La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi pénitentiaire, déclaré d’urgence (projet n° 495, 2007-2008, texte de la commission n° 202, rapports n° 143, 201 et 222).
Mes chers collègues, je rappelle que le projet de loi que nous allons examiner donne lieu à la première application de la nouvelle rédaction de l’article 42 de la Constitution, entrée en vigueur le 1er mars 2009.
La discussion du projet de loi portera donc sur le texte de la commission des lois, qui a été mis en ligne, imprimé et distribué sous le numéro 202. Comme vous pouvez le voir, afin de distinguer le texte adopté par la commission du texte du projet, nous avons provisoirement choisi de faire figurer un bandeau distinctif sur le document imprimé.
Comme nous en avons discuté en conférence des présidents avec M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, la commission des lois, avec mon accord, a tout fait pour être en capacité d’appliquer les nouvelles règles de la Constitution à compter du 1er mars 2009.
Nous nous sommes ainsi conformés à la décision du constituant, qui a prévu la date du 1er mars pour l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions et, pour être prête à temps, la commission des lois a fait œuvre d’anticipation dans le respect des droits du Gouvernement, qui a pu exprimer son point de vue dans le cadre de l’élaboration du rapport.
Ce matin même, Mme le garde des sceaux, que je salue, a souhaité être entendue par la commission pour défendre les amendements du Gouvernement et être en mesure ainsi de donner la position de celui-ci.
À l’issue de cette réunion, la commission des lois a confirmé par un nouveau vote le texte.
Vous le savez tous, la délibération sur la base des conclusions de la commission n’est pas la seule innovation qui soit entrée en vigueur depuis dimanche dernier.
Il faut y ajouter le partage de l’ordre du jour, le remplacement de l’urgence par la procédure accélérée, avec la possibilité de s’y opposer, le respect d’un délai d’examen de six semaines devant la première assemblée saisie et de quatre semaines devant la seconde assemblée saisie, les déclarations thématiques du Gouvernement suivies, le cas échéant, d’un vote, ainsi que la reconnaissance de droits spécifiques aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires.
Pour tous ces sujets, comme vous pouvez le constater, nous essayons d’innover et de régler les difficultés au fur et à mesure qu’elles se présentent et se présenteront, et je suis sûr que cette expérimentation de règles nouvelles enrichira notre réflexion lors de la modification de notre règlement, pour laquelle un groupe de travail pluraliste travaille et continuera à travailler et où chacun peut faire entendre ses préoccupations.
Ce groupe de travail, je le rappelle, mes chers collègues, a déjà adopté une série d’orientations qui devraient contribuer à l’amélioration de nos méthodes de travail, mais, avant même l’adoption définitive du projet de loi organique par les deux assemblées, et au vu de l’application expérimentale à laquelle nous procédons, nous serons amenés à réfléchir sur les conséquences réglementaires du nouveau dispositif constitutionnel.
Comme vous pouvez le constater, le Parlement traverse une phase importante de l’évolution de ses méthodes de travail et, par-delà les textes, nous devons, ensemble et avant tout, trouver les meilleures pratiques possibles pour permettre l’expression de tous et rénover nos procédures.
Ainsi, nous serons pleinement présents au rendez-vous de la modernisation des institutions telle qu’elle a été voulue par le constituant.
Tels sont les points que je souhaitais rappeler alors que nous entrons dans la phase de mise en œuvre de la réforme de nos méthodes, sachant que notre nouveau règlement ne verra – au mieux, si j’en juge par notre agenda et les projections qu’il permet de faire – sa pleine application qu’à la mi-mai.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Monsieur le président, alors que nous nous apprêtons, en effet, à expérimenter la nouvelle procédure avec le projet de loi pénitentiaire, nous avons appris jeudi que le Gouvernement avait déclaré l’urgence sur ce texte, ce qui nous paraît, nous l’avons dit, injustifié. Mon groupe a donc demandé, et le groupe socialiste a, me semble-t-il, fait de même, que vous preniez position sur cette déclaration d’urgence, comme la nouvelle procédure vous y autorise.
Cette démarche est d’autant plus fondée que nous venons d’apprendre par la presse que le président Accoyer aurait apparemment refusé après la conférence des présidents qui s’est tenue ce matin à l’Assemblée nationale l’urgence déclarée par le Gouvernement.
Il me semble donc que nous ne pouvons pas commencer à débattre de ce projet de loi sans savoir quelle sera la position qu’adoptera le Sénat puisque, si les deux assemblées refusent l’urgence, celle-ci ne pourra être maintenue.
M. Jean-Pierre Michel applaudit.
Monsieur le président, en écho à votre intervention relative à l’organisation du travail parlementaire, je souhaite d’abord rappeler que, en effet, la commission des lois, qui est la commission concernée par le texte que nous examinons aujourd'hui, a auditionné Mme la ministre ce matin même, alors que la matinée du mardi est désormais, nous en sommes convenus ensemble, dévolue aux réunions des groupes, qu’avait lieu une séance de questions orales et que se tenait à quatorze heures une réunion de ladite commission, avant la reprise à quinze heures de la séance…
J’entends bien, monsieur le président, que le chemin sera long pour parvenir à une bonne application de nos nouvelles règles de fonctionnement, mais j’estime qu’une telle organisation ne peut pas permettre un travail de qualité, travail de qualité pourtant réellement nécessaire, notamment sur ce texte.
