Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 29 avril 2010 à 9h00
Garde à vue — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en guise d’introduction, je souhaite citer la phrase suivante du Président de la République relative aux avocats : « Parce qu’ils sont auxiliaires de justice et qu’ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure. Il ne le faut pas parce qu’elle est, bien sûr, une garantie pour leurs clients mais elle est aussi une garantie pour les enquêteurs qui ont tout à gagner d’un processus consacré par le principe du contradictoire. »

Je vous laisse méditer ces propos, auxquels, une fois n’est pas coutume, nous souscrivons parfaitement.

Depuis plusieurs mois, la question de la garde à vue n’a cessé d’être au cœur de l’actualité tant judiciaire que parlementaire, puisque pas moins de six propositions de loi ont été déposées sur ce sujet. Elles ont toutes en commun la volonté de modifier, à des degrés variés, les conditions de mise en œuvre de la garde à vue en France, ce qui permettrait peut-être de garantir un peu plus de sécurité et d’éviter les dérives auxquelles nous avons pu assister récemment

La raison de cet engouement réside dans un fait aujourd’hui devenu vérité : le système de garde à vue doit être aligné sur la Convention européenne des droits de l’homme.

Pour notre part, nous avions choisi d’aborder cette réforme sous un angle maximaliste : la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue est une nécessité, mais cette exigence nous a paru insuffisante. Nous avons donc opté pour une réforme globale de la garde à vue, qualifiée d’ailleurs de « radicale » par M. le rapporteur, François Zocchetto.

Cette radicalité, nous l’assumons, monsieur le rapporteur. Elle est réaliste, puisque le modèle de garde à vue que nous proposons s’inspire directement des standards en vigueur dans d’autres pays européens. À notre avis, ce n’est pas notre proposition de loi qui est radicale ; c’est le système français qui est rétrograde. Nous devons donc totalement le modifier.

Le présent texte est une contribution modeste tendant à faire évoluer le droit français vers une prise en compte accrue du droit européen.

Mais nous avons également souhaité mieux encadrer la garde à vue afin de mettre un terme à une dérive que vous avez vous-même constatée : le nombre de gardes à vue prononcées actuellement est bien trop élevé alors qu’elles ne sont pas toujours nécessaires à la manifestation de la vérité ou à l’enquête.

Les auteurs de la présente proposition de loi, qui s’articule autour de huit principes, poursuivent plusieurs objectifs : humaniser les gardes à vue, mettre un terme à l’utilisation abusive de cette procédure et permettre au gardé à vue de bénéficier de tous les droits de la défense, y compris celui de se faire assister par un avocat dès le début de la garde à vue et durant les interrogatoires.

J’évoquerai tout d’abord l’utilisation abusive de la garde à vue. Supposée être une mesure grave, cette procédure est devenue un outil de gestion sécuritaire qui alimente, de manière artificielle, les statistiques de performance des activités de la police. C’est pourquoi nous vous proposons de la limiter aux infractions punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement.

Cette limitation n’empêchera pas la garde à vue pour les autres infractions, mais celle-ci sera soumise à un régime d’autorisation du parquet, ce dernier devant s’assurer de la nécessité de cette procédure.

Le deuxième principe qui sous-tend cette proposition de loi consiste à garantir au gardé à vue le droit de garder le silence en l’absence de son avocat.

Il s’agit de mettre un terme à la culture de l’aveu, permettant aujourd’hui de « cuisiner » les suspects en violation du droit du gardé à vue et de faire bénéficier celui-ci d’une notification formelle de son droit de se taire. Ainsi, il est prévu que devra figurer parmi les droits notifiés au gardé à vue – examen médical, appel d’un proche – celui de garder le silence avant d’avoir pu s’entretenir avec son avocat.

Il s’agit ensuite de permettre la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue, quelle que soit l’infraction.

Nous souhaitons mettre un terme à la variété des régimes d’intervention de l’avocat, qui est présent dès le début de la garde à vue dans le droit commun, mais n’intervient qu’à la quarante-huitième ou la soixante-douzième heure dans certains cas, comme dans la lutte contre la criminalité organisée, les stupéfiants ou encore le terrorisme.

