Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'assurance de protection juridique, dont le succès va croissant avec une progression des cotisations de plus de 8 % par an sur les cinq dernières années, a pour objet, en cas de litige, de garantir une prise en charge des frais de procédure exposés par l'assuré et de lui offrir une assistance en vue du règlement amiable de son différend.
Les principaux domaines dans lesquels intervient cette assurance concernent les litiges liés à la consommation de biens et services, les conflits du travail, les différends sur les prestations sociales ou encore sur la fiscalité, mais assez peu le pénal.
Les litiges relatifs à l'immobilier et à la consommation représentent plus de 50 % des sinistres déclarés aux assureurs alors que le droit des brevets, le droit des personnes et de la famille, ainsi que le droit de la construction sont le plus souvent exclus du champ couvert par ces assurances.
Avec un chiffre d'affaires estimé à un peu plus de 1 milliard d'euros, l'assurance de protection juridique ne représente encore que 0, 5 % du marché des assurances. Son poids économique est donc encore relativement modeste, mais ses perspectives de développement s'avèrent prometteuses.
Toutefois, le fonctionnement actuel de cette assurance pose quelques problèmes, qui ont été soulevés en 2002 par la commission des clauses abusives. Celle-ci a notamment déploré les conditions trop restrictives de mise en jeu de la garantie et dénoncé les relations déséquilibrées qui existent entre les sociétés d'assurance, d'une part, les assurés et les avocats, d'autre part.
Des initiatives ont été prises depuis lors pour favoriser la transparence des contrats et mieux prendre en compte les attentes des consommateurs. Des discussions ont également eu lieu, sous l'égide du ministère de la justice, depuis 2003 pour tenter, malheureusement sans succès, de rapprocher les positions des avocats et des assureurs.
C'est afin de remédier à ce blocage que nos collègues Pierre Jarlier, avec plusieurs cosignataires, et François Zocchetto ont déposé chacun une proposition que la commission des lois a examinée et complétée et dont je vous rapporte aujourd'hui les conclusions au travers d'un texte commun.
Celui-ci a d'autant plus d'importance qu'il s'inscrit dans le cadre d'une démarche visant à faciliter l'accès au droit et à la justice, thème ô combien important pour lequel, monsieur le garde des sceaux, vous avez d'ailleurs souhaité organiser des assises, qui auront lieu la semaine prochaine.
Ce texte, en apportant des aménagements limités au régime de l'assurance de protection juridique, a principalement pour objet de préciser les conditions dans lesquelles la garantie est engagée et de clarifier les relations entre toutes les parties en présence : assurés, assureurs et avocats.
L'article 1er de la proposition de loi vise à faciliter l'intervention de l'avocat à tous les stades du déroulement d'un litige en rendant obligatoire sa saisine par l'assuré dès lors que la partie adverse est elle-même défendue par un membre de cette profession. Il s'agit donc simplement de rétablir « l'égalité des armes » en permettant à l'avocat d'intervenir, le cas échéant, dès la phase amiable, qui est souvent assurée aujourd'hui directement par les services juridiques de l'assureur.
Ce même article autorise également l'assuré à solliciter une consultation juridique ou des actes de procédures avant même d'avoir déclaré le sinistre, sans que, pour autant, l'assureur puisse lui opposer la déchéance de garantie pour ce motif, contrairement à ce qui se pratique parfois un peu trop facilement aujourd'hui. Bien évidemment, l'assureur ne serait pas tenu de prendre en charge les frais résultant des consultations ou des actes effectués par l'assuré préalablement à la déclaration du sinistre, sauf dans les cas où l'urgence aurait justifié ces démarches préalables.
Toujours avec le même objectif d'éviter que ne soit trop facilement opposée la déchéance de garantie à l'assuré, l'article 1er donne une définition claire du sinistre en indiquant qu'il est constitué par le refus qui est opposé à une réclamation dont l'assuré est l'auteur ou le destinataire. Ce dispositif vise à préserver les droits du consommateur et à empêcher l'assureur de contester la date de survenance du litige pour refuser de mettre en jeu la garantie.
Les articles 2 et 3 ont pour objet de préserver le caractère libéral de l'intervention de l'avocat dans la gestion du sinistre. L'article 2 réaffirme la liberté de choix de l'avocat en indiquant que l'assureur ne peut proposer le nom d'un avocat à l'assuré sans que celui-ci en ait fait la demande écrite. L'article 3 rappelle le principe de libre fixation des honoraires entre l'avocat et son client.
Au-delà de ces dispositions, la commission des lois a souhaité compléter le texte proposé par nos collègues pour permettre la transposition, dans le code de la mutualité, des dispositions insérées dans le code des assurances que je viens de vous présenter. En effet, même si leur place est aujourd'hui limitée, les mutuelles participent aussi au marché de l'assurance de protection juridique.
La commission a également prévu d'insérer dans ce texte le principe selon lequel les sommes attribuées en remboursement des frais exposés pour le règlement d'un litige doivent bénéficier prioritairement à l'assuré pour les dépenses restées à sa charge et, subsidiairement, à l'assureur dans la limite des sommes qu'il a engagées. Certaines dérives ayant été constatées en ce domaine, il apparaît en effet nécessaire que le législateur rappelle cette règle d'équité.