Je souhaite par ailleurs revenir sur la déclaration d’urgence.
Cela fait plus de dix ans que les acteurs du monde carcéral sont dans l’attente d’une loi pénitentiaire ambitieuse, à même de répondre à la situation dramatique des prisons françaises.
Le projet de loi pénitentiaire a été déposé sur le bureau du Sénat le 28 juillet 2008 et, nous en sommes tous d’accord, il a fait l’objet d’un important travail de préparation parlementaire.
Pourtant, le Gouvernement a, très tardivement puisque cela ne date que de quelques jours à peine, déclaré l’urgence sur ce texte.
Cette déclaration d’urgence regrettable est regrettée par tous les acteurs qui suivent le sujet, comme en témoignent les états généraux de la condition pénitentiaire, qui rassemblent un grand nombre d’associations et de syndicats.
Elle nuira sans aucun doute au caractère serein et constructif de nos discussions et privera le Parlement d’une deuxième lecture pourtant certainement nécessaire et aussi de ce qui aurait dû être, pour citer Mme la ministre, le « grand rendez-vous de la France avec ses prisons ».
C’est d’autant plus regrettable que les raisons de cette déclaration d’urgence ne sont pas claires, ce qui semble être également l’opinion du président Accoyer, qui, comme on vient de le dire, s’est lui aussi ému de la situation. Pourquoi tout d’un coup vouloir légiférer à la va vite ? J’espère que nous aurons une explication !
Cette déclaration d’urgence constitue en tout cas un bien mauvais démarrage pour la mise en œuvre des nouvelles procédures censées revaloriser le travail du Parlement, conformément à une volonté que je crois partagée, bien au-delà des rangs de mon groupe et des groupes dits d’opposition.
Ce projet de loi est le premier que le Sénat examine dans le cadre de la révision constitutionnelle. En déclarant l’urgence avant que ne s’applique la nouvelle « procédure accélérée », le Gouvernement montre le sens dans lequel il compte appliquer ces nouvelles dispositions : il décide et le Parlement enregistre ! C’est en tout cas ce que j’en ai conclu.
En conséquence, monsieur le président, et en vertu des nouvelles dispositions de l’article 45 de la Constitution, applicables, vous l’avez dit, depuis le 1er mars, je vous ai demandé hier la réunion immédiate de la conférence des présidents afin d’obtenir le retrait de la procédure d’urgence sur ce texte.
Si le président de l’Assemblée nationale le demande, le président du Sénat, qui s’est bien souvent signalé dans le sens de la défense du respect des libertés, ne peut pas faire moins !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Monsieur le président, le Sénat est un lieu où il y a de la mémoire.
En 2000, la commission d’enquête parlementaire présidée par notre collègue Jean-Jacques Hyest et celle de l’Assemblée nationale, que je présidais, avaient, voilà donc bientôt dix ans, attiré l’attention du Gouvernement de l’époque et des pouvoirs publics sur la situation dans les prisons.
Les lois répressives de ces dernières années ont encore accru la surpopulation carcérale – 136 % d’occupation dans les maisons d’arrêt ! –, aggravé les conditions de travail, rendues de plus en plus dures pour les surveillants, et provoqué la désespérance des personnes détenues, en n’épargnant en rien, hélas ! les victimes.
Au moment où s’engage la discussion sur un projet de loi pénitentiaire qui peut être amélioré par les amendements de la commission des lois et par ceux des groupes parlementaires, il serait nécessaire que le Gouvernement prenne toutes les mesures pour mettre fin sans plus attendre à ce qui fait, après les mises en demeure de notre pays par les instances européennes, une véritable « humiliation » – pour reprendre le titre d’une commission d’enquête sénatoriale – pour le Gouvernement, pour le Parlement et pour la magistrature.
Nous ne pouvons accepter plus longtemps que, selon la formule employée en 1987 par le procureur général près la Cour de cassation, Pierre Arpaillange, les magistrats en soient réduits, face à l’arsenal législatif et réglementaire qui les encadre, à jouer le rôle de « bouffons de la République ». Il est grand temps de leur donner la faculté et les moyens de rendre une justice sereine et respectueuse de la dignité des hommes.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Il s’agit d’une procédure d’urgence demandée le 20 février dernier, sous l’empire de l’ancienne procédure.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Je signale tout d’abord que l’urgence a été déclarée avant le 1er mars 2009, soit avant la mise en application de la nouvelle procédure.
Par ailleurs, ce projet de loi est attendu depuis très longtemps. Vous l’avez rappelé, monsieur Mermaz, en faisant référence aux travaux relatifs à la nécessaire modernisation du système pénitentiaire, qui ont été conduits sous la direction du président Hyest.
Je rappelle aussi tous les travaux qui ont été réalisés par Marylise Lebranchu ou par Élisabeth Guigou et qui devaient aboutir à un projet de loi pénitentiaire. Malheureusement pour l’actuelle opposition, les élections sont passées par là… §L’échéance électorale a en effet empêché l’adoption de ce projet de loi pénitentiaire. J’en ai discuté avec Mme Lebranchu et avec Mme Guigou.
Il y a donc effectivement urgence, au regard des conditions de détention, mais également de l’administration pénitentiaire.
