L’avant-projet de loi précise déjà que l’aveu recueilli en garde à vue hors de la présence de l’avocat ne peut fonder à lui seul une condamnation, ce qui constitue tout de même une avancée importante par rapport à la situation actuelle. Il serait possible de prévoir en outre un meilleur encadrement de certaines pratiques ; c’est le cas, notamment, des fouilles, dont l’usage devra être limité et précisé.
En un mot, mesdames, messieurs les sénateurs, l’objectif que Mme le garde des sceaux et moi-même visons est de parvenir, avec les parlementaires et l’ensemble des acteurs concernés, à une réforme qui soit la plus cohérente possible.
En effet, quitte à mener une grande réforme, autant tenir compte de toutes les attentes, difficultés et manques qui ont été constatés, afin qu’elle soit faite pour longtemps.
Dans cette perspective, il ne nous paraît pas souhaitable d’isoler la question de la présence de l’avocat des autres aspects de la réforme de la garde à vue, sans même évoquer les difficultés pratiques qui sont liées au texte de la présente proposition de loi, pour lequel nous ne disposons d’aucune évaluation.
Par ailleurs, l’évolution de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue doit prendre en compte les nécessités de l’enquête. Il faut permettre aux services de police ou de gendarmerie d’entendre directement une personne afin d’obtenir les informations indispensables à leurs investigations.
Or, comme M. le rapporteur l’a souligné, l’application systématique de la règle prévue par la proposition de loi serait, dans un certain nombre de cas, incompatible avec les exigences de sécurité inhérentes à ce type de procédure. Je pense moi aussi à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. En la matière, le régime de la garde à vue ne peut pas être celui du droit commun.
Je tiens également à évoquer les difficultés qui peuvent être liées à l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue.
Que faire si l’avocat ne se présente pas ? Toute investigation devra-t-elle être bloquée, en attendant qu’il se présente au commissariat ? Dans des cas comme les enlèvements et les séquestrations, nous le savons, chaque minute compte pour protéger la victime.
Que faire si l’avocat ne se présente pas au bout de vingt-quatre heures ? L’hypothèse d’une prolongation de la garde à vue paraît peu compatible avec le respect des droits de la défense.
Que faire si l’avocat ne se présente jamais ?
Monsieur le rapporteur, vous y avez fait allusion, la question de la présence renforcée de l’avocat – nous sommes tous d’accord pour reconnaître que cette présence devra être améliorée – pose celle du financement de l’aide juridictionnelle.
Dans le cadre de la concertation qui est engagée, nous menons, avec Mme le garde des sceaux, une réflexion à ce sujet. D’excellents rapports parlementaires ont d’ailleurs été rendus, tel le rapport d’information de M. Roland du Luart. De nombreuses et intéressantes idées sont avancées. À nous de déterminer celles qui sont aujourd'hui les plus adaptées et les plus à même d’être mises en œuvre, car un financement uniquement budgétaire n’est pas la solution. Nous le voyons bien, nous sommes arrivés à la limite de l’exercice.
C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la réflexion sur le financement de l’aide juridictionnelle, il nous faut formuler des propositions nouvelles. C’est ce que nous faisons, avec le souci de nous inscrire dans le calendrier que vous avez esquissé tout à l’heure, monsieur le rapporteur, en souhaitant comme vous qu’il soit confirmé. Nous y travaillons en tout cas, de manière que la question du financement de l’aide juridictionnelle ne soit pas dissociée de celle de la réforme de la garde à vue. Tout cela nécessite encore du temps, pour que les meilleures décisions soient prises.
En tout état de cause, le régime juridique que prévoit cette proposition de loi est trop rigide et semble inadapté à certaines procédures indispensables à la manifestation de la vérité. Je pense à certaines confrontations, notamment en matière d’inceste, où la confrontation immédiate d’un suspect et de sa victime, lors de la garde à vue, peut être nécessaire, mais d’autres exemples peuvent être pris. Tout cela mérite donc encore réflexion et travail.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont, en complément des réserves avancées par M. le rapporteur, les principales difficultés qui me semblent surgir à l’examen de la proposition de loi.
Pour autant, je le répète, le ministère de la justice n’entend pas décider seul des orientations souhaitables dans ce domaine. La réforme de la procédure pénale ne saurait être le travail d’une administration, d’un ministre ou d’un gouvernement. Elle doit être l’œuvre du plus grand nombre, pour être, le moment venu, une réussite. Nous y travaillons avec des praticiens du droit, des universitaires, des parlementaires de toutes sensibilités. Notre méthode sera celle de l’écoute et du dialogue. Tel est mon état d’esprit aujourd'hui.