La séance est ouverte à seize heures cinq.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
C’est avec une émotion toute particulière que, pour la première fois, j’accomplis ce triste devoir qui incombe au président de chaque assemblée : saluer la mémoire d’un collègue disparu.
Cette émotion est d’autant plus grande que Michel Dreyfus-Schmidt et moi avons été ensemble, pour un temps, vice-présidents du Sénat et que, en cette circonstance, nous avions travaillé de concert, dans une grande confiance et une réelle estime.
Nous sommes nombreux dans cet hémicycle à avoir éprouvé un sentiment de peine et de vide, au matin du dimanche 7 septembre, à l’annonce de sa disparition, à quelques jours des élections sénatoriales.
L’émotion qui a alors touché tous ceux qui connaissaient Michel Dreyfus-Schmidt et qui admiraient son talent, ses engagements et ses combats, a été à la mesure de la perte que l’on éprouve lorsque disparaît une figure aussi emblématique.
Né le 17 juin 1932 à Belfort, Michel Dreyfus-Schmidt fut, dès son enfance, marqué par les événements dramatiques de la Seconde Guerre mondiale. Il avait ainsi forgé, dès sa prime jeunesse, durant ces années de danger extrême, les convictions inébranlables qu’il s’emploiera à mettre en œuvre tout au long de son existence : l’Homme doit toujours, en toutes circonstances, être protégé contre les abus du pouvoir.
Son père, Pierre Dreyfus-Schmidt, auquel il voua toute sa vie une fervente admiration, allait aussi durablement marquer sa destinée. Résistant, avocat, député et maire de Belfort, il offrit à son fils cette figure paternelle exemplaire dont Michel allait se montrer digne.
Il s’y prépara d’abord en poursuivant de brillantes études. Lauréat de l’Institut d’études politiques et licencié de la faculté de droit de Paris, il s’inscrivit au barreau de Belfort, comme avant lui son père, et après lui son fils, qui perpétue aujourd’hui la tradition, dans ce Territoire de Belfort si cher à son cœur et creuset de tous ses engagements ultérieurs.
Mais, dès 1964, Michel Dreyfus-Schmidt va parallèlement entrer dans la vie publique en briguant les suffrages de ses concitoyens belfortains. Élu, il devient aussitôt adjoint au maire. Puis, en 1966, il fait, comme élu du canton de Belfort-Ouest, son entrée au conseil général. Il en deviendra vice-président. Et c’est en 1967 qu’il est porté au Palais-Bourbon sous l’étiquette de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste, la FGDS.
De ce bref mandat de député, écourté par la dissolution consécutive aux événements de mai 1968, Michel Dreyfus-Schmidt allait fortifier sa vocation, celle de parlementaire.
C’est en 1980 qu’il fit son entrée au palais du Luxembourg, porté par le soutien amical et confiant des grands électeurs du Territoire de Belfort, qui avaient pu et su apprécier toute l’étendue de ses qualités : sa générosité, son ouverture aux autres, sa force de conviction, son goût du service public, son amour de la République et des valeurs citoyennes qui s’y attachent. Ce soutien lui sera renouvelé à deux reprises, en 1989 puis en 1998, avec des pourcentages qui firent de Michel Dreyfus-Schmidt l’un des sénateurs les mieux élus de France.
Dès ses premières interventions – je pense, bien sûr, à son vibrant plaidoyer en faveur de l’abolition de la peine de mort, défendue en 1981, chacun s’en souvient, par celui qui est depuis devenu notre collègue Robert Badinter – Michel Dreyfus Schmidt s’imposera comme un orateur hors pair et un infatigable défenseur des libertés et de la liberté. Pendant ses vingt-huit ans de mandat sénatorial, il fera preuve d’une inlassable activité : présent jour et nuit, souvent le premier à intervenir au titre de rappels au règlement restés célèbres pour tous les présidents et vice-présidents du Sénat, et souvent, aussi, le dernier orateur à expliquer son vote après des jours et des nuits d’examen d’un texte sur lequel il avait inlassablement proposé, défendu et soutenu de multiples amendements.
Si Michel Dreyfus-Schmidt appartenait par sa profession au barreau, le spectre de ses engagements allait au-delà des seules questions de justice. Il en était pourtant un expert brillant, avisé et reconnu. Il fut à ce titre juge titulaire à la Haute Cour de justice et à la Cour de justice de la République. Au sein de la commission des lois, dont il fut l’un des membres les plus actifs durant près de trois décennies, ses interventions riches et argumentées étaient toujours marquées par sa passion de la défense des libertés individuelles, de la lutte contre toutes les discriminations et de la justice sociale.
Les questions d’éthique et la défense de la dignité humaine occupaient ses réflexions et nourrissaient ses interventions souvent enflammées. Faisant preuve d’une indépendance d’esprit peu commune, il n’hésitait pas à soutenir avec fermeté ses convictions et les positions qu’il croyait justes, au risque de déplaire. Pour Michel Dreyfus-Schmidt, seule comptait la sincérité d’un engagement fondé sur des positions éthiques claires et éprouvées.
De Jean Jaurès et de Pierre Mendès France, qu’il révérait l’un et l’autre, il avait la puissance du verbe et le goût du débat : franc, loyal, puissant. Sa rhétorique naturelle, portée par une connaissance approfondie des questions sur lesquelles il intervenait, lui permettait de prendre la parole, le plus souvent sans notes, avec talent et en sachant toujours capter l’attention de son auditoire. Sa passion pour le débat, tous ceux qui l’ont connu la gardent en mémoire : qui ne se souvient de ses interventions et des réactions qu’elles suscitaient parfois dans cet hémicycle ?
Comme vice-président du Sénat, fonction qu’il occupa, sans interruption pendant douze années consécutives, de 1986 à 1998, Michel Dreyfus-Schmidt était aussi devenu un connaisseur aiguisé et subtil de notre règlement. Sa science en la matière était appréciée, mais aussi redoutée par ses collègues lorsque, depuis l’hémicycle ou de la tribune présidentielle, il en faisait usage.
Mais le travailleur infatigable qu’était Michel Dreyfus-Schmidt ne bornait pas son horizon aux seules questions juridiques, ni au seul Hexagone. Membre puis vice-président de la délégation parlementaire aux assemblées du Conseil de l’Europe et de l’Union de l’Europe occidentale, président de la section française puis vice-président du Congrès juif mondial, président du groupe sénatorial interparlementaire France-Caraïbes, Michel Dreyfus Schmidt manifestait dans l’exercice de ses responsabilités européennes et internationales la même force et la même détermination que dans la défense d’un amendement ou d’une proposition de loi.
Il était très attaché à ses mandats et, quelle que soit l’enceinte où il s’exprimait, sa vaste culture soutenait ses interventions. Il allait parfois jusqu’à citer des poèmes appris dans sa jeunesse, ceux de Victor Hugo, son voisin de Besançon, ou ceux du poète belfortain Léon Deubel, qui fut, dit-on, le dernier des poètes maudits.
Bien sûr, il est impossible de remémorer en quelques minutes et de retracer en quelques phrases, dans toutes ses dimensions, une vie aussi riche et un itinéraire aussi exceptionnel que ceux de Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais je veux, une nouvelle fois, saluer le combattant inlassable qu’il fut toute sa vie et jusqu’au bout de ses forces, voire au-delà. Michel Dreyfus-Schmidt s’est éteint à quelques jours des élections sénatoriales auxquelles, bravant une santé déjà très chancelante, il avait résolu de se représenter.
Le dernier acte de la vie publique de Michel Dreyfus-Schmidt s’est sans doute déroulé au cœur de son département, à Grosne, où les élus locaux et ses concitoyens se pressaient pour l’accueillir à la faveur de la fête organisée en l’honneur du maire sortant. Cette ultime apparition, dans une mairie, auprès d’élus et entouré du peuple belfortain, au cœur de ce qui était pour lui à la base de l’engagement de sa vie, ne manque pas de frapper par le symbole même qu’elle représente : élu de la République, le républicain exemplaire qu’était Michel Dreyfus-Schmidt se devait de rester, jusqu’au bout, au contact permanent des élus et de ses concitoyens.
Michel Dreyfus-Schmidt repose au cimetière israélite de Belfort, aux côtés de ses parents. Un cortège immense et douloureux l’y a accompagné le 9 septembre dernier. Des hommages émouvants lui ont alors été rendus, notamment par mon prédécesseur, Christian Poncelet, qui a tenu, en tant que président de la Haute Assemblée, à présider personnellement cette cérémonie d’adieu et à prononcer son éloge.
Aujourd’hui, dans cet hémicycle qui résonne encore de ses interventions, et, regardant la place qui fut la sienne, j’en ai encore en mémoire quelques-unes du printemps dernier, c’est l’hommage de la République qui est rendu à la mémoire du parlementaire d’exception que fut Michel Dreyfus-Schmidt.
À ses collègues du groupe socialiste, dont il fut l’un des plus brillants représentants, j’exprime à nouveau mes plus vives condoléances pour la perte cruelle qu’ils ont éprouvée.
À ses collègues de la commission des lois, qui bénéficia durant tant d’années de son travail acharné, de ses compétences et de son talent, je tiens à témoigner notre sympathie elle aussi très sincèrement attristée.
Je tiens à vous assurer, madame Dreyfus-Schmidt, ainsi que vos enfants, et tous vos proches, vous qui vivez la cruelle douleur de la séparation avec un être cher et ô combien attachant, de la part personnelle qu’avec tous mes collègues sénatrices et sénateurs ici présents je prends à votre immense chagrin.
Soyez certaine que le souvenir de Michel Dreyfus-Schmidt marquera pour longtemps encore cet hémicycle et la Haute Assemblée tout entière.
Lui qui était un homme d’honneur, il fut et restera l’honneur du Sénat.
Mme la ministre et M. le secrétaire d’État, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame Dreyfus-Schmidt, le Gouvernement tient naturellement à s’associer en ce moment à l’hommage que rend le Sénat à la mémoire du président Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, vous avez rappelé – trop brièvement, hélas ! – l’essentiel des étapes de la carrière de Michel Dreyfus-Schmidt.
Michel Dreyfus-Schmidt était issu de Belfort, ce territoire-symbole où l’on est si passionnément français : que chacun se souvienne du conflit de 1870 et ce qu’il a signifié là-bas !
Michel Dreyfus-Schmidt était issu d’un milieu où soufflait l’esprit de la République : son père avait été avocat, élu et Résistant. Issu de cette famille de gauche dans laquelle on avait forgé un certain nombre de valeurs républicaines, Michel Dreyfus-Schmidt se battit et gravit tous les échelons de l’élection.
Vous l’avez dit, monsieur le président, il fut d’abord maire-adjoint, conseiller général, vice-président du conseil général, puis député, avant de venir siéger ici, au Sénat, pendant vingt-huit ans.
Michel Dreyfus-Schmidt était le talent incarné. Ses capacités oratoires rares étaient reconnues sur toutes les travées de cet hémicycle, de même que son sens de la joute parlementaire. C’est cela aussi qui fait la force de la démocratie, et qui permet à des assemblées telles que le Sénat d’avoir des débats républicains de fond sur des textes essentiels, concourant ainsi à éclairer les enjeux. C’est cela aussi qui permet à la démocratie et à la République d’aller de l’avant.
Michel Dreyfus-Schmidt était un passionné. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, il était intervenu dans le débat sur la peine de mort ; il avait parlé à plusieurs reprises sur la décentralisation et les collectivités locales ; il s’engageait sur tous les textes pouvant concerner la commission des lois, à laquelle il appartenait.
Il était, au sein du groupe socialiste, un orateur et un jouteur estimé. Les autres groupes politiques trouvaient en lui un opposant irréductible mais rigoureux, implacable mais juste, ferme mais convaincu.
Il avait la force et le talent oratoire de l’avocat qu’il était, mais sa force, il la tirait surtout de ses convictions républicaines, de ses origines et de sa formation.
Il participa donc à tous les grands débats qui, depuis vingt-cinq ans, eurent lieu au Sénat. Et il continue d’être à la fois, pour son groupe politique, un exemple, et, pour nous tous, un modèle de rigueur républicaine, d’engagement et de conviction.
Tout à l’heure encore, aura lieu dans cet hémicycle – je remercie Robert Badinter de me l’avoir rappelé – un débat qui fera ressurgir le souvenir de Michel Dreyfus-Schmidt. Il sera en effet question d’une proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’internet. Michel Dreyfus-Schmidt avait lui-même beaucoup travaillé sur ce sujet et formulé de nombreuses propositions.
En vérité, vous avez, nous avons tous perdu, avec Michel Dreyfus-Schmidt, un sénateur de qualité, un républicain convaincu et un démocrate qui apportait beaucoup à la République et à la France.
Au nom du Gouvernement, je présente mes condoléances à l’ensemble de la commission des lois, au groupe socialiste et, naturellement, à son épouse, à ses enfants et à toute sa famille.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de vous associer, au nom du Gouvernement, à l’hommage que nous venons de rendre à Michel Dreyfus-Schmidt.
Mes chers collègues, selon la tradition, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, en signe de deuil.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.
J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi en faveur des revenus du travail est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
J’informe également le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
J’informe le Sénat que M. François Fortassin remplace M. Michel Charasse au sein du groupe de travail sur la révision constitutionnelle et la réforme du règlement.
M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 52 de la loi organique sur les lois de finances, LOLF, le rapport retraçant l’ensemble des prélèvements obligatoires ainsi que leur évolution.
Acte est donné du dépôt de ce rapport, qui sera transmis à la commission des finances et qui fera l’objet d’un débat lors de notre séance de jeudi, joint à la discussion générale du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012.
M. le Premier ministre a également transmis au Sénat, en application de l’article L. 322-2 du code de la sécurité sociale, le rapport d’évaluation de la mise en œuvre de la franchise sur les médicaments, les actes des auxiliaires médicaux et les transports sanitaires.
Acte est donné du dépôt de ce rapport, qui sera transmis à la commission des affaires sociales.
Ces deux documents seront disponibles au bureau de la distribution.
(Ordre du jour réservé)
L’ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi visant à prolonger l’application des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (nos 39, 61).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par M. Hubert Haenel est un écho attendu à la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, dont les articles 3, 6 et 9 avaient été adoptés à titre temporaire, jusqu’au 31 décembre 2008, pour permettre leur expérimentation et leur évaluation avant leur éventuelle prorogation ou pérennisation. L’article unique de la présente proposition de loi a pour objet de prolonger leur application pour quatre années supplémentaires, jusqu’au 31 décembre 2012.
Tout en approuvant le principe de cette méthode, notre excellent collègue Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la loi du 23 janvier 2006 au nom de la commission des lois, attirait notre attention sur la nécessité de respecter la clause de rendez-vous ainsi fixée et de mettre à profit ces trois années d’expérimentation pour évaluer de manière approfondie la pertinence des dispositions concernées.
À l’aune de ces critères, quel jugement porter sur l’application des articles 3, 6 et 9 ?
Premier point positif, la clause de rendez-vous, fixée au 31 décembre 2008, a été respectée, le Gouvernement n’ayant pas écourté l’expérimentation comme cela se produit parfois.
Autre point positif, et sans aborder le fond des dispositions, je dois relever que la quasi-totalité des textes d’application ont été pris dans des délais raisonnables, inférieurs à un an, seul l’article 6 restant partiellement inapplicable. Encore faut-il souligner en l’espèce que la publication du décret manquant est liée à celle des textes d’application de la loi de 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, qui n’est pas achevée. Si la durée de l’expérimentation est donc plus courte que les trois ans initialement envisagés, elle reste cependant relativement significative.
Pour autant, les rapports annuels d’évaluation n’ont pas été réalisés, à l’exception du rapport pour 2008, qui, selon les indications qui m’ont été fournies, ne concerne que les seules dispositions visées par la présente proposition de loi.
Compte tenu de la persistance de la menace terroriste dirigée contre la France, notre collègue Hubert Haenel a pris l’heureuse initiative de cette proposition de loi.
Certains ont pu considérer qu’il eût été plus conforme à l’esprit dans lequel les trois articles de la loi de 2006 avaient été adoptés qu’ils fussent réexaminés et leur application évaluée par le Parlement à la demande du Gouvernement. Je crois néanmoins que le Parlement est tout à fait dans son rôle lorsqu’il veille au suivi des dispositions qu’il a précédemment adoptées ! De plus, cette proposition de loi spécifique offre l’immense avantage de traiter ces questions isolément, et non pas noyées dans un projet de loi au champ plus large, ou incidemment, au détour d’une ordonnance, comme cela avait été le cas pour plusieurs dispositifs expérimentaux de la loi de 2001 relative à la sécurité quotidienne.
La proposition de loi permet aussi au Parlement, en l’absence d’évaluation par le Gouvernement, d’effectuer lui-même une réelle évaluation. J’ai procédé à ce titre à un certain nombre d’auditions – je remercie les collègues qui s’y sont associés – qui autorisent un premier bilan et de premières conclusions.
J’en viens donc aux trois articles concernés.
L’article 3, à la différence des articles 6 et 9, n’a pas pour objet unique la lutte antiterroriste puisqu’il rend possibles les contrôles d’identité sur les lignes ferroviaires internationales, d’une part, entre la frontière et le premier arrêt se situant au-delà de 20 kilomètres de la frontière, et, d’autre part, entre ce premier arrêt et un autre arrêt situé dans la limite des 50 kilomètres suivants. Il constitue ainsi l’une des mesures compensatoires rendues nécessaires par la suppression des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen.
Cette faculté supplémentaire de procéder librement à des contrôles d’identité tient également au fait que les trains ne s’arrêtent plus dans les gares frontalières, en raison notamment du développement des lignes à grande vitesse.
Les dispositions de cet article 3 étaient préfigurées dans la législation antérieure puisqu’il était déjà possible, depuis 1993, de procéder à des contrôles dans une bande de 20 kilomètres tout le long de nos frontières terrestres. Dans un certain sens, mes chers collègues, l’article 3 pose moins de difficultés au regard de la liberté d’aller et venir que ces premières mesures qui permettaient, dans la bande de 20 kilomètres, le contrôle de l’identité non seulement des personnes traversant la frontière mais aussi de celles qui résident habituellement dans cette zone. Or les personnes contrôlées dans les trains transnationaux, même au-delà des 20 kilomètres, sont indiscutablement des voyageurs transnationaux.
Par conséquent, avec l’article 3, les contrôles d’identité sont mieux ciblés qu’avec la loi de 1993. Un premier bilan indique que plusieurs centaines d’interpellations ont été réalisées depuis le début de l’année.
Un aspect moins quantifiable tient à l’identification de personnes signalées mais qui ne sont pas interpellées. Dans chaque cas, la personne identifiée fait l’objet d’un rapport aux services compétents, notamment à ceux qui sont chargés de la lutte antiterroriste. Ce travail de renseignement permet de mieux cerner leurs déplacements et de connaître, le cas échéant, les personnes avec lesquelles elles voyagent.
J’estime, mes chers collègues, que l’article 3 ne suscite pas de difficulté particulière. Au contraire, il permet de mener dans de bonnes conditions des contrôles normaux entre deux frontières. Au demeurant, je rappelle que les contrôles d’identité étaient déjà possibles dans les gares internationales ; il est néanmoins préférable de contrôler les personnes à bord du train plutôt qu’à leur descente, car cela réduit à la fois le nombre de personnels mobilisés pour ces opérations et la gêne occasionnée aux passagers.
J’ai hésité à présenter un amendement tendant à préciser que les contrôles d’identité pouvaient s’effectuer dans les deux sens de circulation, et non pas uniquement lorsque le train est en provenance d’un pays étranger. En effet, deux ordonnances isolées de la cour d’appel de Bordeaux ont jugé illégale l’interpellation d’étrangers en situation irrégulière consécutive à des contrôles d’identité effectués dans un train circulant de la France vers un pays étranger.
Cependant, cette jurisprudence me semble contradictoire avec la loi du 23 janvier 2006, qui est suffisamment claire, qui pose des limites géographiques, mais qui ne traite pas, il est vrai, du sens de circulation du train. Je voudrais cependant réaffirmer ici – après m’en être entretenu avec le rapporteur de l’époque – que la volonté du législateur n’a jamais été de restreindre à un seul sens de circulation la possibilité de procéder à des contrôles d’identité, ce qui serait d’ailleurs absurde.
J’en viens à présent à l’article 6.
Cet article a instauré une procédure de réquisition administrative des données techniques de connexion conservées par les opérateurs de communications électroniques, les fournisseurs d’accès et les hébergeurs. Cette procédure n’est utilisable qu’aux fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, à la différence de la précédente. Précision importante pour éviter toute confusion dans nos débats, ces données portent non pas sur le contenu des communications, mais seulement sur les connexions.
Je ne rappellerai pas les détails de cette procédure originale et unique s’inspirant de celle qui existe en matière d’interceptions de sécurité.
Sur le plan réglementaire, la plupart des textes d’application ont été pris.
Toutefois, le décret devant permettre la réquisition des données de trafic sur internet n’a toujours pas été publié. Il s’agit de données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création d’un contenu sur internet.
Sur le plan pratique, l’article 6 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme est mis en œuvre depuis le 2 mai 2007.
Un premier bilan montre que le processus de désignation de la personnalité qualifiée chargée d’autoriser les demandes de réquisition fonctionne bien et offre les garanties d’indépendance nécessaires.
Pour ce qui est des demandes de réquisition elles-mêmes, en 2007, 25 982 demandes ont été validées, 243 refusées et 1 476 ont fait l’objet d’une demande de renseignements complémentaires. Je précise que 480 agents des services de lutte antiterroriste sont habilités à les demander. Les demandes émanent à 90 % de la Direction centrale du renseignement intérieur.
Le nombre de demandes concernant l’internet reste très faible, même s’il progresse, puisque le principal décret n’a toujours pas été publié. Le cadre juridique en vigueur ne permet pour le moment que de demander l’identification d’une adresse internet.
Les demandes liées à internet devraient donc augmenter considérablement une fois le décret publié. Toutefois, plusieurs des personnes entendues ont souligné que les technologies accessibles aux terroristes permettaient à ces derniers de brouiller les pistes plus facilement sur internet que sur les communications par téléphone.
L’instruction des demandes par la personnalité qualifiée se fait selon un schéma « calé » sur celui de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
Ainsi, la personnalité qualifiée exige, en particulier, une motivation suffisamment circonstanciée de la demande. Avant de la formuler, les services chargés de la lutte antiterroriste doivent procéder à un minimum de vérifications pour l’étayer.
Les demandes de réquisition sont de différents types. À ce titre, elles ne sont pas toutes examinées avec la même attention, certaines étant très répétitives et ne posant pas de difficultés particulières au regard de la protection de la vie privée. En revanche, les demandes de géolocalisation et de factures détaillées font l’objet de l’examen le plus attentif.
Le bilan opérationnel de ce dispositif semble convaincant.
En effet, les réquisitions administratives des données de trafic sont devenues un outil indispensable pour trier rapidement les informations, écarter des pistes ou, le cas échéant, les approfondir. Si la piste apparaît valable, les services peuvent passer à l’étape suivante : des écoutes administratives, voire l’ouverture d’une procédure judiciaire. Ce dernier cas représente pour l’instant un pourcentage infime.
Comme l’a indiqué M. Bernard Squarcini, directeur de la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, ce dispositif « permet un éclairage immédiat pour espérer lever le doute en temps réel ».
En outre, en permettant un tri plus fin, le plus en amont possible des investigations, ce dispositif pourrait avoir pour avantage de mieux cibler et donc de diminuer les demandes d’écoutes administratives.
Ces dernières, outre qu’elles sont très coûteuses à exploiter par les services chargés de la lutte antiterroriste, sont beaucoup plus intrusives et attentatoires aux libertés puisqu’elles portent sur le contenu des communications.
Une légère diminution du nombre d’interceptions de sécurité sur le motif « prévention du terrorisme » est enregistrée sur 2007-2008, après le pic de 2005. Compte tenu du caractère étroit des écarts constatés et de l’absence de recul suffisant, on ne peut, à ce stade, établir une corrélation, mais il sera intéressant de suivre l’évolution dans les années à venir.
J’en viens enfin à l’article 9 de la loi du 23 janvier 2006. Il autorise les services chargés de la lutte antiterroriste à accéder directement et à toute heure à certains fichiers administratifs gérés soit par le ministre de l’intérieur, soit par le ministre de l’immigration. Outre une réactivité immédiate, ce dispositif offre l’avantage de la discrétion, les services des préfectures n’ayant pas à savoir que des investigations sont menées à l’encontre de telle ou telle personne.
De manière générale, il semble donc que les premiers résultats sur ces trois articles soient plutôt satisfaisants. Toutefois, le recul manque encore compte tenu des délais de publication des textes d’application.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission, dans ses conclusions, vous propose, mes chers collègues, de reprendre la proposition de loi sans modification.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le terrorisme fait peser sur la France une menace constante, comme malheureusement aussi sur un grand nombre de pays dans le monde. En tant que ministre de l’intérieur, je peux vous dire qu’il représente la première de nos priorités dans le domaine de la sécurité.
La future loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI, qui vous sera présentée prochainement, nous permettra de renforcer les moyens de la lutte contre le terrorisme, contre la grande criminalité et contre la délinquance. Le calendrier parlementaire très chargé – vous êtes bien placés pour le constater – a conduit à reporter l’examen de la LOPPSI, qui aurait dû avoir lieu en 2008.
Tout naturellement, j’avais inscrit en premier dans ce projet de loi la demande de prorogation des dispositions de la loi antiterroriste du 23 janvier 2006, valables jusqu’au 31 décembre 2008.
Or, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, il ne saurait y avoir de vide juridique, car cela diminuerait le niveau de protection des Français. Telle est la raison pour laquelle je remercie M. Haenel de s’être saisi de la question et d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi, sur un sujet qui nous concerne tous.
Le but du texte est de permettre la reconduction des dispositions de la loi précédente. Je ne reviendrai pas sur les raisons qui ont conduit à l’adoption de cette loi, M. le rapporteur les a rappelées, je limiterai mon propos au contenu des dispositions qu’il s’agit de proroger.
Mesdames, messieurs les sénateurs – j’y insiste – le terrorisme représente une menace réelle. Notre pays n’est pas plus menacé que d’autres, il ne l’est pas moins non plus. Il faut que nous l’ayons constamment à l’esprit.