Le projet de loi a été examiné en commission au mois de décembre et un travail approfondi a été effectué à ce sujet. Même si nous n’escamoterons pas le débat, je considère qu’il est urgent que ce texte soit débattu et adopté assez rapidement pour que les acteurs évoqués, notamment les magistrats, mais également l’administration pénitentiaire, disposent d’outils adaptés et modernes afin que nos prisons soient à l’honneur de la France.
Il faut notamment lutter contre la surpopulation carcérale par les aménagements de peine et accorder beaucoup plus de droits aux détenus. C’est ce que consacre ce projet de loi, qui a été profondément enrichi par la commission des lois. Je rends d’ailleurs hommage au travail très important qui a été effectué dans ce cadre.
Voilà pourquoi l’urgence a été déclarée sur ce texte.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les sénateurs, le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui…
Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.
M. le président. Continuez, madame le garde des sceaux, M. Michel va se calmer.
M. Jean-Pierre Michel quitte l’hémicycle.
…pose les fondations d’une nouvelle vision de la prison, une vision apaisée du monde pénitentiaire.
La prison n’est pas un sujet populaire. Pour l’opinion publique, elle inquiète, elle indigne, elle véhicule de nombreuses images souvent caricaturées. Les discours sont, en règle générale, très tranchés entre les partisans de la liberté et ceux qui revendiquent davantage de fermeté.
Le projet de loi vous invite à dépasser les dogmes et les clivages. II vous est proposé de bâtir une prison dans laquelle l’enfermement ne s’oppose plus au respect de la dignité humaine. Il vous est proposé de construire une prison conforme à notre idéal républicain. Parce que nous voulons une démocratie irréprochable, nos prisons doivent être irréprochables.
Le projet de loi porte en lui une vision humanisée de la prison. En effet, la philosophie pénale qui a inspiré notre système pénitentiaire date du XVIIIe siècle. Elle est centrée sur la théorie avancée par Cesare Beccaria dans « Des délits et des peines », et non sur la personne du condamné : la prison est conçue essentiellement comme le lieu où s’exécute une peine privative de liberté et n’a d’autre finalité que d’exclure le condamné du reste de la société.
Le projet de loi met un terme à cette conception dépassée de la prison. II vous est proposé de concevoir l’incarcération à partir de la personnalité du détenu, et non uniquement à partir de la peine. Ainsi, il prévoit de différencier les régimes de détention et de mettre en œuvre des droits individuels, issus notamment des règles pénitentiaires européennes. II vise à favoriser les activités de formation et de réinsertion. C’est une nouvelle conception de la prison et de sa finalité : la prison devient humaine et tournée vers l’avenir.
Cette humanité n’exclut pas la fermeté à l’encontre de ceux qui ne respectent pas les lois de notre République.
Depuis mon arrivée à la Chancellerie, j’ai souhaité que la lutte contre l’insécurité et la récidive soit au cœur de mon action pour la justice.
Les Français réclamaient davantage de sécurité. Avec le soutien du Sénat, le Gouvernement a mis en œuvre une politique de fermeté à l’égard des délinquants. La sécurité est effectivement le premier des droits de nos concitoyens.
Pour lutter contre la récidive, le Parlement a adopté la loi du 10 août 2007, qui a déjà été appliquée à plus de 20 000 reprises. Pour lutter contre les criminels les plus dangereux, il a adopté la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté, qui concerne aujourd’hui 114 condamnés.
Dans les prochains mois, le Parlement sera saisi du projet de code pénal des mineurs. Il était urgent de réformer l’ordonnance de 1945 et d’adapter notre droit aux évolutions de la délinquance des plus jeunes.
Cette politique pénale de fermeté était attendue par nos compatriotes. Elle a déjà montré son efficacité par le recul de 2 % de la délinquance générale.
Le Gouvernement a souhaité que cette politique pénale s’accompagne d’une politique pénitentiaire juste et exemplaire.
Comme vous le savez, les prisons françaises n’ont pas toujours été à l’honneur de la France. Je le dis en toute clarté : tout n’est pas parfait en prison. Et ce n’est pas manquer de respect aux personnels de l’administration pénitentiaire que de l’affirmer. Je mesure aussi leur engagement pour améliorer au quotidien les conditions de détention. Chacun sait que leur mission est difficile. La double évasion survenue à Moulins le 15 février dernier a d’ailleurs, une nouvelle fois, montré les risques liés au métier de surveillant. Je veux, devant votre assemblée, rendre hommage à l’ensemble des personnes qui interviennent en détention.
Leur engagement est exemplaire.
Il ne doit pas masquer la réalité de notre situation pénitentiaire : une forte surpopulation carcérale, des établissements vétustes, des actes de violence commis en détention.
Devant l’urgence de cette situation, le Gouvernement a mis en œuvre, dès le mois de mai 2007, une politique dynamique en faveur des prisons. Elle s’appuie sur cinq axes majeurs.
Pour renforcer l’état de droit en prison, nous avons instauré un contrôle indépendant de la détention. Tout le monde le réclamait depuis dix ans et le président Hyest avait d’ailleurs fait d’excellentes propositions à ce sujet. Le Gouvernement a souhaité agir rapidement en faisant adopter la loi du 30 octobre 2007 instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté. J’ai souhaité créer un contrôleur aux compétences plus larges que celles qui avaient été initialement prévues, pour tous les lieux de privation de liberté. Enfin, nous avons voulu une mise en place rapide de cette autorité indépendante.
Pour lutter contre la surpopulation carcérale et améliorer les conditions de détention, nous avons construit de nouvelles places de prison. Tous nos engagements ont été tenus en la matière : nous avons ouvert 2 800 places en 2008 et nous en ouvrirons 5 130 en 2009. Il s’agit d’aboutir à 63 000 places en 2012.
Pour lutter contre la récidive, nous avons développé les aménagements de peine. Depuis le mois de mai 2007, les résultats obtenus sont très encourageants, puisque ces aménagements ont progressé de 34 %.
Nous veillons aussi à ce que les détenus soient mieux suivis : aujourd’hui, 3 800 personnels d’insertion et de probation travaillent à améliorer leur réinsertion.
Dans le même temps, nous avons développé le recours au bracelet électronique. Actuellement, 3 730 condamnés sont placés sous surveillance électronique, soit une progression de 40 % en un an. À la fin de l’année 2009, 5 000 bracelets électroniques seront disponibles.
Pour améliorer la prévention du suicide en détention, j’ai demandé à un groupe d’experts, au mois de novembre dernier, de dresser un bilan des actions déjà engagées et de proposer des mesures concrètes. Ces mesures sont en cours d’examen et donneront lieu à un nouveau plan d’action contre le suicide, en collaboration avec le ministère de la santé.
Enfin, pour que l’administration pénitentiaire exerce pleinement ses missions, le Gouvernement lui a accordé de nouveaux moyens. En 2009, le budget de cette direction progresse de 4, 1 % et 1 264 postes sont créés.
Cet effort budgétaire s’accompagne d’une revalorisation du statut des personnels. C’est la juste reconnaissance de leur travail.
Comme vous pouvez le voir, le Gouvernement n’est pas resté inactif pour améliorer les conditions de détention.
II faut maintenant engager une action sur le long terme et c’est l’objet du texte qui vous est soumis aujourd’hui.
La dernière loi pénitentiaire remonte à 1987. Durant la campagne pour l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy a souhaité que notre pays se dote d’une loi fondatrice pour les prisons. C’est la mission qui m’a été confiée.
Le projet de loi pénitentiaire a été élaboré dans un esprit de concertation. Un comité d’orientation restreint a été mis en place dès le 11 juillet 2007. Les organisations syndicales pénitentiaires et les associations professionnelles ont été associées à ses travaux. Le projet de loi a également été examiné par la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Le texte dont vous débattez aujourd’hui a largement évolué depuis son adoption en conseil des ministres.
Pour la première fois, nous discutons sur la base du projet de loi gouvernemental amendé par votre commission des lois.
Je salue, à cette occasion, le travail de fond qui a été accompli par le rapporteur Jean-René Lecerf. Cette procédure a contribué à enrichir le débat parlementaire. Je me réjouis également de la richesse des échanges entre le Gouvernement et la commission des lois, qui a permis d’aboutir à un accord sur l’essentiel du texte. En effet, la commission des lois a adopté plus d’une centaine d’amendements, dont l’immense majorité a été acceptée par le Gouvernement.
Dans le cadre de cette nouvelle pratique parlementaire, il m’appartient de vous présenter les grandes ambitions du projet gouvernemental et de vous rappeler les points auxquels le Gouvernement est particulièrement attaché.
La loi pénitentiaire n’a pas pour finalité de désengorger les prisons. Elle est conçue pour mieux prendre en charge les détenus, pour mieux préparer la réinsertion et pour prévenir la récidive. Elle répond à l’intérêt tout entier de la société et repose sur cinq objectifs complémentaires et essentiels pour une véritable modernisation de l’institution pénitentiaire.
Le premier objectif consiste à clarifier les missions du service public pénitentiaire.
La réinsertion des détenus et la lutte contre la récidive deviennent deux missions prioritaires pour l’administration pénitentiaire.
Le projet de loi précise que la mission de réinsertion s’effectue en liaison avec les autres services de l’État. Nous savons tous que l’intervention des services de la santé, de l’éducation nationale et des collectivités territoriales est fondamentale. Votre rapporteur a également souligné l’action positive des délégués du Médiateur auprès des détenus.
Le deuxième objectif est une meilleure reconnaissance des personnels.
Les conditions d’exercice des personnels ont profondément évolué au cours des dernières années. Leur métier est difficile et leur dévouement exemplaire. Pour renforcer leur autorité et définir leur champ d’action, le texte de loi prévoit l’élaboration d’un code de déontologie, une prestation de serment et la création d’une réserve pénitentiaire. Cette dernière s’adresse à des personnels volontaires retraités de l’administration pénitentiaire et dispose désormais d’une assise juridique.
Par leur expérience et leur savoir-faire, ces agents contribuent au renforcement de la sécurité des palais de justice.
Le troisième objectif consiste à garantir les droits des détenus.
Le projet de loi pose un principe simple : l’état de droit ne s’arrête pas aux portes des prisons.
L’exercice des droits ne peut être restreint que dans la seule limite imposée par la sécurité ou le maintien de l’ordre au sein des établissements pénitentiaires.
Les droits dont l’exercice en détention exige de déroger aux règles législatives de droit commun sont énumérés dans notre texte : la domiciliation à l’établissement pénitentiaire, le maintien des liens familiaux, le droit au travail ou le droit à l’insertion, par l’enseignement et la formation. Ce sont des droits fondamentaux qui seront mis en œuvre et qui ont toute leur place dans un texte de niveau législatif.
Ce principe de portée générale sera décliné, s’agissant des autres droits, dans un décret.
