Intervention de Dominique de Legge

Réunion du 15 septembre 2010 à 14h30
Lutte contre l'absentéisme scolaire — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge :

De fait, il n’est pas aisé pour l’éducation nationale d’être totalement transparente en matière d’absentéisme. D’une part, parce que le phénomène signe un aveu d’échec ; d’autre part, parce que le signalement de l’absentéisme donnant lieu à des sanctions pour les familles n’est pas de nature à conforter les relations de dialogue et de confiance qui devraient naturellement unir parents et enseignants autour de l’enfant.

En conséquence, la notion d’absentéisme scolaire est aussi difficile à évaluer qu’à sanctionner, alors même que l’on sait ce phénomène en secrète mais constante et inquiétante progression.

Deuxième observation : l’absentéisme révèle une forme d’échec familial plus large, qui va bien au-delà de l’élève et de son rapport au savoir et à l’institution scolaire. Il est souvent causé par des carences d’éducation, qui signent une véritable dislocation de la cellule familiale. Un enfant ne « sèche » pas l’école par hasard ; le phénomène traduit souvent un comportement général et un environnement néfastes, propices à sa marginalisation sociale.

Or, si l’école est le lieu d’insertion par excellence, où l’élève peut se révéler et s’épanouir, elle n’a pas vocation à restaurer une structure familiale en péril. C’est pourquoi je regrette qu’à la faveur des lois de décentralisation la logique concernant les collèges et l’action sociale n’ait pas été menée à son terme et que l’on n’ait pas transféré au département la responsabilité des assistantes sociales en milieu scolaire, alors même que le département est une collectivité à vocation sociale.

On déplore aujourd’hui un émiettement des services d’assistantes sociales, avec, d’un côté, les assistantes scolaires qui relèvent de l’éducation nationale, de l’autre, les assistantes sociales relevant du conseil général, elles-mêmes organisées en plusieurs secteurs : le service social familial, le service d’aide sociale à l’enfance, et celui de la protection maternelle et infantile, ou encore les services sociaux communaux ou spécialisés. Dans ce maquis administratif, il est difficile d’identifier les responsabilités et les compétences. Il est, surtout, difficile d’agir de manière efficace pour les familles.

Ces dernières ont besoin d’avoir affaire à un interlocuteur unique. Elles sont donc les premières victimes de cette situation. Au mieux, elles ne s’y retrouvent pas, et l’action publique est illisible. Au pire, elles se jouent des contradictions du système.

Troisième observation : le dispositif mis en place par la loi de 2006 allait intellectuellement dans le bon sens. L’inspecteur d’académie signalait les cas d’absentéisme, et donc les familles concernées, non plus à la CAF, mais au président du conseil général. Il en est de même de la loi de 2007 sur la protection de l’enfance, qui prévoit la mise en place d’une cellule unique de signalement sous l’autorité du président du conseil général.

L’objectif louable de ce système visait à remédier au problème de la multiplicité des travailleurs sociaux et à replacer l’absentéisme dans un cadre plus large, celui de l’action sociale et de la politique familiale.

Hélas ! le dispositif n’a pas fonctionné. Il y a à cela deux raisons : d’une part, les conseils généraux, à quelques exceptions près, ne se sont pas approprié le nouveau dispositif ; d’autre part, l’éducation nationale a sans doute eu le sentiment d’être dépossédée de la gestion de l’absentéisme et craint de ne plus maîtriser les conséquences de son signalement. La présente proposition de loi ne fait, en conséquence, que revenir au système antérieur à celui qui avait été mis en place en 2006.

Quatrième observation : la suppression des allocations familiales, dont l’objectif est de sanctionner financièrement les familles, reste largement théorique. Au titre de la protection de l’enfance, les conseils généraux peuvent et doivent verser des secours dès lors que la sécurité matérielle et morale de l’enfant est menacée. Et je vois mal les centres communaux d’action sociale ignorer les situations les plus difficiles.

Cinquième et dernière observation : je ne saurais trop insister sur l’instabilité juridique néfaste qu’engendrent la succession et l’empilement des dispositifs législatifs destinés à régler le sujet récurrent de l’absentéisme scolaire.

Citons les principaux : la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance supprime la suspension des prestations familiales en cas d’absentéisme scolaire. Deux ans plus tard, la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances désigne le président du conseil général comme acteur de l’absentéisme scolaire : c’est lui qui saisit le directeur de la CAF pour suspendre les allocations familiales des familles d’enfants absentéistes. Enfin, le 5 mars 2007, c’est le maire qui devient le pivot de cette politique de prévention avec la création du conseil des droits et devoirs des familles. Aujourd’hui, avec l’intervention de l’inspecteur d’académie et du directeur de la CAF, la proposition de loi vise à revenir au système antérieur à 2004.

Comment croire à une possible efficacité du système et à une confiance renforcée entre les adultes responsables de l’encadrement de l’enfant devant toutes ces volte-face ? À l’évidence, une telle instabilité juridique place l’éducation nationale en position difficile.

Il ne peut y avoir de solution simple et uniforme. Mais je crois qu’il faut, préalable indispensable, revenir aux fondements de l’obligation scolaire et supprimer les fameuses quatre demi-journées d’absence tolérées, sans aucune justification, instaurées en 1882 par la loi Jules Ferry, et devenues largement obsolètes.

En conclusion, je souhaite replacer ce débat dans une perspective globale. Introduire la suppression des allocations familiales, c’est reconnaître la tâche éducative des familles. Il n’est pas choquant, à mes yeux, de les sanctionner sur le plan financier dès lors que l’absence de coopération est manifeste, d’autant plus que le système proposé est volontairement progressif et fait appel à la responsabilité naturelle des parents. Il tend à rétablir un juste équilibre entre les droits et les devoirs de ces parents. C’est pourquoi il n’y a pas lieu de s’agiter ni de s’indigner faussement sur des mesures qui, si elles ne datent pas d’aujourd’hui, n’ont rien de rétrograde, mais sont tout simplement réalistes.

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