Monsieur le Premier ministre, vous avez bien fait de venir aujourd’hui dans cet hémicycle pour préciser les choses, même si nous avions bien retenu quelques phrases de la déclaration d’hier.
En disant qu’en France « tout est possible », vous avez naturellement des pensées positives. Malheureusement, cela marche dans les deux sens : la France est capable du meilleur, mais aussi de performances moins enviables.
Nous avons cependant apprécié votre ambition de faire du « tout est possible » une formule de confiance et d’espoir en abordant tous les sujets, y compris ceux qui fâchent et qui irritent au quotidien, ou, plus largement, le sentiment d’impuissance de l’action publique, poison de notre démocratie.
Quant à vos orientations cardinales – « désmicardiser, déverrouiller, débureaucratiser » – comment ne pas y souscrire ?
Vous mettez ces grands axes au service du « réarmement » de notre pays. Permettez à un vieux matou né en 1954 §de vous proposer un autre terme, bien plus classique, mais plus important à mes yeux : celui de « justice ».
Réarmer est sans doute nécessaire, mais in fine cela doit servir la justice. C’est, en effet, le sentiment d’injustice et d’iniquité qui fragilise aujourd’hui notre société.
La colère agricole en est la caricature. Les agriculteurs sont au carrefour d’une quadruple injustice : injustice territoriale, d’abord, dont témoigne l’opposition accrue d’un monde rural qui se sent abandonné et déclassé ; injustice économique, bien sûr, les agriculteurs étant les parents pauvres du partage de la valeur ; injustice sociale et culturelle, encore, celle que ressentent les travailleurs qui se lèvent tôt et font face aux injonctions de cols blancs hors sol, avec le sentiment de devoir abandonner leurs valeurs ; injustice, enfin, causée par des normes et des contraintes, françaises ou européennes, qui ne pèsent pas sur leurs concurrents étrangers.
Chez nous, l’injustice commence dès la naissance. Elle dépend du milieu, mais aussi du lieu où l’on vient au monde. Le Président de la République l’a reconnu : nous ne garantissons pas l’égalité de tous les enfants de la République.
Et pour cause ! Aujourd’hui, naître à la campagne, c’est souvent naître dans un désert médical. Là réside sans doute l’injustice territoriale la plus insupportable.
Or, comme vous l’avez justement souligné, nous ne pouvons pas attendre gentiment que la fin du num e rus clausus produise ses effets. Régulariser les médecins étrangers n’y suffira même pas. Il faudra avoir le courage – vous y avez fait allusion – d’expérimenter plus largement les délégations d’actes.
Plus globalement, pour tâcher de remédier à l’injustice territoriale, le Sénat plaide pour une décentralisation régénérée, qui permette de restituer des marges aux collectivités et d’insuffler de l’équité plutôt que de l’égalité formelle. Tel est l’esprit de la différenciation que nous appelons de nos vœux.