Le quatrième objectif est une clarification des régimes de détention.
Le principe constitutionnel de l’individualisation de la peine existe. Le projet de loi pose le principe législatif de l’individualisation de l’exécution de la peine.
Il s’agit d’individualiser les régimes de détention et de mieux encadrer les pouvoirs de l’administration pénitentiaire en matière de discipline et de fouille.
L’individualisation des régimes de détention se fera en fonction de la personnalité du détenu, de sa dangerosité et de ses efforts de réinsertion. Un bilan de personnalité sera réalisé lors du passage de la personne nouvellement écrouée dans le quartier arrivant. L’inscription dans la loi de cette pratique permet de garantir l’individualisation de la prise en charge de la personne détenue.
Le cinquième objectif consiste à prévenir la récidive avec les aménagements de peines.
C’est l’enjeu essentiel de ce texte. La prison est une sanction nécessaire, mais elle doit être utilisée comme ultime recours. Une peine d’emprisonnement doit pouvoir être exécutée en dehors de la prison.
Le projet de loi pénitentiaire offre de nouvelles perspectives. Le nombre de condamnés qui pourront prétendre à un aménagement de peines sera élargi ; le placement sous bracelet électronique pour les détenus en fin de peine sera prévu ; la procédure sera simplifiée pour la rendre plus efficace.
Le projet de loi pénitentiaire comporte également un dispositif destiné à limiter le recours à la détention provisoire grâce à l’assignation à résidence avec placement sous surveillance électronique pour les prévenus.
De nombreux amendements ont été adoptés en commission ou déposés par les groupes. Certains améliorent considérablement le texte d’origine. Je pense en particulier à l’instauration d’une obligation d’activité pour les détenus ou la prise en compte de la confidentialité de leurs documents personnels pour leur propre sécurité.
Je veux aussi souligner l’apport que représente la participation d’un membre extérieur à l’administration pénitentiaire à la commission de discipline. Cette ouverture symbolise l’entrée de la société civile dans le monde pénitentiaire.
Sur d’autres points, le Gouvernement vous proposera d’amender le texte.
Je pense singulièrement à la question de l’encellulement individuel, qui est un sujet difficile.
La commission des lois a souhaité affirmer le principe de l’encellulement individuel pour les prévenus et les condamnés.
Depuis le mois de mai 2007, le Gouvernement a tout mis en œuvre pour améliorer les conditions de détention. Nous avons créé de nouvelles places ; nous avons rénové les établissements vétustes ; nous avons créé des emplois pour améliorer le suivi des personnes détenues.
L’objectif est de garantir à tout détenu, qu’il soit prévenu ou condamné, un encellulement digne, sûr et répondant tant à ses souhaits qu’à son intérêt.
C’est l’approche retenue par nos voisins européens. Elle est conforme aux règles pénitentiaires européennes.
Dans ce système, il s’agit non pas de décider à la place du détenu ce qui est bien pour lui, mais de lui offrir un véritable choix, entre cellule individuelle et cellule collective, qui garantit dans tous les cas sa sécurité et sa dignité.
Cette solution n’était pas en tous points celle du projet de loi initial, mais j’ai tenu compte des avis que vous avez exprimés en commission.
J’espère que nos débats permettront d’aboutir à un accord.
Le Gouvernement se rapproche de la position adoptée par la commission sur trois points essentiels.
Nous garantissons l’encellulement individuel pour tous les détenus qui en font la demande.
Il n’est plus fait de distinction entre les prévenus et les condamnés.
Il ne pourra plus être opposé à la volonté du détenu le motif tiré de l’encombrement ou de la distribution intérieure des locaux. Cette nouvelle disposition, d’une ambition sans précédent, doit être assortie d’un moratoire de cinq ans permettant l’achèvement du programme actuel de construction de nouveaux établissements.
En plus de ceux qui portent sur l’encellulement individuel, le Gouvernement souhaite défendre d’autres amendements.
Sur la question de la motivation spéciale du régime de détention plus sévère, j’ai compris que la position de la commission s’expliquait par la crainte de voir des droits ôtés aux détenus, et ce sans garantie. Il n’en est rien ; je l’affirme.
En adaptant le régime de détention à la personnalité du détenu, nous ne portons pas atteinte à ses droits. Le régime différencié, c’est essentiellement l’ouverture ou non des portes des cellules et l’accompagnement des détenus aux activités qui leur sont proposées.
La motivation exigée par la commission des lois sera source de difficultés pratiques et de contentieux. Elle risque en pratique de paralyser la mise en œuvre de cet objectif. Le Gouvernement n’y est donc pas favorable.
La commission des lois a proposé de limiter la durée des sanctions de placement au quartier disciplinaire à trente jours en cas d’agression physique sur les personnes. Je souhaite pouvoir aller jusqu’à quarante jours. Je rappelle que, l’an dernier, plus de cinq cents agents ont été agressés. Je ne peux l’admettre ; il faut des sanctions exemplaires.
Sur les droits d’expression et de manifestation des personnels, la commission des lois a adopté un amendement qui modifie l’ordonnance du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire, en reconnaissant un droit d’expression et de manifestation dans les conditions prévues par le statut général des fonctionnaires de l’État.
Ce renvoi par la loi spéciale à la loi générale est source d’ambiguïté, alors même que la commission des lois n’entend pas modifier le statut spécial des agents.
