Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 8 mars 2011 à 14h30
Garde à vue — Article 12, amendement 50

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Mon intervention vaudra aussi défense de l’amendement n° 50, monsieur le président.

L’article 12 confirme les régimes dérogatoires. Or, pour notre part, nous sommes favorables à l’abrogation des dispositions exorbitantes du droit commun en matière de répression de la criminalité, y compris lorsque les faits sont graves. S’agissant de la garde à vue, les confondre avec le régime de droit commun serait d’ailleurs plus conforme à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Comme le souligne la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, les régimes dérogatoires de garde à vue ne peuvent « subsister en l’état » dans notre législation. Elle ajoute que « plus l’infraction est grave, plus une protection du suspect “présumé innocent” s’impose ». C’est aussi ce que nous pensons.

Nous sommes d’autant plus favorables à l’abrogation des régimes dérogatoires de garde à vue qu’un problème récurrent se pose en la matière : celui de l’extension continue des dérogations, dont témoigne l’allongement incessant de la rédaction de l’article 706-73 du code de procédure pénale.

Depuis les attentats de 1986, notre pays s’est doté d’un imposant arsenal juridique antiterroriste. Cependant, ce qui, en 1986, relevait clairement de l’exception s’est peu à peu banalisé.

Avec la loi Perben II, les dispositions antiterroristes, par exemple, ne présentent plus un caractère exceptionnel, puisque ce texte intègre les actes terroristes à la criminalité organisée.

M. Thiel, juge d’instruction au pôle antiterroriste de Paris, a d’ailleurs critiqué la propension à « étendre de façon insidieuse la notion de terrorisme ». Ce phénomène concerne bien d’autres domaines que celui de la garde à vue : les perquisitions, la consultation des fichiers, les écoutes téléphoniques, la vidéosurveillance, etc. Nous attendons pourtant toujours que l’on nous démontre que les mesures dérogatoires en matière de garde à vue permettent vraiment de prévenir le terrorisme.

Pour notre part, nous n’avons eu de cesse de dénoncer l’utilisation du concept de terrorisme pour justifier tout durcissement de l’arsenal répressif ou toute remise en cause des libertés et des principes du droit. Comme l’a souligné Mme Mireille Delmas-Marty, non seulement les attentats de 2001 ont entraîné la prise de mesures globalisant la lutte contre le terrorisme, mais ils ont eu une incidence indirecte sur l’ensemble de notre procédure pénale.

Pour toutes ces raisons, l’amendement n° 50 vise à supprimer le régime dérogatoire de la garde à vue prévu à l’article 706-88 du code de procédure pénale.

Cette procédure particulièrement attentatoire aux droits de la défense et aux libertés individuelles est applicable à un nombre croissant d’infractions. Dernier ajout en date à cette liste, l’article 5 de la loi du 5 janvier 2011 relative à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer vise le « crime de détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport commis en bande organisée prévu par l’article 224-6-1 du code pénal ».

De plus, la qualification utilisée pour une des infractions les plus graves, à savoir les crimes et délits constituant des actes de terrorisme, a été largement retenue, notamment lors de l’affaire de Tarnac. Les intéressés ont été interpellés par la brigade antiterroriste et ont subi des gardes à vue de quatre-vingt-seize heures, avant d’être relâchés tant les accusions étaient fragiles.

Nous considérons que ces régimes dérogatoires portent une atteinte disproportionnée à la présomption d’innocence. Un certain nombre de personnes seront privées de liberté avant d’être complètement mises hors de cause.

Nous estimons donc que, même en matière de crimes graves, les personnes entendues doivent bénéficier des garanties du régime de droit commun pour leur défense.

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