Intervention de Robert Badinter

Réunion du 3 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Organisation du travail parlementaire

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Je souhaite intervenir sur cette question qui, on le reconnaîtra, est tout de même extraordinaire.

Aux termes de la Constitution, la procédure d’urgence n’existe plus ; elle a été remplacée par une procédure accélérée. Or, à l’orée de nos débats, on nous affirme que cela importe peu et que nous délibérerons malgré tout sous la procédure d’urgence ! On reconnaîtra qu’il s'agit d’une situation juridique paradoxale !

En outre, je le rappelle, nous avons révisé sur ce point la Constitution – Dieu sait, monsieur le président, si vous avez été l’un des protagonistes de ce processus ! – car ce qui, dans le texte de 1958, était le principe, c'est-à-dire les deux lectures, était devenu, du fait d’une pratique gouvernementale déplorable, l’exception.

C’est pour remédier à cette situation que l’on a transformé l’urgence en procédure accélérée et que l’on vous a doté, monsieur le président, ainsi que le président de l’Assemblée nationale, d’une prérogative qui n’existait pas auparavant.

Que s’est-il passé à l’Assemblée nationale ? Qui a affirmé qu’il fallait renoncer à l’urgence sur ce projet de loi, la procédure accélérée s’appliquant désormais, et que les deux présidents peuvent par conséquent rappeler le Gouvernement à ce qui constitue l’esprit même de la délibération parlementaire, c'est-à-dire les deux lectures ? C’est le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Warsmann ! Ce n’est donc pas l’opposition qui a voulu susciter des difficultés ! Et c’est à ce moment-là que le président de l’Assemblée nationale a pris la position qui est la sienne.

Mes chers collègues, soyons sérieux : voilà près d’une décennie que nous attendons ce texte, qui pose des problèmes complexes. Je ne crois pas que quiconque y perdra si nous délibérons un mois de plus. En tout cas, la qualité du travail législatif n’en pâtira sûrement pas !

Au passage, je le rappelle, j’ai été garde des sceaux pendant près de cinq ans et je n’ai utilisé qu’une seule fois la procédure d’urgence, tout simplement parce que j’avais constaté que les deux lectures enrichissaient toujours un texte, dès l’instant où celui-ci présentait des difficultés.

Ce projet de loi est complexe, nous le savons. Nous avons déposé de nombreux amendements, s’ajoutant à ceux qui sont issus des deux commissions concernées. Leur examen demandera du temps, des explications.

Dans le cadre d’un débat normal, ce texte que l’on nous présente aujourd'hui comme fondamental serait nécessairement amélioré, d’autant qu’il n’existe aucune raison sérieuse – je dis bien « aucune » – de conserver l’ancienne procédure et de la faire entrer de force dans une époque qui l’ignore !

Je suis absolument convaincu que cette procédure soulèvera une difficulté constitutionnelle. Il est sans précédent que l’on fasse délibérer le Parlement sous un régime qui n’existe plus !

Chacun se souviendra des déclarations de M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement sur la restauration des droits des assemblées ! Vous reconnaîtrez, mes chers collègues, que cette substitution d’une procédure à une autre, ou cette pérennité d’une pratique que nous déplorions, à la place d’une règle innovante renforçant les droits du Parlement, est pour le moins déplorable et augure mal de la mise en application de la révision constitutionnelle !

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