Si nous sommes menacés sur le sol national, nos compatriotes sont menacés aussi à l’extérieur. L’enlèvement, hier encore, en Afghanistan, d’un employé d’une association humanitaire nous rappelle l’actualité de cette menace. Nous avons tous à l’esprit, bien entendu, ce qui s’est passé et ce qui se passe régulièrement en Afghanistan, en Algérie, au Yémen, en Arabie Saoudite, en Mauritanie.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, la menace est permanente et les services du ministère de l’intérieur déjouent constamment des attentats, raison pour laquelle ces questions ne doivent pas être prises à la légère. L’actualité de ce risque terroriste se manifeste par des entraînements paramilitaires, par des saisies d’armements, par un certain nombre d’informations ou de menaces clairement formulées.
Le terrorisme islamiste ne se résume plus aujourd’hui à l’appel à la guerre entre un monde musulman et un monde occidental. Il tend désormais vers une contestation idéologique de nos sociétés et de nos valeurs, contestation qui porte aussi bien sur la reconnaissance de la place des femmes, sur la liberté elle-même, que sur notre conception équilibrée de la laïcité, qui font partie de nos valeurs fondamentales.
Son évolution concerne aussi les modalités et les lieux d’entraînement. Les conflits irakien, israélo-palestinien, afghan, sont autant de terrains d’entraînement pour des terroristes potentiels. Nous suivons, bien entendu, à travers les réseaux un certain nombre de personnes qui suivent des formations et des entraînements dans ces pays et qui reviennent ensuite sur notre territoire.
Par ailleurs, internet apporte au terrorisme un vecteur nouveau d’endoctrinement, de propagande, de recrutement et de structuration des réseaux.
Face à l’ampleur de ces menaces et à leur évolution, nous avons le devoir d’adapter nos réponses. La première responsabilité d’un État, et de ses représentants, est, mesdames, messieurs les sénateurs, de protéger ses citoyens contre cette menace que représente le terrorisme. Nous devons adapter nos réponses pour mieux protéger le territoire national, mais aussi, au-delà, le territoire européen, car il n’y a plus de frontières en la matière, nous le savons bien.
Cela implique une vigilance quotidienne sur notre sol et à nos frontières.
Permettez-moi, à cet égard, de rappeler quelques chiffres. Le plan Vigipirate mobilise chaque jour 2 366 policiers, 165 gendarmes et 870 militaires. L’espace Schengen doit nous permettre un contrôle plus efficace des entrées sur le territoire européen et sur le territoire national. Nous rejoignons ici le problème des contrôles d’identité à bord des trains internationaux évoqué par M. le rapporteur.
Cela renforce en effet nos capacités de détection d’un certain nombre de personnes, notamment celles qui font partie de réseaux identifiés et dont nous savons qu’elles reviennent de pays « sensibles ». C’est l’article 3 du texte dont la prorogation vous est demandée.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, le service national de la police ferroviaire utilise d'ores et déjà ces moyens avec l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la Suisse et l’Italie, car ce sont les voies principales d’accès à notre pays ou de retour dans notre pays.
Le renforcement du contrôle des frontières aériennes s’inscrit dans la même perspective. Actuellement, les voyageurs en relation avec cinq pays à risques du Moyen-Orient voient leurs données APIS – Advanced Passengers Information System –enregistrées dans le fichier des passagers aériens. Il s'agit essentiellement du nom, de l’âge et de ce style de données.
Les travaux européens en cours sur le PNR – Passenger Name Record – visent à renforcer l’efficacité du dispositif. En effet, les terroristes savent parfaitement ce que nous faisons, ne nous leurrons pas. De la même façon qu’ils utilisent toutes les nouvelles technologies – ils l’ont fait avant nous !–, ils se méfient aussi de nos dispositifs de surveillance.
Par conséquent, quand des pays sont trop ciblés, parce qu’il est plus facile de ne surveiller que cinq ou six pays, les filières terroristes n’hésitent pas à choisir des itinéraires détournés, passant par des pays non signalés sans revenir directement en France, par exemple depuis le Yémen.
Nous travaillons donc à l’échelon européen sur la possibilité d’établir de nouvelles connexions afin de ne pas perdre en cours de route des personnes qui transitent par des pays non signalés, et ce système peut être réellement efficace.
Le renforcement des mesures de sécurité tant à l’échelon européen qu’à l’échelon national s’accompagne aussi d’une clarification des règles de protection des données personnelles. Nous en avons parlé récemment au Parlement européen, nous tenons beaucoup à cette double garantie.
Nos démocraties sont en effet confrontées à la double nécessité d’assurer la sécurité des personnes tout en garantissant la protection des libertés, et c’est au regard de ce double impératif qu’il nous incombe d’évaluer rigoureusement les besoins en la matière.
C’est un enjeu majeur de déterminer quel prix économique et quel prix en termes de liberté nous sommes prêts à acquitter pour notre sécurité. Il faut rechercher un juste équilibre entre les deux afin de protéger la démocratie, et c’est un travail que nous devons faire ensemble.
Adapter notre réponse, c’est aussi essayer d’améliorer notre action pour détecter les réseaux.
Comme j’ai eu l’occasion de vous l’indiquer à plusieurs reprises, on observe des signes préoccupants dans l’évolution du terrorisme. Des formes beaucoup plus isolées qu’auparavant apparaissent : des individus, notamment des individus fragiles psychologiquement, peuvent ainsi être en quelque sorte convaincus par le biais d’internet.
C’est l’une de mes préoccupations que de constater le développement sur internet, d’une part, d’une propagande émanant de certains groupes extrémistes et, d’autre part, de sites sur lesquels on peut apprendre à fabriquer des explosifs, voire des armes bactériologiques ou chimiques. N’importe qui, si je puis dire, peut avoir accès à ces informations et peut les mettre en pratique. D’ailleurs, en dehors même de tout caractère terroriste, plusieurs adolescents meurent chaque année, ou se retrouvent amputés, après avoir mis en pratique ce qu’ils voient sur internet. Mais là est un autre problème.
Aujourd'hui, nous nous attachons plus à la question des réseaux, qui mobilisent nos services, car ce sont eux qui permettent de cibler les personnes susceptibles de porter des atteintes sur notre territoire.
La création de la Direction centrale du renseignement intérieur nous a permis de gagner en efficacité pour mieux déjouer, en amont, les actions terroristes. En effet, il s’agit non pas de pleurer en cas d’attentat, mais de faire en sorte que celui-ci n’ait pas lieu, évitant ainsi les morts et les blessés. C’est pour cette raison qu’il est essentiel de doter cette direction d’outils adaptés à sa mission.
Ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, l’article 9 de la loi du 23 janvier 2006 prévoit que des personnes dûment autorisées peuvent avoir accès à certains fichiers administratifs.
Cette disposition a permis de faciliter les investigations destinées à vérifier l’identité de personnes suspectes, notamment en contrôlant l’immatriculation des véhicules ou en établissant l’origine frauduleuse de documents sensibles.
La détection des réseaux passe également par un meilleur contrôle d’internet. Nous le savons, aujourd'hui, les terroristes utilisent internet pour véhiculer soit des messages internes, soit des messages de propagande. La communication des données techniques relatives à des communications électroniques, prévue par l’article 6, a prouvé son utilité.
Monsieur le rapporteur, vous avez regretté tout à l'heure que certains décrets d’application n’aient pas encore été publiés. Je tiens à vous dire que tous les textes sont prêts et sont actuellement à la signature du ministre du budget. J’espère donc qu’ils seront publiés incessamment.
L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT, a mis en œuvre une plate-forme de gestion des demandes de données techniques adressées aux opérateurs de téléphonie, aux sociétés de commercialisation et de services ou aux fournisseurs d’accès à internet. Parallèlement, une plate-forme de signalement sera ouverte dans un mois pour l’ensemble des sites internet aux contenus illicites.
Dans le même esprit, j’ai fait adopter à Luxembourg un accord permettant la mise en place d’une plate-forme européenne de lutte contre la cybercriminalité, notamment contre l’utilisation d’internet à des fins terroristes, car, comme je l’ai indiqué tout à l'heure, cette criminalité, tout comme le terrorisme, ne connaît pas de frontières. Considérant l’intérêt du projet, la Commission européenne a accepté de le financer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas sur l’excellente présentation de M. le rapporteur, car vous disposez maintenant de l’ensemble des données de la question.
La loi antiterroriste du 23 janvier 2006 a permis de réaliser une véritable avancée dans notre action de protection des populations contre une menace en constante évolution.
Il est à mes yeux légitime de proroger, conformément à la proposition de loi élaborée sur l’initiative du Sénat, les dispositions de cette loi, qui, en près de trois ans d’application, ont prouvé leur utilité et leur efficacité.
L’importance exceptionnelle de ces questions exige de chacun de nous une approche sereine et constructive, au-delà des clivages partisans. Il s’agit non pas de créer la panique, …
… mais de répondre justement à un risque réel.
Souvenez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, de ce qui s’est passé après les attentats de Londres et de Madrid : on a alors observé une grande unité tant nationale qu’européenne. Mieux vaut néanmoins, à mon avis, que l’unité existe dès le départ, afin que soient évités des attentats, des drames, des morts, ainsi qu’un affaiblissement des valeurs de la démocratie qui sont les nôtres. Chaque attentat est présenté par ses auteurs et par Al-Qaïda comme une victoire sur les valeurs du monde occidental, une victoire sur la liberté. Moi, je crois à la liberté, et je veux la défendre non seulement pour moi, mais également pour l’ensemble des Français et des Européens.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la finalité de prévention et de répression du terrorisme est, à l’évidence, une ardente nécessité, car il est du devoir de l’État à la fois de se protéger contre toute forme d’atteinte à son existence et d’assurer la sécurité des citoyens menacée par des risques d’une exceptionnelle gravité. Or, en période exceptionnelle, l’État doit se doter d’un arsenal juridique et technique exceptionnel.
Nous examinons ici une proposition de loi de notre collègue Hubert Haenel visant à proroger certaines des mesures exceptionnelles mises en place en 2006 pour une durée de trois ans.
Madame la ministre, le groupe socialiste s’était opposé au projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers que vous aviez proposé, au motif que les finalités de ce dernier ne correspondaient pas à celles qui étaient exposées. Nous considérions que ce texte, loin de se contenter de prévenir et de réprimer le terrorisme, contenait nombre de mesures tendant à lutter contre l’immigration irrégulière, favorisant ainsi l’assimilation entre terrorisme et immigration. Or la lutte contre le terrorisme ne peut tolérer aucune instrumentalisation.
Les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la loi contre le terrorisme sont applicables jusqu’au 31 décembre 2008, et ont été votés sous condition de leur caractère temporaire.
Par le passé, de nombreuses dispositions temporaires ont été pérennisées ; je dirai même que c’est une spécialité législative française. Mais ici, le sujet est trop grave, puisqu’il s’agit de mesures tendant à limiter les libertés publiques.
Madame la ministre, vous justifiez l’importance de cette proposition de loi par une menace terroriste particulièrement élevée. Pourriez-vous nous fournir quelques éléments sur ce sujet ?
Quelle est la situation actuelle ? Disposez-vous d’informations que vous pourriez porter à la connaissance de la représentation nationale, démontrant une aggravation des risques ?
La commission des lois, quant à elle, estime que les premiers résultats de la loi de 2006 sont « plutôt satisfaisants ». Votre attitude ne serait-elle pas, au contraire, source d’inquiétudes nouvelles ? Pourtant, vous avez indiqué tout à l'heure qu’il ne s’agissait pas de créer la panique !
La commission des lois considère que les trois articles concernés doivent être prorogés compte tenu du manque de recul de l’évaluation, les délais de publication des textes d’application – un décret, vous l’avez vous-même reconnu, n’est toujours pas publié – ayant retardé l’entrée en vigueur de la loi. Pourtant, n’y avait-il pas urgence en 2005, lors de l’examen du texte initial ?
Madame la ministre, l’article 32 de la loi de janvier 2006 impose au Gouvernement de remettre chaque année au Parlement un rapport sur son application. Or aucun rapport n’a, à notre connaissance, été remis au Parlement. Il n’existe qu’un rapport d’information datant du 5 février 2008 établi par deux collègues députés, dans lequel Julien Dray, co-rapporteur, est très critique sur ces mesures puisqu’il observe : « Nous ne pensons donc pas, par conséquent, qu’il faille, sous le coup d’une sorte de fatalisme juridique, et sous la pression d’hypothétiques menaces, considérer que les dispositions temporaires de cette loi, celles des articles 3, 6 et 9, doivent être prolongées, ou plus encore être définitivement entérinées. »
Les membres de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, sont arrivés à la même conclusion et s’inquiètent de l’absence de débat et d’évaluation, compte tenu des mesures restrictives en matière de liberté publique et de droits fondamentaux.
Enfin, madame la ministre, nous sommes dubitatifs sur l’instrument juridique choisi.
De par la nature de ces dispositions, et compte tenu de leur importance, il n’est ni sérieux ni respectueux des droits du Parlement d’aborder cette discussion dans le cadre d’une simple proposition de loi.
Et on vous le resservira aussi !
Cette proposition de loi fait l’objet d’un examen que j’estime précipité, alors que nous savons, depuis janvier 2006, que les dispositions seront caduques en décembre 2008. Tout le monde connaissait cette échéance !
Dans le cas présent, l’urgence ne peut justifier ce qui s’apparente à un détournement de procédure, à savoir la reprise, sous forme d’une proposition de loi, d’un texte dont l’ordonnateur est, à l’évidence, le Gouvernement.
La question de la prolongation de ces dispositions aurait pu être abordée dans le cadre de l’examen de la future LOPPSI, la loi de programmation et de performance pour la sécurité intérieure ; vous y avez d’ailleurs fait allusion, madame la ministre.
Mais, depuis l’annonce envisagée de son dépôt, l’adoption de ce texte en conseil des ministres est systématiquement reportée. Pourtant, le 14 octobre dernier, vous avez déclaré à l’Assemblée nationale que la LOPPSI 2 est prête depuis un an, pour ce qui concerne tant son volet budgétaire que son volet juridique.
Madame la ministre, nous ne pouvons pas accepter que la prorogation de l’article tendant à permettre la fouille des trains se justifie par la lutte contre l’immigration. Nous n’accepterons jamais l’amalgame trop souvent fait entre terrorisme et immigration. J’ajoute que c’est parfaitement contraire au principe même de Schengen, ce dont ont conscience un certain nombre de membres de la commission des lois, quelle que soit leur couleur politique.
Madame la ministre, nous ne pouvons pas non plus voter en faveur d’un article visant à proroger un régime de réquisition administrative des données de connexion. Aussi bien la CNCDH que la CNIL ont émis des réserves sur cette procédure, lors de l’examen du texte initial.
Concernant la pratique, l’un des décrets n’est toujours pas paru, et la mise en place a été si lente qu’aucune évaluation ne peut encore être pertinente. Or n’avait-on pas prétendu qu’il s’agissait d’une disposition urgente ?
Quant à l’article 9, les réserves de la CNCDH et de la CNIL sont les mêmes que celles qui avaient été émises lors de l’examen du texte initial, notamment quant aux possibilités de croisements et d’extractions de données issues des fichiers.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, notre groupe est très sceptique sur la prorogation des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers. Nous serons attentifs aux données et aux garanties que vous ne manquerez pas de nous fournir au cours de l’examen de cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner une proposition de loi visant à prolonger l’application de trois mesures figurant dans la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.
Estimant que la menace liée au terrorisme, notamment islamiste, n’avait jamais faibli, le gouvernement de l’époque avait présenté ce projet de loi. Il avait également rappelé que la France peut apparaître comme l’une des principales cibles. Tel est encore le cas aujourd’hui puisque vous avez indiqué tout à l’heure, madame le ministre, que notre pays n’est pas plus menacé que d’autres, mais qu’il ne l’est pas moins non plus. Et je n’évoquerai pas les groupes indépendantistes malheureusement plus proches de notre territoire par leur origine, tel l’ETA, dont la menace est toujours vive. Le projet de loi avait d’ailleurs été déposé quelques mois après les attentats de Londres.
Il n’est pas contestable que le terrorisme constitue une menace nécessitant des gouvernements un effort particulier afin de mettre en œuvre tous les instruments nécessaires pour y faire face. Les actes en question sont graves et intolérables, et ce d’autant plus qu’ils ont pour but de frapper un peuple, une nation, de porter atteinte à tous les ferments collectifs de cette dernière et à ce qu’elle représente.
À lui le seul, le terrorisme justifie que des moyens exceptionnels soient mis en œuvre par le législateur lui-même.
Voilà pourquoi le Gouvernement avait proposé, à l’époque, différentes mesures visant à adapter notre législation aux évolutions du terrorisme. Le groupe de l’Union centriste avait soutenu ces dispositions.
Si l’ensemble des mesures visant à lutter contre le terrorisme sont nécessaires et utiles à certaines époques, elles doivent, chacun en convient, rester exceptionnelles et s’attacher à un contexte particulier.
Pour le législateur, toute la difficulté réside dans la recherche d’un équilibre entre, d’une part, la protection des biens et des personnes et, d’autre part, la protection des libertés individuelles, auxquelles nous sommes tous attachés.
Telles ont les raisons pour lesquelles la loi du 23 janvier 2006 prévoit qu’un rapport dresse le bilan des dispositions exceptionnelles. C’est ainsi que l’Assemblée nationale a publié en février 2008 un rapport faisant état de l’application des dispositifs mis en place.
Trois dispositions de la loi du 23 janvier 2006 – les articles 3, 6 et 9 – devaient être appliquées à titre temporaire, jusqu’au 31 décembre 2008. Ces dispositions arrivent à échéance, et notre collègue Hubert Haenel nous propose de prolonger leur application jusqu’au 31 décembre 2012.
Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, la prolongation de ces trois mesures se justifie par deux raisons au moins : d’une part, le rapport annuel d’application de 2008 a montré leur pertinence opérationnelle et leur efficacité ; d’autre part, la menace terroriste est malheureusement toujours aussi présente sur notre territoire, ce dont vous convenez vous-mêmes, mes chers collègues socialistes. Mais il est vrai que nous aimerions être placés dans une autre situation !
L’une des questions qui nous intéresse aujourd’hui est bien celle de savoir si la situation actuelle justifie la prolongation de ces trois mesures limitant à la fois la liberté d’aller et venir et le respect des libertés individuelles.
Une autre question concerne l’efficacité de ces mesures : il faut bien le dire, nous manquons de recul et de hauteur de vue pour l’apprécier complètement.
Par ailleurs, l’article 3 concerne non pas uniquement le terrorisme, mais plus largement le contrôle des frontières, puisqu’il constitue une contrepartie à la mise en œuvre de l’espace Schengen. Des décisions de justice récentes – ce sujet a retenu toute l’attention de la commission des lois – traduisent une interprétation restrictive de cette disposition. Il a en effet été estimé que celle-ci valait uniquement pour les trains circulant de l’étranger vers la France.
Je crois également utile de rappeler que le décret d’application de l’article 6 concernant la réquisition de données auprès des fournisseurs d’accès à internet et des hébergeurs n’a toujours pas été pris.
Quant à l’article 9, il risque de montrer bientôt ses limites, s’agissant notamment de l’accès aux fichiers, puisque la loi, en son état actuel, ne permet pas l’accès aux données biométriques qui figurent désormais dans le système de gestion des passeports.
Je demande donc au Gouvernement de bien vouloir nous rassurer sur ces différents points.
Compte tenu de ces difficultés, la question du nécessaire équilibre et de l’impératif de proportionnalité entre, d’une part, la protection des personnes et des biens et, d’autre part, la garantie des libertés individuelles se posent avec d’autant plus de pertinence.
Toutefois, comme en faisaient état certains quotidiens français en début d’année, les menaces islamistes proférées contre la France, visant en particulier Paris, sont prises très au sérieux par les ministères de l’intérieur et de la justice, après qu’un centre américain spécialisé dans la surveillance des communications du réseau Al-Qaïda a fait état de menaces avérées.
Des menaces précises contre les monuments parisiens ont circulé sur al-ikhlas, un site internet islamiste utilisé par Al-Qaïda. Parmi les sites évoqués figurent la tour Eiffel, les Champs-Élysées, l’aéroport de Roissy ou le quartier de La Défense. Mon but n’est pas d’inquiéter qui que ce soit ! Il s’agit simplement de préciser, à l’occasion de ce débat législatif, que nous sommes clairement concernés par des menaces terroristes réelles.
Il nous faut également tenir compte du fait que le terrorisme a évolué. Les organisations terroristes savent utiliser à leur avantage les moyens modernes de communication, comme la téléphonie mobile et internet. Face à la mondialisation des réseaux et des moyens de communication, de nouveaux enjeux se sont imposés aux forces de police des États menacés. En tant que législateur, nous devons être présents.
Je ne reviendrai pas sur les différents points méritant sans doute des compléments d’information, que Mme le ministre ne manquera pas de nous donner. Mais vous avez déjà répondu à certaines de nos interrogations, madame.
Le groupe de l’Union centriste estime que la prorogation de ces mesures, qui est d’ailleurs préconisée dans le rapport annuel d’application de la loi du 23 janvier 2006, se justifie. J’insiste cependant sur le point suivant, qu’il faut toujours garder à l’esprit : de telles mesures doivent respecter un équilibre acceptable entre les exigences de liberté et celles de sécurité, d’où l’importance, madame le ministre, d’une évaluation de leur efficacité. Vous le savez bien, la moindre erreur pourrait avoir des conséquences très lourdes pour des personnes injustement soumises à des mesures aussi contraignantes, qualifiées parfois par certains de « liberticides ».
C’est pourquoi il est nécessaire de prévenir les abus, de prêter une attention particulière à l’interprétation des textes, de prévoir des clauses de rendez-vous et de limiter l’usage de telles mesures à des circonstances très particulières, en l’occurrence à la lutte contre le terrorisme, comme cela nous est proposé aujourd’hui.
Donnons-nous donc rendez-vous dans quatre ans ; nous aurons alors plus de recul quant à l’application de ces mesures pour décider soit de les prolonger de nouveau, soit d’en prendre d’autres plus adaptées, soit – on peut toujours rêver ! – de ne plus nous en préoccuper.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais revenir un instant sur les conditions dans lesquelles la proposition de loi présentée par notre collègue Hubert Haenel a été inscrite à l’ordre du jour de nos travaux.
Il n’aura échappé à personne que ce texte a été présenté dans une certaine précipitation. En effet, une convocation de la commission des lois avait pour ordre du jour la nomination d’un rapporteur sur une proposition de loi, sans autre précision quant à l’intitulé de celle-ci. Et pour cause, le texte n’avait pas encore été déposé !
Qui plus est, nous n’avons été informés que très tardivement – le matin pour l’après-midi – des auditions organisées par M. le rapporteur, au cours desquelles, je le précise, le ministère de l’intérieur a été surreprésenté.
Quant à la durée d’une heure prévue pour la discussion générale, sur un texte aux conséquences inversement proportionnelles à la longueur de son article unique, elle se passe de commentaire !
Je tiens à insister par ailleurs sur le fait que les articles 3, 6 et 9 qu’il nous est proposé de proroger avaient été adoptés à l’époque pour une durée limitée – la fin de leur application avait été fixée au 31 décembre 2008 – pour permettre leur expérimentation et leur évaluation avant leur éventuelle prolongation ou pérennisation. Dans ce cadre, le Gouvernement devait remettre chaque année au Parlement un rapport sur leur application.
Alors que l’exposé des motifs évoque le rapport annuel 2008 d’application de la loi du 23 janvier 2006, je n’ai pas souvenir de l’existence d’un tel rapport, pas plus d’ailleurs que du rapport annuel 2007.
Quand nous avons demandé à la commission des lois que l’on nous communique le rapport 2008, il nous a été adressé un document de cinq pages à peine, qui se veut une évaluation. Loin de porter sur l’ensemble de la loi, ce prétendu rapport ne concerne que les articles 3, 6 et 9, précisément ceux dont on nous demande de prolonger l’application.
Le plus curieux, c’est que ce document est daté du 16 octobre 2008, soit le jour même où la proposition de loi a été annexée au procès-verbal de la séance. De là à penser qu’il s’agit d’un rapport de circonstance…De plus, comment parler de rapport annuel 2008 alors que l’année concernée n’est pas encore achevée ?
Certes, il existe un rapport d’information, réalisé par la commission des lois de l’Assemblée nationale, laquelle a pris cette initiative en raison de l’absence du rapport prévu à l’article 32 de la loi du 23 janvier 2006.
En réalité, tout rapport d’évaluation de cette loi est difficile à réaliser puisque tous les décrets, comme cela vient d’être rappelé, n’ont pas encore été pris et que la plupart de ceux qui ont été publiés l’ont été dans une période récente, c'est-à-dire au cours du second semestre de 2006 et dans le courant de l’année 2007. À croire que, à l’époque, il n’y avait pas urgence à légiférer – pour la septième fois en vingt ans ! – en matière de lutte contre le terrorisme et que l’arsenal législatif existant, renforcé à plusieurs reprises, était vraisemblablement suffisant et n’avait pas besoin de cette ultime radicalisation !
Mais, pour s’en rendre compte, il aurait fallu disposer d’une évaluation précise des dispositifs existants. Or, depuis le 11 septembre 2001, nous n’avons aucune évaluation ! En effet, toutes les mesures exceptionnelles adoptées temporairement pour prétendument lutter contre le terrorisme ont été pérennisées sans avoir fait l’objet d’une quelconque évaluation quant à leur utilité et à leur efficacité. Le temporaire en la matière a une furieuse tendance à durer !
Cela fait des années que notre législation est durcie sous prétexte de lutter contre le terrorisme, et ce sans aucun contrôle du Parlement.
Alors que le rôle du Parlement devrait être renforcé à la suite de la réforme constitutionnelle, je ne vois guère ici la traduction de ce renforcement ! Le Parlement ne remplit même pas sa mission de contrôle à l’égard de l’exécutif ; il se contente de voter loi sur loi.
Pis, le Gouvernement utilise la séance mensuelle réservée à l’ordre du jour fixé par l’assemblée pour faire examiner une proposition de loi dont il a passé commande à sa majorité et faire ainsi adopter un texte qu’il n’a pas pu faire passer, faute de support législatif adéquat.
