Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le sujet abordé par cette proposition de loi portant réforme de la garde à vue me tient particulièrement à cœur parce qu’il touche aux droits les plus fondamentaux de la personne humaine.
À ce titre, ni les nécessités d’une enquête judiciaire ni les soupçons pesant sur une personne ne devraient permettre qu’on atteigne à sa dignité.
Puisque je m’exprime aussi en qualité de présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, je tiens à rappeler que, selon les chiffres annoncés, les femmes représentent 10 % des personnes gardées à vue ; elles sont 60 000 dans ce cas.
C'est la raison pour laquelle les membres de la délégation ont décidé l’an dernier, sur mon initiative, de consacrer une partie de leurs activités à la situation des femmes dans les lieux de privation de liberté. Pour forger notre conviction, nous avons auditionné de nombreux professionnels.
C’est ainsi que le directeur de l’administration pénitentiaire, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, de nombreux responsables d’associations et de commissions, dont la CIMADE, mais aussi des médecins, psychiatres et magistrats sont venus échanger leurs expériences et fournir des données chiffrées sur la réalité de la garde à vue en France.
Afin de nous rendre compte concrètement de la procédure et des conditions de placement, nous nous sommes déplacés dans différents centres de rétention, en particulier au dépôt et à la souricière du palais de justice de Paris.
Il ressort de ces entretiens et de ces déplacements un constat unanime.
Malgré une hygiène relativement mieux préservée dans les espaces qui leur sont réservés, « l’excès de zèle » dans les fouilles corporelles pratiquées sur les femmes, l’attente souvent longue, ainsi que les conditions d’hygiène et d’intimité rendent la garde à vue difficile à supporter pour elles. La situation des hommes n’est d’ailleurs pas plus enviable.
De manière plus générale, comme le reconnaissait lui-même le contrôleur général des lieux de privation de liberté, malgré des efforts de rénovation incontestables, « la plupart des lieux de garde à vue restent dans un état indigne pour les personnes qui y séjournent, qu’elles soient interpellées ou qu’elles y exercent leurs fonctions ».
Cette situation ne peut nous laisser indifférents et il semble nécessaire aujourd’hui de la faire évoluer.
Dans le rapport qu’elle a remis à l’issue de ses travaux, la délégation a par conséquent formulé des demandes urgentes et préconisé des recommandations, qui restent toujours d’actualité aujourd'hui.
Comme nous le demandons dans le rapport, les pouvoirs publics se doivent d’appliquer les recommandations formulées par le contrôleur général des lieux de privation de liberté et, en particulier – monsieur le secrétaire d'État, j’attire votre attention sur ce point –, de mettre un terme aux pratiques de retrait systématique du soutien-gorge et de la paire de lunettes de vue, qui portent atteinte à la dignité de la personne sans pouvoir être toujours justifiées par un impératif de sécurité.
Parmi les trente recommandations formulées, la délégation invite notamment les autorités responsables des lieux de privation de liberté à rechercher un juste équilibre entre les exigences légitimes de sécurité et le respect indispensable de la dignité des personnes détenues.
Nous avions été notamment frappés, voilà quelques mois, par l’exemple de cette femme placée en garde à vue, à Tarbes, le lendemain d’une fausse couche à l’hôpital.
À ce titre, la délégation a souhaité que le recours aux fouilles à corps soit limité autant que possible, notamment grâce à des équipements permettant aujourd’hui des pratiques plus respectueuses de la liberté des personnes.
Je me félicite aujourd’hui de ce que Mme Borvo Cohen-Seat et ses collègues du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche reprennent cette proposition au travers d’un amendement déposé sur le présent texte et tendant à insérer un article additionnel dans le code de procédure pénale. Ils entendent ainsi garantir que « toute personne placée en garde à vue a le droit au respect de la dignité humaine, notamment dans le domaine du respect de l’intimité, de la pudeur, de l’hygiène » et prévoir que « toute atteinte à la dignité humaine de la personne placée en garde à vue engage la responsabilité de l’État ».
La commission des lois a estimé plus sage de demander le renvoi à la commission de la proposition de loi. Ses membres ont considéré que la réflexion n’était pas encore mûre sur des sujets délicats comme l’organisation effective de la défense quand la présence de l’avocat serait admise pendant les interrogatoires de garde à vue, l’accès de la défense au dossier ou encore la possible évolution des régimes dérogatoires de garde à vue.
Je veux croire que le Gouvernement respectera ses engagements et que le débat se poursuivra selon les orientations ainsi tracées.
Je souhaite qu’il se nourrisse des propositions de notre délégation et que les droits des femmes placées en garde à vue, particulièrement menacés, fassent l’objet d’une attention particulière. Je forme le vœu que le groupe de travail de nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel prenne en compte ces situations et ces propositions spécifiques, toujours soucieuses du respect des libertés fondamentales de la personne humaine, en l’occurrence tout spécialement des femmes, notamment. J’y veillerai de très près.