Intervention de Christiane Demontès

Réunion du 23 janvier 2007 à 10h00
Minima sociaux — Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès :

En effet, nous passons d'une logique de droits liés spécifiquement à un statut, à un rapport liant revenus et allocations. Dès lors, ces droits seraient-ils toujours pensés et gérés comme des droits transitoires ? Demeureraient-ils dévolus à l'insertion ? À défaut, n'est-ce pas un premier pas vers une généralisation du salaire net subventionné dont, me semble-t-il, rêvent certains ?

Si tel était le cas, la situation ainsi créée serait d'autant plus dommageable que les emplois visés sont majoritairement subventionnés aux deux extrémités du système : en amont, par l'exonération de cotisations sociales conjuguée à la possibilité de cumuler allocation et salaire et, en aval, par le versement d'allocations.

Soyons clairs, sont visés des centaines de milliers d'emplois, notamment ceux des secteurs confrontés à la concurrence internationale, mais aussi ceux des entreprises sous-traitantes, qui subissent les contraintes des donneurs d'ordre.

Il semble donc que, sur cette question de fond, il soit indispensable de faire preuve du plus grand discernement afin de ne pas privilégier de réponses hâtives, qui pourraient aboutir à une perversion de la nécessaire solidarité entre actifs et demandeurs d'emplois, notamment.

J'en viens au principe d'expérimentation que prévoit l'article 18. Nous y sommes, bien sûr, favorables. Il procède de la logique de responsabilité et de rationalité.

Madame le rapporteur, nous regrettons que les services du ministère aient refusé de faire des simulations sur ces questions. C'est assez incompréhensible et j'espère, madame la ministre, que vous pourrez nous apporter des explications. J'ai compris dans vos propos que le travail allait être fait maintenant. Or la proposition de loi aurait pu aller plus loin si cet état des lieux et ces simulations avaient été réalisés préalablement.

Avant de conclure, je veux insister sur la question des inégalités entre les départements, qui concerne tout particulièrement mes collègues présidents de conseils généraux.

Étant donné que 30 % des sommes transférées aux départements seront fonction de l'effort d'insertion, n'est-ce pas une nouvelle fois les départements au plus fort potentiel fiscal qui pourront s'inscrire dans une démarche d'expérimentation ? Nous nous interrogeons sur ce point.

En outre, compte tenu de la situation budgétaire tendue, quelle marge de manoeuvre restera-t-il aux départements les plus pauvres, ceux qui ont le plus de difficultés ?

Les départements qui ne peuvent financer les moyens nécessaires au suivi des contrats d'insertion prévus aux articles 15 et 17, par exemple, pourront-ils faire face aux nécessités d'accompagnement, qui seules permettent le retour durable à l'emploi et qui sont donc indispensables ? Devront-ils s'en tenir à des dispositifs qui ont souvent trouvé leurs limites, qui souffrent du manque de moyens dégagés pour leur mise en oeuvre, ne permettent plus de faire face aux conséquences des désengagements de l'État, à la réduction du nombre de fonctionnaires, à celle des subventions accordées aux associations qui oeuvrant dans le secteur social, notamment dans l'insertion et la réinsertion ?

Cette situation est au centre des préoccupations des conseils généraux, nous le savons tous, et l'Association des départements de France, l'ADF, s'en est fait l'écho. C'est aussi ce que souligne le récent rapport intitulé Plus de droits et de devoirs pour les bénéficiaires de minima sociaux, et dont le rapporteur était notre collègue Michel Mercier. Si ce dernier propose un renforcement des sanctions contre les fraudeurs, qui sont, rappelons-le, une minorité - vous l'avez dit vous-même, madame le rapporteur - dans les faits, quelle alternative reste-t-il pour dégager des marges de manoeuvre budgétaire quand, avec l'ensemble des présidents de conseil généraux, il constate « l'insincérité de l'action de l'État en matière de compensation » ?

Selon l'ADF, il y aurait eu, pour l'exercice 2005, un décalage de 880 millions d'euros, sur un total de 6 milliards d'euros versés au titre du RMI. Le Premier ministre s'est engagé à compenser ce dû à hauteur de 500 millions d'euros. Il n'en reste pas moins que le décalage devrait avoisiner 1, 2 milliard d'euros pour 2006. Dès lors comment ne pas évoquer le préalable que constitue la question d'un financement pérenne ?

Les intentions de Mme le rapporteur sont estimables à plus d'un titre. Ses propositions peuvent constituer des réponses aux attentes les plus immédiates et les plus légitimes.

Cependant, elles ne semblent malheureusement pas en mesure de relever les défis de la situation actuelle, que je rappelais tout à l'heure. Le fait que 7 millions de nos concitoyens survivent directement ou indirectement grâce aux minima sociaux impose selon nous une réorientation politique.

Il est temps de renouer avec une politique faite d'ambition collective, qui place l'homme au centre de ses préoccupations et recherche la justice sociale. Il est temps de rompre avec des choix dictés par des présupposés idéologiques ou des visées électorales. Il nous faut relancer la croissance, soutenir le pouvoir d'achat de nos concitoyens, peser sur la qualité des emplois créés, investir dans la formation initiale, mais aussi dans la formation tout au long de la vie, au lieu de supprimer sans cesse des postes dans l'éducation nationale, la formation, la recherche et dans le domaine social.

En outre, il nous faut mettre au centre de nos dispositifs les structures d'actions locales qui sont les plus à même de prendre en compte les histoires et les parcours personnels.

Il est temps de réhabiliter le travail et non pas la simple « valeur travail ». Il est temps de rompre avec une supercherie qui vise à agglomérer l'« occupationnel » avec le travail. Il est temps de cesser de mettre à l'index ces millions de concitoyens qui, selon certains - ils ne siègent pas forcément au sein de cet hémicycle - refusent de travailler, trouvent leur compte dans l'inactivité, « vivent aux crochets des autres ». Ce discours stigmatisant est indigne et choquant. Il va à l'encontre des faits et nie la réalité des trappes à inactivité de dimension économique, mais aussi sociale et psychologique.

Cette proposition de loi peut apporter sa pierre à l'objectif de retour à l'emploi des bénéficiaires des minima sociaux. Cependant, elle reste au milieu du gué, ne remettant pas en cause une logique économique où la baisse du coût du travail constitue l'alpha et l'oméga de la politique économique et sociale. Telle est la raison pour laquelle le groupe socialiste s'abstiendra sur ce texte, tout en reconnaissant le travail qui a été accompli.

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