Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question des minima sociaux est aujourd'hui plus cruciale que jamais dans la mesure où le nombre de ses bénéficiaires tend à en faire un pilier de notre système de solidarité nationale.
Nombreux sont les rapports qui ont été consacrés à cette question, en particulier celui de nos excellents collègues Michel Mercier et Henry de Raincourt. Nombreux sont aussi les projets de loi ou propositions de loi à avoir tenté d'améliorer la cohérence de l'ensemble du système depuis l'institution du RMI, en 1988, mesure phare parmi d'autres.
L'entrée dans le régime de ressources de solidarité se fait par une situation de nécessité : éloignement du marché du travail avec le RMI, l'allocation de solidarité spécifique pour les chômeurs en fin de droits et l'allocation pour l'insertion des jeunes en difficulté ; mauvais état de santé, avec l'allocation aux adultes handicapés, l'allocation supplémentaire d'invalidité ; monoparentalité, avec l'allocation de parent isolé ; veuvage, avec l'allocation de veuvage ; retraite, avec l'allocation équivalent retraite ; l'âge, avec le minimum vieillesse et l'allocation supplémentaire vieillesse.
Ces minima sociaux répondent à la nécessité d'offrir un minimum de ressources aux personnes qui, d'une part, disposent de moyens trop limités, voire d'aucun moyen, et, d'autre part, sont insuffisamment couvertes par le volet assurance du système principal de protection sociale français.
Or, chacun le sait, le nombre des bénéficiaires des minima sociaux a connu une extension impressionnante. Le nombre des bénéficiaires du RMI est passé de 500 000 en 1990 à 1, 1 million aujourd'hui, avec une stabilisation en 2006, tandis que le nombre des allocataires de l'ensemble des minima sociaux a atteint, l'an dernier, 3, 2 millions, ce qui prouve avec force l'existence d'un divorce entre la performance globale de notre économie et la bonne santé sociale.
S'il est juste que la communauté nationale soutienne les plus démunis et les plus vulnérables de nos concitoyens dans une société qui a tendance à faire prévaloir l'efficacité économique sur l'harmonie sociale - le logement, dont nous aurons l'occasion de discuter prochainement dans cette enceinte, va d'ailleurs constituer un nouveau pan de cet édifice de solidarité -, il demeure primordial que le recours aux soutiens sociaux n'enferme pas ceux qui en bénéficient dans une situation d'exclusion durable, à l'écart de l'activité professionnelle, sans espoir de retour. Il s'agit d'un problème récurrent s'il en est, auquel chacun de nous souhaite remédier, même si les solutions proposées peuvent être diverses.
La question est d'abord d'ordre technique. Il faut, et ce texte nous y incite, nous interroger - parlementaires, élus locaux, mais aussi Gouvernement et administrations, sans oublier les responsables du secteur associatif, que nous rencontrons chaque jour sur le terrain - et vérifier que l'on ne crée pas, par l'accumulation et la complexité des mécanismes de solidarité, des trappes à exclusion.
Le Gouvernement a, depuis quelques années, déployé des efforts pour améliorer cette situation en prenant certaines mesures législatives - loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, par exemple - ou réglementaires - circulaire relative à la prime exceptionnelle de retour à l'emploi en faveur des bénéficiaires de minima sociaux, décret instituant la prime exceptionnelle de retour à l'emploi dans le cadre du plan d'urgence pour l'emploi - mais sans parvenir pour autant à remédier dans sa totalité et de manière définitive à ce problème essentiel.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui est donc la bienvenue dans la perspective de l'édification d'une meilleure cohésion sociale.
C'est l'intérêt même des bénéficiaires des minima sociaux, victimes potentielles des effets pervers du dispositif, perdues dans une opacité qui conduit - je reprends ici une formule du rapport - à une « désincitation à la reprise d'activité ».
Je salue donc la concertation qui a présidé à l'élaboration de ce rapport ainsi que la réelle bonne volonté de ses auteurs de « faire bouger » les choses, en concentrant leur raisonnement sur trois objectifs cohérents : établir l'équité entre les bénéficiaires des différents minima sociaux et les salariés à bas revenus, faire en sorte que notre système de protection sociale ne soit plus en lui-même un obstacle supplémentaire à la reprise d'activité des bénéficiaires des minima sociaux et renforcer l'accompagnement social ou professionnel de ces bénéficiaires. Nous ne pouvons qu'être en accord avec ces objectifs et je salue le travail de Mme Valérie Létard et la ténacité dont elle fait preuve.
Certes, je le sais, ce texte n'est pas parfait. Son financement, encore incertain, a d'ailleurs préoccupé nos collègues présidents de conseils généraux. Je sais également que deux de ses articles ont d'ores et déjà trouvé application dans la loi de finances pour 2007, avec l'ouverture du bénéfice de la majoration pour la vie autonome et du complément de ressources, ce qui prouve, a contrario, son intérêt. Je sais enfin que la solution du problème réside principalement non pas dans la rédaction d'une proposition de loi, mais avant tout dans le développement global de notre système économique, qui ne trouvera un sursaut d'efficacité que par une meilleure articulation entre la technologie, les investissements et l'organisation du régime du travail.
La présente proposition de loi doit être suffisamment souple dans son application quotidienne pour s'adapter à chaque situation. C'est pourquoi j'adhère sans réserve à la démarche qui consiste à appeler avec force l'attention du Gouvernement sur la nécessité de supprimer les obstacles endogènes à la reprise d'une activité professionnelle, en procédant - comme le texte le prévoit - à une série d'expérimentations qui permettront une appréciation plus fine des coûts. Mieux vaut ne pas légiférer trop « verticalement » et enrichir la réflexion collective par l'expérience et le vécu, quitte à l'englober dans la perspective plus large, et hautement souhaitable, de la résorption progressive des situations d'exclusion qui demeureraient dans notre pays.
Cette expérimentation pourrait durer cinq ans. Une telle période transitoire permettrait d'étaler la montée en charge du coût de la réforme et de démontrer que le retour à l'activité des bénéficiaires de minima sociaux, du RMI notamment, pourrait compenser les moyens affectés à la réforme par les départements.
Je suis convaincu que la mise en oeuvre de cette proposition de loi peut, en facilitant la reprise d'activité, produire des économies. La simplicité des mécanismes est seule de nature à engendrer l'efficacité. En effet, comme je l'avais déjà indiqué en janvier 2006 dans cette enceinte lors de la discussion du projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires des minima sociaux, un excès de mesures, parfois illisibles, difficilement compréhensibles ou inapplicables, peut devenir nuisible.
C'est pourquoi je veux voir dans cette proposition de loi une sorte d'étape supplémentaire dans une réflexion plus large et une possibilité de procéder à des estimations financières plus précises que celles qui sont disponibles aujourd'hui.
Je remercie très sincèrement le Gouvernement de bien vouloir reprendre « la balle au bond ». Je l'ai dit et je le répète, tous les efforts en vue du retour à l'emploi doivent être pleinement soutenus, car ce sujet nous concerne tous. Je me réjouis que, sur le terrain, les débats que nous engageons aujourd'hui, avec l'appui du Gouvernement, montrent que c'est bien cet état d'esprit qui prévaut.