Enfin, la commission des lois a jugé indispensable de prévoir une articulation entre l'aide juridictionnelle et l'assurance de protection juridique, en précisant que l'aide juridictionnelle ne peut être accordée lorsque les frais qu'elle vise à couvrir sont déjà pris en charge au titre d'un contrat d'assurance de protection juridique. Il est certain que les deux systèmes d'accès à la justice que sont l'aide juridictionnelle - accordée aux plus démunis - et l'assurance de protection juridique se recouvrent peu et que le bon fonctionnement de ce dispositif nécessitera un travail de vérification systématique de la part des bureaux d'aide juridictionnelle. Mais, compte tenu du nombre croissant de personnes éligibles à l'aide juridictionnelle et de la forte inflation de ce poste dans le budget de la justice - celui-ci a augmenté de 63 % entre 1998 et 2006 -, il convient d'apporter cette précision.
Je n'ignore pas que cette proposition de loi provoque des réactions, notamment chez les assureurs. Elle risque, nous dit-on, de perturber sensiblement le fonctionnement d'un système qui donne toute satisfaction à ses utilisateurs et de conduire à une détérioration des conditions d'accès au droit et à la justice de nos concitoyens dans la mesure où l'intervention plus systématique de l'avocat entraînera une augmentation du coût des interventions et une hausse des primes sur les contrats d'assurance de protection juridique. Cette proposition de loi remettrait également en cause le caractère aléatoire du risque en ouvrant la voie à une couverture de sinistres antérieurs à la souscription de l'assurance et ferait peser une menace sur la mission assurée aujourd'hui, en phase amiable, par les salariés juristes des compagnies d'assurances.
Je voudrais, sur ces différents points, rappeler que le texte que nous examinons n'apporte que des aménagements ponctuels au régime de l'assurance de protection juridique pour remédier à certaines critiques, telles que le manque de transparence et de lisibilité des contrats, le positionnement marginal des avocats et les réticences opposées par les assureurs à la mise en jeu de la garantie, mais ne vise pas à remettre en cause le régime de l'assurance de protection juridique.
La définition du sinistre qui est proposée permettra ainsi de donner une date certaine au point de départ du délai dans lequel l'assuré doit faire sa déclaration et lui évitera de se voir opposer la déchéance de garantie pour déclaration tardive alors qu'il n'aurait, par exemple, pas identifié immédiatement l'origine du sinistre ou qu'il aurait constaté le défaut de la chose livrée depuis quelques semaines mais se serait d'abord adressé à son fournisseur pour tenter d'y remédier avant de saisir son assureur. Vouloir éviter que l'assuré soit déchu de sa garantie pour des motifs de ce type me paraît être plus une mesure de bon sens et d'équité qu'une disposition qui révolutionnerait le droit des assurances, d'autant qu'il est précisé que, bien entendu, l'assureur n'aura pas à supporter le coût de ces démarches préalables.
Faire intervenir un avocat dès lors que la partie adverse est elle-même représentée par un membre de cette profession ne remettra pas non plus en cause le rôle que jouent les services juridiques de l'assureur, tels la délivrance de renseignements par téléphone, le conseil, la consultation juridique ou encore la transaction amiable.
D'ailleurs, ces services fonctionnent bien, puisque 70 % des litiges font aujourd'hui l'objet d'un règlement amiable et que le taux de satisfaction des assurés est élevé. Il s'agit donc simplement de rétablir l'équilibre entre les parties en présence et non pas de porter systématiquement devant les tribunaux un litige qui pourrait être avantageusement réglé par une transaction amiable. La procédure judiciaire ne constitue plus la voie unique de résolution des conflits pour les avocats, comme le montre l'évolution de leurs pratiques professionnelles.
Au demeurant, la liberté que conservent évidemment les assureurs de fixer dans les contrats d'assurance de protection juridique un plafond à la prise en charge des honoraires d'avocats limitera ce risque de dérive, tout comme le fait que la plupart des assurés n'ont généralement pas d'avocat attitré et que l'assureur pourra toujours proposer le nom d'un avocat avec lequel il a l'habitude de travailler à l'assuré, dès lors que celui-ci lui en aura fait la demande écrite.
Bien évidemment, l'intervention plus systématique de l'avocat dans le règlement du litige, la liberté de choix de l'avocat par l'assuré et la libre fixation des honoraires entre l'avocat et ce dernier peuvent conduire à une augmentation globale des charges supportées par l'assureur et, par voie de conséquence, des primes réclamées aux assurés. Mais, il convient de le rappeler, ce dispositif ne remet pas en cause la possibilité pour les assureurs de fixer des limitations contractuelles au remboursement des honoraires d'avocats et, dès lors que les clauses contractuelles seront parfaitement claires sur l'étendue des prestations offertes, des frais pris en charge par l'assureur et de ceux qui restent à la charge de l'assuré, ce dernier sera parfaitement à même de se déterminer sur l'étendue de la garantie qu'il souhaite et sur ce qu'il est donc prêt à payer, ainsi que sur le choix à faire entre une transaction amiable et une procédure judiciaire longue et incertaine.
Telles sont, madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler avant que nous abordions l'examen de ce texte, qui s'inscrit, je le rappelle, dans une démarche souhaitable de facilitation de l'accès au droit et à la justice et dont je remercie nos collègues Pierre Jarlier et François Zocchetto d'avoir pris l'initiative.