J’en viens au contenu même de cette proposition de loi. Notre position sur le sujet n’a pas changé. À l’époque, nous avions voté contre le projet de loi, car nous le jugions inutile, inefficace, attentatoire aux libertés individuelles et revêtant un effet d’annonce incontestable.
Je le répète aujourd’hui avec force, nous condamnons avec la plus grande fermeté le terrorisme, qui constitue une attaque contre les droits fondamentaux de l’être humain. Nous ne sous-estimons pas les menaces qui peuvent peser sur notre pays et sur nos concitoyens vivant et travaillant à l’étranger.
En revanche, nous ne sommes pas prêts, au nom de l’impératif sécuritaire que commande la lutte contre le terrorisme, à sacrifier nos libertés fondamentales. En effet, ce serait alors faire le jeu des terroristes, qui se délectent de voir les démocraties rogner chaque jour un peu plus les libertés de leurs citoyens.
Les Françaises et les Français ne sont pas prêts, non plus, à voir leurs libertés restreintes. J’en veux pour preuve leur forte mobilisation contre le fichier EDVIGE, dont le but, madame la ministre, est d’instituer une surveillance et un contrôle généralisés de la population, sous couvert de lutter contre le terrorisme et la délinquance. Et, sur ce plan, le fait qu’il y ait un, deux ou trois fichiers ne change rien.
Si vous voulez combattre durablement le terrorisme et ses auteurs, vous devez vous attaquer à ses véritables causes, au terreau qui en fait le lit. Les interventions en Afghanistan et en Irak, le creusement des inégalités entre pays riches et pauvres – et cela va encore s’accentuer du fait de la crise financière –, etc., toutes ces tensions que le monde connaît actuellement, qui ont tendance, depuis quelques années, à s’exacerber et qui risquent de s’aggraver tant que les peuples ne décideront pas de créer, eux-mêmes, un nouvel ordre mondial font le miel des extrémistes.
Vous pourrez toujours légiférer, mes chers collègues ! Vous pourrez toujours rogner un peu plus les libertés fondamentales de nos concitoyens ! Vous pourrez toujours renforcer la vidéosurveillance, créer de nouveaux fichiers, développer la biométrie ou installer des scanners corporels dans les aéroports, vous n’arriverez à rien d’autre qu’à instituer un contrôle généralisé de la population présente sur le sol français !
Mais n’est-ce pas là, finalement, votre véritable souhait ? La lutte contre le terrorisme ne vous offre-t-elle pas l’opportunité de mettre en place tout un dispositif sécuritaire visant à surveiller, à ficher et à contrôler le corps social, plus particulièrement une certaine frange de la population, afin d’en prévenir toute révolte éventuelle ?
Je tiens à vous rappeler que les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, dont nous refusons, pour notre part, de prolonger l’application pour quatre années supplémentaires, sont loin d’être anodins. Ce n’est donc pas un hasard si, au départ, leur durée d’application était limitée dans le temps. Il est quand même question, dans ces articles, de contrôles d’identité dans les trains effectuant une liaison internationale, de communication de données, d’identification ou de connexion à des services de communications électroniques, ainsi que d’accès à des fichiers !
Tout d’abord, l’article 3 se situe dans le cadre général des contrôles d’identité, et non dans celui, particulier, de la lutte contre le terrorisme. Il vise tout simplement à étendre le régime général des contrôles d’identité, et fait donc peser cette nouvelle contrainte sur l’ensemble des citoyens. En l’occurrence, je pense que cette disposition vous sert surtout à interpeller des étrangers en situation irrégulière, ce qui permet ainsi à votre collègue M. Hortefeux de se rapprocher des objectifs d’expulsions du territoire français qui lui ont été fixés. En l’absence d’une évaluation précise de son efficacité dans la lutte contre le terrorisme, et compte tenu du caractère attentatoire aux libertés fondamentales de cette mesure comme de l’amalgame qu’elle autorise entre sans-papiers et terroristes, nous nous opposons à sa reconduction.
Ensuite, nous sommes également opposés à l’article 6, qui permet la réquisition administrative des données de connexion en dehors de tout contrôle du juge judiciaire. Comme cela a été dit à plusieurs reprises, la CNIL a émis des réserves à son sujet. Un projet de décret, qui a fait l’objet de critiques de la part de la CNIL, serait d’ailleurs, selon le rapport, sur le point d’être signé par le Premier ministre. Nous aimerions en savoir davantage sur ce point, madame la ministre.
Enfin, le coût de cette mesure – il est évalué, pour les huit premiers mois de fonctionnement et le premier semestre 2008, à environ un million d’euros – paraît exorbitant.
Quant à l’article 9, il accroît les possibilités de consultation de certains fichiers en dehors de tout cadre judiciaire.
Tout en prenant nos responsabilités, nous voterons contre la prolongation pour quatre années supplémentaires d’un dispositif qui n’a fait la preuve ni de sa pertinence opérationnelle ni de son efficacité. Nous reviendrons d’ailleurs sur ce point lors de la présentation de notre amendement tendant à supprimer l’article unique.
Pour conclure, nous estimons que la nécessaire lutte contre le terrorisme ne doit pas nous dispenser de rester dans le cadre d’une société démocratique au sein de laquelle le respect de libertés publiques, tel le droit d’aller et venir ou le respect de la vie privée, a encore du sens.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame la ministre, ainsi que l’ont dit mes collègues, la question qui nous réunit aujourd’hui tient en une seule phrase : faut-il proroger les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ?
Avant de répondre sur le fond à cette interrogation, je souhaite vous faire part, madame la ministre, de quelques commentaires concernant la forme.
Ce texte touche à des questions d’une extrême sensibilité dans le champ des libertés publiques, et des précautions élémentaires auraient donc dû être prises concernant la prorogation des dispositions qu’il contient.
En premier lieu, le Gouvernement aurait dû commencer par fournir à la représentation nationale une évaluation des dispositifs créés voilà deux ans ! En 2006, ces dispositions se voulaient temporaires. Elles avaient à l’époque une raison d’être particulière qui doit être aujourd’hui évaluée, de la même manière que nous l’avons fait en 2006.
Or vous nous demandez aujourd’hui de voter une prorogation de ces dispositions sans même que l’efficacité ou l’effectivité de ces dernières ait été prouvée. En effet, les auditions menées, un peu en urgence, par la commission des lois ne sont suffisantes ni pour appréhender l’utilisation qui a été faite de ces dispositions ni pour apprécier l’efficacité de ces dernières. À aucun moment, nous n’avons obtenu de bilan clair et circonstancié de l’application de ces dispositions. Quid, en effet, du rapport annuel sur l’application de ces mesures, pourtant exigé par l’article 32 de la loi ? Il n’y en a eu aucun, ni en 2006, ni en 2007, ni en 2008 !
La loi a été votée en 2006 ! Comment voulez-vous qu’un bilan ait été effectué en 2006 ?
Cette loi a été votée en janvier 2006, ce qui aurait pu nous permettre d’avoir au moins, en fin d’année, un bilan à mi-parcours !
Que vous le demandiez en 2007, je comprends ! Mais ne le demandez pas en 2006 pour 2006 !
Ce rapport nous aurait permis, même si nous avons toutes les raisons de penser qu’il n’est pas un outil suffisant, d’appréhender ce débat avec plus de sérénité.
En effet, madame la ministre, nous sommes aujourd’hui bien loin de la sérénité et du recul que vous avez évoqués et qui seraient pourtant nécessaires à l’examen de ce texte. Le Gouvernement s’est en effet démené pour trouver un véhicule législatif afin d’adopter cette prorogation avant la date de caducité fixée au 31 décembre 2008.
En second lieu, le Gouvernement aurait dû présenter ce texte sous la forme d’un projet de loi, et non d’une proposition de loi. Le principe du parallélisme des formes aurait dû conduire à ce que ce texte soit soumis au Conseil d’État, eu égard à son incidence sur les libertés publiques et à son lien avec la lutte contre le terrorisme. Mais si vous avez retenu cette solution, c’est peut-être justement parce que vous sentiez que ce texte n’aurait pas pu survivre à un test d’opportunité !
Mme la ministre fait un signe de dénégation.
On ne proroge pas des dispositions aussi importantes avec désinvolture, par simple souci de célérité ! On ne peut accepter que l’évaluation de ces dispositifs soit escamotée pour de simples raisons de calendrier ! Là encore, la méthode est très contestable : en s’affranchissant de cette procédure, le Gouvernement donne un signe extrêmement négatif à la représentation nationale.
Vous auriez dû prendre vos responsabilités, madame la ministre, pour garantir un débat serein et constructif sur ces questions si importantes pour notre pays. Vos difficultés de calendrier ne peuvent servir de prétexte pour vous soustraire au contrôle parlementaire !
Permettez-moi en effet de vous rappeler que, si ces dispositions sont temporaires, c’est en réalité parce que nous nous étions donné rendez-vous, voilà presque trois ans, pour en rediscuter la pertinence et l’efficacité. C’est ce rendez-vous qui a été manqué ! Comment voulez-vous en effet, dans le cadre expéditif et sommaire que vous nous proposez indirectement aujourd’hui, que l’on puisse évaluer de manière efficiente les dispositifs contenus dans la loi de 2006 ? Il aurait été moins hypocrite de nous soumettre, par voie d’ordonnance, la pérennisation pure et simple de ceux-ci !
Au moins, cela aurait été clair !
Je souhaite maintenant revenir sur le fond de ces dispositions.
L’article 3 de la loi 23 janvier 2006 est un véritable cheval de Troie législatif. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, il constitue en réalité un outil détourné de lutte contre l’immigration irrégulière. En assimilant les membres des cellules terroristes aux immigrants, légaux ou non, il entretient une ambiguïté malheureuse. Christophe Chaboud, responsable de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT, l’a lui-même admis lors de son audition par la commission des lois. En effet, les interprétations qui se fondent sur cette disposition relèvent plus de la lutte contre l’immigration clandestine que de la lutte contre le terrorisme !
S’agissant de l’article 6 de la loi et de la procédure de réquisition administrative des données de connexion qu’il crée, je me permettrai simplement de rappeler à quel point il révèle, une fois de plus, l’empressement du Gouvernement à légiférer sans évaluation concrète de l’impact de ces mesures.
Ainsi, le décret relatif à la réquisition des données auprès des fournisseurs d’accès et des hébergeurs n’a toujours pas été pris et, pis encore, il ne pourra pas l’être tant qu’un décret d’application de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui vise à définir avec précision les données devant être conservées, n’aura pas été publié.
Devant un tel dysfonctionnement de la machine réglementaire, le législateur doit pouvoir jouer pleinement son rôle. C’est pourquoi, madame la ministre, nous ne pouvons donner notre aval à la prorogation des dispositions de la loi du 23 janvier 2006 sans avoir exigé au préalable une mise en place effective du dispositif dans toutes ses composantes, avec toutes les garanties qui y sont apportées, et une réelle évaluation de celui-ci ! C’est d’autant plus justifié que cette prorogation nous est demandée pour quatre ans, alors qu’en 2006 le dispositif n’avait été mis en place que pour deux ans.
Parce que, dans un domaine aussi sensible que celui de la lutte contre le terrorisme, la sécurité ne peut se construire sur de l’insécurité juridique, les sénateurs Verts voteront contre cette proposition de loi.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, si j’ai bien compris, le groupe socialiste et le groupe CRC ont voté contre le projet de loi en 2006, et ils entendent aujourd’hui persister sur la même voie ! Ce faisant, ils préfèrent s’enfermer dans une idéologie qui consiste à ignorer la réalité des menaces, celles d’hier comme celles d’aujourd’hui !
Je vais donc vous parler des menaces et des actes contre les Français de l’étranger ! Je croyais avoir été entendue lorsque, au cours de mon intervention liminaire, j’ai évoqué ce qui vient de se passer en Afghanistan, l’assassinat des Français en Mauritanie et en Arabie Saoudite, ou encore les événements récents survenus en Algérie.
Si vous voulez aller encore plus loin, je vous rappellerai que le 22 septembre, des menaces très claires ont été formulées contre la France par le numéro deux d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Je rappellerai également les attentats qui ont eu lieu au Royaume-Uni – ils ne sont pas si anciens ! – ainsi que ceux qui ont été déjoués au cours de ces derniers mois en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique, et qui impliquaient des réseaux passant aussi par la France.
Je vous ai également parlé d’un certain nombre d’équipes qui avaient été neutralisées sur notre sol : 89 activistes ont ainsi été interpellés en 2007, et 75 depuis le début de l’année 2008. S’ils sont incarcérés aujourd’hui, ce n’est pas par fantasme, c’est bien parce que la justice avait en sa possession les éléments nécessaires !
Vous vouliez des faits précis, en voilà ! Il ne s’agit ni d’une menace théorique ni d’une menace imaginaire.
Je voudrais maintenant répondre à toutes les questions qui m’ont été posées. Notre but n’est pas de confondre terrorisme et immigration irrégulière. Il m’a souvent été donné de parler de terrorisme, et, depuis six ans et demi, je pense, compte tenu de mes fonctions successives de ministre de la défense et de ministre de l’intérieur, être le membre du Gouvernement ayant eu le plus à suivre les évolutions du terrorisme.
Je sais bien – je le répète d’ailleurs souvent – que les mesures militaires ou policières ne peuvent pas, à elles seules, entraver le terrorisme. J’ai souvent dit également, notamment au niveau international, et je le répète, qu’il faut toujours veiller, dans la lutte contre le terrorisme, à protéger aussi nos libertés, que les terroristes menacent également. Ne pas le faire aboutirait en effet à donner raison à ces derniers. C’est donc ce juste équilibre que j’essaie toujours de préserver. Ainsi que je l’ai indiqué tout à l’heure, nous devons très certainement avoir un débat permanent sur le coût que nous sommes prêts à acquitter pour assurer notre propre sécurité.
En ce qui concerne les étrangers, aucune corrélation n’est faite entre immigration et terrorisme : ce n’est pas parce que des gens sont immigrés qu’ils sont forcément des terroristes ; inversement, ce n’est pas parce qu’ils sont immigrés qu’ils ne sont pas des terroristes.
De ce point de vue, la séparation du ministère de l’intérieur, en charge de la protection des Français, et du ministère de l’immigration et de l’intégration, dont la finalité est autre, est à mon avis une bonne chose. Je me suis toujours félicitée d’une telle distinction, qui permet de clarifier les missions des uns et des autres.
Je me place strictement dans la logique qui est celle de la lutte contre le terrorisme, et donc contre les terroristes.
Les arguments qui ont été avancés ne sont que des prétextes pour justifier un vote. Encore faudrait-il qu’ils soient empreints d’un minimum de logique.
Je ne comprends pas que certains veuillent renforcer les pouvoirs du Parlement, notamment en matière d’ordre du jour, tout en contestant la « validité » d’une proposition de loi, au motif qu’elle n’elle n’aurait pas la même valeur qu’un projet de loi.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. En tant que membre du Gouvernement, en tant qu’ancien parlementaire, j’affirme qu’une proposition de loi a la même valeur qu’un projet de loi.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. –Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Je trouve un peu curieux ce mépris dont certains font preuve à l’égard des propositions de loi.
Mme Éliane Assassi s’exclame.
Ce manque de logique se retrouve ailleurs. Par exemple, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, vous dites qu’aucun rapport d’évaluation de la loi n’a été publié en 2006, année de promulgation de la loi.
Dans le même temps, vous nous reprochez d’avoir publié le rapport d’évaluation pour 2008 en octobre (Mme Éliane Assassi s’exclame.), puisque vous estimez qu’il eût mieux valu attendre la fin de l’année pour ce faire. Mais alors, pourquoi donc réclamiez-vous un rapport pour 2006 avant que l’année ne soit entièrement écoulée ?
Soyez un tant soit peu logiques ! Ce qui compte, c’est évidemment le fond du dossier.
D’emblée, vous avez annoncé que vous ne voteriez pas la prorogation de la loi de 2006. C’est votre droit, mais, à tout le moins, veillez à opposer de bons arguments…
… si vous voulez être convaincants vis-à-vis de nos concitoyens.
Ce rapport a été rédigé contradictoirement. D’ailleurs, certains d’entre vous y ont fait allusion, soulignant que des désaccords avaient pu apparaître sur quelques points.
Ensuite, je récuse l’argument selon lequel nous aurions choisi la voie d’une proposition de loi de préférence à celle d’un projet de loi afin de surmonter l’obstacle du Conseil d’État. Je vous rappelle que le Conseil constitutionnel lui-même a validé l’ensemble de la loi de 2006, dont il s’agit ni plus ni moins de proroger les dispositions.
Quant au rapport d’évaluation, il portait sur les trois articles visés par la proposition de loi, conformément à ce qui était prévu. Qu’auriez-vous dit si tel n’avait pas été le cas ?
Monsieur Zocchetto, pour répondre à votre question, je vous renouvelle l’assurance que le texte a été rendu conforme à la Constitution.
Madame Boumediene-Thiery, je pense avoir répondu à vos différentes critiques.
Madame Assassi, j’ai répondu à votre critique concernant la question des étrangers en situation irrégulière.
Je tiens à vous donner un exemple précis de l’utilité que revêt la consultation des fichiers. Lors des attentats de Londres, en 2005, les services britanniques ont demandé à la France d’effectuer un certain nombre de vérifications. Aujourd’hui, la procédure classique requerrait de consulter en premier lieu les préfectures, qui sont fermées la nuit et les week-ends. Or, face à une menace immédiate, il faut gagner du temps. C’est pourquoi la possibilité pour les services de renseignement d’accéder directement aux informations évite toute perte de temps et permet d’obtenir une réponse immédiate. C’est uniquement de cela qu’il s’agit.
Enfin, le seul décret d’application qui fait défaut concerne les surcoûts supportés par les opérateurs. L’essentiel des décrets d’application a donc été publié, et la loi est applicable même en l’absence de ce décret, qui n’a qu’une portée financière. Il ne faut pas tout confondre et accorder une trop grande importance à certains points !
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai pris note des critiques et des reproches qui ont été formulés et auxquels je pense avoir répondu.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Certains sont tout à fait justifiés et appellent de ma part des réponses claires. En revanche, d’autres sont inspirés par des considérations bien différentes et ne tiennent pas à la préoccupation essentielle qu’est la protection de nos concitoyens contre le risque terroriste, qui demeure une réalité.
Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, tel qu’il ressort des conclusions du rapport de la commission des lois.
Au premier alinéa de l’article 32 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, les mots « jusqu’au 31 décembre 2008 » sont remplacés par « jusqu’au 31 décembre 2012 ».
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 2 est présenté par M. C. Gautier, Mme Boumediene-Thiery, M. Anziani, Mme Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat, Mahéas, Michel, Peyronnet, Povinelli, Sueur, Sutour et Yung, Mme Klès, M. Tuheiava et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 1.
J’ai longuement évoqué les raisons pour lesquelles le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce texte. De fait, je considère que cet amendement a été défendu.
Madame la ministre, il faut prendre garde aux raisonnements simplistes !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Tout à fait !
Mme la ministre rit.
Bien évidemment, je parle pour vous !
Il faut aussi prendre garde d’être sur la défensive s’agissant de questions fondamentales pour les libertés individuelles et collectives.
J’aurais aimé que votre intervention soit un peu plus constructive et que vous vous teniez moins sur la défensive.
Mme Éliane Assassi. Mes chers collègues de la majorité, quand vous prendrez la parole pour indiquer les raisons pour lesquelles vous soutenez ce texte, nous pourrons avoir cet échange ! Pour l’instant, personne, parmi vous, ne s’est exprimé sur cette proposition de loi, pas même son auteur, qui n’est pas présent dans cet hémicycle pour la défendre !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. –Protestations sur les travées de l ’ UMP.
Certaines choses sont inacceptables ! (Nouvelles protestations sur les travées de l ’ UMP.)
Je ne rappellerai pas les six raisons pour lesquelles le groupe CRC votera contre cette proposition de loi, raisons que j’ai longuement évoquées tout à l’heure et que je ne détaillerai pas de nouveau, afin de ne pas prolonger le débat.
Je précise que M. Haenel était présent tout à l’heure à l’ouverture de la séance.
Aux termes de l’exposé des motifs de la loi du 23 janvier 2006, les articles 3, 6 et 9 avaient été présentés comme des mesures exceptionnelles prises pour répondre au niveau élevé de la menace terroriste.
Eu égard à leur portée, ces dispositions, qui interfèrent directement avec l’exercice des libertés publiques et des droits fondamentaux, avaient été adoptées à titre temporaire afin de permettre au législateur d’en évaluer la pertinence à l’issue d’une période d’expérimentation de trois ans, soit jusqu’en décembre 2008.
Les auteurs de l’amendement s’étonnent qu’au regard des enjeux de sécurité et de libertés publiques auxquels se réfère la présente proposition de loi de M. Haenel, le Gouvernement n’ait pas pris lui-même l’initiative de déposer un projet de loi, alors que la date de péremption de ces mesures était connue depuis janvier 2006.
Ils constatent que le Gouvernement n’a pas respecté l’obligation de déposer les rapports annuels d’évaluation de ces dispositions, à l’exception d’un rapport partiel et succinct pour la seule année 2008.
Le Sénat est donc invité à discuter d’un texte visant à proroger un dispositif antiterroriste d’exception, de façon précipitée et sans disposer d’éléments suffisants permettant de procéder à une réelle évaluation, à seule fin de pallier les carences du Gouvernement.
Dans le cas présent, l’urgence ne peut justifier ce qui s’apparente à un détournement de procédure.
Le rapport de M. Laurent Béteille, marqué par une concision redoutable et des conclusions parfois contradictoires, se fonde en partie sur l’absence d’actions judiciaires contestant la mise en œuvre des mesures. Il ne permet pas non plus d’éclairer correctement le Sénat.
Au-delà du simple recensement de ces insuffisances se pose immédiatement la question de la pertinence des mesures provisoires adoptées en 2006. Le Parlement doit se montrer extrêmement vigilant. L’expérience du passé montre que, par une sorte de fatalisme, voire de facilité, cette législation d’exception a été systématiquement pérennisée.
Lors de l’examen de la loi de 2006, les auteurs de l’amendement avaient soulevé plusieurs réserves.
Il est confirmé que l’article 3 n’a pas pour objet essentiel de prévenir et de réprimer le terrorisme. Les interpellations auxquelles il a été procédé relèvent le plus souvent de la lutte contre l’immigration clandestine. Il s’agit bien d’une disposition d’ordre général non spécifiquement dédiée à la lutte contre les actes terroristes. En conséquence, rien ne justifie de prolonger une telle mesure d’exception.
Les auteurs de l’amendement observent également que l’article 6 visant à mettre en place un régime exceptionnel de réquisition administrative des données de connexion est partiellement inapplicable. En dépit du caractère d’urgence soulevé par ses promoteurs, la mise en œuvre effective de ce dispositif, de surcroît incomplet, n’a été réalisée qu’au début du mois de mai 2007. Le rapport annuel de la personnalité qualifiée adressé à la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS, ne porte que sur huit mois d’activité. En outre, reste pendante la question de l’habilitation des agents des opérateurs de communications électroniques qui doivent traiter de la demande de réquisition, compte tenu de la sensibilité de telles demandes.
Enfin, à propos de l’article 9 relatif à l’accès aux fichiers administratifs par les services de police et de gendarmerie, à savoir les fichiers sur les immatriculations, les permis de conduire, les cartes nationales d’identité, les passeports, les données diverses relatives aux ressortissants étrangers, les auteurs de l’amendement désapprouvent l’absence de précision sur le contrôle renforcé de la traçabilité des consultations afin d’éviter des utilisations abusives étrangères à la prévention et à la répression du terrorisme.
Ils rappellent que le groupe socialiste avait insisté pour que soit spécifié dans la loi qu’il ne soit possible de recourir qu’à de simples consultations des fichiers, sans qu’aucune extraction de données soit permise. Face au risque grandissant d’interconnexion des fichiers, dont le périmètre s’étend aux données biométriques, ils regrettent que ni l’auteur de la proposition de loi ni le rapporteur n’aient apporté cette garantie.
Compte tenu de ces observations, les auteurs de l’amendement estiment injustifiée la demande de prorogation des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 pour une durée supplémentaire de quatre ans.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Personne ne sera surpris d’apprendre que la commission, ayant approuvé à une large majorité les termes de la proposition de loi, se montre tout à fait défavorable à ces deux amendements de suppression, à l’évidence contraires aux conclusions qu’elle a adoptées.
Au risque d’être redondant, je tiens à préciser que le rapport que j’ai rendu au nom de la commission des lois, s’il est concis, est néanmoins le fruit de huit auditions qui nous ont permis de récolter un certain nombre d’informations complémentaires dont nous ne disposions pas lors de l’examen de la loi de 2006.
Ce rapport ne relève aucun dysfonctionnement particulier s’agissant des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 dont il nous est demandé de prolonger l’application. Je ne vais tout de même pas inventer des difficultés si elles n’existent pas !
La Ligue des droits de l’homme, dont nous avons auditionné les représentants, a formulé quelques critiques d’ordre général mais n’a pas soulevé la moindre objection sur les trois points qui sont en discussion aujourd’hui. C’est pourquoi je pense pouvoir dire que ce rapport est complet et qu’il nous permet de porter un jugement éclairé sur cette proposition de loi.
Je ne reviendrai pas sur le prétendu détournement de procédure que constituerait le recours à une proposition de loi. Encore une fois, je considère que le Parlement a le droit, sinon le devoir, de suivre les textes législatifs qu’il vote. C’est son rôle !
S’agissant de l’article 3 de la loi de 2006, je rappelle que les contrôles d’identité étaient déjà possibles dans les gares internationales. Par conséquent, les personnes présentes dans un train pouvaient d’ores et déjà être contrôlées au titre de la loi de du 10 août 1993 relative aux contrôles et vérifications d’identité, dont vous ne proposez pas la suppression, mes chers collègues de l’opposition. En quoi la possibilité d’exercer un contrôle dans le train et non plus seulement à la sortie de la gare internationale serait-elle liberticide ou attentatoire à la liberté des individus ? Cela revient exactement au même !
Les libertés publiques ne sont nullement affectées. L’objectif est simplement d’éviter la mobilisation dans les gares d’un nombre trop important d’agents et d’épargner aux usagers une gêne excessive en les obligeant à patienter avant d’être autorisés à descendre du train.’(Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.) Il faudra donc qu’on m’explique en quoi il y a une limitation à la liberté des individus !