Nous souhaitons ensuite rendre effectif le droit du gardé à vue de s’entretenir avec son avocat.

Aujourd’hui, cet entretien ne dure que trente minutes ; par conséquent, il s’assimile plus à une « visite de courtoisie » qu’à une réelle prise en compte de la situation de la personne gardée à vue. La présente proposition de loi entend porter ce délai à deux heures, permettant ainsi à l’avocat de prendre toute la mesure des faits reprochés à son client et, éventuellement, de mieux préparer sa défense.

Nous souhaitons également permettre à l’avocat d’accéder au dossier pénal. Cette exigence est fondamentale : l’avocat doit pouvoir disposer du procès-verbal d’interpellation, afin de prendre la mesure des faits qui sont reprochés à son client. Il n’est pas question de permettre à l’avocat d’accéder aux procès-verbaux des diligences en cours : il s’agit simplement de lui assurer l’accès au certificat médical de son client, ainsi qu’au procès-verbal d’interpellation.

À titre exceptionnel, cette possibilité pourra même être limitée par décision du procureur de la République si cette limitation est motivée par des raisons impérieuses.

Par ailleurs, le droit à un procès équitable commande que l’avocat puisse assister aux interrogatoires de son client et qu’aucun interrogatoire ne puisse être conduit sans qu’il ait été mis en mesure d’y assister.

Enfin, la proposition de loi entend rendre obligatoire l’examen médical du mineur placé en garde à vue ainsi que la présence de l’avocat.

Aujourd’hui, l’intervention du médecin lors de la garde à vue d’un mineur relève de régimes variés selon l’âge de ce mineur. Si cet examen est obligatoire lorsque le mineur est âgé de 13 à 16 ans, il est en revanche facultatif pour les mineurs âgés d’au moins 16 ans. Il est proposé de le rendre obligatoire pour tout mineur dès le début de la garde à vue et en cas de prolongation de cette dernière.

Le régime actuel prévoit également que l’intervention de l’avocat est facultative pour les mineurs et soumise à la décision des représentants légaux des intéressés.

Nous proposons de rendre cette présence automatique dès lors qu’un mineur est placé en garde à vue.

Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes tous d’accord sur le constat : il convient de réformer la garde à vue. Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, l’a elle-même déclaré dans cet hémicycle.

En revanche, nous ne sommes pas d’accord sur la méthode : vous souhaitez, tout comme le rapporteur de cette proposition de loi, attendre la réforme globale de la procédure pénale, tandis que nous souhaitons une réforme immédiate.

Je ne reviendrai pas sur le projet de réforme de la procédure pénale. L’ayant déjà plus ou moins abordée, je me contenterai de faire deux séries de commentaires.

La première a trait à la forme. Pourquoi, si nous devons attendre une réforme globale de la procédure pénale, la majorité a-t-elle adopté récemment une proposition de loi sur la publicité devant les juridictions pour mineurs ?

Pourquoi, s’il faut attendre une réforme globale de la procédure pénale, le Gouvernement a-t-il déposé, sous la responsabilité de Mme la ministre d’État, le 3 mars dernier, un projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, qui ne comporte pas moins de trente modifications du code de procédure pénale, y compris des procédures comme celles de l’ordonnance pénale ?

Le Gouvernement veut nous imposer une méthode qu’il ne respecte pas lui-même ! Il est difficile de ne pas être surpris : d’un côté on nous dit d’attendre une réforme globale de la procédure pénale, et, de l’autre, le Gouvernement modifie, par petites touches, le code de procédure pénale par ci par là.

Il y a là une contradiction évidente. J’attends votre réponse sur ces interrogations, monsieur le secrétaire d’État.

Par ailleurs, en dépit des garanties que vous nous apporterez dans quelques minutes, nous avons toutes les raisons d’être sceptiques quant à l’aboutissement de ce grand projet de réforme.

La première raison est simple : l’agenda parlementaire est lourd. Les réformes d’envergure vont se succéder ces prochains mois, notamment celle des retraites, et l’on voit mal comment et quand une fenêtre pourra s’ouvrir pour offrir l’occasion d’un examen de ce texte.

