Cette qualification a été assez étendue par les dernières dispositions législatives, et la notion de « bande organisée » permet de couvrir beaucoup d’infractions. Il faudra peut-être s’interroger sur les distinctions entre la traite des êtres humains, le proxénétisme, le trafic de stupéfiants, surtout lorsqu’il est pratiqué en récidive, et d’autres infractions qui, sans être mineures sont néanmoins d’un autre ordre.
Cela dit, dans votre proposition de loi, vous prévoyez un dispositif plus radical pour toute la criminalité organisée. En l’état actuel de notre réflexion, je ne peux pas y adhérer.
Ces propositions vont beaucoup plus loin que la proposition de loi présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs membres du RDSE. À l’issue de ce débat, nous avions décidé de voter une motion de renvoi en commission, ce que je vous proposerai à nouveau ce matin.
En effet, nous avons estimé que le texte proposé soulevait des questions délicates sur lesquelles nous devions encore approfondir notre réflexion en commission avant de proposer un texte convenable au Sénat.
Par ailleurs, cette réforme de la garde à vue peut difficilement être appréhendée indépendamment de la réforme de la procédure pénale annoncée par le Gouvernement.
Je citerai un exemple des difficultés que nous avons à surmonter en évoquant l’arrêt Medvedyev du 29 mars dernier de la Cour européenne des droits de l’homme.
Aujourd’hui, le procureur est informé lorsqu’une mesure de garde à vue a été décidée par un officier de police judiciaire. En cas de prolongation, il donne son autorisation. La procédure de garde à vue est donc placée sous le contrôle d’un membre du parquet, le procureur de la République, en l’espèce. Comme le prévoient certaines propositions de loi, il serait même possible de demander l’autorisation du procureur dès le début de la garde à vue et pas seulement en cas de prolongation.
Toutefois, mes chers collègues, lisez le récent arrêt Medvedyev c/France qui, certes, ne conteste pas le statut du parquet français – au contraire, il en prend acte –, mais qui pose que le procureur de la République ne peut réaliser un certain nombre de procédures, notamment s'agissant des mesures privatives de liberté individuelle. Or la garde à vue entre bien dans cette catégorie. À l’heure actuelle, je suis donc de moins en moins convaincu – je ne le suis même plus du tout ! – que le procureur de la République puisse être l’autorité qui, en France, contrôle la garde à vue.
La réforme de la procédure pénale vise à instituer un juge de l’enquête et des libertés, qui serait chargé de contrôler un certain nombre de dispositions attentatoires aux libertés. Il s'agit là, sans doute, d’une piste pour améliorer notre garde à vue. Madame Boumediene-Thiery, sur ce point déjà, votre proposition de loi ne me semble pas compatible avec l’arrêt Medvedyev…
Il nous reste à étudier plusieurs problèmes, sans d'ailleurs que la liste que je vais dresser soit limitative.
Premièrement, l’avocat doit-il être présent dès le début de la garde à vue ? Doit-il apporter son assistance à son client, au-delà de l’entretien de trente minutes ? Chacun convient que ce dernier est souvent très formel, la personne mise en cause ignorant, tout comme son avocat, pourquoi elle se trouve retenue dans les locaux de la police ou de la gendarmerie.
Deuxièmement, nous devons nous interroger sur la faisabilité de cette réforme eu égard à l’organisation de la profession d’avocat.
Les avocats, du moins la majorité d’entre eux, semble-t-il, réclament une réforme qui leur permettrait d’assister plus rapidement et plus nettement leurs clients. Fort bien ! Toutefois, la profession doit aujourd'hui faire face à ses responsabilités. Elle doit se donner les moyens de répondre à la demande qui s’exprimera.
Ainsi, d’un point de vue pratique, les avocats pourront-ils – pour reprendre l’exemple qui est toujours cité – parcourir quatre-vingts kilomètres, en pleine nuit pour aller assister, à l’autre bout du département, une personne qui, parfois, n’est pas très éveillée ? Il faut savoir en effet – c’est là un autre problème auquel nous sommes confrontés – que certaines personnes sont mises en garde à vue uniquement parce que cette procédure est utilisée comme mesure de dégrisement, dès lors qu’il n’existe aucune autre solution juridique dans un tel cas de figure.
Cette réforme suppose également que la profession d’avocat organise un système de permanences. Si celles-ci, comme on peut facilement l’imaginer, ne sont pas assurées par les avocats les plus expérimentés, il faudra prévoir des actions de tutorat et d’encadrement. Enfin, ce travail devra bien entendu être rémunéré, ce qui pose la question de l’aide juridictionnelle.
Troisièmement, la réforme de la garde à vue oblige à réfléchir aux régimes dérogatoires. Je ne reviendrai pas sur cette question, car nous en avons déjà discuté tout à l'heure, mais il faudra approfondir le débat sur ce point.
Sur toutes ces questions, le Gouvernement a formulé des propositions. Il ne me revient pas de les présenter, mais je suis tout de même obligé d’en tenir compte. Comme M. le secrétaire d'État nous le rappellera sans doute tout à l’heure, Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué à deux reprises à cette tribune que l’avant-projet de loi prévoyait d'ores et déjà de limiter les gardes à vue aux strictes nécessités de l’enquête.
Sur ce point, j’observe d'ailleurs que la police nationale a récemment été destinataire d’une circulaire me laissant à penser que les chiffres des gardes à vue connaîtront un infléchissement dans les mois à venir…