Au regard des auditions que nous avons organisées, la procédure semble se dérouler convenablement concernant l’article 6. Il manque effectivement un décret, et nous nous en sommes expliqués. Mais cela est lié à bien d’autres choses et ne remet pas du tout en cause l’urgence des dispositions de ce texte ; au contraire, le prolongement de son application s’en trouve d’autant plus justifié.
Au sujet de l’article 9, vous pointez, monsieur Gautier, des problèmes de traçabilité. Or, la CNIL, que nous avons auditionnée, a veillé à cette question. En outre, avec ce système, la traçabilité est mieux assurée qu’auparavant.
En effet, l’accès direct des services antiterroristes à ces fichiers permet à la fois la discrétion et la traçabilité. Autrefois, les services antiterroristes demandaient aux agents des préfectures de consulter les fichiers à leur place. Cela présentait deux inconvénients : d’une part, on ne pouvait savoir qui avait consulté les fichiers, puisqu’il ne s’agissait pas du service lui-même ; d’autre part, cette procédure manquait de discrétion puisque la vérification était effectuée par les agents des préfectures. Mieux vaut donc, je pense, confier cette dernière à des agents spécialisés, qui ont une déontologie tout à fait particulière.
Pour toutes ces raisons, vos critiques me paraissent totalement infondées. La commission émet donc un avis défavorable sur les deux amendements identiques.
Très bien ! sur les travées de l’UMP.
Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur les deux amendements tendant à la suppression de l’article unique. M. le rapporteur a très largement répondu, et, pour ma part, je n’insisterai que sur deux points.
Tout d’abord, la traçabilité concernant la consultation des fichiers est garantie par CHEOPS, le portail du ministère. Tout est systématiquement traçable, et toutes les garanties vous sont donc apportées.
Par ailleurs, s’agissant de la nécessité de ce texte, j’indiquerai juste que le plan Vigipirate est actuellement au niveau rouge, ce qui n’est un agrément pour personne. Cela signifie que le niveau de menace est considéré comme très élevé sur une échelle comptant quatre degrés.
Les amendements ne sont pas adoptés.
Avant de mettre aux voix l’article unique, je donne la parole à M. René Beaumont, pour explication de vote.
J’interviens en lieu et place de mon excellent collègue Hubert Haenel, dont je vous prie de bien vouloir excuser l’absence. M. Haenel est en effet retenu par M. le président du Sénat, avec l’ensemble des présidents des groupes et des commissions, pour réfléchir à la modification de notre règlement.
Comme vient de le rappeler le rapporteur, M. Laurent Béteille, la proposition de loi déposée par Hubert Haenel vise à prolonger l’application des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.
Pourquoi Hubert Haenel a-t-il déposé cette proposition de loi ? Tout simplement, parce que, avec Daniel Vaillant, ancien ministre, il est l’un des trois membres de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS, présidée par Jean-Louis Dewost.
À ce titre, les membres de cette commission ont pu mesurer l’intérêt de l’article de 6 de la loi antiterroriste. Celui-ci prévoit la réquisition administrative des données de connexion relatives aux utilisateurs de communications électroniques, l’objectif étant de faciliter la prévention des actes terroristes par la collecte et la vérification rapide des renseignements opérationnels concernant les personnes susceptibles de se livrer à de tels actes. Ils ont estimé qu’il était nécessaire de proroger les dispositions de cet article ainsi que les dispositions des articles 3 et 9 de la loi antiterroriste.
La prorogation du dispositif jusqu’au 31 décembre 2012 est nécessaire et adaptée, et ce dans un souci toujours constant de concilier la nécessité de lutter contre le terrorisme avec le respect des libertés individuelles.
L’ensemble de ces mesures s’inscrit dans un cadre constitutionnel bien défini. En effet, le Conseil constitutionnel avait admis, dans sa décision du 19 janvier 2006, que cette loi effectuait la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, telles que la liberté d’aller et de venir, le secret des correspondances et le respect de la vie privée.
Pour l’ensemble de ces raisons et sous réserve de ces observations, le groupe UMP votera les conclusions de la commission des lois sur cette proposition de loi.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’’ UMP. – Mme Muguette Dini applaudit également.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’article unique tel qu’il ressort des conclusions de la commission des lois.
La proposition de loi est adoptée.
(Ordre du jour réservé)
L’ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations, présentée par Mme Nicole Bricq et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste (nos 54, 62).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.
Je tiens tout d’abord à remercier M. le président de la commission des lois, rapporteur sur ce texte, qui a dû travailler dans la célérité, avec un calendrier contraint.
Nous avons entendu jusqu’ici beaucoup de discours moralisateurs fustigeant « les stratèges cyniques et opportunistes des entreprises » – c’est une citation du Président de la République, issue d’un récent discours – et de déclarations dénonçant l’échec des régulations spontanées des marchés, après les avoir si longtemps encensées. Ces pratiques incantatoires ressemblent fort à un exutoire !
Notre proposition de loi, quant à elle, s’inscrit dans l’action, en fixant au contraire des règles du jeu au monde des affaires.
Le débat sur les rémunérations des dirigeants de société, plus particulièrement sur leurs rémunérations accessoires variables, n’est pas neuf.
Lors de la campagne présidentielle de 2007, le candidat Nicolas Sarkozy avait déclaré ceci : « les plans de stock-options doivent être pour tout le monde ou pour personne ». Au cours de cette campagne présidentielle, nous avions proposé, pour notre part, que la fiscalité des revenus du capital soit la même que la fiscalité des revenus du travail, tant les premiers étaient avantagés ; et encore n’avions-nous pas tout vu, puisque c’était avant l’élargissement du bouclier fiscal !
Les scandales des parachutes dorés consentis à des dirigeants pour leur départ, alors que les résultats de leurs sociétés étaient mauvais, se sont succédé avec régularité. Faut-il tous les énumérer ? Je crois que vous les avez forcément en mémoire. De Noël Forgeard en 2006 à Axel Miller en 2008, les mauvaises pratiques ont fait florès !
Faut-il aussi rappeler que, depuis l’éclatement de la bulle spéculative en 2002 et l’affaire Enron, nos propositions pour la régulation présentées dans cette enceinte ont toujours été rejetées par la majorité. Il fallait fermer les yeux au nom d’une idéologie qui donnait le primat au « laisser-faire » des marchés. D’abandon en abandon, les commandes de la régulation ont été ainsi confiées à ceux qui avaient le moins d’intérêt à les mettre en œuvre.
Or, la très grave crise financière que nous vivons agit comme un révélateur. Les mauvaises pratiques donnaient lieu jusqu’à présent à des soubresauts médiatiques et à des cris d’indignation, voire à des interventions minimalistes du législateur sans effet durable.
Ces pratiques doivent aujourd’hui être jugées pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire le produit d’un système. En effet, l’explosion des rémunérations, notamment de leur part variable, est directement liée aux risques excessifs que prennent les operateurs de marchés et les directions financières des entreprises dont le seul critère a été « la création de valeurs boursières ».
Il est entendu que le MEDEF ne veut pas de loi et que, sur ce point, le Gouvernement ne souhaite pas lui déplaire. Mais, mes chers collègues, je vous interroge : peut-on s’en remettre encore une fois à un code de bonne conduite, …
…fût-il décliné dans une convention type qui, d’ailleurs, ne s’applique qu’aux banques faisant appel à la garantie de l’État ?
J’ai observé tout récemment que le Président de la République, le Gouvernement et les membres de ce dernier insistent beaucoup auprès des banquiers pour qu’ils respectent les conditions qu’ils ont signées dans la convention type, notamment pour l’octroi de crédits aux entreprises, aux collectivités locales et aux particuliers.
En conséquence, il me semble que la condition relevant de l’éthique n’aura pas plus de chances d’être respectée que la condition relevant de l’octroi de crédits.
Une fois de plus, en France, on accepte d’adosser ces contreparties à de simples règles éthiques. Tel n’est pas le cas dans d’autres pays européens où la réglementation, voire la loi, fixe ces contreparties en matière de gouvernance d’entreprise et de rémunérations des dirigeants. C’est exactement ce que le groupe socialiste vous propose.
On sait que les codes de bonne conduite sont sans effet. Souvenez-vous du rapport Viennot 1 en 1995, puis du rapport Viennot 2, du rapport Bouton en 2002 et, en 2003, du code de bonne conduite du MEDEF et de l’AFEP revisité au début de ce mois d’octobre 2008.
Et maintenant qu’il y a crise, il ne faudrait rien faire ! C’est impossible ! Notre choix est très clair, c’est la loi qui est le mieux qualifiée pour encourager les bonnes pratiques.
La France, qui préside l’Union européenne, ne doit pas être frileuse en la matière. Parmi nos voisins, les Pays-Bas, que l’on ne peut accuser d’interventionnisme maladif, ont tiré la leçon du désastre qui est arrivé chez eux au travers de la banque ABN Amro. Cette affaire a profondément choqué nos collègues néerlandais, lesquels n’ont pas hésité à légiférer pour modérer les rémunérations de leurs dirigeants d’entreprise par le recours à la fiscalité.
Notre proposition de loi s’inscrit donc dans le cadre des mesures d’accompagnement et d’incitation microéconomiques au sein des sociétés. Renforcer les règles de gouvernance des sociétés, modérer les rémunérations variables, améliorer la fiscalité de ces rémunérations de manière plus équitable, voilà ce que nous vous proposons aujourd’hui.
Nous le savons tous, les écarts de rémunérations excessifs, surtout lorsqu’une fiscalité injuste les aggrave – à ce titre, la combinaison du bouclier fiscal et des niches fiscales agit comme un puissant facteur d’accumulation –, entraînent des ruptures dans les solidarités et affectent profondément et durablement la cohésion de la société, alors que, dans le même temps, la précarité s’installe.
Il nous faut donc réparer de toute urgence les dégâts provoqués par l’écart croissant entre les salariés et la classe très privilégiée de ceux que vous avez choyés et dont la fortune n’a cessé de croître.
J’observe, au demeurant, que l’annonce du dépôt de notre proposition de loi a stimulé l’activisme du Gouvernement, et particulièrement le vôtre, monsieur le ministre.
Le dépôt d’un amendement sur les stock-options que vous avez fait voter dans la soirée du 27 octobre au Sénat – vous vous en êtes du reste vanté hier dans mon département – sur le projet de loi en faveur des revenus du travail en atteste.
Cet amendement, vous l’aviez refusé quelque temps auparavant à l’Assemblée nationale, sur le même texte, à mon collègue et ami Jean-Pierre Balligand, qui le dépose régulièrement depuis plusieurs années.
Il n’allait pas assez loin ! Les socialistes manquent d’ambition, comme d’habitude !
Nous avions proposé beaucoup mieux l’an passé, avec mon collègue François Marc, lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Vous aviez alors refusé nos amendements ; nous les réintroduisons dans le texte.
M. le Premier ministre a tenu hier des déclarations extrêmement étonnantes concernant l’action du gouvernement de Lionel Jospin. Je vous mets au défi de nous apporter la preuve de ce qu’il avance ! Le gouvernement de Lionel Jospin et sa majorité d’alors ont été les premiers à légiférer sur cette question, en 2001, avec la loi relative aux nouvelles régulations économiques !
Par ailleurs, nous avons toujours sanctuarisé le domaine des jeunes entreprises innovantes sans capital. Nous pensons que les stock-options ont leur valeur dans ce type d’entreprises. Ce n’est pas là que nous constatons les dérives, mais c’est dans les groupes dont l’assise financière ne nécessite pas nécessairement un mode de rémunération où l’accessoire peut dépasser le principal.
Nous proposons, ainsi, de limiter la part variable de la rémunération des mandataires sociaux, qui ne pourra plus être supérieure à la part fixe.
Je rappelle que, dans notre pays, le montant moyen de l’exonération atteint 3 millions d’euros pour les cinquante plus gros bénéficiaires de stock-options, et plus de 500 000 euros pour les mille premiers !
Est-ce raisonnable ? Est-ce supportable ?
Afin de prévenir les abus concernant à la fois l’ensemble des rémunérations différées des dirigeants et les indemnités de départ, les fameux « parachutes dorés », nous proposons une fiscalité plus forte et plus juste qui incitera fortement à la modération des pratiques dans ces domaines.
Dans son rapport écrit, le président de la commission des lois fait remarquer que les dispositions fiscales doivent figurer dans la loi de finances. Certes, mais il devrait prodiguer cette recommandation au Gouvernement, puisque vous venez d’introduire la semaine dernière, monsieur le ministre, un crédit d’impôt dont le montant en régime de croisière peut atteindre un milliard d’euros pour encourager les entreprises à développer intéressement et participation. Vous avez ensuite refusé que nous supprimions, avec notre collègue Serge Dassault, ce crédit d’impôt. À bon entendeur, salut !
Toujours en matière d’activisme gouvernemental, jeudi dernier, à l’Assemblée nationale, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, votre collègue Éric Woerth a encore une fois écarté l’application d’une fiscalité équitable sur les stock-options en refusant des amendements pourtant adoptés par les députés en commission.
Le Gouvernement n’a même pas accepté l’application immédiate de la contribution salariale de 2, 5 %, décidée en 2007, sur les avantages résultant des stock-options et des attributions gratuites d’actions.
La Cour des comptes avait pourtant évalué à 3 milliards d’euros la perte de recettes pour la sécurité sociale. Nous vous proposons de porter cette taxation à 11 %, et la contribution patronale à 28, 2 %, ce qui correspond exactement aux cotisations patronales famille, maladie, chômage et retraite appliquées aux salaires.
Pour ce qui concerne les « parachutes dorés », le Gouvernement a accepté, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, un amendement de M. Bur assujettissant les indemnités de départ de plus d’un million d’euros aux cotisations sociales. Ce n’est pas de nature à limiter les excès. Nous vous proposons donc d’appliquer la législation en vigueur chez nos voisins hollandais, soit une fiscalité de 30 % pour les dirigeants dont le salaire annuel dépasse 500 000 euros, lorsque les indemnités sont supérieures au salaire annuel net. Comme vous pouvez le constater, le seuil retenu est élevé ; notre proposition est modérée.
Enfin, nous avons tous été témoins des défauts de l’encadrement des rémunérations différées lorsqu’elles sont détenues par les dirigeants de grandes sociétés.
Par ce texte, nous souhaitons prévenir de nouvelles affaires de délits d’initiés, pour que l’opprobre ne soit plus jeté sur des sociétés de dimension internationale. Nous vous proposons d’encadrer les modalités d’octroi et de réalisation des stock-options et des actions gratuites par l’établissement d’un calendrier régulier de leurs cessions.
Cependant, on ne peut pas s’attaquer au problème des rémunérations et à leur fiscalité sans réformer la gouvernance.
Les défaillances de gouvernance – nos diagnostics diffèrent sans doute sur ce point – n’ont pas pour seule source l’augmentation exagérée de la part variable et différée de la rémunération des dirigeants. Elles sont aussi la conséquence de l’ambiguïté du statut de dirigeant de société, qui permet de cumuler les avantages liés à un contrat de travail, notamment en cas de départ de la société, et les rémunérations de mandataire social.
C’est pourquoi nous vous proposons de réformer le statut de dirigeant en interdisant ce cumul. Cette proposition a déjà été longuement débattue, notamment par des clubs de réflexion proches de la majorité actuelle. Le code de bonne conduite du MEDEF y fait du reste référence. Depuis le temps qu’on en parle, inscrivons-là enfin dans la loi !
Ces dérives sont aussi la conséquence d’un manque de transparence des pratiques de rémunération des dirigeants de sociétés à l’égard de l’assemblée générale des actionnaires.
C’est pourquoi nous vous proposons, dans ce texte, que le conseil d’administration assume ses choix devant les actionnaires, que la loi donne enfin un contenu précis à la mission du comité des rémunérations, qui ne pourra plus être cantonné, lorsqu’il existe, à un rôle « cosmétique ».
Les actionnaires et les dirigeants actionnaires sont-ils, pour autant, les seuls à se contrôler mutuellement sur le partage de la plus-value née de la création de richesse ? Nous ne le pensons pas.
Les actionnaires et les dirigeants ne sont pas les seules parties prenantes de l’entreprise. Les salariés doivent aussi exercer leur droit de regard. C’est pour cela que nous prévoyons l’avis conforme du comité d’entreprise pour l’augmentation de la rémunération du président du conseil d’administration, ainsi que l’entrée d’un représentant des salariés au conseil d’administration.
Doit-on s’étonner que nous proposions aussi de renforcer la responsabilité personnelle du dirigeant de société ? En temps de crise, les salariés et les petits actionnaires doivent-ils supporter seuls les mauvais choix stratégiques de leurs dirigeants, surtout lorsque ceux-ci s’engagent dans des prises de risques démesurées et sans rapport avec la réalité de l’entreprise ?
Nous répondons « non », en vous proposant de mettre en œuvre la responsabilité des dirigeants, comme cela existe dans d’autres législations, par le biais d’une procédure de recours individuel et collectif qui pourra être exercée par les actionnaires. Vous voyez que nous ne sommes pas des révolutionnaires ; nous sommes des réformateurs conséquents et avons proposé cette solution plusieurs fois sans succès depuis 2005.
Aujourd’hui, mes chers collègues, il est grand temps que le législateur soit le réformateur qui donne un coup d’arrêt à des pratiques insupportables. Nous le devons aux Français, et plus particulièrement à ceux qui sont les plus exposés à la crise, dont on sent monter la colère et le dépit.
M. le président de la commission des lois a choisi, dans son rapport, de nous opposer un argument de procédure : le renvoi à la commission.
J’ai essayé de démontrer que nos propositions n’étaient pas improvisées.
Les commissions du Sénat en ont été saisies à plusieurs reprises, mais nos avancées se sont toujours heurtées au mur de l’indifférence, voire à l’hostilité.
Nous utilisons les armes, encore très modestes, dont nous disposons dans l’opposition.
M. Jean-Louis Carrère s’exclame.
Je remarque qu’elle est d’ores et déjà utile puisque, dans son rapport, le président de la commission des lois s’engage à évaluer d’ici à la fin du premier trimestre de l’année 2009 les effets attendus du code de bonne conduite prôné par le MEDEF sur le comportement des sociétés cotées. Cependant, cela ne suffit pas à répondre à l’ampleur du mal. Il convient de le mesurer. À l’heure actuelle, dans notre pays, la confiance entre le peuple et ses élites dirigeantes est rompue. Cette situation est extrêmement grave.
Je vous imagine très mal, chers collègues de la majorité, dire à nos concitoyens, dans vos départements, qu’il n’y a pas urgence à agir. En vous dérobant, vous choisiriez de laisser faire. En acceptant de mener le débat à son terme, vous rendriez un grand service à l’institution sénatoriale. De grâce, faites le bon choix !
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
M. François Zocchetto, en remplacement de M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. le président de la commission, qui est rapporteur de ce texte, vous prie de bien vouloir excuser son absence. Il doit nous rejoindre, mais il a été convoqué par le président du Sénat pour participer au groupe de travail sur la révision constitutionnelle et la réforme du Parlement.
Nous aussi ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Mme Nicole Bricq a eu l’élégance de rappeler que ce texte avait été étudié rapidement par la commission des lois. Il est vrai que le président rapporteur n’a eu qu’une semaine pour rédiger son rapport et que le texte a été inscrit le plus rapidement possible à l’ordre du jour, ce qui présente évidemment quelques risques.
On va voir immédiatement ce que va donner la réforme constitutionnelle : premier exercice !
Pour en venir à la proposition de loi que Mme Bricq nous a exposée, nul ne peut nier qu’il existe aujourd’hui des dérives réelles en matière de rémunération des dirigeants.
La presse se fait d’ailleurs largement l’écho des montants astronomiques que des dirigeants ont ainsi pu se voir conférer, certains d’entre eux, d’ailleurs, s’étant directement attribué ces rémunérations.
Ces dérives étaient difficilement acceptables dans une période de croissance économique, tant certaines rémunérations de dirigeants apparaissaient disproportionnées par rapport à la prise de risque personnelle qui caractérise les fonctions de mandataire social.
Ces pratiques sont devenues encore plus inacceptables dans le contexte de crise économique et financière que nous connaissons.
Pourtant, convenez-en, ces dérives ne se rencontrent que dans un certain nombre de grandes sociétés cotées, …
…souvent des groupes financiers, loin des réalités du monde industriel. Ces sociétés jettent l’opprobre sur l’ensemble des sociétés françaises, alors que la plupart d’entre elles ont un comportement irréprochable.
Ces dérives ne sont le fait que d’une poignée de dirigeants de quelques grandes sociétés cotées. Même très circonscrites, ces dérives doivent évidemment cesser et ne sont pas acceptables.
À l’évidence, certaines pratiques doivent changer. J’en retiendrai deux.
La première est le cumul d’un contrat de travail avec des fonctions de direction.
La pratique l’a montré, pour certains dirigeants, l’absence de prise de risque personnel résultant du cumul d’un contrat de travail avec un mandat de direction peut ne pas inciter à une gestion toujours responsable des affaires de la société.
La question de la légitimité de ce cumul doit donc être posée, tout particulièrement lorsque, dans les faits, le dirigeant salarié n’est pas dans une situation de dépendance juridique à l’égard de la société. Chacun sait bien que, pour être salarié, il faut être en état de subordination. Or il n’y a pas de dépendance juridique, par exemple, dans le cas du président du conseil d’administration et du directeur général, ou du président du directoire et du directeur général unique, ou encore du gérant pour les sociétés en commandite par actions.
La seconde pratique qu’il convient de modifier est celle des conditions actuelles d’attribution et d’exercice des stock-options, ainsi que les fameuses « retraites chapeaux » et les « parachutes dorés ».
Le mécanisme des stock-options tire sa raison d’être de la volonté de créer entre son bénéficiaire et la société une communauté d’intérêts. Aussi, comme cela a pu se révéler trop souvent dans les faits, il ne doit pas être conçu comme un élément de rémunération exceptionnel avec lequel on gagne à tous les coups, notamment lorsque l’entreprise est en difficulté.
Cela paraît évident, mais nous avons malheureusement dû récemment constater que des entreprises en difficulté attribuaient des stock-options permettant des rémunérations élevées pour les dirigeants.
De même, les retraites chapeaux et les parachutes dorés tirent leur légitimité du fait que les mandataires sociaux sont révocables, c'est-à-dire à tout moment et sans motif. Encore faut-il que les garanties restent proportionnées au risque.
De fait, la certitude d’obtenir, en cas de cessation de fonctions, des indemnités ou des avantages d’une valeur parfois considérable n’est certainement pas un élément d’incitation à une gestion responsabilisante de la société.
Si une modification de telles pratiques doit intervenir, à quel niveau convient-il de fixer les « normes de référence » ? En d’autres termes, l’intervention législative est-elle nécessaire pour régler l’ensemble des problèmes que vous avez exposés, madame Bricq, et que j’ai rappelés en partie ?
En tant qu’auteur de la proposition de loi, vous avez déjà tranché : vous souhaitez que le législateur fixe des règles extrêmement concrètes et précises, par des dispositions qui dénotent, il faut le dire, une réelle défiance envers non seulement les règles en vigueur mais aussi les sociétés elles-mêmes.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
M. François Zocchetto, rapporteur. Votre proposition de loi reprend d’ailleurs plusieurs dispositions présentées par le groupe socialiste du Sénat depuis plusieurs années.
Mme Nicole Bricq acquiesce.
La proposition de loi s’articule autour de trois axes.
Il s’agit, tout d’abord, de la réforme du statut de dirigeant et de mandataire social.
Parmi les principales modifications envisagées – je ne les reprendrai pas toutes –, figure l’interdiction généralisée de cumuler les fonctions dirigeantes et un contrat de travail avec la société et ses administrateurs, président du conseil d’administration et directeur général, même dans une filiale, cumul possible actuellement dans certaines conditions.
Plusieurs dispositions visent, par ailleurs, à encadrer les rémunérations des dirigeants et mandataires sociaux
Le texte institue un avis conforme du comité d’entreprise sur la rémunération du président du conseil d’administration.
Il soumet la rémunération du président du conseil d’administration et du directeur général au régime des conventions réglementées.
Ces règles existent d’ailleurs dans certains cas, par exemple, dans les sociétés à responsabilité limitée, ou SARL, où les commissaires aux comptes ont pris l’habitude de signaler la situation des gérants dans les rapports spéciaux sur les conventions réglementées.
Il impose, dans le domaine législatif, l’intervention d’un comité des rémunérations, composé d’administrateurs indépendants délibérant en l’absence des dirigeants, chargé d’élaborer un rapport sur les rémunérations des dirigeants de l’entreprise.
Le texte vise également à renforcer la responsabilité personnelle des dirigeants et mandataires sociaux, tout en accentuant la limitation actuelle du cumul des mandats sociaux en l’abaissant de cinq à trois mandats.
Le deuxième axe de la proposition de loi vise l’encadrement des stock-options et des actions gratuites.
La proposition de loi tend à limiter le montant des stock-options susceptible d’être accordé au président du conseil d’administration et au directeur général au montant de la rémunération fixe de ces derniers.
Elle modifie, par ailleurs, les conditions de levée des options ou de cession des actions gratuites.
Enfin, troisième axe, le texte proposé prévoit d’alourdir la fiscalité des rémunérations différées des dirigeants sociaux. Je ne reviendrai pas sur les détails, puisque vous les avez exposés tout à l'heure.
Face à ces propositions, une intervention législative est sans doute appropriée, …
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
M. François Zocchetto, rapporteur. En outre – et j’ai bien conscience que ma remarque vous fera bondir – une telle intervention nous apparaît prématurée aujourd’hui.
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
M. François Zocchetto, rapporteur. Je m’explique : en matière de statut des dirigeants sociaux, tout comme en ce qui concerne leur rémunération, la voie législative n’est pas nécessairement la plus pertinente.
Nouvelles protestations sur les travées du groupe socialiste.
La diversité des situations dans chaque société et la flexibilité indispensable au fonctionnement des équipes dirigeantes de sociétés en concurrence permanente avec des grands groupes étrangers militent pour un mode de régulation qui ne soit pas que législatif ou réglementaire.
Convenez que nous ne partons pas de zéro. Des modifications substantielles sont intervenues encore récemment dans le droit des sociétés.
