Intervention de Jean Desessard

Réunion du 23 janvier 2007 à 10h00
Minima sociaux — Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

Je reconnais que cette proposition de loi va, dans son esprit, dans la bonne direction. Elle vise à assurer une certaine équité entre les bénéficiaires des minima sociaux d'une part et, d'autre part, entre ces derniers et les salariés à bas revenus. Elle supprime les aides liées au statut, ce qui est une bonne chose, et réduit les obstacles supplémentaires à la reprise d'activité grâce à une harmonisation et une sortie progressive des différents droits connexes, la suppression des délais de carence entre la fin d'une période de travail et le retour aux minima sociaux, la neutralisation des ressources antérieures, devenues inexistantes, le renforcement de l'accompagnement social et professionnel des bénéficiaires de minima. Nous prenons acte de ces quelques avancées.

La complexité, les incohérences et les effets pervers du dispositif français des minima sociaux aurait néanmoins appelé une réforme encore plus profonde. Malgré les avancées, cette proposition de loi ne répond pas suffisamment à la nécessité d'assurer en France, à tous et à toutes, la possibilité de mener une vie décente et autonome.

D'une part, la suppression des aides liées au statut aurait dû conduire à individualiser les aides et à les étendre aux personnes âgées de dix-huit à vingt-cinq ans, de manière qu'elles ne dépendent plus financièrement de leur famille - conjoint ou parents - et accèdent ainsi à une véritable autonomie.

D'autre part, il aurait fallu proposer une revalorisation des minima sociaux à hauteur de ce à quoi chacun devrait avoir droit pour mener une vie décente. Ils sont encore trop nombreux celles et ceux qui, en France, vivent en dessous de seuil de pauvreté. L'exclusion, parfois, ne se joue qu'à quelques centaines d'euros. Ces euros, ce sont ceux qui séparent les 435 euros du RMI et le seuil de pauvreté tel qu'il a été défini par l'INSEE, à savoir 50 % du revenu médian, soit, en 2004, 657 euros par mois et par personne.

Cette proposition de loi aurait pu faire en sorte que, en France, plus une personne âgée de plus de dix-huit ans ne vive en dessous de ce seuil, et ce de façon inconditionnelle.

Ces questions ne sont malheureusement pas abordées. C'est pourquoi je les ai soulevées dans les amendements que j'ai déposés. Peut-on repenser l'aide sociale sans conduire une réflexion sur l'idée d'un minimum vital pour tous ?

De même, cette proposition de loi laisse encore sous-entendre qu'il faut « inciter » ou « intéresser » les bénéficiaires de minima sociaux au retour à l'emploi, comme s'ils choisissaient volontairement de s'exclure de la collectivité et de vivre dans la pauvreté. La réalité montre pourtant que, lorsque l'on peut reprendre un emploi, généralement, on le fait. J'en veux pour preuve le nombre de nos concitoyens qui recommencent à travailler pour un gain très minime, voire inexistant, parfois même à perte du fait des dépenses supplémentaires induites par la reprise d'un emploi.

Le cumul d'un revenu minimum et d'un revenu d'activité éviterait à ces personnes fragiles de perdre immédiatement leurs droits, voire de connaître une régression de leurs revenus. Elle leur permettrait de sortir du parcours administratif cauchemardesque qui fait qu'après avoir bénéficié du RMI, une personne qui retrouve un emploi perd un certain nombre de droits... avant d'être de nouveau allocataire du RMI.

Il faut sortir de la stigmatisation, des contrôles tatillons et des « confettis » sociaux qui aménagent la misère, et mettre tout simplement en place un système universel permettant de sortir « tout le monde » de la pauvreté.

Sauf à considérer que les chômeurs sont responsables de leur sort au point de leur refuser l'accès à ce seuil minimal, il est moralement et politiquement inacceptable de tolérer que tant de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté soit, je le répète, 657 euros par mois et par personne. Les amendements que j'ai déposés s'inscrivent dans cette perspective.

Certains m'objecteront que maintenir des minima sociaux très bas, c'est inciter les chômeurs à trouver un travail ! C'est tout simplement faux, archifaux ! Les chiffres du chômage le prouvent. Il faut cesser de faire porter la responsabilité du chômage aux chômeurs.

Face à la fragilisation de l'emploi et des solidarités familiales, d'une part, et à l'impossibilité de promettre le plein emploi aux plus pauvres dans un futur proche, d'autre part, un revenu garanti décent, individuel et inconditionnel, déconnecté de l'emploi, s'impose.

