Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 31 janvier 2024 à 15h00
Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Les crises sont là ; elles suscitent, chez nos compatriotes, une angoisse aggravée, de mois en mois, par la multiplication des conflits sur la planète.

De tout temps, la peur qui marque les peuples, c’est la guerre. Nous qui portons ce combat au cœur de notre action savons qu’il ne peut y avoir de progrès social ni de justice en temps de guerre.

Ce grand désordre du monde s’exprime en Ukraine, en Israël, en Palestine – plus particulièrement à Gaza –, mais aussi en Arménie, au Yémen ou au Kurdistan.

Cette situation exige que les nations les plus influentes, comme la nôtre, déploient des efforts considérables pour que la diplomatie prévale.

À ce monde en crise répondent des crises intérieures profondes. Notre peuple souffre. Sur fond d’inégalités financières et sociales croissantes, la baisse du pouvoir d’achat, la crise de notre système de santé et les défaillances accélérées du service public minent la confiance de nos concitoyens dans l’avenir, pour eux-mêmes et pour leurs enfants.

Alors que 46 milliards d’euros ont été remis aux actionnaires du CAC 40 en 2023 – un record ! –, 11 millions de personnes ne mangent pas à leur faim en France.

L’inflation dévastatrice – elle atteint 10 % en deux ans – accélère cet appauvrissement. Vous connaissez les chiffres de la hausse des prix des denrées alimentaires. Il faut les répéter : +12 % en moyenne, +20 % pour nombre de produits alimentaires de base. Et pourtant, les salaires ne suivent pas.

Monsieur le Premier ministre, vous voulez « désmicardiser » la France, mais vous ne proposez rien pour augmenter les salaires ! Vous culpabilisez les salariés et les chômeurs, mais jamais vous ne pointez la responsabilité fondamentale des plus riches, des actionnaires de tout poil.

Comme nombre d’entre vous, j’ai assisté à de nombreuses cérémonies de vœux ces dernières semaines. Quelle inquiétude, quand j’entends que plus de la moitié des enfants bénéficient de la cantine à un euro dans les communes où ce dispositif est déployé ! C’est dire si la pauvreté touche l’ensemble de notre pays.

Alors que cette France appauvrie ne peut plus se chauffer correctement, M. Le Maire, votre ministre de l’économie, assène qu’au nom de la nécessaire satisfaction des agences de notation il faut, dès demain, augmenter de 10 % les tarifs de l’électricité ! Monsieur le Premier ministre, ouvrez les yeux : 44 % d’augmentation en deux ans, 70 % d’augmentation en dix ans. Au regard de la réalité sociale du pays, la hausse n’est pas supportable !

Le droit à l’énergie n’est pas une question de bouclier ; c’est une question de droit et de dignité.

Logement, nourriture, soins, transports, éducation deviennent inaccessibles à des millions de personnes ; ces services, pour la plupart, se dégradent.

Permettez-moi ensuite de vous dire, monsieur le Premier ministre, que le réarmement démographique ne se décrète pas : il passe par une meilleure politique familiale, par une politique du logement, mais aussi par une politique de hausse des salaires qui permette à chacune et à chacun d’entre nous d’entrevoir le meilleur pour ses enfants.

Il passe aussi, inévitablement, par une école publique de qualité, véritable lieu de savoir et d’apprentissage pour permettre à nos enfants de réussir leur vie. Que répondez-vous aux enseignants qui exigent, par la grève massive qui aura lieu demain, des moyens pour l’école publique ?

La violente crise agricole croise finalement toutes les autres crises. Elle est le symptôme d’une mondialisation et d’une financiarisation effrénées, de la domination de grands groupes qui étouffent les agriculteurs.

Il faut simplifier et repenser l’accumulation des normes, mais il faut aussi s’attaquer au libre-échange, qui promet de livrer par cargos entiers de la viande ovine de Nouvelle-Zélande ou bovine du Brésil.

L’urgence, c’est aider les jeunes agriculteurs, avec le retour des prêts bonifiés à l’installation.

Le premier volet de la loi Égalim doit être respecté et l’État doit être le garant du respect des agriculteurs face aux requins de la grande distribution.

Il est inacceptable que les agriculteurs ne puissent vivre de leur travail et les consommateurs se nourrir correctement. Ce n’est pas un problème de marché, mais bien le résultat d’un choix politique !

Monsieur le Premier ministre, vous êtes aujourd’hui devant le Sénat, qui, aux termes de notre Constitution, représente les collectivités territoriales.

Ces collectivités territoriales ont été et sont la dernière digue face à ces crises multiples. Les élus et leur administration y font face au quotidien, avec des moyens décroissants, alors que la demande explose : difficultés d’accès aux soins et au logement, difficultés de pouvoir d’achat…

Or quelles mesures votre gouvernement prendra-t-il pour faire face à l’étranglement financier progressif, notamment à la perte de l’autonomie financière des communes ?

Indexerez-vous enfin la DGF sur l’inflation ? Vous l’avez augmentée de 0, 8 %, mais l’inflation est à 5 % !

Rétablirez-vous la CVAE pour faire participer les acteurs économiques aux finances des collectivités ?

La commune, c’est la proximité, le maillage étroit du territoire national et de la démocratie. Menacer cette institution clé de la République et, plus profondément, de notre société, c’est menacer un édifice institutionnel déjà vacillant.

Oui, renforcer la démocratie locale et l’État territorial est une nécessité pour construire les politiques publiques indispensables au bien-vivre de nos concitoyens.

Il ne peut y avoir de décentralisation que si l’État est fort et assume ses missions régaliennes de santé, de sécurité et d’aménagement du territoire, pour assurer l’égalité entre tous les citoyens et entre tous les territoires.

Monsieur le Premier ministre, pas d’hypocrisie entre nous ! Les élus locaux ne pourront pas tout supporter. La décentralisation, demain, ne peut se résumer à absorber quotidiennement les défaillances de l’État.

Monsieur le Premier ministre, le terrain perdu que j’évoquais d’emblée est évidemment celui de la démocratie.

Votre refus de vous soumettre au vote de confiance, au motif relativement absurde que vous n’avez pas de majorité, va de pair avec la mainmise totale du Président de la République sur les institutions.

La clé de voûte de la Ve République, ce qui fait d’elle un régime parlementaire, c’est pourtant la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale. C’est, oserai-je dire, le vote de confiance originel.

Votre refus de solliciter ce vote augure mal de la volonté de rompre avec le recours au 49.3, dont l’utilisation a marqué l’année 2023. C’est non plus au Parlement que les choix politiques se font, mais dans les couloirs, sur les plateaux de télévision, sur les réseaux sociaux ou en petit comité lors des commissions mixtes paritaires.

Monsieur le Premier ministre, écoutez nos concitoyens de tous les horizons – territoires ruraux, urbains ou d’outre-mer –, qui font la France et sa grandeur : ils souffrent et n’obtiennent pas de réponse.

En raison de la politique menée depuis 2017, que vous avez servie avec zèle, nous ne pouvons, en toute logique, vous accorder notre confiance. Toutefois, faute de vote, monsieur le Premier ministre, vous sortirez de cet exercice sans affronter d’autre épreuve qu’une analyse et une évaluation médiatiques ; or nos concitoyens ont plus que jamais besoin d’une analyse et d’une évaluation démocratiques.

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