Un certain nombre de ces entreprises y sont déjà ! Nous ne ferions donc qu’aggraver ce système !
Face à cette préoccupation du tout législatif qui vous anime, vous avez dit vous-même que les entreprises ont pris des engagements de conduite.
Leurs engagements portent sur les points suivants.
Premièrement, s’agissant du cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social, il est recommandé de mettre fin, soit par rupture conventionnelle, soit par démission, au contrat liant à la société le président, le président-directeur général, le directeur général, le président du directoire ou du directeur général unique et les gérants.
M. François Zocchetto, rapporteur. Si ce code est appliqué, il vous donne totalement satisfaction.
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Deuxièmement, ce code prévoit que le versement d’indemnités de départ à un dirigeant mandataire social doit être exclu – c’est très clair ! – s’il quitte sur son initiative la société pour exercer de nouvelles fonctions, ou s’il change de fonctions à l’intérieur d’un groupe, ou encore s’il a la possibilité de faire valoir à brève échéance ses droits à la retraite.
L’indemnité de départ ne doit pas pouvoir excéder, le cas échéant, deux ans de rémunération, part fixe et part variable additionnées.
Troisièmement, les retraites supplémentaires à prestations définies sont soumises à la condition que le bénéficiaire soit mandataire social ou salarié de l’entreprise lorsqu’il fait valoir ses droits à la retraite en application des règles en vigueur.
Le groupe de bénéficiaires potentiels doit être sensiblement plus large que les seuls mandataires sociaux. C’est une disposition intéressante.
Les bénéficiaires doivent satisfaire des conditions raisonnables d’ancienneté dans l’entreprise.
Les droits potentiels ne doivent représenter, chaque année, qu’un pourcentage limité de la rémunération fixe du bénéficiaire.
Quatrièmement, les attributions d’actions, par stock-options ou distribution d’actions gratuites, aux dirigeants mandataires sociaux doivent être soumises à des conditions de performance. Les attributions gratuites d’actions sans conditions de performance doivent être réservées aux salariés, j’allais dire aux « vrais » salariés, c'est-à-dire à ceux qui sont dans une situation de subordination.
D’autres précisions sont données dans ce code de bonne conduite, notamment concernant les conditions d’attribution et de levée de ces options d’actions. Je n’en donne pas le détail, car vous êtes suffisamment avertis de la question.
Enfin, cinquièmement, l’ensemble des éléments constitutifs de la rémunération doit être rendu public sur une base individuelle pour les dirigeants, selon une présentation standardisée. Ces éléments doivent être rendus publics immédiatement après la réunion du conseil les ayant arrêtés et non pas au moment de la présentation du rapport annuel, comme c’est le cas aujourd'hui.
Là encore, vous devez l’admettre, la loi a rendu obligatoire, depuis quelque temps maintenant, la publication de la rémunération pour des montants individualisés du président et du directeur général des sociétés cotées en bourse dans le rapport annuel. À ma connaissance toutes les sociétés respectent cette obligation.
Il est vrai que ces engagements de conduite ne sont pas juridiquement contraignants.
Vous l’avez dit avant moi !
Cependant, depuis la loi du 3 juillet 2008 portant diverses dispositions d’adaptation du droit des sociétés au droit communautaire, les sociétés doivent se justifier de la non-application des codes de gouvernement d’entreprise définis par leurs associations représentatives.
Les sociétés doivent se justifier devant les actionnaires et leurs associations, devant les tiers…
Ce n’est pas devant le ministère public, certes, mais devant les propriétaires de l’entreprise et ses partenaires.
Les représentants des salariés sont aussi appelés à contrôler l’application de ces dispositions.
De plus, l’Autorité des marchés financiers est chargée, dans un cadre annuel, d’analyser le comportement des sociétés cotées au regard des règles de gouvernement d’entreprise et de leur politique en matière de rémunération des dirigeants.
Dans les faits, aucun dirigeant d’entreprise cotée ne peut actuellement ignorer l’enjeu qui s’attache à la pleine application de ce code de gouvernement d’entreprise.
Je pense sincèrement qu’il faut laisser aux entreprises au moins quelques mois pour se conformer à ces règles nouvelles.
M. Yannick Bodin rit.
Pour ma part, je ne doute pas que nous allons assister à des changements d’attitude.
Les nouvelles règles de conduite ont été rendues publiques le 6 octobre dernier. Laissons aux intéressés le temps de les appliquer.
Quant à nous, il nous faut le temps de contrôler leur bonne application.
S’il apparaît que ces mesures ne sont pas correctement appliquées, rien n’empêchera de constituer une mission d’information…
M. François Zocchetto, rapporteur. … ou d’examiner ultérieurement un texte.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Au vu d’une évaluation de la mise en œuvre de ces recommandations, nous pourrons alors décider, plus sereinement et non dans l’urgence, des modifications à apporter à notre législation sur les sociétés commerciales.
Je l’ai dit tout à l'heure, le rapporteur a eu moins d’une semaine pour examiner cette proposition de loi.
texte très dense, dont les dispositions nécessiteraient de nombreuses modifications, ne serait-ce que sur le plan juridique.
Je le dis tout net, certaines des dispositions de cette proposition de loi, notamment celles qui concernent le rôle du comité d’entreprise ou le cumul des mandats sociaux, ne peuvent qu’être rejetées tant elles mettraient à mal le fonctionnement quotidien de nos entreprises.
Je donne un exemple : votre proposition d’abaisser la limitation du cumul de mandats sociaux de cinq à trois mandats me paraît déraisonnable au regard de l’organisation de la plupart des groupes français.
En outre, je le répète, avec une telle disposition, nous courons le risque de voir ces groupes s’installer dans les pays limitrophes.
M. François Zocchetto, rapporteur. Je vais vous donner maintenant partiellement satisfaction : une intervention législative immédiate s’impose vraisemblablement dans certaines matières, mais la proposition de loi n’est pas le vecteur le plus approprié.
Mme Nicole Bricq proteste.
Sans doute est-il nécessaire de légiférer sur d’autres points que ceux couverts par le code de gouvernement d’entreprise. C’est le cas en matière fiscale et sociale.
La proposition de loi comporte, certes, des dispositions en cette matière. Mais le moment n’est pas opportun…
… car plusieurs initiatives parlementaires et gouvernementales sont en cours d’examen dans le cadre de trois projets de loi actuellement soumis au Parlement.
Premièrement, l’article 7 de la première partie du projet de loi de finances pour 2009 pour avoir satisfaction sur ce point. Je ne doute pas que vous le ferez.
J’en viens au deuxième exemple de télescopage avec des initiatives actuellement examinées par le Parlement.
Non, je vais donner un exemple précis ! Il s’agit de l’assujettissement des éléments de rémunération des dirigeants à certaines contributions destinées au financement de la protection sociale. En effet, et vous l’avez signalé, l’article 13 bis du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale – ce qui prouve que ce ne sont pas des chimères -, majore les contributions sociales applicables aux parachutes dorés, désormais taxés dès le premier euro lorsqu’ils dépassent la somme de 1 million d’euros.
Cela me paraît tout à fait dissuasif, et c’est très bien !
Le troisième exemple d’initiative législative en cours est celui de l’article 2 du projet de loi en faveur des revenus du travail, que le Sénat lui-même a adopté, en première lecture, le 27 octobre dernier.
Introduit sur l’initiative du Gouvernement, cet article lie désormais l’attribution de stock-options ou l’attribution gratuite d’actions aux mandataires sociaux à une double conditionnalité : soit à l’application d’une attribution de stock-options ou d’actions gratuites à l’ensemble des salariés de la société, soit à l’existence d’un accord d’intéressement, de participation dérogatoire ou de participation volontaire au sein de la société.
Ces trois exemples montrent qu’il serait de bonne technique législative d’attendre au moins l’issue de la navette parlementaire sur ces différentes réformes pour s’interroger sur la pertinence de légiférer à nouveau sur ces mêmes sujets.
Si ces trois articles n’étaient pas adoptés, en particulier si le groupe socialiste ne votait pas en leur faveur
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Pour le reste, la commission des lois à décidé, sur proposition de son rapporteur, Jean-Jacques Hyest, de ne pas présenter de conclusions et de vous soumettre, mes chers collègues, avant la discussion des articles, une motion tendant au renvoi du texte en commission.
Je vous demande donc de bien vouloir adopter cette motion, sur laquelle j’apporterai quelques précisions ultérieurement.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’ordre du jour appelle aujourd’hui l’examen de cette proposition de loi déposée par Mme Bricq.
Cela nous permet d’aborder un sujet sur lequel le Gouvernement et le Parlement ont entamé une réflexion depuis plusieurs mois : la rémunération des dirigeants.
Aujourd’hui, le groupe socialiste nous présente un texte sur cette question. Il a donc décidé de se joindre aux efforts que mènent le Président de la République et le Gouvernement depuis maintenant un an et demi.
(Exclamations sur les travées du groupe socialiste. – Rires et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
S’agit-il d’un texte d’affichage ? Chacun sera juge !
Je remercie Jean-Jacques Hyest et la commission des lois d’avoir mené ce travail d’expertise dans des délais très courts.
La rémunération des dirigeants d’entreprise est un sujet auquel nos concitoyens attachent une légitime attention.
Ils sont à juste titre choqués de voir que ces rémunérations sont parfois dépourvues de lien avec la performance de l’entreprise.
Pour ma part, je l’ai dit à différentes reprises, je ne veux plus qu’un dirigeant puisse partir avec un parachute doré de 6 millions d’euros alors même que l’action de son entreprise a chuté de 57 % en un an. J’assume : je fais référence à Alcatel-Lucent.
M. Xavier Bertrand, ministre. On vous entend maintenant, mais vous avez été bien discrets au moment précis où cette affaire s’est produite !
Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.
Il est nécessaire de tirer toutes les conclusions : c’est ce que nous avons, pour notre part, voulu faire !
Le Gouvernement travaille depuis plusieurs mois sur ce sujet.
C’est de l’affichage ! Qu’avez-vous fait depuis que vous êtes ministre ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous le savez, nous avons fait de la valeur « travail » l’élément central de la politique que nous menons depuis mai 2007.
Exclamations sur les travées socialistes qui se prolongent par un brouhaha persistant.
Pour revaloriser le travail, il est évident que les rémunérations des dirigeants doivent être en rapport avec leurs performances.
Les excès de quelques-uns sapent la confiance que nous devons placer dans nos entreprises et dans nos entrepreneurs.
Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas aujourd’hui de désigner à la vindicte les entrepreneurs qui créent des richesses et des emplois.
Ça vous gêne que je dise que les entrepreneurs créent des richesses et des emplois ?
Les excès de quelques-uns ne peuvent nous faire oublier que la plupart des chefs d’entreprise, dans les petites, les moyennes, mais aussi les plus grandes entreprises, ont le souci de créer des richesses, de développer la solidarité dans l’entreprise et de soutenir la cohésion sociale.
M. Xavier Bertrand, ministre. Dans une société comme la nôtre, qui a besoin d’être renforcée, si vous voulez partager des richesses, il faudra d’abord les créer. Or comment créer des richesses sinon par le travail, les entreprises et les entrepreneurs ? Voilà une vérité !
Applaudissementssur les travées de l’UMP.
Depuis plus d’un an, nous travaillons à moraliser les rémunérations des dirigeants d’entreprises.
En août 2007, dans la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, la loi TEPA, nous avons imposé aux entreprises que les conventions réglementées pour indemnités de départ, les fameux parachutes dorés, soient soumises pour la première fois à des critères de performance votés en assemblée générale et vérifiés par les conseils d’administration. Cette mesure a été proposée par le Gouvernement et votée par la seule majorité gouvernementale !
Aujourd’hui, nous sommes tous d’accord sur un point : nous devons passer à une nouvelle étape qui prenne en compte l’ensemble des éléments de rémunération.
Reste à savoir quelle doit être la nature de cette nouvelle étape. Est-ce une étape législative immédiate et précipitée, comme celle que nous propose le groupe socialiste aujourd’hui ?
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Est-ce une autorégulation du « laisser faire » ? On a vu par le passé quelles en étaient les limites.
Le Président de la République a proposé une autre voie.
Il a souligné à Toulon que les excès du capitalisme financier sont un obstacle au développement d’un capitalisme d’entrepreneurs, créateur de richesses.
À cette occasion, il avait appelé à de nouvelles règles en matière de rémunération des dirigeants.
Le brouhaha persiste toujours.
La règle du jeu était claire… Comme est claire la règle qui consiste à s’écouter les uns les autres. Pour ma part, j’ai écouté tout à l’heure attentivement les propositions de Mme Bricq. Ce que vous ne faites pas pour moi. Mais quand on ne veut pas écouter, c’est tout simplement que les arguments développés gênent ! (Rires et exclamations sur ler travées socialistes.)
La règle du jeu était claire : soit les entreprises prenaient des engagements forts et les mettaient en œuvre, soit le Gouvernement prenait des dispositions législatives au début de l’année 2009.
En réponse, le MEDEF et l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, ont proposé un code de gouvernement d’entreprise qui aborde l’ensemble des éléments de rémunération et les encadre de façon stricte.
Avec ce nouveau code et le dispositif prévu par la loi TEPA, sans même parler de ce qui a été voté pour l’instant à l’Assemblée nationale, la France dispose désormais de l’ensemble de règles le plus exigeant, et de loin, au sein des pays de l’OCDE !
Il faut maintenant que les entreprises appliquent ces engagements. Avoir des recommandations du MEDEF, c’est bien, mais avoir des engagements de chaque conseil d’administration, c’est encore mieux, même mieux que ce qui est proposé aujourd'hui !
Le Gouvernement a donc demandé aux six cent quatre-vingt-huit conseils d’administration d’adhérer à ce code avant la fin de l’année, puis de veiller à son application rigoureuse. Cela engagera les administrateurs, mais également les actionnaires.
L’Autorité des marchés financiers, l’AMF, établira un rapport à partir des délibérations des conseils d’administration et suivra chaque année leur mise en œuvre.
Si ce rapport montre que le code n’est pas appliqué de façon satisfaisante, là encore, le Gouvernement présentera un projet de loi au Parlement au début de l’année 2009.
En outre, le Gouvernement a décidé d’agir immédiatement : vous avez ainsi adopté, lors de l’examen du projet de loi en faveur des revenus du travail, l’amendement « stock-options pour tous ».
Ainsi, lorsque dans une entreprise des stock-options ou des actions gratuites seront attribuées aux dirigeants, il faudra désormais que l’ensemble des salariés du groupe bénéficient d’actions gratuites, de stock-options, d’intéressement ou de participation.
J’avais pris un engagement devant l’Assemblée nationale, madame Bricq, lors du dépôt de l’amendement de Jean-Pierre Balligand. J’ai même indiqué à cette occasion que l’amendement en question n’allait pas assez loin.
M. Xavier Bertrand, ministre. L’amendement qui a été présenté au Sénat va beaucoup plus loin que celui de Jean-Pierre Balligand.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Sur ce sujet, il faut aussi le reconnaître, nous avons tenu nos engagements.
Je remarque que certaines voix n’ont pas été présentes pour soutenir cet amendement !
C’est une mesure à laquelle nous devons tous être particulièrement attachés : pendant bien longtemps, les stock-options étaient réservées à quelques-uns ; maintenant le dispositif profite à tous les salariés.
En fait, d’un côté, il y a les grands discours, les grandes exclamations et, de l’autre, les actions concrètes qui profitent à tous.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
La proposition de loi du groupe socialiste, disons-le très clairement, s’inspire des propositions patronales.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
N’ayez pas de regrets ni de remords à assumer cette proximité.
Je m’étonne seulement que la présente proposition de loi n’aille pas aussi loin que les propositions patronales.
Ainsi, s’agissant de la possibilité de cumuler contrat de travail et mandat social, vous voulez interdire à un administrateur de conclure un contrat de travail avec la société concernée. C’est en réalité l’inverse qui se produit : dans la majorité des cas de cumul, c’est un salarié qui devient administrateur. Pourquoi n’avez-vous pas visé ce cas d’espèce précis, qui est celui qui se produit le plus souvent ?
Concernant les stock-options, vous nous proposez d’augmenter la contribution que nous avons créée l’année dernière. Je souligne que c’est un gouvernement socialiste qui aura permis le développement des stock-options et que c’est notre gouvernement et notre majorité qui les aura moralisées !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Ce bref rappel permet de cerner les vraies responsabilités de chacun !
Ils adorent les mensonges et applaudissent chaque fois qu’ils en profèrent un !
De plus, vous avancez des propositions pour réguler l’attribution, l’exercice et la cession des stock-options. Mais il existe d’autres façons de les réguler.
Laissons aussi aux assemblées générales et aux conseils d’administration le soin de déterminer ce qui est le plus approprié à leur entreprise, car nous avons, nous aussi, pris nos responsabilités en matière de réglementation.
Par ailleurs, ne sont pas visées dans votre texte les sociétés à directoire et conseil de surveillance. Pourtant elles sont nombreuses …
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
… et ce sont elles qui, justement, ont donné cours à un certain nombre d’excès. Pourquoi n’avez-vous pas également visé ces cas précis ?
Par ailleurs, comme l’a rappelé le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, cette proposition de loi interfère avec les débats en cours, qu’il s’agisse du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Un amendement déposé lors de l’examen du projet de loi de finances et d’ores et déjà adopté à l’Assemblée nationale vise à permettre d’exclure de la déductibilité du résultat imposable les indemnités de départ dépassant 200 000 euros.
Par ailleurs, un amendement déposé lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et adopté à l’Assemblée nationale vise à prévoir que les indemnités supérieures à 1 million d’euros seront soumises aux cotisations sociales dès le premier euro.
Ces deux dispositions seront prochainement soumises au vote de la Haute Assemblée.
Dans ce cas, pourquoi légiférer maintenant ? En fait, tous les propos que j’ai entendus et le manque de sérénité dont vous faites preuve à l’instant prouvent bien qu’il s’agit d’un texte d’affichage et de rien d’autre !
Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.
Nous avons indiqué de quelle façon nous entendions nous engager. Le Président de la République a été le premier à s’exprimer sur ce sujet.
Le Gouvernement a d’ores et déjà pris des mesures par voie d’amendements et nous ne nous arrêterons pas là si les engagements des organisations patronales ne sont pas suivis d’effet.
Dans ces conditions, nous recommandons à la Haute Assemblée de suivre les conclusions de la commission des lois et d’adopter la motion tendant au renvoi à la commission.
Comptez sur le Gouvernement pour être particulièrement attentif à ce que les engagements pris par les entreprises soient pleinement respectés. À défaut, je le répète, nous présenterons un projet de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est déterminé à mener à bien la moralisation des rémunérations des dirigeants d’entreprise.
Le Gouvernement entend promouvoir un capitalisme d’entrepreneurs pour remettre la responsabilité au cœur de notre économie.
M. Xavier Bertrand, ministre. Je le répète, il y a ceux qui sont très forts dans les discours et il y a ceux qui choisissent les actes et l’efficacité.
Rires et exclamations sur les travées socialistes.
Le Gouvernement et cette majorité choisissent les actes et l’efficacité !
Bravo et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai tout d’abord une observation générale sur ce débat.
Nous consacrons cette séance, pour partie, à des textes d’origine parlementaire.
Or, comme souvent, la commission saisie au fond préconise l’adoption d’une motion de procédure. En l’occurrence, il s’agit d’une motion tendant au renvoi du texte à la commission.
Que devient, alors, l’initiative parlementaire s’il faut être issu des rangs de la majorité sénatoriale pour pouvoir déposer un texte qui soit examiné, discuté et amendé ?
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Si la majorité de la commission des lois ne partage pas les attendus de la proposition de loi, chers collègues, mettons-la en débat, discutons-en, amendons les dispositions qui ne répondent pas aux attentes des uns et des autres et votons sur un texte, fût-il modifié ! Le procédé retenu aujourd’hui n’est décidément pas acceptable.
Venons-en au contenu de la proposition de loi.
Mme Christine Lagarde nous avait présenté, lors de la discussion de la loi TEPA, les mesures que le Gouvernement avait l’intention de prendre sur la question de la rémunération des dirigeants.
Elle s’exprimait en ces termes : « La relation entre le dirigeant et les instances de l’entreprise est régie par un contrat, et c’est dans ce cadre que peut être défini un panier de critères de performances. [ …] Le conseil d’administration doit rester souverain en la matière, pour décider au cas par cas, avec l’approbation des actionnaires dont il est l’émanation. »
« Il n’appartient pas au régulateur qu’est l’État ou au législateur de gouverner la relation individuelle entre un dirigeant et sa société. L’objet de cet article 7 est d’introduire de la performance en fixant un cadre général. »
Il faut dire qu’à l’époque nous étions au cœur de l’affaire EADS, qui avait scandalisé l’opinion publique – parachute doré pour l’un et plan social pour les autres –, affaire qui attend toujours la conclusion de l’Autorité des marchés financiers saisie pour délit d’initié.
La proposition de loi dont nous discutons se situe dans le prolongement des amendements que nos collègues du groupe socialiste avaient déposés sur l’article concerné de la loi TEPA. Ces amendements, contrairement à aujourd’hui, avaient été exposés et débattus.
Fort prévenant à l’égard des dirigeants d’entreprise, le rapporteur général avait ainsi fait adopter une proposition permettant au seul conseil d’administration des entreprises concernées de fixer les conditions de constitution d’une retraite chapeau, ne laissant que la question des primes de départ à la décision de l’assemblée générale des actionnaires.
La démocratie actionnariale est encore limitée et le dispositif de l’article 17 de la loi TEPA est si peu opératoire que, faute d’avoir lutté contre les parachutes dorés, la loi n’a fait qu’aménager la piste d’atterrissage
Seulement voilà : la crise aidant et la croissance n’étant pas au rendez-vous de la loi TEPA, cela fait quelque temps que l’opinion publique est placée devant une certaine agitation, au plus haut niveau de l’État et dans le débat politique public de manière générale, sur la question de la rémunération des dirigeants d’entreprise.
Alors, que faut-il penser des intentions que le chef de l’État affiche publiquement ?
Il déclarait notamment le 25 septembre dernier : « Les modes de rémunération des dirigeants et des opérateurs doivent être désormais encadrés. Il y a eu trop d’abus, il y a eu trop de scandales. » Dont acte !
Alors, faut-il légiférer ou non ? Faut-il revenir sur l’esprit qui animait le Gouvernement lors de la discussion du projet de loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat ? Pour nous, c’est oui !
C’est oui, à partir de la proposition de loi dont nous sommes saisis et des mesures qui pourraient s’y ajouter : soumission à l’impôt des stock-options, assujettissement aux cotisations sociales, interdiction pure et simple ou très forte imposition des parachutes dorés, toutes mesures incluses dans une proposition de loi que notre groupe a récemment déposée.
La loi est l’expression de l’intérêt général et celui-ci commande aujourd’hui de légiférer sur la rémunération des cadres dirigeants de nos plus grandes entreprises. Savez-vous, mes chers collègues, combien de contribuables bénéficient aujourd’hui du dispositif spécial d’imposition des stock-options ? Ce sont 2 200 foyers fiscaux sur un total de plus de 35 millions, c’est-à-dire 0, 006 % !
L’intérêt général commande de mettre un terme au niveau exorbitant et souvent injustifié des rémunérations des dirigeants surtout quand, dans le même temps, leur implication se traduit en plans sociaux et en chômage technique imposé aux salariés. En 2007, les cinquante patrons français les mieux payés ont, en moyenne, perçu 310 fois le SMIC…
Ces rémunérations ont augmenté de 20 % en un an, progression que nombre des salariés de leurs propres entreprises auraient sans doute voulu atteindre !
Encore faut-il se souvenir que le salaire n’est que la partie émergée de l’iceberg. Ainsi, Bernard Arnault, président-directeur général du groupe LVMH, s’est vu attribuer 4, 1 millions d’euros de salaire, auxquels s’ajoutent 376 millions d’euros de dividendes !
Le patron de Vallourec, pour sa part, a déclaré 12, 4 millions d’euros de revenus, soit une hausse de 32 %, quatre fois supérieure à la progression du résultat par action de son entreprise. Et je ne parle pas du salaire des salariés de ce groupe ! Démonstration est ainsi faite de la parfaite inefficience des mesures de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat.
Alors, oui, mes chers collègues, il faut légiférer et nous ne pouvons que regretter et condamner que cela ne soit pas possible aujourd’hui !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui vise à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations.
Je rappelle l’objet de cette proposition de loi car, à la lecture de son texte même, je relève tout d’abord une incertitude majeure tenant à l’imprécision de la notion de dirigeant de société.
L’exposé des motifs semble viser les dirigeants de sociétés cotées mais les articles eux-mêmes s’appliquent à l’ensemble des mandataires sociaux.
Pourtant, des mesures en ce domaine ne s’entendent, de mon point de vue, que pour les sociétés faisant appel public à l’épargne.
Au moment d’exercer son action, le législateur se doit d’avoir clairement à l’esprit l’objet sur lequel il légifère. C’est une des grandes faiblesses de cette proposition de loi : elle ne définit pas clairement son objet.
Je suis obligée aussi de relever une totale méconnaissance de notre législation...
L’exposé des motifs voudrait faire croire que le législateur français serait frileux et ne serait pas intervenu dans ce domaine. Or, en matière de rémunération et de participation au capital des dirigeants mandataires sociaux, j’ai relevé pas moins de sept textes majeurs adoptés depuis 1983.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il s’agit de la loi du 30 avril 1983, la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, la loi du 1er août 2003, la loi du 30 décembre 2004, la loi du 26 juillet 2005, la loi du 21 août 2007 et, enfin, la loi du 3 juillet 2008. Le droit français, mes chers collègues, est probablement le plus réglementé du monde en ce domaine !
Mme Bricq s’exclame.
Cette initiative est d’autant plus mal venue qu’elle ne tient pas compte des recommandations conjointes de l’AFEP et du MEDEF sur la rémunération des dirigeants mandataires sociaux des sociétés cotées qui datent de janvier 2007. Le 6 octobre dernier, c’est-à-dire très récemment, le MEDEF et l’AFEP ont présenté des recommandations qui complètent et précisent le code de gouvernement d’entreprise.
