Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en mai 2005, j'ai présenté à la commission des affaires sociales un rapport d'information sur les minima sociaux. Sa grande nouveauté était d'aborder ces minima selon une clé d'entrée inédite, celle des « droits connexes », c'est-à-dire l'ensemble des prestations et avantages liés de façon plus ou moins automatique à leur bénéfice.
En abordant le sujet sous cet angle, notre rapport avait montré la complexité de ce dispositif et souligné ses effets pervers, notamment en matière de retour à l'emploi. Deux d'entre eux avaient plus particulièrement attiré notre attention : ceux qui sont liés au calendrier de versement des prestations et aux périodes de référence retenues pour le calcul des ressources et les nombreux effets de seuil causés par une attribution des aides sur la base du statut.
Les conclusions alarmantes de ce rapport ont conduit la commission des affaires sociales à créer un groupe de travail, dont la présidence m'a été confiée, chargé d'approfondir ces pistes de réforme et de les traduire en une proposition de loi.
Ce groupe de travail a procédé, entre septembre 2005 et mai 2006, à plusieurs dizaines d'auditions et de déplacements associant les membres de tous les groupes politiques de notre assemblée. Ces travaux fructueux ont débouché sur la rédaction d'un avant-projet de proposition de loi, dont le groupe de travail a voulu vérifier, avant même son dépôt, qu'il répondait bien aux problèmes soulevés par les acteurs de terrain.
C'est la raison pour laquelle il a été soumis, de façon inédite, pour concertation à l'ensemble des partenaires concernés par la problématique des minima sociaux. Cette démarche a d'ailleurs été extrêmement bien perçue. En témoignent la trentaine de contributions écrites reçues ainsi que l'invitation qui m'a été faite de présenter cet avant-projet devant le Conseil économique et social et devant le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, le CNLE.
Cette concertation nous a permis de constater un accord général sur les grands principes retenus pour l'élaboration de la proposition de loi et d'améliorer le texte de l'avant-projet sur de nombreux points. C'est donc après avoir tiré les enseignements de cette concertation que la présente proposition de loi a été déposée, le 27 juin 2006.
J'en viens maintenant à la présentation des dispositions du texte lui-même. Trois principes en ont guidé l'élaboration.
Premier principe : assurer une certaine équité entre les bénéficiaires des différents minima sociaux et entre les bénéficiaires de ces allocations et les salariés à bas revenus.
Après mûre réflexion, le groupe de travail a en effet rejeté l'idée, avancée par certains, d'une fusion des différents minima sociaux.
Cette solution était bien sûr intellectuellement séduisante. Mais pour quels avantages ? Une fusion aurait fait perdre à la protection sociale française une partie de sa richesse et de sa capacité d'adaptation.
Afin d'assurer une juste équité entre tous les bénéficiaires de minima sociaux et les personnes salariées qui se trouvent dans la même situation de ressources, ainsi que pour lever l'obstacle au retour à l'emploi que représente la fin brutale de leur versement en cas de reprise d'activité, le groupe de travail a préféré harmoniser les conditions d'accès aux droits connexes.
En pratique, la présente proposition de loi prévoit de supprimer les aides liées au « statut » et de les remplacer, selon le principe « à ressources égales, droits égaux », par des aides attribuées sous simple condition de ressources, rapportées au quotient familial.
Deuxième principe : faire en sorte que notre système de protection sociale ne soit plus, en lui-même, un obstacle supplémentaire à la reprise d'activité des bénéficiaires de minima sociaux.
Le parcours de réinsertion professionnelle de ces derniers est souvent composé d'une succession de périodes d'emploi, de chômage et de perception des minima. Or les décalages dans l'ouverture des droits, les règles de détermination des bases ressources et les calendriers de versement des prestations conduisent à doubler cette précarité professionnelle d'une précarité sociale.
C'est la raison pour laquelle la présente proposition de loi s'attache à renforcer la sécurisation du parcours de réinsertion professionnelle en supprimant les délais de carence entre la fin d'une période de travail et le retour aux minima sociaux et en neutralisant systématiquement les ressources devenues inexistantes pour le calcul des droits aux minima sociaux et à leurs droits connexes.
Par ailleurs, pour consolider la réinsertion professionnelle des bénéficiaires de minima sociaux, la proposition de loi prévoit une extinction progressive et non plus brutale des droits connexes pour les bénéficiaires de minima sociaux qui reprennent un emploi.
Enfin, pour leur permettre d'anticiper les changements liés à leur reprise d'activité, ce texte prévoit d'assurer une meilleure information des bénéficiaires de minima sociaux sur l'évolution des droits connexes auxquels ils ont droit en cas de retour à l'emploi.
Troisième principe : renforcer l'accompagnement social et professionnel des bénéficiaires de minima sociaux.
Le rapport de mai 2005 montrait à quel point l'existence d'un accompagnement de ceux-ci peut influer sur leur retour à l'emploi : ainsi, les titulaires du RMI qui sont accompagnés connaissent mieux leurs droits et mobilisent plus souvent le dispositif d'intéressement à la reprise d'activité et à l'emploi aidé que les attributaires de l'allocation de parent isolé, l'API, qui ne font l'objet d'aucun programme d'accompagnement particulier.
Les attributaires de l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, relèvent quant à eux de l'accompagnement de droit commun réalisé par le service public de l'emploi, mais celui-ci reste insuffisant, car il ne permet pas de prendre en compte les aspects sociaux de la situation de ces personnes.
C'est pourquoi la présente proposition de loi rend obligatoire la conclusion d'un contrat d'insertion pour les attributaires de l'API et de l'ASS. Pour tenir compte des spécificités de ces publics, les conseils généraux pourront passer une convention avec les caisses d'allocations familiales et l'ANPE, afin de mutualiser les moyens.
Cela étant, je constate, pour m'en réjouir, que la réflexion engagée par notre commission, de même que le rapport de nos collègues Michel Mercier et Henri de Raincourt sur les minima sociaux d'insertion et celui de la commission « Famille, vulnérabilité, pauvreté », présidée par Martin Hirsch, ont déjà influencé certaines décisions.
D'abord, notre proposition de loi a inspiré plusieurs mesures au Gouvernement : la loi du 23 mars 2006 relative au retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux a procédé à une profonde réforme des mécanismes d'intéressement à la reprise d'activité professionnelle pour les allocataires du RMI, de l'API et de l'ASS. Pour autant, le vote de ce texte n'invalide pas la démarche adoptée dans la présente proposition de loi : vous aviez vous-même annoncé, madame la ministre, que cette loi ne constituait que le premier étage d'une fusée dont la présente proposition devait constituer le deuxième.