Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après s’être concerté, le groupe du Rassemblement démocratique, social et européen, unanimement, s’abstiendra sur ce projet de loi.
Monsieur le garde des sceaux, cette abstention n’est ni positive ni négative. Elle résulte d’un constat : le texte marque, nous l’avons dit dès le début, un progrès par rapport à la situation existante, mais ce progrès vous a été imposé tant par le Conseil constitutionnel et la chambre criminelle de la Cour de cassation que par la jurisprudence européenne.
Nous avons bien vu d’ailleurs, au cours de cet exercice, que le Gouvernement jouait à contre-emploi. En effet, cette avancée partielle détone parmi les multiples textes sécuritaires dont la majorité nous abreuve – et il semble que ce ne soit pas terminé ! – à longueur de mois.
Ce texte vous ayant été imposé par les décisions que je viens de rappeler, sur nombre de dispositions, vous avez avancé à reculons : vous ne pouviez pas faire autrement, mais vous vous en seriez bien passé ! Il suffit de nous remémorer les explications qui nous étaient données voilà quinze ou seize mois, lors des débats que nous avions engagés sur ce sujet au sein de notre assemblée, pour nous convaincre que l’exécutif n’avait pas du tout envie de voir aboutir ce projet de loi rapidement et qu’il le défendait du bout des lèvres.
Le projet de loi que nous nous apprêtons à voter pose donc un certain nombre de problèmes qui ne sont pas réglés. Il comporte aussi, disons-le très loyalement, quelques avancées, comme la présence de l’avocat durant la garde à vue et la reconnaissance de la nécessité de diminuer le nombre de gardes à vue, un objectif fondamental que nous partageons et qui justifie les efforts de tous. Avec 800 000 gardes à vue par an, la situation était devenue insupportable.
Mais ce texte sera extrêmement difficile à appliquer, car des disparités se feront jour selon les territoires de la République. Ainsi sa mise en œuvre sera-t-elle plus facile à Paris et dans les grandes métropoles que dans nombre de territoires ruraux. Et dire que vous vous acharniez à ne laisser qu’une heure à l’avocat pour arriver sur les lieux de la garde à vue... §l’objet d’un amendement du Gouvernement ! Monsieur le garde des sceaux, vous avez ensuite réitéré cette proposition, manifestant ainsi votre refus d’appliquer des dispositions que nous souhaitions tous !
Le problème de l’aide juridictionnelle, pourtant bien réel, a jusqu’à présent été éludé. Nous savons pourtant que le texte créera une justice à deux ou trois vitesses. Ce sont malheureusement nos concitoyens les plus démunis qui auront le plus de mal à être correctement défendus.
Vous ne pourrez pas non plus, à l’avenir, faire l’économie d’un débat sur le statut du Parquet au regard des libertés fondamentales. Vous l’avez évité pour l’instant, mais il faudra bien y venir.
Enfin, en refusant les amendements des uns et des autres relatifs à l’intervention et au contrôle du juge des libertés et de la détention, vous continuez inéluctablement à créer de l’insécurité juridique. Là encore, il faudra bien vous résoudre à changer d’attitude, même si cela prendra du temps.
Ce texte démontre, à l’évidence, que vous n’êtes pas allé au bout du chemin. En refusant de réserver la garde à vue aux infractions punissables d’au moins trois ans d’emprisonnement – seul moyen de diminuer le nombre de procédures –, vous n’avez pas fait le bon choix, car vous avez montré de façon évidente combien votre démarche était incohérente.
Certes, on nous a dit qu’il n’y aurait plus de garde à vue pour les infractions routières ; nous verrons dans quelles conditions cette mesure sera mise en œuvre.
Tous ces éléments mènent à un bilan en demi-teinte par rapport aux objectifs fondamentaux qui avaient été fixés.
En effet, ce texte n’était pas le bienvenu pour le Gouvernement et sa politique. Par conséquent, monsieur le garde des sceaux, vous n’avez pas voulu prendre les dispositions qu’auraient nécessitées non seulement les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, mais aussi les attentes de nos concitoyens, qui veulent à juste raison que soient garanties à la fois la liberté et la sécurité.