Ces recommandations visent à prohiber le cumul entre l’exercice d’un mandat social et un contrat de travail, en partant du principe que le niveau élevé des rémunérations des dirigeants se justifie par la prise de risque et n’est donc pas compatible avec les avantages du contrat de travail. Par conséquent, si un salarié devient mandataire social, il doit être mis fin à son contrat de travail, soit par rupture conventionnelle, soit par démission.
Ces recommandations visent également à limiter à deux ans de rémunération le montant des indemnités de départ – les parachutes dorés – et à exclure leur versement en cas de départ volontaire et en cas d’échec. Elles précisent aussi la limitation du montant des droits acquis chaque année au titre des retraites supplémentaires, dites retraites chapeaux, etc.
Ces recommandations sont donc extrêmement importantes.
Rires sur les travées du groupe socialiste.
Elles subordonnent les plans de stock-options pour les dirigeants à l’existence de dispositifs associant aux résultats l’ensemble des salariés et interdisent tous les instruments de couverture des options. Elles mettent fin à la distribution d’actions gratuites sans condition de performance aux dirigeants…
Sourires
… et améliorent la transparence de tous les éléments de rémunération à travers une rémunération publique standardisée.
Pour le suivi de ces recommandations – cela a été excellemment rappelé par l’un des orateurs qui m’ont précédée –, les sociétés concernées doivent, dans leur rapport de gestion, contrôlé par l’Autorité des marchés financiers, déclarer, conformément à la loi du 3 juillet 2008, si elles se réfèrent au code de gouvernement d’entreprise ainsi complété et précisé.
Dans le cas contraire, elles doivent expliquer dans ce même document public les raisons pour lesquelles elles n’appliquent pas ces recommandations. Par ailleurs, un rapport global sur l’évolution du suivi des recommandations doit être publié chaque année.
Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé, le Gouvernement, lors du conseil des ministres du 7 octobre dernier, a exprimé le souhait que « les conseils d’administration des entreprises concernées adhèrent formellement à ces recommandations avant la fin de l’année 2008 et veillent à leur application rigoureuse. À défaut, ces recommandations seraient reprises dans un projet de loi dès le début de l’année 2009. »
Il me semble donc souhaitable d’attendre pour voir ce que vont devenir ces recommandations et comment elles seront appliquées, avant de légiférer à nouveau ! Cette proposition de loi souffre donc, de mon point de vue, d’une inadéquation temporelle dans la mesure où elle n’intervient pas au bon moment. En effet, il convient d’analyser les leçons à tirer des mesures précédentes, d’apprécier si l’intervention législative est bien nécessaire, d’évaluer avec recul la mise en adéquation du fonctionnement des entreprises avec le code de gouvernement d’entreprise de l’AFEP et du MEDEF.
Enfin, j’ai relevé dans le texte de cette proposition de loi des flous juridiques, des dispositions pour le moins difficiles à comprendre et même impraticables pour un spécialiste du droit des affaires.
Ainsi, l’article 5 soumet « l’augmentation substantielle de la rémunération du président du conseil d’administration » à l’obtention préalable d’un « avis conforme du comité d’entreprise et de l’assemblée générale des actionnaires ». Pardonnez-moi ! Comment définissez-vous une « augmentation substantielle » ? Votre texte ne le précise même pas !
La notion d’avis conforme me plonge également dans la plus grande perplexité !
L’article 11 précise que « le conseil d’administration comprend un représentant des salariés qui dispose d’une voix délibérative ». Soyons sérieux ! Cette disposition n’est pas cohérente avec le reste de la législation en vigueur, voilà bien une inadéquation juridique !
J’aurais pu citer d’autres exemples, mais je me suis limitée à ces deux articles compte tenu du temps qui m’était imparti !
En conclusion, pour toutes ces raisons, notamment la confusion régnant à l’égard de l’objet même de la proposition de loi – la notion de dirigeant de société –, son inadéquation temporelle et juridique, il me semble tout à fait pertinent de la renvoyer en commission.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce disant, je m’exprime au nom de mes collègues du groupe UMP : il ne s’agit pas d’un artifice de procédure
Rires sur les travées du groupe socialiste
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà bien longtemps que le groupe socialiste a pris à bras-le-corps la question de l’encadrement des rémunérations des dirigeants d’entreprise.
En 2001 déjà, avec la loi relative aux nouvelles régulations économiques, la gauche avait brisé le tabou de la rémunération des patrons des grandes entreprises cotées en bourse. À cet égard, je dois souligner à quel point notre position a pu être caricaturée : certains l’auront peut-être entendu, le Premier ministre, dans une déclaration à la télévision lundi dernier – reprise tout à l’heure en substance par M. le ministre –, prétendait que la gauche ne proposait rien et était tout à fait inactive depuis de nombreuses années.
Or, avec la loi de 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, des dispositions avaient été prises pour fiscaliser et réduire les stock-options. À l’époque, la droite, par la voix de Philippe Auberger, à l’Assemblée nationale, et de Philippe Marini, au Sénat, indiquait que cette disposition visait à alourdir la fiscalité, en constituant, après l’impôt sur le revenu et l’impôt de solidarité sur la fortune, un troisième impôt progressif, cette fois sur les stock-options ! Monsieur le ministre, il faudra revoir vos fiches car, incontestablement, lorsque la gauche était au pouvoir, des actions ont été entreprises dans ce domaine, et non des moindres !
Depuis, qu’il s’agisse de la loi dite de sécurité financière de 2003, de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine des marchés financiers de 2005, de la loi pour la confiance et la modernisation de l’économie de 2005 ou de la loi relative aux offres publiques d’acquisition de 2006, nous avons appelé le Gouvernement à une réforme de grande ampleur du droit financier, du droit boursier et du droit des sociétés.
Dès l’examen de la loi pour la confiance et la modernisation de l’économie, nous avions déposé des amendements pour instaurer des règles de fonctionnement des agences de notation afin d’éviter les conflits d’intérêts. Nous avions également proposé de restreindre le nombre de stock-options qu’une société de taille importante pouvait émettre et nous avions déposé des amendements visant à l’encadrement et au renforcement de la transparence de la rémunération et des avantages perçus par les mandataires sociaux.
Chaque fois, le Gouvernement nous répondait avec une certaine morgue qu’il fallait « respecter la grammaire du monde des affaires » et qu’il n’appartenait pas aux pouvoirs publics de se mêler de la finance. La grammaire du monde des affaires ! Merveilleuse expression qui ne voulait à peu près rien dire, si ce n’est que l’État s’était résigné au « laisser-faire »...
Il a fallu une crise financière d’une ampleur inédite pour que les choses évoluent ! Car, pour nos concitoyens, mes chers collègues, la question des rémunérations des dirigeants d’entreprise constitue aujourd’hui un véritable scandale : le jackpot réservé à quelques-uns et un pouvoir d’achat en berne pour tous les autres ! La revue Capital soulignait ces derniers jours que le salaire des cinquante patrons français les mieux payés a bondi de 20 % en 2007 : ils ont touché en moyenne 310 fois l’équivalent du SMIC ! C’est particulièrement visible dans le cas du patron le mieux payé, Jean-Philippe Thierry, mais aussi dans celui du deuxième du palmarès, Pierre Verluca, patron de Vallourec, dont la rémunération a bondi de 32 %, avec 12, 4 millions d’euros, alors que les bénéfices de sa société augmentaient d’à peine 8 %. Que dire des stock-options qui, grâce à la flambée de la bourse, ont vitaminé les revenus des patrons en leur rapportant 70 % de plus qu’en 2006 !
Comment en est-on arrivé là ? Les raisons de fond sont bien connues : la dérive de la gouvernance des entreprises, la financiarisation de l’économie, la recherche de la rentabilité à court terme. Bref, nous connaissons aujourd’hui, comme le souligne Daniel Cohen, une révolution financière qui a arraché les managers au salariat et les a rendus actionnaires. D’où une attention soutenue de la gouvernance à la maximisation des profits boursiers.
Je rappelle que la France est le pays au monde où la part des stock-options dans la rémunération totale est la plus élevée, même par rapport aux États-Unis. Mais on notera que, si 80 % des entreprises du CAC 40 proposent des stock-options, cela ne concerne que 1 % à 2 % des salariés.
Selon le journal allemand du 22 juin 2006, les chefs des grandes entreprises françaises sont les mieux payés d’Europe.
Par rapport à cet état de fait, qui est incontournable, on nous parle d’une proposition de code de bonne conduite. M. le ministre et M. le rapporteur de la commission des lois en ont eux-mêmes parlé. Ce code de bonne conduite me fait penser à celui que M. Rockefeller avait proposé il y a un certain nombre d’années, selon lequel un patron ne devait pas gagner plus de quarante fois le salaire d’un ouvrier. On sait ce qu’il est aujourd’hui advenu de ce code de bonne conduite, puisque, dans bon nombre d’entreprises, le rapport entre la rémunération des ouvriers et celle des dirigeants est supérieur à 500 !
Comme le Président de la République l’a lui-même souligné, l’injustice criante des rémunérations appelle une maîtrise et une régulation. Tel est l’objet de la proposition de loi que Nicole Bricq vous a présentée à l’instant.
Nous y proposons un certain nombre de mesures visant à limiter les cumuls excessifs des rémunérations, à introduire plus de contrôle et de transparence dans ces rémunérations, à instaurer une véritable responsabilité personnelle du dirigeant, à favoriser un meilleur encadrement des stock-options, à mettre en place une fiscalité adaptée des indemnités. Incontestablement, mes chers collègues, la transparence est à nos yeux et pour l’ensemble de nos concitoyens une exigence fondamentale.
En complétant le droit existant, il s’agit d’enrichir les informations qui doivent être délivrées à l’assemblée générale des actionnaires dans le cadre de l’obligation prévue à l’article L.225-102-1 du code du commerce. Eu égard à la pratique, il convient que toutes les rémunérations et avantages directs et indirects soient soumis à publicité ; c’est ce que nous demandons.
Cette obligation de transparence doit donc également viser les éléments de rémunération versés par une société se trouvant à l’étranger, par exemple dans un paradis fiscal, dès lors qu’elle a un lien juridique direct ou indirect avec la société pour laquelle le dirigeant comme l’administrateur exercent leur mandat.
Je souhaite plus particulièrement souligner le bien-fondé de cette proposition de loi en m’attachant aux trois premiers articles, ceux qui visent à la suppression du cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social.
L’objet de ces trois premiers articles est simple : il s’agit de mettre fin aux ambiguïtés de la relation entre l’entreprise et son dirigeant, qui expliquent en grande partie les dérives récentes qui ont fait scandale.
La plupart des dirigeants jouissent, en effet, d’un contrat de travail qui est « officiellement suspendu » durant le mandat social mais qui est remis en vigueur au moment de leur départ, afin de légitimer qu’ils puissent toucher des indemnités de départ, les parachutes dorés notamment.
D’un point de vue juridique et organisationnel, on ne peut accepter que soit salarié, c’est-à-dire caractérisé par un lien de subordination, celui-là même qui dirige l’entreprise.
Donc, le dirigeant ne peut avoir le statut de mandataire social et bénéficier en même temps des garanties liées à un contrat de travail.
L’objet de notre proposition est donc d’interdire ce cumul du statut de salarié pour un dirigeant en fonction. De ce point de vue, la jurisprudence constante de la Cour de cassation a affirmé avec netteté qu’un administrateur en fonction ne peut pas conclure un contrat de travail avec la société.
La chambre sociale, dans un arrêt du 21 novembre 2006, a affirmé que le contrat de travail signé par un administrateur en fonction serait frappé de nullité absolue et que l’administrateur devrait restituer le salaire et les accessoires de salaire qu’il a perçus.
Voilà, mes chers collègues, quelques éléments d’évidence qui nous conduisent à penser que, dans la formulation juridique, il convient aujourd’hui de progresser et de mettre en place les garde-fous nécessaires.
En conclusion, il me paraît utile de rappeler quelques éléments, compte tenu de ce que nous a dit le ministre.
Le Président de la République a lui-même déclaré, dans son discours de Toulon – et ses propos valent la peine d’être cités : « Je n’hésite pas à dire que les modes de rémunérations des dirigeants et des opérateurs doivent désormais être encadrés. Il y a eu trop d’abus, trop de scandales. »
Dans le même temps, certains nous disent qu’il faut revaloriser le rôle de l’opposition parlementaire. La meilleure manière de le faire serait peut-être d’examiner les propositions de lois qui sont déposées ! Ce serait faire preuve d’un minimum de respect pour l’opposition.
Nous avons également entendu dire, ces dernières semaines, qu’il fallait, face à la crise profonde que nous traversons, une forme d’union sacrée, une mobilisation collective pour essayer de résoudre les problèmes qui se posent à nous aujourd’hui.
Devant de tels propos, qui relèvent sans doute de discours de circonstances, si l’on en juge par la façon dont nos propositions sont reçues aujourd’hui, il y a lieu d’être très inquiet pour l’avenir. En effet, depuis quelques années, chaque fois que nous avons émis des propositions, nous nous sommes vu opposer une fin de non-recevoir. Nous avons encore entendu, aujourd’hui, les mêmes observations : « c’est prématuré, ce n’est pas opportun, il vaut mieux attendre, on verra plus tard ».
Voilà, mes chers collègues, dans quel état d’esprit nous sommes aujourd’hui en présentant cette proposition de loi. Nous avons le sentiment qu’il y a urgence à agir, à légiférer. Nos concitoyens attendent du législateur une action déterminée. Or, aux propositions que nous formulons ici de façon responsable, on n’oppose que des propos stériles, qui renvoient, à l’on ne sait quel délai, l’examen de propositions de ce type.
Compte tenu de la situation actuelle, il est bon de rappeler que la montée en puissance de la crise va se faire crescendo et qu’un jour, probablement, l’opinion publique demandera aux législateurs et aux gouvernants de rendre des comptes, de faire état des décisions qui ont été prises.
Nous avons le sentiment que le travail de propositions qui a été conduit depuis cinq ans par l’opposition et celui qui est à nouveau synthétisé dans cette proposition de loi va dans le bon sens et que la fin de non-recevoir qui nous est opposée traduit, au-delà d’un certain embarras, une attitude d’irresponsabilité pour l’avenir, et cela nous le regrettons fortement.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que Mme Nicole Bricq et nos collègues socialistes de la commission des finances aient présenté cette proposition de loi, que, bien volontiers, les sénatrices et les sénateurs Verts ont cosignée.
Toutefois, je me pose une question : après les déclarations enflammées du Président de la République, qui voulait moraliser le capitalisme, pourquoi cette initiative ne vient-elle pas de l’UMP.
Rires sur les travées du groupe socialiste.
M. Jean Desessard. Si la question portait sur l’urgence, je vous répondrai que, de la même façon, des projets de loi en urgence, nous en avons examiné ! Nous sommes rodés. C’est un effort que vous pouviez faire !
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
On a longtemps justifié l’accroissement des rémunérations des dirigeants de nos grandes entreprises par le fait qu’ils étaient moins bien payés que leurs homologues européens. Certains d’entre vous nous ont dit : « Vous ne voulez pas quand même que nos dirigeants soient moins bien payés et qu’ils partent aux États-Unis ! »
On voit effectivement ce qu’il en est ! « Ils vont partir – disiez-vous – aux Pays-Bas, au Luxembourg… » Mais aujourd’hui, avec des rémunérations moyennes annuelles qui dépassent 4, 5 millions d’euros, les dirigeants du CAC 40 sont parmi les mieux lotis d’Europe.
Comment peut-on concevoir, dans une société qui se dit soucieuse de l’égalité, que les dirigeants des sociétés du CAC 40 puissent gagner chaque année – sur ce point, les chiffres divergent – plus de 380 fois le salaire minimum ? Nous attendons des clarifications de la commission pour avoir le chiffre exact : 310, 350, 380. De toute façon, comme cela a été dit, c’est 20 % d’augmentation tous les ans, tout dépend à quel mois on a regardé le pourcentage !
Quel cynisme de protéger ces mêmes dirigeants par un contrat de travail, des stock-options, des parachutes dorés, alors qu’ils n’hésitent pas, pour augmenter les profits de leurs actionnaires, à mettre en place des plans de licenciements « économiques » alors même que leurs entreprises gagnent de l’argent !
Comment peut-on imaginer accorder des indemnités de départ, représentant plusieurs centaines de fois le SMIC annuel, à des dirigeants qui ont conduit leurs entreprises et notre économie dans une situation de crise profonde ?
Et parlons de responsabilité. Quel paradoxe que des dirigeants, qui perçoivent des rémunérations astronomiques et qui, par leur mauvaise gestion, mettent en péril les entreprises qu’ils dirigent, – vous l’avez reconnu, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre – s’en sortent avec des parachutes dorés et tous les privilèges qui vont avec, alors que les salariés, victimes de cette mauvaise gestion, sont menacés d’être licenciés avec, pour partir, deux mois de salaire ! Mais ce ne sont pas deux mois de salaire des dirigeants, ce sont deux mois de « leur » salaire, c’est-à-dire presque rien.
Mais il y a aussi une responsabilité collective de cette caste de dirigeants qui, par leur quête effrénée du profit à court terme, ont conduit l’économie mondiale dans la crise actuelle.
Selon le Bureau international du travail, cette crise mettra au chômage vingt millions de salariés dans le monde d’ici à deux ans et fera augmenter de plus de cent millions le nombre de personnes vivant avec moins de deux dollars par jour d’ici à la fin 2009.
Le postulat sur lequel repose votre politique, monsieur le ministre, c’est de dire que plus les dirigeants gagnent d’argent, plus il y aura de retombées sur l’économie et sur l’emploi.
Mais ce postulat ne résiste pas à l’épreuve de la réalité. Notre pays a déjà connu des périodes de plein-emploi, notamment durant les « Trente Glorieuses ». Le taux de chômage était à peine de 3 % en 1975. Pourtant, l’écart entre les rémunérations des dirigeants et les salaires des employés était bien moindre qu’aujourd'hui.
Prenons l’exemple des sociétés coopératives de production, les SCOP, où les écarts de salaire varient en moyenne de 1 à 10, non de 1 à 380. Ces sociétés sont aujourd’hui en plein développement, créent des emplois et défendent des valeurs sociales et humaines. D’ailleurs, ce ne sont pas que de petites entreprises, puisque la société Chèque déjeuner emploie plus de mille salariés. Dans cette entreprise, l’écart maximal entre la rémunération la plus forte et la rémunération la plus faible n’excède pas un rapport de 1 à 5. Cet exemple prouve que l’on peut diriger, et bien diriger, une entreprise avec une rémunération décente et raisonnable.
Peut-être me direz-vous – en tout cas, vous l’avez dit lors des discussions sur le bouclier fiscal – que ce n’est pas grave s’il y a des riches du moment qu’il y a de moins en moins de pauvres. Mais, justement, cette lecture est fausse. Qu’est-ce qui caractérise un riche ? C’est qu’il est riche par rapport aux pauvres. Donc, de façon littérale, plus il y a de très riches, plus il y a de très pauvres, nécessairement, puisque c’est l’écart qui fait la richesse. Le pouvoir se concentre, la richesse se concentre dans les coffres de quelques-uns, et cela crée des déséquilibres graves pour notre société.
Faute de temps, je ne prendrai qu’un exemple : la mixité sociale, dont vous avez parlé lors de l’examen du projet de loi sur le logement.
Comment faire respecter la mixité sociale ? Si des personnes, qui sont de plus en plus riches, peuvent acheter plusieurs appartements à Paris, cela aboutit à faire monter les loyers et les prix d’achat des appartements. Seuls les dirigeants et les professions les plus riches peuvent se les payer, tandis que les salariés les plus modestes, les professions moyennes sont obligés de quitter Paris et d’aller habiter en banlieue, parfois en très lointaine banlieue. Si l’on veut garantir la mixité sociale, on doit donc s’assurer que les écarts de salaire ne dépassent pas une certaine limite.
Cette proposition de loi vise à borner un système aberrant, immoral et incapable de se responsabiliser. C’est bien le rôle du politique que de mettre des limites, de poser des barrières à ces inégalités flagrantes.
Vous dites, monsieur le ministre, que vous agissez alors que, nous, nous parlons. Alors, permettez-moi d’abord de vous faire observer que nous avons, à diverses reprises, présenté de nombreux amendements, mais qu’ils n’ont pas été retenus. Si vous les aviez acceptés, vous n’auriez pu nier que nous agissions ! De même, lorsqu’il s’agit de propositions de loi, vous les rejetez.
Cela étant, c’est vrai, vous agissez : vous avez mis en place le bouclier fiscal pour favoriser les plus riches, vous avez privatisé, vous avez apporté des garanties aux banques, ...
… et vous avez remis en cause les droits sociaux. Oui, vous agissez, mais au profit des plus riches !
Évidemment, vous savez bien que les gens souffrent, vous savez bien qu’ils trouvent insensé que les dirigeants gagnent autant. Alors, vous leur lancez des leurres : vous dites que ce n’est pas normal, que vous allez y réfléchir… Mais en réalité, ce qui fonde votre politique, c’est le laisser-faire, pour permettre au capitalisme de se développer.
Vous l’avez d’ailleurs reconnu, monsieur le rapporteur, lorsque vous nous avez indiqué que si nous ne rentrions pas dans la logique du capitalisme mondial, les sociétés iraient s’installer ailleurs.
Renoncez donc aux leurres et assumez votre politique, mais sachez qu’elle sera contre-productive à terme !
On pourrait se dire que tout cela n’est finalement pas si grave et surtout que, ainsi, les choses sont claires : il y a, d’un côté, la gauche, qui veut limiter et moraliser, et, de l’autre, la droite, qui, en refusant de voter cette proposition de loi, montre qu’elle préfère laisser faire et renvoyer les solutions à plus tard.
Pourtant, comme Mme Bricq l’a justement fait observer, le Sénat et les parlementaires gagneraient à adopter cette proposition de loi, car le désarroi, la démoralisation, la souffrance sociale sont aujourd'hui tels qu’il ne s’agit plus d’un combat entre la droite et la gauche – ce serait plus clair –, mais d’un risque de remise en cause de toute la classe politique.
C’est pourquoi je crois en fait très important de voter tous ensemble cette proposition de loi. La crise sociale est devant nous et j’ai bien peur que, demain, personne ne puisse la contrôler ! Je vous conjure donc d’adopter ce texte.
Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Madame Assassi, vous avez évoqué le niveau de rémunération des dirigeants d’entreprise. Or la proposition de loi ne comprend aucune disposition sur l’encadrement des indemnités de départ et des retraites chapeaux : on y trouve seulement des mesures en matière de taxations qui peuvent facilement être compensées en augmentant le montant des rémunérations en question.
Or il me semble important de savoir encadrer.
Mme Des Esgaulx, vous avez raison de dire que le droit français est particulièrement dense et que la proposition de loi va moins loin que les recommandations du MEDEF et de l’Association française des entreprises privées.
Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
C’est le cas pour l’encadrement des retraites chapeaux ou celui des indemnités de départ. Si la loi « fige » une règle, il ne sera pas possible d’aller au-delà.
Les conditions dans lesquelles cette proposition de loi a été préparée et rédigée – certains parleront de précipitation – peuvent aussi expliquer cela.
Monsieur Marc, vous avez vous-même cité les textes qui ont été adoptés récemment et qui montrent précisément qu’il n’est pas question de « laisser faire ».
Vous avez aussi souligné, et je vous en remercie, que le droit des affaires n’était pas seulement national et que les entreprises avaient besoin de recruter dans un contexte très concurrentiel.
Sur une disposition qui est propre à la France, le cumul du contrat de travail et du mandat, je l’ai déjà souligné, la proposition de loi ne traite que de l’interdiction d’un mandat avec un contrat de travail. Pourtant, à une très forte proportion, les dirigeants sont des salariés avant d’être des mandataires. La législation actuelle conduit justement à suspendre les contrats de travail des salariés devenus mandataires. C’est un point important, d’autant que votre proposition de loi ne vise que les présidents ou les directeurs généraux, alors que nous voudrions, nous, que l’ensemble des mandataires sociaux soient concernés.
Monsieur Desessard, en matière d’encadrement, cette proposition de loi va moins loin que la loi TEPA puisque celle-ci conditionne le versement de l’indemnité de départ à l’accomplissement de performances fixées par le conseil d’administration et votées par l’assemblée générale.
En définitive, la question est la suivante : voulons-nous, oui ou non, mieux encadrer des choses ? La réponse, pour notre part, est clairement positive. Or un examen parfaitement serein montre que, de ce point de vue, ce n’est pas votre proposition de loi qui va le plus loin.
Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement ne vous suit pas.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous vivons vraiment, ici, cet après-midi, des moments assez extraordinaires !
D’un côté, le président du Sénat convoque une réunion pour installer un groupe de travail destiné à mettre en application la réforme institutionnelle, notamment en matière de reconnaissance des droits de l’opposition, laquelle doit être plus respectée.
D’un autre côté, il y a ce qui se passe en cet instant dans l’hémicycle.
À un moment où chacun s’accorde à considérer qu’il est urgent, pour le Parlement, de débattre et de légiférer sur les distorsions que crée dans notre société la coexistence de rémunérations considérables pour certains dirigeants d’entreprise et une situation très difficile pour des millions de Françaises et de Français, le groupe socialiste du Sénat présente, à l’occasion de la séance mensuelle réservée, cette proposition de loi tendant à encadrer lesdites rémunérations.
Or la majorité sénatoriale s’apprête à recourir au scrutin public pour faire voter la motion de renvoi à la commission, car, comme on peut le constater, elle est en minorité ce soir dans l’hémicycle. Nous pourrions demander, puisque nous sommes plus de trente, la vérification du quorum. Mais nous n’agirons pas comme vous, qui utilisez aujourd'hui des manœuvres procédurales pour enterrer une initiative parlementaire.
Monsieur le ministre, si vous êtes dans cette situation, c’est parce que vous refusez que nous puissions débattre des articles de cette proposition de loi du groupe socialiste.
Le souvenir me revient de ce fameux épisode qui vit le grand intellectuel Maurice Clavel quitter le plateau de l’émission de télévision À armes égales sur ces mots : « Messieurs les censeurs, bonsoir ! ». Eh bien, ce soir, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous vous apprêtez à censurer l’initiative parlementaire, à censurer notre capacité à faire des propositions pour éclairer l’opinion sur la situation actuelle et sur la rémunération anormale de certains dirigeants d’entreprise.
