Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en dépit de la place croissante du droit dans notre société, il est étonnant de constater combien l'assurance de protection juridique est restée jusqu'à présent à l'écart de l'incessante évolution du code des assurances.
Les sept articles qui régissent la matière sont demeurés inchangés depuis dix-sept ans alors même qu'il est avéré qu'ils sont insuffisants.
La diffusion de l'assurance de protection juridique est pourtant soutenue. De fait, la demande potentielle est loin d'être comblée : de plus en plus de particuliers ont conscience que seule une connaissance éclairée de leurs droits permet des rapports équilibrés avec leur bailleur, leur banquier, voire leur assureur...
À ceux d'entre eux dont les revenus sont suffisants pour les exclure de l'aide juridictionnelle, mais que les frais d'un procès peuvent dissuader de faire valoir leurs droits en justice, l'assurance de protection juridique est particulièrement adaptée.
Ainsi, nos voisins belges ont défini avec les autorités publiques les caractéristiques types d'un contrat d'assurance. Celui-ci couvre la plupart des litiges de la vie courante que rencontrent les classes moyennes. Cette garantie leur est très adaptée et les professionnels du secteur s'accordent à dire que le marché est encore amené à progresser significativement.
La clientèle des particuliers n'est au surplus que l'un des éléments à prendre en compte. Le nombre d'entrepreneurs et de PME qui, faute de moyens suffisants pour disposer de leurs propres services juridiques, font appel à cette assurance ne cesse de croître.
Les règles actuelles du code des assurances résultent d'une directive européenne de 1987 qui permet aux législateurs nationaux d'en améliorer le régime en faveur des assurés. La transposition de cette directive en 1989 avait déjà représenté un net progrès en regard des règles alors applicables. Depuis lors, le développement de cette garantie a permis de révéler le caractère flou et laconique de certaines de ses dispositions.
Je souhaite pourtant rendre hommage dès à présent à ceux qui oeuvrent au succès de cette couverture.
Je pense d'abord aux assureurs, qui ont su faire évoluer leurs pratiques au cours de la décennie passée, et tout particulièrement dans les dernières années.
La concertation approfondie que la Chancellerie a engagée avec la profession, avec l'aide du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, a permis de révéler des améliorations possibles que les assureurs ont mises en oeuvre. Il s'agit notamment des engagements que la Fédération française des sociétés d'assurance a pris au mois de juin 2003, suivie par le Groupement des entreprises mutuelles d'assurance. Ces engagements ont permis d'apporter une clarification décisive aux contrats proposés. Ils témoignent également de l'attention que prête la profession aux observations des consommateurs et des pouvoirs publics.
Plus récemment, afin de contribuer à la réflexion entreprise sur la question au sein de la Chancellerie, les représentants de la profession ont demandé à M. Jean-Paul Bouquin de réaliser une étude approfondie sur les perspectives d'évolution de cette assurance. Ce travail a été utile à l'ensemble des pouvoirs publics, puisqu'il a notamment permis de chasser nombre d'idées reçues en la matière.
Parmi les professionnels qui ont permis de faire progresser cette garantie, je veux évoquer également les avocats. Je pense en particulier à la transparence et à la rigueur accrues concernant la fixation de leurs honoraires, dont la pratique a été consacrée par un décret de 2005 relatif aux règles déontologiques de la profession.
L'addition de l'ensemble de ces améliorations a permis, à législation constante, de modifier la pratique de l'assurance de protection juridique.
Les réunions de concertation qui se sont tenues ces dernières années à la Chancellerie se sont prolongées durant une année sous l'égide du Comité consultatif du secteur financier, que mon collègue Thierry Breton a opportunément saisi. C'est notamment dans son enceinte qu'a été pensée et précisée une procédure d'arbitrage particulièrement novatrice lorsqu'un désaccord survient entre l'assureur et son client sur l'opportunité d'engager une procédure judiciaire.
Si je ne peux que me réjouir des avancées évoquées, je dois aussi constater que la concertation a achoppé sur certains points essentiels. Nous sommes probablement arrivés à un stade où la mutation progressive de l'assurance de protection juridique appelle désormais une redéfinition de son assise juridique.