Enfin, j’en viens à la saisine du juge des référés par un détenu placé à l’isolement. La commission a adopté un amendement qui tend à présumer l’urgence en cas d’isolement de la personne détenue. Il va de soi que tout détenu, comme tout citoyen, peut saisir le juge des référés. Mais l’isolement n’est pas à lui seul constitutif de la situation d’urgence. Le Gouvernement souhaite donc revenir au texte initial.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes appelés à vous prononcer sur un texte qui fera entrer notre système pénitentiaire dans le XXIe siècle.
Cette loi est attendue depuis vingt ans. Nous avons l’occasion de refonder notre politique pénitentiaire, de la rendre plus humaine, davantage tournée vers l’avenir. C’est une opportunité immense. Sachons, ensemble, la saisir !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, dans mon intervention liminaire portant sur l’organisation du travail parlementaire et sur le fait que ce texte a été déclaré d’urgence, question essentielle pour nous, je vous ai demandé, à l’instar de Mme Borvo Cohen-Seat, quelle était votre position personnelle. Vous ne nous avez par répondu.
Par conséquent, je demande une suspension de séance de dix minutes afin de réunir mon groupe. Nous souhaitons que l’examen de ce texte se déroule dans un climat constructif et serein.
Le Sénat va accéder à votre demande, monsieur Bel.
La demande du Gouvernement date du 20 février dernier : elle relevait donc de la précédente Constitution.
Vous m’avez saisi hier de cette question, monsieur Bel, et non lors de la précédente conférence des présidents. Vous ne l’avez pas fait avant. C'est la raison pour laquelle j’ai considéré que s’appliquait l’ancien règlement.
Vous opposez un argument de procédure, alors qu’il s’agit d’une question de fond !
La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.
Monsieur le président, les membres de mon groupe, notamment, sont troublés par les événements de cet après-midi et par vos réponses.
Tout d’abord, vous avez considéré que pour un même texte s’appliquaient deux procédures. La première, ancienne, concerne la déclaration d’urgence du projet de loi et la seconde, nouvelle, vise l’examen du texte.
Par ailleurs, je souhaite que vous nous donniez quelques éléments complémentaires d’information. En effet, vos propos ne me semblent pas correspondre à ce que nous avons pour notre part compris.
Vous nous avez expliqué que, à la suite de la conférence des présidents du 18 février, nous aurions pu réagir. Or, le souhait du Gouvernement de recourir à la procédure d’urgence ne vous a été communiqué que le 20 février. Ce fait me paraît constituer une difficulté majeure pour tout être normalement constitué ! Par conséquent, votre réponse ne nous satisfait pas.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Par ailleurs, vous nous avez conviés à travailler ensemble et à réfléchir. Nous l’avons fait dans un total esprit de partenariat.
J’avais noté votre souci de voir la conférence des présidents jouer un rôle et réguler, en tant que de besoin, le déroulement des travaux du Sénat. Je constate que vous êtes revenu sur cette manière de concevoir le fonctionnement de notre assemblée, en particulier sur la place de la conférence des présidents. Nous sommes donc très surpris et abordons l’examen de ce projet de loi dans des conditions qui ne sont pas satisfaisantes, étant donné les enjeux contenus dans ce texte et les questions qu’il soulève.
Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.
Monsieur le président, j’avais moi aussi demandé la parole tout à l’heure, mais peut-être ne m’aviez-vous pas vue…
Les membres de mon groupe ont été très surpris en apprenant jeudi, par voie de presse, que le Gouvernement avait déclaré l’urgence sur le projet de loi que nous examinons. Une conférence des présidents a eu lieu le 18 février. Or, curieusement, le Gouvernement a fait part de la déclaration d’urgence le 20 février, c'est-à-dire le jour de la suspension des travaux parlementaires.
Bien évidemment, nous sommes soucieux de nous tenir au courant des différents événements, y compris lorsque le Parlement ne siège pas. En l’occurrence, nous n’avons pas été informés. Nous avons appris la déclaration d’urgence par le biais de la presse et beaucoup plus tard !
Nous avons joué le jeu de la procédure nouvelle pour l’examen de ce projet de loi, ce qui nous a demandé de faire preuve d’une certaine gymnastique intellectuelle.
Que signifie opposer aux parlementaires l’ancienne procédure pour justifier la déclaration d’urgence par le Gouvernement pour des raisons obscures ? Chacun sait en effet que le projet de loi que nous examinons nécessite un débat approfondi. Il était attendu depuis dix-huit mois, et même depuis vingt ans. Je ne pense pas que les personnels de l’administration pénitentiaire, les détenus, les associations soient à quelques semaines près ! De surcroît, ils ont émis de nombreuses critiques sur ce texte. Un débat approfondi permettrait peut-être de mieux les satisfaire.
Monsieur le président, vous avez vous-même été saisi du problème. Vous vous rangez aux explications du Gouvernement. Pour ce qui me concerne, je demande la réunion de la conférence des présidents afin qu’elle donne son avis et nous fasse part de son point de vue sur cette façon de procéder. De telles conditions de travail ne nous conviennent pas et desservent la future loi.
Madame Borvo Cohen-Seat, monsieur Bel, je souhaite tout d'abord apporter une clarification chronologique, car je reconnais que la superposition de deux règles se combinant en droit et en fait n’a rien d’évident.
