Les trois points de divergence entre nous que nous avions évoqués au début de la discussion du texte subsistent, les débats n’ayant pas permis de les lever.
Tout d’abord, nous regrettons l’insuffisance du pouvoir du juge judiciaire. Nous restons fidèles à l’idée que le juge judiciaire est le gardien des libertés, même si l’on peut discuter sur la notion d’autorité judiciaire. En tout état de cause, nous sommes partisans d’un renforcement du rôle du juge des libertés et de la détention.
Ensuite, nous estimons qu’il fallait fixer, en matière de placement en garde à vue, un seuil de peine d’emprisonnement. En l’état, le texte prévoit simplement que, pour pouvoir être placée en garde à vue, la personne devra être soupçonnée d’avoir commis un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Là aussi, nous sommes en retard par rapport à d’autres pays européens : le principe de proportionnalité s’applique en Allemagne, des seuils de peine d’emprisonnement de deux ans et de cinq ans respectivement ont été instaurés en Italie et en Espagne. Nous déplorons cette situation.
Enfin, à propos de l’article 11, vous trouvez que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Pour notre part, nous soutenons que tout suspect doit disposer de droits. Or, à cet égard, ce texte marque un recul dans la mesure où, hors de la garde à vue, le suspect ne pourra pas accéder à un avocat ni même savoir pendant combien de temps il pourra être retenu selon sa « libre volonté »…
Je voudrais maintenant formuler l’interrogation suivante, avec une certaine gravité : quel est le sens du vote que nous allons émettre ?
Comme il convient dans une matière judiciaire, nous avons examiné les deux plateaux de la balance.
Sur l’un des plateaux, il y a un certain nombre de points positifs : par exemple, l’intervention de l’avocat, le fait qu’il est nécessaire que personne mise en cause encoure une peine d’emprisonnement pour pouvoir être placée en garde à vue ou celui que cette mesure soit assortie de droits. Nous constatons ces progrès, même si nous les jugeons insuffisants.
Sur l’autre plateau, nous voyons, outre les trois divergences dont je viens de parler, l’inconstitutionnalité et l’inconventionnalité de ce texte, qui apparaîtront dans les années à venir.
Sur ce plateau pèse également un risque majeur, qu’il vous appartiendra peut-être de corriger, celui d’une garde à vue à double vitesse : l’une pour les riches, qui pourront se faire assister d’un avocat, et l’autre pour les pauvres, privés d’avocat pour la simple raison que le budget de l’aide juridictionnelle est insuffisant, ce qui ne laisse pas de nous inquiéter.
Ayant bien observé les deux plateaux de la balance, nous avons pris une décision.
Nous avons réclamé, pendant des années, que l’avocat soit présent lors de la garde à vue, et n’effectue pas une simple « visite de courtoisie », pour reprendre une expression entendue. Cette présence de l’avocat, elle nous a été refusée durant tout ce temps. Aujourd’hui, alors que nous obtenons enfin gain de cause, nous ne pouvons pas voter purement et simplement contre ce texte ; c'est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons.