Cet article 1er signe la disparition du RMI et illustre la philosophie qui est celle du RSA.
Nous savons à quel point le déficit d’accompagnement a constitué, dans le cas du RMI, le principal frein à l’insertion des publics éloignés de l’emploi.
Or, c’est précisément la question de l’accompagnement qui est la grande absente du RSA, alors même que les expérimentations, dont les résultats sont censés éteindre toute velléité de critique ou de contestation, ont toutes mis l’accent sur le suivi et l’accompagnement social comme facteurs de réussite.
Pourquoi mettre en avant des expérimentations en occultant les conditions qui en ont fait le succès ? Le contrat unique qu’est le RSA suppose du sur-mesure, d’où l’importance des moyens mis en œuvre dans les sites-pilotes. Pourquoi ne pas en tirer les conclusions qui s’imposent ?
Dans l’Eure, par exemple, l’expérimentation s’est appuyée sur la création d’une plate-forme unique et transversale prenant en charge toutes les problématiques posées par les bénéficiaires du RSA : santé, formation, logement, transport ou encore garde d’enfant. Chaque démarche a été adaptée à la situation du bénéficiaire.
Le conseil général de l’Eure évalue ainsi à vingt-cinq équivalents temps plein l’effort nécessaire en termes de personnel pour que la généralisation du RSA puisse donner de tels résultats. Si les besoins sont de cet ordre dans un département comme l’Eure, imaginez le coût de la généralisation du dispositif en Seine-Saint-Denis ou encore dans le Val-d’Oise !
En ce qui concerne la proposition de reporter une partie de cette charge en comptant sur la mobilisation du nouveau service public de l’emploi, la suggestion est pour le moins optimiste. Elle feint surtout d’oublier qu’en France le ratio entre agents et demandeurs d’emploi est déjà largement en dessous de la moyenne européenne.
Vous avez fait le choix de n’accorder aucun moyen supplémentaire pour l’accompagnement. Sans financement adéquat, vous demandez aux départements de faire avec le RSA ce qu’ils n’ont pu accomplir en vingt ans avec le RMI. Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, l’insertion risque d’être à nouveau l’angle mort du présent dispositif.
Or, sans accompagnement, il ne reste du RSA qu’une allocation différentielle liée à la reprise d’activité. L’initiative est utile sans doute car, lorsqu’on n’a rien – ou si peu –, un peu plus que rien, c’est toujours précieux !
Mais c’est une initiative dont les effets pervers sont bien réels. Votre texte ne s’appliquera pas hors de tout contexte. Il s’inscrit dans une politique gouvernementale qui réduit les droits et les protections des salariés comme peau de chagrin, tandis que la crise, avec son cortège habituel – chômage et destructions d’emploi – pèsera sur les niveaux de salaires, la qualité des emplois et les conditions de travail des salariés.
Dans un pays où le travail ne paie plus, où les gens peinent à vivre de leur salaire, votre gouvernement choisit de faire financer le coût social de la dérégulation par la collectivité, au lieu de remettre en cause la politique salariale des entreprises.
En mettant le couvercle sur les revendications salariales, en subventionnant le travail à temps partiel et les petits boulots, le RSA va constituer un formidable effet d’aubaine pour les entreprises et entretenir la pression à la baisse sur les salaires, avec la bonne conscience en plus.
Couplé à la loi sur les offres raisonnables d’emploi, il dépouille à terme le salarié de toute prise sur ses conditions de travail et sa rémunération.
Avec le RSA, on acte le fait que l’accès au travail ne garantit plus l’autonomie de la personne. C’est aller à rebours de tout le processus de construction de notre protection sociale. En effet, le choix de mettre en place une indemnisation du chômage visait à construire des digues pour éviter l’institutionnalisation d’un travail émietté et permettre ainsi au travailleur de n’accepter d’emploi que décent, c’est-à-dire lui permettant d’assurer son autonomie.
« Mieux vaut être chômeur que travailleur pauvre », pensait Beveridge, constatant à quel point l’économie du xixe siècle se satisfaisait du sous-emploi chronique, de l’émiettement du travail et de salaires indignes. C’est la révolte des ouvriers face à des conditions de vie inhumaines, puis l’instauration d’allocations chômage, qui ont conduit le monde du travail à fonctionner autrement.
Or un siècle plus tard, avec le RSA, mieux vaut être travailleur pauvre que chômeur… Est-ce vraiment un progrès ? Est-ce vraiment redonner sa valeur au travail que de l’accepter sous-payé, sans perspective et contraint ?
C’est parce que ces interrogations ne peuvent pas être si aisément balayées que nous ne voterons pas cet article.