Les deux propositions de loi que MM. Jarlier et Zocchetto ont déposées sur le bureau de votre assemblée arrivent par conséquent à point nommé pour faire arriver à maturité ce produit d'assurance. Ces textes prennent en effet de manière efficace et concrète le relais des négociations que le Gouvernement avait entreprises pour conduire la réforme à son terme. Les ajouts que votre commission des lois y a apportés parachèvent ce travail et confèrent à l'assurance de protection juridique le cadre juridique clair qui lui manquait jusqu'à présent.
Un cadre juridique clair, c'est en premier lieu une définition précise des conditions dans lesquelles l'assureur doit donner sa garantie. La commission des clauses abusives a dénoncé en 2002 la latitude que s'accordent certains assureurs en refusant leur garantie au prétexte que l'assuré n'aurait pas déclaré à temps le litige.
Dès lors qu'il est loisible à l'assureur de faire remonter le litige suffisamment en amont de la déclaration de sinistre pour pouvoir prononcer une déchéance de garantie, l'assuré est placé dans une situation d'insécurité juridique à laquelle il faut remédier.
Il est en effet parfois difficile de caractériser le début d'un litige. En matière de trouble de voisinage, pour ne prendre que cet exemple, il est le plus souvent vain de préciser à quel stade le conflit est véritablement apparu. Votre proposition permet de fixer les parties sur ce point en adoptant comme définition du sinistre le refus qui est opposé à une réclamation dont l'assuré est l'auteur ou le destinataire.
Comme le relève justement la commission, ce dispositif préserve en outre pleinement les droits de l'assureur, dans la mesure où il permet au juge de relever la fraude dès lors qu'un assuré aurait souscrit une protection juridique pour un litige déjà en germe au moment de la souscription du contrat. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est très favorable à cette disposition.
Un cadre juridique clair, c'est également une définition sans ambiguïté des rôles de chacun. Il ne saurait être question de priver l'assureur de son rôle de conseil, y compris sur le plan juridique. Bon nombre de conflits sont en effet résolus grâce à l'intervention rapide de l'assureur et grâce à la compétence de ses services juridiques.
Il est cependant évident que cette assistance ne peut suffire lorsque l'adversaire de l'assuré est lui-même conseillé par un avocat.
Dans ce cas, un avocat doit prendre le relais de l'assureur. C'est une question d'égalité des armes, mais aussi, comme le relève la commission des lois, la garantie que les parties seront placées dans les conditions les plus propices à un accord. En effet, seuls les échanges entre avocats sont confidentiels, ce qui permet à chacun de faire les concessions nécessaires à une transaction.
Un cadre juridique clair, c'est encore l'affirmation du caractère libéral de la profession d'avocat. Qu'il soit rémunéré par un assureur, par l'État au titre de l'aide juridictionnelle ou par son client, l'avocat ne doit rendre compte qu'à ce dernier. Or il lui est difficile de tenir cette ligne de conduite lorsqu'il ne négocie ses honoraires qu'avec l'assureur, comme c'est le cas actuellement pour les avocats dont on dit qu'ils sont dans le « réseau » d'une compagnie d'assurances. Il s'instaure dans ce cas un quasi-salariat qui donne une place prépondérante à l'assureur, alors que l'avocat devrait uniquement se soucier des intérêts de son client.
Chacun le mesure : la défense qui convient à l'assureur n'est pas nécessairement celle qui est la plus adaptée à l'assuré. Le premier veillera en effet à limiter les frais de procédure, les mesures d'expertise et l'exercice des voies de recours, tandis que le second voudra, très légitimement, employer tous les moyens légaux pour faire valoir ses droits.
Bref, il faut en revenir à l'esprit de la directive de 1987, dont l'axe cardinal est l'indépendance de l'avocat. Cette indépendance se traduit par un libre choix effectif du conseil, ce qui n'a été jusqu'à présent, en pratique, qu'un voeu pieux.
