Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la liberté d’expression fait cette semaine l’objet de deux débats au sein de la Haute Assemblée.
Aujourd’hui, nous examinons une proposition de loi relative à la prescription des délits de presse commis au moyen d’Internet. Demain, nous évoquerons la protection du secret des sources des journalistes.
La liberté de la presse tient une place toute particulière dans notre démocratie. Elle est étroitement liée à l’histoire de notre République. Il est donc naturel que les représentants de la nation s’y intéressent, surtout lorsqu’il s’agit d’adapter notre droit aux évolutions des modes de communication. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.
Tous les fondements de notre droit de la presse ont été posés sous la IIIe République. Naturellement, ces règles se référaient exclusivement à la communication orale et à la presse écrite.
Le développement des médias audiovisuels modifient les enjeux à bien des égards. La proposition de loi déposée par M. Cléach vise à intégrer dans la loi de 1881 une disposition destinée à mieux protéger les victimes de délits de presse commis par la voie d’Internet.
L’exposé des motifs de votre proposition de loi, monsieur le sénateur, tout comme l’excellent rapport de Mme Des Esgaulx présentent parfaitement les spécificités de la communication par Internet. La dimension mondiale de ce réseau de communication donne aux informations qui y circulent une portée sans équivalent. Ces informations restent de surcroît à la disposition du public beaucoup plus longtemps que sur les autres supports de diffusion.
Dans le même temps, la masse d’informations disponibles sur Internet rend leur accès moins facile aux personnes qu’elles peuvent concerner. Dans ces conditions, il est évident que le court délai de réaction laissé aux victimes de délits de presse est inadapté à ce mode de diffusion. Aujourd’hui, après trois mois, plus aucune poursuite n’est possible : l’action publique est éteinte.
Monsieur Cléach, ces raisons justifient parfaitement votre initiative, qui vise à porter à un an au lieu de trois mois pour la presse écrite, notamment, le délai de prescription des délits de presse commis par l’intermédiaire d’Internet.
Cette proposition résonne d’un écho particulier dans cette enceinte. En effet, et vous l’avez rappelé, madame le rapporteur, depuis 2004, pas moins de trois initiatives sénatoriales notables sont allées dans le même sens.
Il y a eu l’amendement de M. Badinter et de votre regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt, qui n’a finalement pas été retenu dans la loi du 9 mars 2004, puis l’amendement de M. Trégouët, inséré dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique et, enfin, la proposition de loi de M. Masson, déposée le 4 octobre dernier.
On le voit, la modification des règles de prescription s’agissant des délits de presse commis par la voie d’Internet est un souhait partagé sur toutes les travées de la Haute Assemblée.
Votre préoccupation touche à deux questions fondamentales pour notre démocratie : d’une part, la liberté d’expression, qui est intimement liée aux droits de la presse et, d’autre part, la prescription de l’action publique, qui est une délicate synthèse entre la nécessaire répression des comportements délictueux, la sécurité juridique et la renonciation de la société à poursuivre en raison du temps écoulé.
Comme vous le savez, la loi sur la liberté de la presse a déjà été modifiée pour étendre le délai normal de prescription des délits de presse. La loi du 9 mars 2004 a porté ce délai à un an pour les infractions graves à caractère racial : la provocation à la haine, la diffamation, l’injure à caractère racial et le négationnisme.
Cette fois, ce n’est plus la nature des faits qui justifie une extension du bref délai de prescription, mais le moyen utilisé pour commettre l’infraction.
Ne nous méprenons pas, Internet est avant tout un formidable outil. C’est un moyen d’échange démocratique et un levier économique essentiel. Éric Besson a d’ailleurs présenté récemment le plan Numérique 2012, qui doit permettre à notre pays de rester à la pointe dans ce secteur clé.
Le développement des nouvelles technologies est une de mes priorités au ministère de la justice, étant entendu que ces technologies permettent de moderniser le fonctionnement de la justice, de la rendre à la fois plus efficace et plus rapide.
Notre devoir commun est d’accompagner l’avènement de ce nouveau média d’une sécurité juridique renforcée pour nos concitoyens.
Son influence et sa portée justifient un cadre juridique adapté. C’est pourquoi le Gouvernement soutient le texte dont vous avez pris l’initiative, monsieur Cléach.
Je salue la réflexion approfondie menée par la commission des lois. Vos travaux, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, contribuent indiscutablement à enrichir ce texte. Vous avez su en mesurer tous les enjeux, à la lumière de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 10 juin 2004.
Comme cela a été parfaitement rappelé, le devoir du législateur est d’assurer un traitement équitable des divers médias. Une distorsion injustifiée entre les supports papier et les messages en ligne serait censurée. Je crois pouvoir dire que le texte qui vous est présenté tient compte de la spécificité d’Internet, tout en respectant cette exigence constitutionnelle.
La prescription spéciale applicable aux informations diffusées par Internet apparaît en effet nécessaire et justifiée par « la situation particulière des messages exclusivement disponibles sur un support informatique ».
La commission des lois a également souhaité prendre en compte la situation particulière des publications soumises au dépôt légal. La proposition de loi écarte la prescription d’un an pour les articles mis en ligne qui ne font que reproduire une édition papier. Il s’agit de limiter cette prescription allongée à un an aux publications dématérialisées, faites exclusivement par le biais d’Internet. Celles qui sont également diffusées sur des supports écrits resteraient donc soumises au délai de prescription abrégé de trois mois.
La commission, après un fructueux débat, a considéré que la ligne de partage devait être légèrement différente. Elle propose que seules les publications de presse légalement déclarées restent soumises au court délai de prescription lorsque leurs articles sont également mis en ligne. La distinction est justifiée par les obligations déontologiques propres aux journalistes, qui les conduisent à faire preuve de davantage de prudence dans leurs publications.
Le Gouvernement soutiendra cette précision empreinte d’une grande sagesse.
II est également ouvert à une extension de cette exception en faveur de la presse audiovisuelle. Ainsi, tous les messages diffusés par des médias professionnels continueraient à bénéficier du régime actuel de prescription courte, même lorsqu’ils sont repris sur Internet.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la recherche du juste équilibre entre la liberté d’expression et la préservation des droits des personnes est une préoccupation constante du législateur. Je salue donc l’initiative qu’il prend aujourd’hui.
Avec cette proposition de loi, la Haute Assemblée démontre que nous sommes une démocratie vivante, qui sait parfaitement s’adapter aux besoins de son temps et modifier ses règles au rythme des évolutions qu’elle connaît.
Avec ce texte, nous affirmons que notre droit est au service de l’innovation, dans le respect de nos principes fondamentaux.