La création de ce revenu d'existence est aujourd'hui indispensable pour satisfaire le droit inconditionnel à chacun d'être protégé de la misère.

La France a d'ailleurs largement les richesses suffisantes pour assurer ce minimum vital à ses ressortissants. Le financement de cet impératif pourrait se faire notamment par une réforme de l'ISF, dans le sens inverse de celui que prévoit M. Sarkozy, et par une taxation des revenus financiers.

À ceux qui soutiennent ici et là, pour culpabiliser ceux qui vivent des minima sociaux, que la France est très, voire trop généreuse, je rétorque que les chiffres de l'Office statistique des communautés européennes, Eurostat, montrent le contraire : pour chaque chômeur, le Danemark dépense 2, 6 fois plus que la France. Les Pays-Bas, la Belgique, l'Allemagne, l'Irlande ou le Portugal font également mieux que nous. L'indemnisation des chômeurs - les dépenses « passives » - est plus élevée de 40 % en Allemagne, de 70 % en Belgique, de 160 % au Danemark, de 170 % aux Pays-Bas ! Doit-on ainsi mesurer la générosité lorsqu'il s'agit de sortir une partie de la population de la misère ?

Ce revenu d'existence n'est pas une résignation au chômage et à la précarité du travail. Au contraire, il permet un accès serein à la formation et à la recherche d'emploi : accès au logement, aux soins, à l'information, à la garde d'enfants. En ce sens, il permettrait une meilleure adéquation entre l'offre et la demande sur le marché du travail, en plaçant les travailleurs dans une situation de plus grande indépendance financière. Il améliore donc aussi, par conséquent, les conditions de travail et de rémunération des salariés.

Un des avantages du revenu d'existence est sa simplicité : il s'agit en effet d'accorder la même somme à tout le monde, sans distinction, sans contrôle des conditions de ressources. Le revenu d'existence permettrait en outre d'unifier les neuf minima sociaux - c'est l'objectif de la proposition de loi - et il se substituerait à l'éventail éparpillé et opaque des aides aux plus démunis.

Le revenu d'existence simplifierait aussi le cumul des revenus du travail et de la solidarité. Aujourd'hui, cette possibilité de cumul, limitée dans le temps, est très compliquée et ne permet pas de rémunérer suffisamment les premières heures travaillées. En effet, l'emploi qui succède à une période de chômage est souvent précaire, peu rémunéré et à temps partiel. Les dépenses liées à la reprise d'un emploi, ainsi que la précarité et l'incertitude concernant les revenus salariaux n'incitent guère à la reprise d'un emploi, car les heures de travail rapportent peu d'argent supplémentaire. Avec le revenu d'existence, entièrement cumulable, les premières heures travaillées rapporteraient immédiatement.

D'un point de vue fiscal, les impôts sont censés « récupérer » tout ou partie de ce revenu d'existence à mesure que les revenus augmentent. Ainsi, ce revenu, in fine, ne reviendrait pas à « donner le RMI à ceux qui gagnent déjà des millions ». Au contraire, en conservant et en améliorant un système fiscal redistributeur, il participerait d'une meilleure justice sociale. C'est d'ailleurs ce mécanisme fiscal qui permet d'atténuer les coûts apparemment gigantesques du revenu d'existence pour les finances publiques, ce qui en fait une mesure de justice réaliste.

Tout en prenant en compte la diversité des situations, le revenu d'existence éliminerait donc, entre autres, les problèmes d'opacité, d'ignorance des droits, de non-recours, de frais de gestion, d'effets de seuil, de carence. On imagine aussi aisément qu'une telle mesure simplifierait non seulement notre organisation bureaucratique, mais aussi la vie des plus démunis, qui n'auraient plus à arpenter les administrations publiques pour bénéficier d'aides diverses. De plus, ce revenu éviterait en partie, puisqu'il serait accordé à tout le monde, la stigmatisation des bénéficiaires des minima sociaux et leur coupure avec les travailleurs pauvres.

En autorisant, sans condition, un niveau de vie décent, déconnecté du monde du travail, pour tous et toutes, le revenu d'existence implique un renversement des valeurs communément admises. La proposition de loi portant réforme des minima sociaux, aussi sympathique soit-elle, est, de ce point de vue, bien trop timide et d'une efficacité réduite.

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