Puisque c’est ce que vous allez, par une manœuvre de procédure, faire cesser le débat, permettez-nous de prendre les devants en vous disant à notre tour : messieurs les censeurs, bonsoir !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et rattachés ainsi que ceux du groupe CRC se lèvent et quittent l’hémicycle.
Je suis saisi par M. Jean-Jacques Hyest, au nom de la commission des lois, d’une motion n°20 tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des Lois constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d’Administration générale la proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations (n° 54, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. François Zocchetto.
Je regrette, bien entendu, que nos collègues des groupes socialiste et CRC aient choisi de quitter la séance, mais il est bien évident que le droit de l’opposition à demander l’inscription d’un texte à l’ordre du jour n’implique pas de légiférer dans la précipitation.
Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, le rapporteur de la commission, le président Jean-Jacques Hyest, que je remplace à nouveau, a eu moins d’une semaine pour examiner cette proposition de loi, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est dense et imparfaite. En général, la plupart des propositions de loi sont des textes très simples, qui tiennent en un article et n’appellent pas de modifications. Or la proposition présentée par Mme Bricq méritait beaucoup de précisions et de modifications. Je le dis formellement, elle ne pouvait être adoptée sans une étude approfondie, ne serait-ce que sur un plan technique. Mais, vous l’avez bien compris, cela n’a pas été possible dans le délai qui nous a été imparti.
La motion tendant au renvoi à la commission que je vais maintenant vous présenter n’implique nullement – bien au contraire ! – que nous n’ayons pas envie de débattre des questions que soulève la proposition de loi. La gauche n’a pas voulu nous entendre, mais nous sommes pleinement d’accord sur le constat : la commission des lois considère qu’il doit être mis un terme à certaines pratiques qui ont cours, en matière de rémunération et de statut des dirigeants, dans les grandes sociétés cotées.
De plus, un certain nombre de parlementaires, qu’ils soient de l’UMP, de l’Union centriste ou d’ailleurs, ont eu l’occasion, avant les représentants des partis socialiste ou communiste, d’exprimer leurs préoccupations sur le sujet et de faire des propositions, par exemple lors de l’examen des projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale.
Pour autant, la commission estime que, telle qu’elle est envisagée par la présente proposition de loi, l’intervention législative dans ce domaine est prématurée. Cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas en discuter ou légiférer, mais nous jugeons qu’il ne serait pas opportun d’en débattre ce soir, et cela pour trois raisons.
Tout d’abord, les grandes sociétés, qui sont les premières concernées par ces phénomènes et qui sont confrontées à la réprobation grandissante de l’opinion publique, ont déjà pris des engagements fermes. Ce code de conduite, que les différents orateurs ont évoqué, constitue une réponse appropriée aux errements constatés jusqu’alors. Les entreprises intéressées– au nombre de 688, M. le ministre l’a rappelé – se sont formellement engagées à le respecter. La commission estime que, avant de décider, le cas échéant, de légiférer, il convient d’évaluer la mise en œuvre de ces recommandations.
La commission envisage ainsi de se livrer, à la fin du premier trimestre de 2009, à une évaluation de la bonne application de ces principes de gouvernement d’entreprise en procédant à des auditions. J’espère que nos collègues de la gauche y participeront. Nous avons l’intention d’entendre le maximum de personnes concernées, en particulier les associations d’entreprises et les représentants de l’Autorité des marchés financiers. À cette occasion, nos collègues de l’opposition pourront faire des suggestions.
Ensuite, des réformes ponctuelles ayant un objet proche de celui de cette proposition de loi sont en cours d’examen dans le cadre d’autres véhicules législatifs. Notre commission estime qu’il convient d’attendre l’issue des navettes parlementaires sur ces différentes initiatives – le projet de loi de finances pour 2009, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 et le projet de loi en faveur des revenus du travail, que nous venons d’adopter en première lecture au Sénat –, avant de décider de légiférer sur des points complémentaires.
Enfin, sur le plan de la procédure parlementaire, cette proposition de loi a été déposée très tardivement, le 23 octobre dernier. La version définitive du texte n’a été disponible que le 27 octobre ; or il s’agit d’un document d’une vingtaine de pages ! En dépit de toute la bonne volonté du rapporteur et des membres de la commission des lois, celle-ci n’a pas disposé d’un délai suffisant pour examiner ce texte avec toute la sérénité nécessaire. À l’évidence, il convient de prendre pleinement en considération les conséquences pratiques des importantes modifications que propose Mme Bricq.
Telles sont les trois raisons pour lesquelles nous estimons que les dispositions de la proposition de loi ne peuvent être discutées ce soir en séance publique. Nous vous proposons donc, mes chers collègues, de voter le renvoi à la commission.
Ce renvoi n’a pas pour but d’enterrer le texte, comme cela a pu être dit tout à l’heure de façon totalement aberrante puisque nous avons bien conscience que nous sommes en face de problèmes à résoudre. Mais il permettra à la commission d’examiner les conditions de mise en œuvre, dans les prochains mois, par les sociétés concernées, des principes de gouvernement d’entreprise, et d’envisager, dans l’hypothèse où ces principes ne serait pas effectivement appliqués, l’édiction de normes législatives en la matière.
Voilà une façon sereine de procéder, et qui donnera, je n’en doute pas, des résultats bien meilleurs qu’un examen hâtif et incomplet du présent texte, ce soir.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l’UMP.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’interviens non pas pour donner l’avis du Gouvernement, que vous connaissez déjà, Xavier Bertrand l’ayant excellemment exprimé tout à l’heure, mais pour faire une remarque concernant la procédure. Je compte d’ailleurs sur vous pour la transmettre à nos amis sénateurs de gauche.
Je ne peux pas laisser dire que le fait de déposer une motion de renvoi à la commission est une aberration. Je rappelle que, sur tous les textes qui ont été présentés ici, que ce soit le projet de loi généralisant le revenu de solidarité active ou celui en faveur des revenus du travail, la gauche a déposé des motions de procédure.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Avons-nous dit pour autant que la gauche voulait empêcher le Sénat de débattre de ces textes ? Jamais !
Applaudissementssur les travées de l’UMP.
Je souhaite que tout le monde participe au groupe de travail sur la révision constitutionnelle et la réforme du règlement mis en place par le président Larcher. Pour autant, la procédure parlementaire telle qu’elle existe aujourd’hui ne limite pas aux seuls groupes de l’opposition le droit de déposer des motions ! (Applaudissementssur les mêmes travées.)
La motion est adoptée.
L’ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’Internet, présentée par M. Marcel-Pierre Cléach et plusieurs de ses collègues du groupe UMP (nos 423, 2007-2008 ; 60).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Marcel-Pierre Cléach, auteur de la proposition de loi.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Internet connaît un développement spectaculaire. Formidable moyen de communication, il favorise dans une mesure sans précédent la communication entre ses différents utilisateurs en permettant l’échange de données et d’informations.
Économiquement, culturellement et socialement, les profonds changements introduits dans notre société par le réseau Internet sont pour l’essentiel très positifs. En favorisant à la fois l’accès du plus grand nombre à l’information et l’expression des citoyens, Internet se révèle être un allié de la démocratie. Mais il a aussi des effets pervers qui rendent nécessaires l’adaptation de nos règles de droit.
Le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, qui est en ce moment débattu au Parlement, vise précisément à juguler l’un de ces effets pervers en tendant à apporter une réponse plausible et efficace aux problèmes posés par le piratage des œuvres. Dans un autre domaine, nous nous souvenons du plan d’action visant à lutter contre la cybercriminalité que Mme Michèle Alliot-Marie avait présenté en février 2008.
Le cas des infractions prévues par la loi de 1881 illustre un autre de ces effets pervers, puisque les diffamations, injures ou provocations commises sur Internet sont actuellement incriminées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. L’article 65 de cette loi prévoit, pour les délits de presse, une prescription abrégée de trois mois, par dérogation à la règle de droit commun, qui veut que les délits se prescrivent par trois ans. À cela vient s’ajouter la jurisprudence, qui considère ces infractions comme des infractions instantanées, faisant courir le délai de prescription à compter de la première publication.
Légitimement protecteur de la liberté d’expression, ce régime juridique est bien adapté au cas des ouvrages, des journaux et même des affiches. Il devient en revanche déséquilibré et par trop défavorable aux victimes lorsque la diffamation ou l’injure s’opère par le biais d’Internet.
La publicité d’un écrit est vite obsolète ; trois mois après sa publication, un journal est pratiquement introuvable. La situation n’est pas comparable avec Internet, où le temps agit au contraire comme un facteur multiplicateur, entraînant habituellement une augmentation exponentielle du nombre de fois où le message est diffusé et du public touché.
En outre, la multiplicité, la diversité des sources, les possibilités infinies de l’auteur de la diffamation ou de l’injure de se dissimuler dans une rubrique ou un site inconnus de la victime rendent très difficile, voire impossible, toute réaction juridique dans le délai de trois mois dont elle dispose aujourd’hui pour saisir le juge en vue d’obtenir réparation.
Or, s’il est saisi après trois mois, le juge n’aura même pas le loisir de constater le caractère illicite du message ! Ainsi, une fois le délai de prescription passé, l’acte causant un dommage persiste en toute impunité et son auteur reste impuni. Les conséquences peuvent être dramatiques pour les personnes ou les corps victimes de propos délictueux puisqu’ils ne peuvent ni obtenir réparation du préjudice subi ni même y mettre un terme.
Le législateur et le juge sont déjà convenus que l’application de cette règle à Internet posait des difficultés. La question de la prescription des délits de presse commis sur Internet est en effet récurrente depuis plus de dix ans et a suscité de nombreux débats au Parlement, particulièrement au Sénat où les présidents Badinter et Dreyfus-Schmidt, ainsi que notre ancien collègue René Trégouët, notamment, avaient défendu à plusieurs reprises les principes qui ont présidé à l’élaboration de la présente proposition de loi.
Cette question a également donné lieu à une bataille jurisprudentielle entre les juridictions saisies au fond et la Cour de cassation.
Les premières ont tenté de faire reconnaître à ces infractions le caractère de délit continu, estimant que le délai de prescription de trois mois devait courir à compter de la date de cessation de mise en ligne et non à la date de mise en ligne.
La Cour de cassation a estimé, dans plusieurs arrêts rendus en 2001, que le point de départ du délai de prescription de l’action publique prévu par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 devait être fixé, pour les infractions commises en ligne, à la date du premier acte de publication, comme pour la presse traditionnelle sur support écrit, cette date étant celle à laquelle le message est mis pour la première fois à la disposition des internautes. Je cite ici les arrêts de la chambre criminelle des 30 janvier, 16 octobre, et 27 novembre 2001. La Cour a même accentué sa jurisprudence en refusant de considérer que la mise à jour d’un site Internet pouvait rouvrir le délai de prescription.
Une tentative du législateur d’inscrire dans la loi du 21 juin 2004 dite « pour la confiance dans l’économie numérique » le principe que les délits de presse commis sur Internet se prescrivaient à compter de la cessation de la mise en ligne a été censurée par le Conseil constitutionnel. Ce dernier, tout en reconnaissant le droit au législateur d’aménager les règles de prescription – eu égard aux conditions objectivement différentes dans lesquelles le public accède au message selon le support utilisé –, a estimé que cette solution aboutissait à une différence de traitement manifestement excessive entre messages écrits et messages en ligne au regard de l’objectif poursuivi.
La proposition de loi que je vous invite à adopter, mes chers collègues, vise à mettre un terme à l’impunité de fait dont bénéficient actuellement les auteurs de délits de diffamation, d’injure ou de provocation commis par l’intermédiaire d’Internet tout en tenant compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
J’ajoute que, afin de ne pas remettre en question un régime légitimement respectueux de la liberté de la presse, nous avons tenu compte de la réalité du marché actuel de la presse, qui a pratiquement conduit tous les journaux, hebdomadaires et mensuels de la presse écrite à disposer d’une édition en ligne. C’est pourquoi je propose que le droit applicable reste inchangé lorsque les informations diffusées sur la Toile ne font que reproduire « le contenu d’une publication de presse légalement déclarée ».
La Toile n’est pas la presse. Il me semble qu’il nous faut savoir en prendre la mesure et tirer les conséquences du changement de nature considérable des « informations Internet », dont les retombées sont sans commune mesure avec celles diffusées par la presse écrite, pour laquelle avait été faite la loi de 1881.
Le temps est venu d’adapter la loi afin de mettre un terme aux nombreuses et parfois graves dérives que permet aujourd’hui notre législation régissant les délits commis par la voie d’Internet, sans porter atteinte à la liberté de la presse, qui reste une liberté fondamentale, et sans contredire la position du Conseil constitutionnel.
Voilà les raisons essentielles qui me conduisent à vous inviter à voter ma proposition de loi. Mais je vais encore en ajouter quelques autres, dont certaines n’apparaîtront pas négligeables aux parlementaires que nous sommes.
Ce texte contribue à l’unification et à la simplification des délais de prescription. Je vous rappelle en effet que la loi du 15 juin 2000 avait porté à un an au lieu de trois mois la prescription des délits de presse de type raciste, en invoquant d’ailleurs le motif que ces délits étaient souvent commis par voie d’Internet.
Il s’attache également à résoudre une difficulté, et ce sans coûter un centime au contribuable, ce qui n’est pas sans intérêt par les temps qui courent.
Il s’agit en outre de l’un des tous premiers textes d’origine purement parlementaire à être soumis au vote du Sénat pour cette mandature, qui nous verra prochainement maîtres d’une grande partie de l’ordre du jour, du moins constitutionnellement !
Sourires.
Enfin, cette proposition répond aux préoccupations exprimées à plusieurs reprises par des sénateurs de toutes opinions. Elle peut sans doute être complétée et améliorée. À cet égard, je fais confiance à nos collèges qui se sont penchés particulièrement sur le problème ainsi qu’au rapporteur du texte, Mme Des Esgaulx, dont je salue le premier rapport de sénateur et la courtoisie, déjà sénatoriale, dont elle a fait preuve à l’égard de l’auteur de la proposition.
Je ne voudrais pas terminer cette présentation sans rappeler que le problème que se propose de traiter le texte soumis à votre approbation avait été souvent évoqué par notre regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt, dont, par un bien triste hasard, nous venons de saluer la mémoire. Le large consensus attendu sur cette proposition de loi constituera ainsi un clin d’œil amical et reconnaissant à l’importance du travail accompli par notre collègue au cours de ses vingt-huit années de mandat et à la passion qu’il y mettait.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur la proposition de loi n° 423, présentée au cours de cette session par notre collègue Marcel Pierre Cléach et plusieurs membres du groupe UMP, qui vise, en modifiant le dernier alinéa de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, à allonger le délai de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’Internet. À cette occasion, la commission des lois a également examiné la proposition de loi n° 4, présentée par notre collègue Jean-Louis Masson.
Il convient de rappeler tout d’abord que le délai de prescription de droit commun est de trois ans pour les délits.
La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, qui est essentiellement une loi sur la liberté d’expression, a fixé dans son article 65 un délai de prescription abrégé de trois mois pour les infractions commises par voie de presse, nettement plus court que le délai de droit commun, cela étant considéré comme l’une des garanties fondamentales de la liberté d’expression.
Mais ce délai ne couvre pas toutes les infractions commises à travers les médias. C’est ainsi que la loi du 9 mars 2004 a porté le délai de prescription de l’action publique de trois mois à un an en cas de provocation à la discrimination ou à la violence à caractère raciste, en cas de contestation de crimes contre l’humanité, en cas de diffamation ou d’injures commises en raison de la race.
Certaines infractions susceptibles d’être commises par voie de presse figurent désormais dans le code pénal et relèvent du régime de droit commun de la prescription et non des dispositions dérogatoires de la loi de 1881. C’est le cas de l’incrimination visant la diffusion d’un message à caractère pornographique susceptible d’être perçu par un mineur.
Ce régime juridique apparaît bien adapté aux cas d’ouvrages, de journaux et même d’affiches. Mais il s’applique aussi à une mise en ligne sur Internet. Cependant, ce dernier support présente des spécificités telles qu’elles ont déjà conduit le juge et même le législateur à s’interroger sur la pertinence d’un délai de prescription très court pour les infractions commises par ce moyen de communication.
La spécificité est évidente : la sphère de diffusion est considérable, puisque qu’elle concerne toute la planète ; la durée de diffusion est infinie, puisqu’elle dépend uniquement de la volonté de l’émetteur ; tout message diffusé sur Internet est à la disposition de tout un chacun.
En fait, tout ce qui est diffusé sur Internet est susceptible d’être conservé pour toujours et par des millions de personnes ! Cette particularité plaide en faveur de l’application d’un délai de prescription plus long que le délai de trois mois.
La transposition à Internet des principes applicables à la presse en matière de prescription ne paraît pas garantir l’équilibre indispensable entre les exigences de la liberté d’expression et l’intérêt des victimes.
Les juges du fond ont essayé, sans succès jusqu’à ce jour, d’élaborer une formule plus satisfaisante. La cour d’appel de Paris, dans une décision du 15 décembre 1999, a souligné la spécificité du média Internet, concluant que la publication d’un texte litigieux relevait de la catégorie des infractions continues et que la prescription ne commençait à courir qu’à compter de la suppression du texte en cause.
La Cour de cassation a récusé cette interprétation par trois arrêts successifs, en date des 30 janvier, 16 octobre et 26 novembre 2001, retenant que le point de départ de la prescription doit être fixé à la date de la première publication c’est-à-dire, pour Internet, la mise à disposition des utilisateurs du réseau.
Le législateur s’est, lui aussi, efforcé d’avancer dans ce sens. Lors de l’examen en deuxième lecture du texte qui allait devenir la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Sénat avait adopté un amendement signé par M. Robert Badinter et par Michel Dreyfus-Schmidt, à qui vous avez rendu tout à l’heure un hommage particulier, monsieur le secrétaire d’État, hommage auquel je m’associe. Cet amendement visait à porter le délai de prescription à un an pour les infractions commises par l’intermédiaire d’Internet. Cette disposition n’a été écartée que lors de l’examen du texte par la commission mixte paritaire, au motif que la question méritait une réflexion plus approfondie.
Une autre tentative a été faite par notre ancien collègue René Trégouët, lors de la discussion du projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique. Il s’agissait de fixer le point de départ de la prescription à la cessation de la mise à disposition du message sur un service de communication en ligne. Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, mais tout en reconnaissant, ce qui est capital, la nécessité de prendre en compte les spécificités respectives du support papier et du support informatique. Le Conseil constitutionnel a ainsi admis le principe d’une différence de traitement entre les deux supports dès lors qu’elle demeure proportionnée.
Ce souci d’équilibre est précisément au cœur de la présente proposition de loi, qui vise à porter à un an le délai de prescription pour les infractions commises par l’intermédiaire d’un service de communication en ligne.
C’est la bonne mesure et la durée retenue donne à la personne visée par les propos incriminés plus de temps pour en prendre connaissance et, le cas échéant, pour saisir la justice, même si le délai reste très en-deçà des trois ans prévus pour les délits de droit commun.
La rédaction présentée par M. Cléach et ses collègues apporte une précision utile au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans la mesure où elle indique que l’allongement du délai de prescription ne s’applique pas en cas de reproduction sur Internet « du contenu d’une publication diffusée sur support papier ». C’est un point important, car la plupart des journaux disposent d’une édition en ligne. L’allongement du délai de prescription pour les messages diffusés sur Internet aurait pour effet de mettre en cause la garantie que représente pour les entreprises de presse le délai de prescription de trois mois. Il est donc souhaitable que le délai d’un an ne concerne que les données diffusées exclusivement sur Internet.
Au terme d’un large débat, la commission a souhaité préciser cette exception en l’appliquant aux seules publications de presse légalement déclarées.
Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces explications, et sous réserve du vote de l’amendement qui sera présenté tout à l'heure, la commission vous invite à adopter les conclusions de la commission des lois sur la présente proposition de loi.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la liberté d’expression fait cette semaine l’objet de deux débats au sein de la Haute Assemblée.
Aujourd’hui, nous examinons une proposition de loi relative à la prescription des délits de presse commis au moyen d’Internet. Demain, nous évoquerons la protection du secret des sources des journalistes.
La liberté de la presse tient une place toute particulière dans notre démocratie. Elle est étroitement liée à l’histoire de notre République. Il est donc naturel que les représentants de la nation s’y intéressent, surtout lorsqu’il s’agit d’adapter notre droit aux évolutions des modes de communication. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.
Tous les fondements de notre droit de la presse ont été posés sous la IIIe République. Naturellement, ces règles se référaient exclusivement à la communication orale et à la presse écrite.
Le développement des médias audiovisuels modifient les enjeux à bien des égards. La proposition de loi déposée par M. Cléach vise à intégrer dans la loi de 1881 une disposition destinée à mieux protéger les victimes de délits de presse commis par la voie d’Internet.
L’exposé des motifs de votre proposition de loi, monsieur le sénateur, tout comme l’excellent rapport de Mme Des Esgaulx présentent parfaitement les spécificités de la communication par Internet. La dimension mondiale de ce réseau de communication donne aux informations qui y circulent une portée sans équivalent. Ces informations restent de surcroît à la disposition du public beaucoup plus longtemps que sur les autres supports de diffusion.
Dans le même temps, la masse d’informations disponibles sur Internet rend leur accès moins facile aux personnes qu’elles peuvent concerner. Dans ces conditions, il est évident que le court délai de réaction laissé aux victimes de délits de presse est inadapté à ce mode de diffusion. Aujourd’hui, après trois mois, plus aucune poursuite n’est possible : l’action publique est éteinte.
Monsieur Cléach, ces raisons justifient parfaitement votre initiative, qui vise à porter à un an au lieu de trois mois pour la presse écrite, notamment, le délai de prescription des délits de presse commis par l’intermédiaire d’Internet.
Cette proposition résonne d’un écho particulier dans cette enceinte. En effet, et vous l’avez rappelé, madame le rapporteur, depuis 2004, pas moins de trois initiatives sénatoriales notables sont allées dans le même sens.
Il y a eu l’amendement de M. Badinter et de votre regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt, qui n’a finalement pas été retenu dans la loi du 9 mars 2004, puis l’amendement de M. Trégouët, inséré dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique et, enfin, la proposition de loi de M. Masson, déposée le 4 octobre dernier.
On le voit, la modification des règles de prescription s’agissant des délits de presse commis par la voie d’Internet est un souhait partagé sur toutes les travées de la Haute Assemblée.
Votre préoccupation touche à deux questions fondamentales pour notre démocratie : d’une part, la liberté d’expression, qui est intimement liée aux droits de la presse et, d’autre part, la prescription de l’action publique, qui est une délicate synthèse entre la nécessaire répression des comportements délictueux, la sécurité juridique et la renonciation de la société à poursuivre en raison du temps écoulé.
Comme vous le savez, la loi sur la liberté de la presse a déjà été modifiée pour étendre le délai normal de prescription des délits de presse. La loi du 9 mars 2004 a porté ce délai à un an pour les infractions graves à caractère racial : la provocation à la haine, la diffamation, l’injure à caractère racial et le négationnisme.
Cette fois, ce n’est plus la nature des faits qui justifie une extension du bref délai de prescription, mais le moyen utilisé pour commettre l’infraction.
Ne nous méprenons pas, Internet est avant tout un formidable outil. C’est un moyen d’échange démocratique et un levier économique essentiel. Éric Besson a d’ailleurs présenté récemment le plan Numérique 2012, qui doit permettre à notre pays de rester à la pointe dans ce secteur clé.
Le développement des nouvelles technologies est une de mes priorités au ministère de la justice, étant entendu que ces technologies permettent de moderniser le fonctionnement de la justice, de la rendre à la fois plus efficace et plus rapide.
Notre devoir commun est d’accompagner l’avènement de ce nouveau média d’une sécurité juridique renforcée pour nos concitoyens.
Son influence et sa portée justifient un cadre juridique adapté. C’est pourquoi le Gouvernement soutient le texte dont vous avez pris l’initiative, monsieur Cléach.
Je salue la réflexion approfondie menée par la commission des lois. Vos travaux, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, contribuent indiscutablement à enrichir ce texte. Vous avez su en mesurer tous les enjeux, à la lumière de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 10 juin 2004.
Comme cela a été parfaitement rappelé, le devoir du législateur est d’assurer un traitement équitable des divers médias. Une distorsion injustifiée entre les supports papier et les messages en ligne serait censurée. Je crois pouvoir dire que le texte qui vous est présenté tient compte de la spécificité d’Internet, tout en respectant cette exigence constitutionnelle.
La prescription spéciale applicable aux informations diffusées par Internet apparaît en effet nécessaire et justifiée par « la situation particulière des messages exclusivement disponibles sur un support informatique ».
La commission des lois a également souhaité prendre en compte la situation particulière des publications soumises au dépôt légal. La proposition de loi écarte la prescription d’un an pour les articles mis en ligne qui ne font que reproduire une édition papier. Il s’agit de limiter cette prescription allongée à un an aux publications dématérialisées, faites exclusivement par le biais d’Internet. Celles qui sont également diffusées sur des supports écrits resteraient donc soumises au délai de prescription abrégé de trois mois.
La commission, après un fructueux débat, a considéré que la ligne de partage devait être légèrement différente. Elle propose que seules les publications de presse légalement déclarées restent soumises au court délai de prescription lorsque leurs articles sont également mis en ligne. La distinction est justifiée par les obligations déontologiques propres aux journalistes, qui les conduisent à faire preuve de davantage de prudence dans leurs publications.
Le Gouvernement soutiendra cette précision empreinte d’une grande sagesse.
II est également ouvert à une extension de cette exception en faveur de la presse audiovisuelle. Ainsi, tous les messages diffusés par des médias professionnels continueraient à bénéficier du régime actuel de prescription courte, même lorsqu’ils sont repris sur Internet.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la recherche du juste équilibre entre la liberté d’expression et la préservation des droits des personnes est une préoccupation constante du législateur. Je salue donc l’initiative qu’il prend aujourd’hui.
Avec cette proposition de loi, la Haute Assemblée démontre que nous sommes une démocratie vivante, qui sait parfaitement s’adapter aux besoins de son temps et modifier ses règles au rythme des évolutions qu’elle connaît.
Avec ce texte, nous affirmons que notre droit est au service de l’innovation, dans le respect de nos principes fondamentaux.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée vise à allonger le délai de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’Internet.