Le 18 février dernier, la conférence des présidents du Sénat s’est réunie. Je me suis fait communiquer le procès-verbal de cette réunion, et il est tout à fait exact que seul le projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer était alors déclaré d’urgence.
Le 20 février, j’ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m’indiquant que l’urgence était déclarée sur le projet de loi pénitentiaire.
Le 2 mars, c'est-à-dire hier, vous m’avez saisi d’une demande de réunion de la conférence des présidents.
Le Gouvernement a donc déclaré l’urgence sur le projet de loi pénitentiaire le 20 février dernier, sous l’empire de l’ancien article 45 de la Constitution, c'est-à-dire à un moment où cette procédure relevait du pouvoir discrétionnaire du Gouvernement. C’est d'ailleurs l’interprétation qui a été donnée ce matin par la conférence des présidents de l’Assemblée nationale.
Sur le plan juridique, mes chers collègues, vous connaissez mon souci d’appliquer les nouvelles règles et les dispositions transitoires.
Sur le plan politique, en revanche, on peut estimer que la navette parlementaire serait utile. Je vous propose d’en discuter demain en conférence des présidents, car le Gouvernement, que nous interrogerons sur ce point, peut parfaitement renoncer à appliquer la procédure d’urgence, même après l’avoir déclarée. Il lui suffit pour cela de ne pas convoquer la commission mixte paritaire.
M. le président. Nous avons entendu Mme le garde des sceaux. Je vous propose, mes chers collègues, d’interroger de nouveau le Gouvernement sur ce point demain lors de la réunion de la conférence des présidents.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Tels sont, mes chers collègues, les éléments de réponse qu’il me semblait de mon devoir de vous apporter.
Je souhaite intervenir sur cette question qui, on le reconnaîtra, est tout de même extraordinaire.
Aux termes de la Constitution, la procédure d’urgence n’existe plus ; elle a été remplacée par une procédure accélérée. Or, à l’orée de nos débats, on nous affirme que cela importe peu et que nous délibérerons malgré tout sous la procédure d’urgence ! On reconnaîtra qu’il s'agit d’une situation juridique paradoxale !
En outre, je le rappelle, nous avons révisé sur ce point la Constitution – Dieu sait, monsieur le président, si vous avez été l’un des protagonistes de ce processus ! – car ce qui, dans le texte de 1958, était le principe, c'est-à-dire les deux lectures, était devenu, du fait d’une pratique gouvernementale déplorable, l’exception.
C’est pour remédier à cette situation que l’on a transformé l’urgence en procédure accélérée et que l’on vous a doté, monsieur le président, ainsi que le président de l’Assemblée nationale, d’une prérogative qui n’existait pas auparavant.
Que s’est-il passé à l’Assemblée nationale ? Qui a affirmé qu’il fallait renoncer à l’urgence sur ce projet de loi, la procédure accélérée s’appliquant désormais, et que les deux présidents peuvent par conséquent rappeler le Gouvernement à ce qui constitue l’esprit même de la délibération parlementaire, c'est-à-dire les deux lectures ? C’est le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Warsmann ! Ce n’est donc pas l’opposition qui a voulu susciter des difficultés ! Et c’est à ce moment-là que le président de l’Assemblée nationale a pris la position qui est la sienne.
Mes chers collègues, soyons sérieux : voilà près d’une décennie que nous attendons ce texte, qui pose des problèmes complexes. Je ne crois pas que quiconque y perdra si nous délibérons un mois de plus. En tout cas, la qualité du travail législatif n’en pâtira sûrement pas !
Au passage, je le rappelle, j’ai été garde des sceaux pendant près de cinq ans et je n’ai utilisé qu’une seule fois la procédure d’urgence, tout simplement parce que j’avais constaté que les deux lectures enrichissaient toujours un texte, dès l’instant où celui-ci présentait des difficultés.
Ce projet de loi est complexe, nous le savons. Nous avons déposé de nombreux amendements, s’ajoutant à ceux qui sont issus des deux commissions concernées. Leur examen demandera du temps, des explications.
Dans le cadre d’un débat normal, ce texte que l’on nous présente aujourd'hui comme fondamental serait nécessairement amélioré, d’autant qu’il n’existe aucune raison sérieuse – je dis bien « aucune » – de conserver l’ancienne procédure et de la faire entrer de force dans une époque qui l’ignore !
Je suis absolument convaincu que cette procédure soulèvera une difficulté constitutionnelle. Il est sans précédent que l’on fasse délibérer le Parlement sous un régime qui n’existe plus !
Chacun se souviendra des déclarations de M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement sur la restauration des droits des assemblées ! Vous reconnaîtrez, mes chers collègues, que cette substitution d’une procédure à une autre, ou cette pérennité d’une pratique que nous déplorions, à la place d’une règle innovante renforçant les droits du Parlement, est pour le moins déplorable et augure mal de la mise en application de la révision constitutionnelle !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Nous ajouterons cette question à l’ordre du jour de la conférence des présidents de demain.
Mes chers collègues, nous reprenons la discussion du projet de loi.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Un grand nombre de députés du groupe socialiste quittent l’hémicycle.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est avec une émotion toute particulière que je m’adresse à vous aujourd’hui en qualité de rapporteur de ce projet de loi pénitentiaire, alors que le Parlement s’apprête à débattre, pour la première fois sous la Ve République, d’un grand texte fondateur dans ce domaine.