La deuxième raison est liée à la concertation autour du texte que vous nous proposez. Vous le savez, la Cour de cassation elle-même a émis des réserves importantes, sans parler des professionnels du droit, notamment les avocats, qui sont vent debout contre cette réforme, qu’ils considèrent comme insuffisante, en particulier dans le volet sur la garde à vue.

Face au doute, à l’embarras, aux consultations réelles ou supposées, aux réticences et, finalement, à l’inaction du Gouvernement, nous préférons l’action d’un Parlement fort, protecteur des libertés individuelles et conscient de la nécessité urgente d’une réforme rapide.

Le président de la commission des lois lui-même a évoqué la possibilité, pour le Sénat, de se saisir de cette question en cas de carence du Gouvernement. Monsieur le président de la commission, aujourd’hui, cette carence est consommée, tous les projets ont été repoussés. Il est temps de prendre les devants !

Notre démarche est inspirée par une réelle volonté de changer l’état de notre droit. Vous le savez bien, il ne s’agit pas d’un gadget juridique ni même d’une ligne rédigée à la va-vite pour surfer sur une actualité.

Il s’agit d’un projet mûri, pour lequel de nombreux acteurs du monde judiciaire ont été auditionnés : des avocats, des magistrats, y compris des procureurs.

Nous avons donc décidé d’agir, sans attendre une hypothétique réforme, dont le contenu, d’ailleurs – je regrette de vous le dire une fois de plus –, n’est pas à la hauteur de ce que l’on peut attendre.

Cela m’amène, en second lieu, à évoquer le fond de la réforme projetée, en particulier les dispositions concernant la garde à vue.

J’ai déjà eu l’occasion, devant Mme la garde des sceaux, de livrer ici quelques réflexions sur l’insuffisance des dispositions relatives à la garde à vue.

Je ne conteste pas les nombreuses avancées, notamment en ce qui concerne le régime de droit commun de la garde à vue. À l’entretien classique d’une demi-heure, déjà prévu par le droit actuel au début et en cas de renouvellement de la garde à vue, vous ajoutez la possibilité pour l’avocat de s’entretenir avec son client au bout de la douzième heure, conformément d’ailleurs aux préconisations du rapport du comité de réflexion sur la justice pénale, présidé par M. Philippe Léger.

L’avocat pourra également recevoir copie des procès-verbaux des auditions effectuées au cours des vingt-quatre premières heures, et, si la mesure de garde à vue est renouvelée, il pourra assister, au bout de ces vingt-quatre heures, à toutes les auditions suivantes.

En revanche, en ce qui concerne les régimes de garde à vue relatifs aux crimes en bande organisée, aux stupéfiants et au terrorisme, les plus contestables au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, aucune réflexion n’a été menée et aucune proposition n’a été encore formulée.

L’avocat continuera à n’intervenir qu’à la quarante-huitième heure pour les crimes en bande organisée et à la soixante-douzième heure en matière de terrorisme, la seule différence notable étant une intervention moins tardive en matière de stupéfiants, puisque nous passons de soixante-douze à quarante-huit heures.

Nous sommes là au cœur d’un problème. Que le terrorisme bénéficie d’un régime spécifique, c’est nécessaire, nous en convenons. Cependant, nous continuons à penser qu’un régime spécifique ne doit pas conduire à exclure le respect d’une garantie essentielle : la présence de l’avocat dès la première heure.

Il s’agit en effet d’une garantie importante pour les libertés et pour notre démocratie. Une telle avancée constituerait, à n’en pas douter, une véritable révolution juridique. Ce n’est qu’à ce seul prix que la France disposera d’un véritable habeas corpus à la française.

Cette révolution juridique est au cœur de notre proposition de loi. C’est aussi la raison pour laquelle nous vous invitons, chers collègues, à faire preuve de courage politique en adoptant aujourd’hui cette proposition de loi. Comme je l’ai dit à M. le président de la commission, il est urgent de remédier à cette carence au plus vite, pour la garantie des droits dans notre pays.

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