Examiner cette proposition de loi serait en outre d’autant plus opportun tant il est vrai que l’avant-projet du Gouvernement sur la réforme de la procédure pénale nourrit des inquiétudes croissantes et fait naître une contestation grandissante parmi de nombreux professionnels.
Des représentants des magistrats et des avocats ont préféré quitter la concertation, totalement faussée, que mène Mme le garde des sceaux, notamment parce qu’elle refuse toute discussion sur la suppression du juge d’instruction ou l’indépendance du parquet. Les hauts magistrats de la Cour de cassation ont émis sur le texte gouvernemental un avis défavorable, considérant qu’il « ne garantit pas suffisamment les équilibres institutionnels et l’exercice des droits de la défense et des victimes ». Concernant le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, ils estiment que le « contrôle de la garde à vue ne peut dépendre de l’autorité de poursuite ».
A été évoquée l’idée d’un texte spécifique sur la garde à vue. Depuis, Mme le garde des sceaux a indiqué qu’elle envisageait de scinder son avant-projet en deux parties qui seraient examinées en parallèle par l’Assemblée nationale et le Sénat, mais aucune date n’a été annoncée. Tout cela n’est vraiment pas clair ! Ce qui l’est, en revanche, c’est la nécessité, au vu de l’actualité, de ne pas attendre davantage pour légiférer sur la garde à vue.
Pour ce qui est des faits, il est urgent d’en finir avec des situations telles que celle que nous avons vécue à la fin du mois de mars dernier, quand trois lycéens marseillais ont été placés en garde à vue pendant plusieurs heures, fouillés au corps et menottés pour avoir insulté la fille d’une commandante de police.
Quant au nouvel arrêt Medvedyev c/France prononcé par la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, s’il fait certes l’objet d’interprétations diverses, voire divergentes, il ne paraît cependant pas infirmer le jugement rendu en première instance, puisqu’il rappelle qu’un « magistrat doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif », ce qui n’est évidemment pas le cas du procureur de la République.
C’est précisément pour cette raison de fond que nombre de professionnels sont fondamentalement opposés au projet de suppression du juge d’instruction.
Pour revenir à la proposition de loi présentée aujourd'hui par notre collègue et les membres du groupe socialiste, si je soutiens globalement les dispositions qui y sont inscrites, j’ai déposé trois amendements à mes yeux très importants, lesquels, je le répète, reprennent des propositions issues du texte que j’ai moi-même déposé.
Deux de ces amendements ont pour objet de restreindre le champ de la garde à vue.
Le premier vise à exclure les régimes dérogatoires pour terrorisme, association de malfaiteurs ou trafic de stupéfiants. J’ai entendu les différents points de vue qui se sont exprimés, mais il n’en demeure pas moins que l’extension continue des dérogations pose problème.
Le deuxième amendement, auquel je suis particulièrement attachée, tend à supprimer la garde à vue stricto sensu des mineurs.
Le fait de redonner du sens à la garde à vue et d’empêcher une constante augmentation par des lois toujours plus répressives comme par les pratiques en cours suppose inévitablement de restreindre son champ d’application.
Au travers du troisième amendement, je souhaite poser le principe du droit de la personne gardée à vue au respect de sa dignité et de la responsabilité de l’État en cas d’atteinte à cette dignité. Je note, sur ce point, que le directeur général de la police nationale, M. Frédéric Péchenard, a récemment souligné dans un entretien accordé à un journal qu’il n’était « pas hostile à ce que la loi interdise la fouille à corps », insistant sur le fait qu’il fallait que « ce soit la loi » qui fixe une telle interdiction. Effectivement, mes chers collègues, c’est à nous, législateurs, qu’il appartient de le décider. À mon sens, au-delà des citoyens eux-mêmes, les deux institutions policière et judiciaire ne pourraient que tirer bénéfice d’une telle disposition.
Une fois encore, je souhaite dire ici combien il me paraît indispensable de tenir bon sur les principes de la justice et du droit, de la justice et des droits, et de cesser de banaliser à tout propos leur non-respect, voire leur négation.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de renoncer à voter la motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi et de débattre des conditions de la garde à vue, en prenant nos responsabilités de législateurs !