Le texte proposé s'inscrit à cet égard dans la pleine réalisation de nos engagements communautaires.
Après ces nécessaires clarifications, la commission des lois propose de consacrer la subsidiarité de l'aide juridictionnelle à l'égard de l'assurance de protection juridique. Je suis tout à fait favorable à cette disposition.
Comme vous le soulignez, ce principe n'est pas inédit en droit interne, puisqu'il a été inscrit dans le dispositif de l'aide juridictionnelle par la loi du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire, dans le cadre de litiges transfrontaliers civils ou commerciaux.
La France s'aligne ainsi sur un dispositif déjà pratiqué par nombre de ses voisins européens, qui permettra de réserver le bénéfice de l'aide juridictionnelle à des personnes dépourvues de tout moyen ou soutien financier.
Dans un contexte d'accroissement sans précédent du budget de l'aide juridictionnelle depuis 2000, l'assurance de protection juridique est appelée à jouer un rôle complémentaire.
Pour prendre un exemple, le contentieux des baux d'habitation et professionnels a été à l'origine de plus de onze mille décisions d'admission à l'aide juridictionnelle en 2004. Or la plupart de ces contentieux auraient pu être pris en charge par la protection juridique, qui est le plus souvent attachée à l'assurance multirisque habitation.
Le texte qui est aujourd'hui proposé permet d'engager, de manière équilibrée et réfléchie, l'assurance de protection juridique dans une nouvelle phase. Je suis particulièrement sensible à l'amélioration de l'accès au droit et à la défense de qualité qu'il va permettre.
Je ne doute pas qu'il contribuera également à favoriser la transaction par rapport au contentieux, à clarifier les droits de l'assuré et à réduire la pression particulière qui s'exerce sur le budget de l'aide juridictionnelle.
Pour l'ensemble de ces raisons, le texte fait l'objet d'une pleine adhésion du Gouvernement, au nom duquel je tiens à saluer MM. Jarlier et Zocchetto pour l'initiative qu'ils ont prise en déposant leurs propositions de loi. Je veux aussi remercier votre rapporteur, M. Détraigne., car les auditions qu'il a organisées et l'attention dont il a fait preuve ont permis à la commission des lois d'apporter aux questions posées les solutions les plus adaptées.
Au terme de mon exposé, je souhaite préciser que quatre amendements relatifs à l'aide juridictionnelle sont soumis par le Gouvernement à l'approbation de votre assemblée.
Il s'agit d'abord de ratifier l'ordonnance du 8 décembre 2005 modifiant la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, qui permet, d'une part, de ne pas tenir compte, lors d'une demande d'aide juridictionnelle, des ressources des parents du mineur poursuivi pénalement lorsque ces derniers manifestent un défaut d'intérêt à son égard, et, d'autre part, de simplifier la procédure de recouvrement des honoraires mis à la charge de la partie perdante par le juge au profit de l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale.
Il s'agit ensuite d'organiser la centralisation devant les cours d'appel des recours contre les décisions des bureaux d'aide juridictionnelle, ce qui permettra d'harmoniser la jurisprudence en la matière ; cette mesure est très attendue.
Il s'agit encore de permettre la rétribution, au titre de l'aide juridictionnelle, d'une nouvelle mission non indemnisée jusqu'alors : l'assistance par un avocat d'une personne détenue faisant l'objet soit d'une procédure de placement à l'isolement d'office, soit, à sa demande, d'une mesure de levée d'un placement à l'isolement.
Il s'agit enfin d'étendre aux personnes contestant une mesure de refus de titre de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire français, créée par la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, la possibilité de bénéficier de l'aide juridictionnelle, sans condition de résidence habituelle et régulière sur le territoire national. Cette dernière condition n'est pas exigée des personnes exerçant un recours contre un arrêté de reconduite à la frontière.
Ces amendements compléteront utilement le dispositif actuel de l'aide juridictionnelle dans le sens d'une plus grande simplification de la procédure, d'une harmonisation des décisions et d'un renforcement de l'accès au droit des personnes les plus démunies.