L’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 fixe, pour les délits de presse, un délai de prescription dérogatoire au droit commun puisqu’il est de trois mois. Les auteurs de la proposition de loi nous proposent de le porter à un an, au motif que ce régime juridique serait déséquilibré et trop défavorable aux victimes lorsque la diffamation ou l’injure s’opère par la voie d’Internet.
À titre liminaire, j’observe que, en matière de délais de prescription, il y a un écart de plus en plus prononcé entre le domaine pénal et le domaine civil.
D’un côté, en matière civile, la tendance est à un raccourcissement des délais de prescription : depuis le vote de la loi du 17 juin 2008, il est désormais de cinq ans et non plus de trente ans.
D’un autre côté, en matière pénale, l’évolution est strictement inverse : l’allongement des délais est toujours plus important, par le biais de dérogations adoptées au fil des textes modifiant le code pénal.
Ainsi, dans son rapport d’information de juin 2007 intitulé « Pour un droit de la prescription moderne et cohérent », M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, préconisait d’allonger les délais de prescription de l’action publique applicables aux délits et aux crimes, en fixant ces délais à cinq ans en matière délictuelle et à quinze ans en matière criminelle.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans cet état d’esprit. Il faudrait prévoir un délai de prescription différent selon que le délit s’effectue par voie de presse ou sur Internet.
Cette question n’est pas nouvelle. Cela a été dit, plusieurs tentatives ont eu lieu afin de créer un régime juridique différencié pour les délits commis par voie de presse, pour lesquels le délai de prescription commence à courir au jour de la première publication, et pour les délits commis par l’intermédiaire d’Internet, pour lesquels le délai de prescription commencerait à courir le jour où cesse la publication.
L’amendement de notre ancien collègue René Trégouët, adopté lors de la discussion du projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique, tendait à fixer le point de départ du délai de prescription au moment où cesse la mise en ligne de l’article litigieux et non plus au moment où elle commence. Dans les faits, cela revenait à créer une sorte de délit continu, les articles publiés sur Internet pouvant y rester un nombre d’années indéterminé.
Lors de la discussion en séance publique de cet amendement, le président de la commission des lois avait exprimé un avis défavorable, …
… reconnaissant, lui aussi, que cet amendement créait un délit continu alors que la loi sur la presse repose sur des délais brefs.
Il ne voyait pas comment « pour des délits de même nature, et quel que soit le support, on pourrait avoir des délais de prescription différents ». Il terminait en ces termes : « Il faut qu’il y ait le même régime pour tous les moyens de diffusion d’informations ».
Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition au motif que « la différence de régime instaurée, en matière de droit de réponse et de prescription, par les dispositions critiquées dépasse manifestement ce qui serait nécessaire pour prendre en compte la situation particulière des messages exclusivement disponibles sur support informatique ».
De son côté, la Cour de cassation maintient une jurisprudence constante, considérant que le point de départ de la prescription pour le réseau internet se situe à la date « à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau. Ce principe a été rappelé à maintes reprises dans des arrêts de la Cour, en 2001 comme dans celui du 19 novembre 2006.
La présente proposition de loi vise donc à mettre fin à cette jurisprudence qui, d’une certaine manière, protège la liberté d’expression.
Certes, vous n’allez pas aussi loin que tendait à le faire l’amendement de M. Trégouët, puisque vous ne remettez pas en cause le point de départ du délai de prescription, …
… mais vous créez un statut différent de l’information selon que celle-ci se trouve sur un support papier ou sur Internet, ce qui change du même coup le régime juridique qui lui est applicable.
Cette distorsion n’existe pas dans le cas des infractions à caractère raciste commises par voie de presse, pour lesquelles le délai de prescription, certes est dérogatoire, puisqu’il est d’un an, mais s’applique quel que soit le support.
En l’espèce, c’est la gravité même des infractions qui justifie l’allongement du délai de prescription, non le support de l’information.
Vous souhaitez donc mettre sur le même plan des infractions à caractère raciste commises par voie de presse et les diffamations, injures et provocations commises par l’intermédiaire d’Internet. La prochaine étape devrait être logiquement une nouvelle prolongation du délai de prescription pour les infractions à caractère raciste.
En bref, cette proposition de loi risque de constituer la première étape d’une surenchère pénale que je trouve inopportune.
Par ailleurs, elle nous est présentée dans un climat qui n’est guère favorable à la liberté d’expression. J’en veux pour preuve la coïncidence entre son examen par notre Haute Assemblée et l’inflation des procédures judiciaires entamées par le Président de la République.
Protestations sur les travées de l ’ UMP.
Permettez tout de même que je m’interroge sur cette coïncidence !
Depuis février 2008, Nicolas Sarkozy a engagé pas moins de six procédures judiciaires, dont trois concernaient directement son image. En ce qui concerne la dernière en date, relative à la poupée vaudou à son effigie, …
… le Président de la République a d’ailleurs été débouté, le tribunal de grande instance de Paris ayant considéré, dans son ordonnance du 29 octobre dernier, que « cette représentation s’inscrit dans les limites autorisées de la liberté d’expression et du droit à l’humour ».
Non, ce n’est pas hors-sujet !
La liberté d’expression est une liberté fondamentale dans une société démocratique. Elle est garantie par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
La Cour européenne des droits de l’homme considère d’ailleurs qu’elle a, en la matière, un rôle de surveillance qui lui commande « de prêter une extrême attention aux principes propres à une société démocratique ». Dans un arrêt du 7 décembre 1976, elle a donné une définition extensive de la liberté d’expression. Selon ses termes, celle-ci « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture, sans lesquels il n’est pas de société démocratique. »
Les délits de presse sont considérés comme étant instantanés, c’est pourquoi un délai de prescription très court leur est applicable.
Or sur Internet, le flot d’informations est continu. Nous sommes noyés sous une masse d’images et d’écrits portant sur tous les sujets. Comme pour la presse écrite, il faut donc pouvoir considérer qu’après un temps relativement court, les écrits n’ont plus la même portée, …
… ce que vous refusez de faire en voulant allonger le délai de prescription.
Cette proposition de loi s’inscrit dans la tendance à la judiciarisation qui se manifeste actuellement dans notre société.
Mme Éliane Assassi. Mme le rapporteur, permettez-moi de vous le dire en toute modestie, je ne supporte pas d’être interrompue de cette façon !
Rires sur plusieurs travées du groupe UMP
Ainsi, cette proposition de loi conduit également à s’interroger dans la mesure où elle survient à un moment où certaines personnes se crispent quand il s’agit de liberté d’expression. C’est pourquoi nous voterons contre ce texte.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, je voudrais commencer par dire à Marcel-Pierre Cléach que j’approuve totalement la proposition qu’il a déposée, notamment en ce qu’elle distingue Internet de la presse écrite.
Internet, en effet, peut laisser circuler indéfiniment des rumeurs, de fausses informations, des calomnies, alors que, dans la presse écrite, la vitesse de propagation des informations est tout autre. Je pense donc qu’il fallait envisager un traitement différencié.
Mais j’aurais également souhaité que l’on aborde également une autre question, à mes yeux fondamentale. En effet, si l’allongement du délai va permettre d’agir plus efficacement, il ne change rien au fait que l’on peut aujourd’hui, sur Internet, écrire tout et n’importe quoi, et cela sans que soit vraiment recherchée la personne responsable.
Aujourd’hui, quand un organe de presse traditionnel autorise un de ses journalistes à écrire un article, il est tenu pour responsable du contenu. En revanche, quand il s’agit d’un texte publié sur Internet, il est autrement plus difficile de gagner un procès !
Je ne pense pas que, dans une société comme la nôtre, l’on puisse laisser se développer la faculté de calomnier ou de faire circuler de fausses informations sans que jamais personne ne soit tenu pour responsable de ce qui a été dit. En l’occurrence, l’anonymat permet tout ! On n’ose pas imaginer ce que cet anonymat lié à Internet permettrait de faire dans un contexte plus grave !
Je suis donc de ceux qui pensent, d’une part, qu’Internet est un extraordinaire moyen d’expression, que la liberté à cet égard doit être totale et ne saurait être brimée, mais, d’autre part, que celui qui écrit sur quelqu’un d’autre doit pouvoir être recherché et que, le cas échéant, l’anonymat doit pouvoir être levé. Il faudra bien que, un jour ou l’autre, ce principe soit traduit dans un texte de loi !
Tous ceux qui ont été en situation d’être calomniés sans pouvoir se défendre vous diront qu’il s’agit là de quelque chose de très difficile à vivre et qui mérite qu’on s’y intéresse.
Bref, je me réjouis pour l’instant de la proposition de Marcel-Pierre Cléach, que je voterai bien sûr sans aucun état d’âme, mais je souhaite que nous soyons prochainement saisis d’un autre texte venant approfondir la question dans le sens que je viens d’indiquer.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est particulièrement émouvant de débattre de la présente proposition de loi alors même que le Sénat vient de rendre un hommage solennel à notre regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt, auteur avec Robert Badinter, il y a quatre ans, d’une proposition de loi identique à celle-ci.
Depuis la fin des années 1990, qui a vu le début en France du développement à grande échelle du réseau Internet, se pose la question très controversée du délai de prescription des infractions de presse commises sur la Toile.
La question est bien sûr légitime dans la mesure où ce moyen d’expression et de communication est, pour reprendre les termes utilisés en 2004 par notre collègue Robert Badinter, « sans commune mesure avec la presse écrite ». Elle doit aussi être replacée dans le débat plus général sur la régulation d’Internet.
Il est intéressant de relever que c’est le juge et non le législateur – cela arrive souvent – qui a d’abord pris en considération les spécificités du réseau Internet en matière de prescription des infractions de presse, et il a eu en premier lieu à étudier la question très délicate du point de départ du délai de prescription.
Je ne rappellerai pas, à cet égard, l’évolution de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris et de la chambre criminelle de la Cour de cassation, déjà mentionnée par les orateurs précédents.
Comme souvent en matière de délai de prescription de l’action publique, c’est la détermination du point de départ qui pose problème. Lors de l’examen de la proposition de loi du président Hyest sur la prescription en matière civile, nous avions été confrontés à la même difficulté. Nous avions alors décidé de consacrer la jurisprudence en retenant « le jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Il a aussi été rappelé que notre ancien collègue René Trégouët avait voulu fixer le départ du délai en question à compter à la date à laquelle cesse la mise à disposition du public, ce qui avait soulevé une très vive émotion dans l’ensemble de la communauté Internet.
Le Syndicat de la presse magazine et d’information, par exemple, avait alors affirmé que cette disposition rendait imprescriptibles les infractions commises sur Internet « sauf à renoncer à toute exploitation d’archives sur les sites ». Le groupement des éditeurs de services en ligne, ou GESTE, jugeait quant à lui ces dispositions « très graves pour la liberté d’expression », car « il est matériellement impossible de supprimer définitivement un message sur le net ».
C’est vrai, et nous le savons tous, sur Internet, une fois que le message est parti, il voyage et peut se retrouver dans des dizaines de milliers d’ordinateurs, où il restera plus ou moins longtemps selon les utilisateurs des machines.
Par conséquent, même si l’auteur du message d’origine l’enlève de la Toile, cela n’implique évidemment pas que disparaîtra la longue chaîne des autres messages identiques au premier. Il ne peut donc, de fait, y avoir de date de cessation de la mise à disposition, indépendamment même de la question des archives sur Internet.
Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs censuré cette disposition.
Pour autant, cela ne doit pas nous dispenser d’adapter la loi aux spécificités d’Internet, car la situation actuelle du droit régissant la prescription de l’action publique sur ce réseau informatique mondial n’est pas satisfaisante. C’est d’ailleurs le constat dressé en 2007 dans le rapport de la mission que nous avions conduite, le président Hyest, notre collègue Hugues Portelli et moi-même.
L’évolution technologique et le développement d’Internet posent des problèmes considérables. Les infractions de presse sont considérées comme des infractions instantanées, mais, lorsqu’elles sont commises sur la Toile, elles se réalisent par une action qui se prolonge dans le temps, et ce temps est d’ailleurs, dans la plupart des cas, indéfini. Autant dire qu’elles deviennent permanentes.
Le réseau offre donc la possibilité de donner davantage de publicité aux diffamations, aux attaques, aux injures ou aux provocations. De ce fait, la publication sur Internet constitue un facteur d’aggravation des infractions.
Le législateur a commencé à s’occuper de ce problème en 2004. Vous le savez, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, a fait passer le délai de prescription de l’action publique de trois mois à un an lorsque l’infraction commise par voie de presse concerne une provocation à la discrimination ou à la violence à caractère raciste, une contestation de crimes contre l’humanité ou une diffamation ou injure commise en raison de la race.
Dans la mesure où ces dispositions laissaient de côté la question des autres infractions de presse, qui restaient soumises au délai spécial de trois mois, notre ami Robert Badinter et notre très regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt avaient fait adopter, par souci de cohérence, un amendement visant à étendre à tous les messages diffusés sur Internet l’allongement à un an du délai de prescription de l’action publique.
Lors du débat du 20 janvier 2004, Michel Dreyfus-Schmidt affirmait en effet que « ce qui est vrai pour les messages racistes diffusés sur Internet vaut pour tous les messages diffusés sur Internet ». Malheureusement, cet excellent amendement avait été « retoqué » en commission mixte paritaire. On avait alors argué qu’il fallait…
… davantage de temps et le recul de l’expérience. Nous venons d’ailleurs d’entendre le même argument lors de la discussion de la précédente proposition de loi ! Comme quoi, certains arguments resservent toujours…
Depuis lors, aucune autre réforme n’a été adoptée et la dualité de délais qui prévaut actuellement nuit à la cohérence du régime applicable aux infractions de presse. Auparavant, celui-ci avait l’avantage d’être simple et lisible, ce qui est toujours important pour la bonne compréhension des dispositions, et donc leur bonne application.
Par conséquent, il nous apparaît opportun d’harmoniser la durée du délai de prescription applicable aux infractions de presse commises sur Internet. L’allongement de ce délai répondrait en particulier à la recommandation que nous avions formulée dans le rapport d’information déjà mentionné. Il répondrait aussi à la nécessité de veiller à la cohérence du droit de la prescription de l’action publique.
Il ne semble pas que l’allongement à un an du délai de prescription porte atteinte de manière disproportionnée à la liberté de la presse. Dans la mesure où la publication sur Internet accroît la gravité des infractions, il paraît légitime d’augmenter raisonnablement ce délai de prescription. J’ajoute que la loi de 1881 n’est pas immuable, qu’elle n’est pas un « éléphant sacré » : elle a déjà été modifiée au moins vingt-deux fois ! La société évolue, il est normal que la loi en tienne compte. Il faut donc continuer de l’adapter aux spécificités du réseau en prenant soin de ne pas défaire l’équilibre entre liberté de la presse, droits des personnes et ordre public.
Au demeurant, si des menaces pèsent actuellement sur la liberté de la presse, elles ne proviennent pas, à mon sens, du législateur ou du juge, mais bien plutôt des dirigeants politiques, au premier rang desquels je dois citer le chef de l’État – les précédents Présidents avaient adopté une attitude tout à fait contraire –, qui érigent la poursuite en diffamation en politique systématique. C’est cela qui pourrait, à terme, entraver la liberté de la presse !
Enfin, je pense que l’harmonisation du délai de prescription pour les infractions de presse pourra utilement contribuer à la nécessaire régulation de l’Internet et à la responsabilisation des acteurs de la toile.
Compte tenu de ces remarques, le groupe socialiste a décidé de voter les conclusions de la commission des lois.
Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je dirai d’abord ma satisfaction d’avoir à étudier ce soir la proposition de loi de M. Marcel-Pierre Cléach.
Ce texte marque en effet l’aboutissement d’un débat qui, engagé voilà plusieurs années, avait connu une actualité toute particulière en 2004, lorsque nous avions travaillé sur la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite plus communément « loi Perben II ».
À l’époque, sur l’initiative de notre collègue M. Robert Badinter et du regretté Michel Dreyfus-Schmidt, nous avions tenté, comme cela a été rappelé, de faire avancer notre législation en la matière. Nous y étions parvenus pour les infractions à caractère raciste commises dans les publications, mais non pour celles qui étaient commises sur Internet. Cela montre bien que, parfois, …
… il faut savoir attendre que le débat mûrisse, prendre le temps de la réflexion et, surtout, le temps de convaincre les personnes concernées, en l’occurrence, pour l’essentiel, la presse.
Outre les spécificités techniques d’Internet, nous nous heurtons à un problème de jurisprudence dans la mesure où, en la matière, le point de départ d’une infraction est le jour de la publication de l’information. Il s’agit donc de ce que l’on appelle un « délit instantané », ce qui n’est pas du tout adapté aux caractéristiques de l’internet.
Bien évidemment, la loi de 1881 nous oblige à respecter un certain équilibre entre les garanties fondamentales de la liberté d’expression qu’elle accorde à la presse et la nécessité, pour tout citoyen, de pouvoir se défendre, intenter une action lorsqu’il est visé par la publication d’injures ou de diffamations. Il me semble que la proposition de loi que nous examinons ce soir obéit à cet impératif d’équilibre.
En effet, notre collègue Marcel-Pierre Cléach a bien pris en compte la spécificité des informations qui sont également publiées sur un support papier : dès lors que le texte diffusé sur Internet ne fait que reprendre un article déjà paru sur papier, il faut évidemment en rester au délai de prescription de trois mois.
La commission s’est cependant interrogée sur le traitement qu’il fallait réserver à la reprise sur Internet d’informations délivrées par les organes de communication audiovisuelle. Sur ce point, notre collègue Catherine Troendle a su faire la synthèse de la discussion de la commission et la formuler dans un amendement qui apporte une réponse satisfaisante au problème soulevé.
Nous aurions pu envisager d’autres voies. Nous aurions pu considérer qu’un délai de prescription de six mois était plus adapté ; mais le Sénat a toujours été soucieux d’éviter en la matière la multiplication de délais de prescription différents, qui n’est pas souhaitable. Nous aurions pu aussi, dans notre rôle de législateur, peser sur la jurisprudence en transformant l’infraction instantanée en une infraction continue.
Tout cela sera dépassé ce soir grâce à la proposition de loi qui nous est soumise. J’imaginais d’ailleurs que nous la voterions à l’unanimité, car elle répond à une demande de tous. Sans polémique aucune, j’avoue avoir été très surpris d’entendre au cours du débat que tel ne serait pas le cas, contrairement à ce que donnaient à penser les travaux de la commission. Ce n’est pas très grave, mais c’est dommage !
Pour sa part, le groupe Union centriste votera sans hésitation en faveur de cette proposition de loi qui vient concrétiser l’aboutissement d’une démarche engagée voilà longtemps, et je remercie nos collègues d’avoir présenté ce texte.
Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, tel qu’il ressort des conclusions de la commission des lois.
Le dernier alinéa de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé :
« Le délai de prescription prévu au premier alinéa est porté à un an si les infractions ont été commises par l’intermédiaire d’un service de communication au public en ligne, sauf en cas de reproduction du contenu d’une publication de presse légalement déclarée. »
L’amendement n° 1, présenté par Mme Troendle et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, est ainsi libellé :
Après les mots :
public en ligne
rédiger comme suit la fin du second alinéa de cet article :
« . Ces dispositions ne sont toutefois pas applicables en cas de reproduction du contenu d’un message diffusé par une publication de presse ou par un service de communication audiovisuelle régulièrement déclaré ou autorisé lorsque cette reproduction est mise en ligne sous la responsabilité de leur directeur de publication. »
La parole est à Mme Catherine Troendle.
Permettez-moi en préalable de saisir l’occasion qui m’est donnée ce jour pour remercier Mme le garde des sceaux d’avoir évoqué l’objet de mon amendement au cours de son excellente intervention dans la discussion générale. J’en suis bien évidemment confortée dans ma démarche.
La commission des lois a très utilement précisé que le maintien d’un délai de prescription de trois mois pour la reproduction sur Internet d’un message diffusé par voie de presse ne profiterait qu’aux publications légalement déclarées.
Il me semblait pour ma part opportun de considérer que, dans le même esprit, cette dérogation devait être étendue aux autres moyens de communication, régulièrement déclarés ou autorisés, disposant de sites sur Internet, en l’occurrence les chaînes de radio et de télévision. Ces moyens de communication audiovisuelle, je le rappelle, sont soumis aux mêmes règles de professionnalisme et de déontologie que la presse écrite.
Il me semblait cependant tout aussi important de préciser expressément le champ d’application de cette dérogation, de façon à lever toute ambiguïté. En effet, le dispositif dérogatoire ne doit s’appliquer qu’à la reproduction sur un site relevant de l’organe de presse ou de l’antenne qui a diffusé le message par ses moyens habituels. Vous comprendrez, mes chers collègues, qu’il ne serait pas justifié de garantir une protection comparable à un particulier qui, par exemple, reprendrait des extraits d’une publication aux seules fins de diffamation. C’est la raison pour laquelle l’amendement indique que la mise en ligne doit intervenir sous la responsabilité du directeur de publication.
Très favorable, monsieur le président.
Cet amendement complète très utilement la modification déjà apportée par la commission des lois à la proposition de loi présentée par M. Cléach.
La commission a en effet précisé que seules les publications de presse légalement déclarées bénéficieraient du maintien d’un délai de prescription de trois mois pour la reproduction sur Internet d’un message diffusé sur support papier. Mme Catherine Troendle souhaite, à juste titre, faire bénéficier de cette dérogation à la règle d’une prescription annuelle les médias audiovisuels qui disposent aussi de sites Internet, car ils sont soumis aux mêmes règles de professionnalisme et de déontologie que les organes de la presse écrite.
L’amendement précise cependant, et c’est très important, que cette protection ne devrait concerner que les sites relevant des organes de presse ou des services de communication audiovisuelle correspondants : l’utilisation par un particulier, à des fins diffamatoires, d’extraits de la presse écrite ou d’émission radiodiffusées ou télévisées doit tomber, quant à elle, sous le coup de la prescription d’un an que vise à instaurer la proposition de loi.
Pour les raisons que j’ai exposées lors de mon intervention dans la discussion générale, le Gouvernement émet le même avis favorable que la commission.
L’amendement est adopté.
Je mets aux voix, modifié, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
La proposition de loi est adoptée.
L’ordre du jour appelle la désignation :
- des dix-huit membres de la délégation du Sénat à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ;
- des dix membres, autres que les membres de droit, de la délégation du Sénat à l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé ;
- des quinze membres de la délégation du Sénat pour la planification.
En application des articles 110 et 8, alinéas 2 à 11 du Règlement du Sénat, les listes des candidats présentés par les groupes ont été affichées.
La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, elles sont ratifiées et je proclame :
MM. Gilbert Barbier, Paul Blanc, Mmes Marie-Christine Blandin, Brigitte Bout, MM. Marcel-Pierre Cléach, Roland Courteau, Marc Daunis, Marcel Deneux, Jean-Claude Etienne, Christian Gaudin, Serge Lagauche, Jean-Marc Pastor, Xavier Pintat, Mme Catherine Procaccia, MM. Daniel Raoul, Ivan Renar, Bruno Sido et Alain Vasselle, membres de la délégation du Sénat à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ;
MM. Gilbert Barbier, Paul Blanc, Mme Maryvonne Blondin, MM. Bernard Cazeau, Gérard Dériot, Guy Fischer, Jean-Pierre Godefroy, Dominique Leclerc, Alain Milon et Jean-Jacques Mirassou, membres de la délégation du Sénat à l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé, MM. Nicolas About, Président de la commission des Affaires sociales et Alain Vasselle, rapporteur en charge de l’assurance maladie dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale en étant par ailleurs membres de droit ;
MM. Pierre André, Bernard Angels, Mme Jacqueline Alquier, MM. Gérard Bailly, Joël Bourdin, Mme Bernadette Bourzai, M. Yvon Collin, Mme Évelyne Didier, M. Jean-Luc Fichet, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Joseph Kerguéris, Philippe Leroy, Jean-Jacques Lozach, Jean-François Mayet et Philippe Paul membres de la délégation du Sénat pour la planification.
J’ai reçu de M. Hubert Haenel une proposition de loi visant à la création d’un fonds d’indemnisation pour les gendarmes victimes d’atteintes à leur personne.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 74, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J’ai reçu de M. Marcel Deneux une proposition de résolution, présentée en application de l’article 73 bis du règlement,
– sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/87/CE afin d’améliorer et d’étendre le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (E 3771),
– sur la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative à l’effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu’en 2020 (E 3772),
– sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au stockage géologique du dioxyde de carbone et modifiant les directives 85/337/CEE et 96/61/CE du Conseil, ainsi que les directives 2000/60/CE, 2001/80/CE, 2004/35/CE, 2006/12/CE et le règlement (CE) n° 1013/2006 (E 3774),
– et sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (E 3780).
La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 73, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
– Projet de règlement (CE) n° …/… de la Commission du portant application du règlement (CE) n° 453/2008 du Parlement européen et du Conseil relatif aux statistiques trimestrielles sur les emplois vacants dans la Communauté, en ce qui concerne la définition de l’emploi vacant, les dates de référence pour la collecte des données, les spécifications de la transmission des données et les études de faisabilité.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4056 et distribué.
J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
– Lettre rectificative n° 2 à l’avant-projet de budget 2009 - État des dépenses par section – Section III – Commission.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4057 et distribué.
J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
– Décision du Conseil concernant la participation de la Communauté européenne aux négociations dans le cadre du protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4058 et distribué.
J’ai reçu de Mme Isabelle Debré, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi en faveur des revenus du travail.
Le rapport sera imprimé sous le n° 76 et distribué.
J’ai reçu de Mme Bernadette Dupont, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion.
Le rapport sera imprimé sous le n° 77 et distribué.
J’ai reçu de M. Philippe Marini un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après déclaration d’urgence, de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 (no 55, 2008-2009).
Le rapport sera imprimé sous le n° 78 et distribué.
J’ai reçu de M. Philippe Marini un rapport d’information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.
Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 75 et distribué.
J’ai reçu de Mme Marie-Thérèse Hermange un rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur le potentiel thérapeutique des cellules souches extraites du sang de cordon ombilical.
Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 79 et distribué.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 5 novembre 2008 à 15 heures et le soir :
– Projet de loi (no 341, 2007-2008), adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la protection du secret des sources des journalistes ;
Rapport (no 420, 2007-2008) de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures quarante.