Je ne sais pas si nous sommes d’accord. Notre objectif à nous, comme à beaucoup d’autres d’ailleurs, n’est pas quantitatif : nous voulons éviter les gardes à vue abusives, les gardes à vue inutiles. Cela n’a rien à voir avec cette politique du chiffre à l’envers qui consiste à réduire significativement les placements en garde à vue parce que l’opinion publique s’effraie maintenant de leur nombre.
Pour réduire le nombre de gardes à vue, vous aviez inventé l’audition libre. Désormais, vous nous proposez la « comparution libre ». Où est le progrès ?
Je l’ai déjà dit à de multiples reprises : je ne vois pas la différence entre les deux. D’ailleurs, personne ne me l’a vraiment expliquée. C’est bonnet blanc et blanc bonnet, sauf que l’étiquette a changé.
Quel progrès apporte la comparution libre d’aujourd’hui, ou l’audition libre d’hier, par rapport à la garde à vue ? Dans un cas, on place la personne en garde à vue en lui indiquant les droits afférents. Dans l’autre, la personne est invitée à suivre l’OPJ et, si elle refuse, elle est placée en garde à vue. Le paradoxe est que l’on est de toute façon sous la menace de la garde à vue.
Il faut savoir que le gardé à vue a des droits. La personne qui accepte de comparaître librement, mais qui est sous la haute menace de la garde à vue, renonce, elle, à tous ses droits. Voilà une différence importante !
Parlons maintenant de la ressemblance, et c’est là où le bât blesse.
Dans les deux cas, que la personne soit mise en garde à vue ou qu’elle soit entendue libre, elle est considérée comme un suspect. C’est d’ailleurs sur ce point que je vous invite à réfléchir.
Vous le savez aussi bien que moi, monsieur le garde des sceaux, le suspect, au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, dispose d’un certain nombre de droits. Or ce que vous nous proposez est un véritable tour de passe-passe : mis en garde à vue, le suspect a des droits ; entendu librement, il n’en a pas.
Voilà pourquoi votre texte sera à nouveau censuré par les hautes juridictions, notamment par la Cour européenne des droits de l’homme.