mesure et la durée retenue donne à la personne visée par les propos incriminés plus de temps pour en prendre connaissance et, le cas échéant, pour saisir la justice, même si le délai reste très en-deçà des trois ans prévus pour les délits de droit commun.
La rédaction présentée par M. Cléach et ses collègues apporte une précision utile au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans la mesure où elle indique que l’allongement du délai de prescription ne s’applique pas en cas de reproduction sur Internet « du contenu d’une publication diffusée sur support papier ». C’est un point important, car la plupart des journaux disposent d’une édition en ligne. L’allongement du délai de prescription pour les messages diffusés sur Internet aurait pour effet de mettre en cause la garantie que représente pour les entreprises de presse le délai de prescription de trois mois. Il est donc souhaitable que le délai d’un an ne concerne que les données diffusées exclusivement sur Internet.
Au terme d’un large débat, la commission a souhaité préciser cette exception en l’appliquant aux seules publications de presse légalement déclarées.
Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces explications, et sous réserve du vote de l’amendement qui sera présenté tout à l'heure, la commission vous invite à adopter les conclusions de la commission des lois sur la présente proposition de loi.