Notre dessein est aussi simple qu’ambitieux : faire en sorte que la prison de demain se pose, sur bien des aspects, en rupture avec celle d’hier et d’aujourd’hui, et cela pour le plus grand bénéfice de tous : les détenus, dont la punition de privation de liberté ne se transformera plus en abaissement et en atteinte à la dignité ; la société, et en premier lieu les victimes, qui ont tout à gagner à ce que la prison cesse à tout jamais d’être l’école de la récidive pour devenir celle de la réinsertion ; la démocratie et la République, qui mettront fin ainsi à l’humiliation que dénonçaient, en 2000, Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel dans leur rapport.
Albert Camus affirmait qu’« une société se juge à l’état de ses prisons » et cette phrase m’a souvent hanté lorsque je visitais, avec des collègues de la commission des lois, d’innombrables maisons d’arrêt, centres de détention ou maisons centrales et pouvais échanger avec tous ceux qui y vivent ou, parfois, y survivent.
Dans mon rapport, au nom de la commission des lois, j’ai tenté, modestement mais avec détermination, d’inscrire notre réflexion dans la continuité du travail considérable réalisé ces dernières années par nombre de nos collègues.
Comment ne pas évoquer ici les combats de Robert Badinter et ceux des deux commissions d’enquête parlementaire du Sénat et de l’Assemblée nationale, dont les présidents respectifs, MM. Jean-Jacques Hyest et Louis Mermaz, qui sont à nos côtés dans cet hémicycle, prendront toute leur part dans nos débats.
Je souhaite vivement que nous puissions aboutir à un très vaste consensus. La prison n’est ni de droite, ni de gauche, ni du centre.
M. Robert Badinter opine.
Pardonnez-moi une remarque personnelle, mes chers collègues, pour vous dire que si ce projet de loi ne devait pas modifier fondamentalement la situation de nos prisons, s’il n’était qu’un texte parmi d’autres, si la montagne devait accoucher d’une souris, ce serait là la pire déception de ma vie de parlementaire !
Toutefois, j’ai déjà le sentiment d’avoir été partial et injuste à l’égard de l’administration pénitentiaire, dont l’évolution, pourtant, se révèle considérable.
Que l’on songe quelques instants aux prisons des années 1970 – ce n’est pas si lointain ! –, ces univers clos, où les journaux étaient interdits et où nul échange n’était possible entre surveillants et détenus. Ceux qui ont visité les cellules disciplinaires utilisées jusqu’à cette époque à la centrale de Clairvaux ont eu l’impression que le temps s’était arrêté depuis le Moyen Âge et les cages de fer que l’on prête à Louis XI !
Il est vrai que, au cours des dernières décennies, le parc pénitentiaire a été largement renouvelé à la suite des différents programmes de construction engagés depuis la fin des années 1980. Je veux citer ici le nom d’Albin Chalandon, qui était un élu du département que j’ai l’honneur de représenter, le Nord, lorsqu’il fut nommé garde des sceaux, en 1986.
Les services pénitentiaires d’insertion et de probation ont été mis en place. La prison s’est ouverte sur l’extérieur, au-delà des aumôniers et des instituteurs, avec les visiteurs de prisons, les associations, les délégués du Médiateur et les parlementaires.
Depuis la loi du 18 janvier 1994, la prise en charge de la santé des détenus est assurée par le service public hospitalier dans les conditions du droit commun. La formation des personnels, dispensée notamment à l’École nationale de l’administration pénitentiaire, se révèle de grande qualité et intègre la culture des droits de l’homme. L’influence des normes internationales, la référence aux règles pénitentiaires européennes, les jurisprudences du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme vont dans le sens de l’amélioration continue des conditions de détention.
Tout cela n’est pas discutable, et il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour affirmer que rien n’a changé et que l’univers carcéral est demeuré immobile.
J’ai moi-même rencontré d’innombrables personnels de direction, de surveillance ou d’insertion et de probation dont l’implication et l’humanisme forcent l’admiration, comme ce surveillant du quartier maison centrale du centre pénitentiaire de Château-Thierry, ou peut être devrais-je dire de la « maison de fous » de Château-Thierry, qui confiait que, lorsqu’un détenu hurlait la nuit, il allait s’asseoir dans sa cellule, des heures durant s’il le fallait, pour lui parler, et qu’il ne le quittait qu’après l’avoir rassuré.
Oui, il serait tout aussi absurde de nier ces inestimables progrès que de ne pas reconnaître avec humilité l’étendue du chemin qui reste à parcourir !
Une cellule de douze mètres carrés partagée par trois détenus, avec un matelas par terre, un cabinet d’aisance non ventilé, dépourvu de cloisons, telle est encore la réalité dans un certain nombre de maisons d’arrêt en attente de rénovation !
Les aumôniers nationaux, qui ont tous été entendus par votre rapporteur, lui ont transmis un message de leurs aumôniers, qui affirment consacrer parfois moins de temps à satisfaire aux exigences de la vie spirituelle, morale et religieuse qu’à accompagner les détenus, notamment les jeunes, jusqu’à la douche, à les attendre et à les reconduire en cellule pour qu’ils ne risquent ni coups ni viols.
Voilà près de cent cinquante ans, mes chers collègues, que Tocqueville écrivait : « La société a le droit de punir mais non de corrompre ceux qu’elle châtie ».
Trop souvent, la prison, dans les cours de promenade et parfois jusque dans les cellules, reste un lieu où perdurent violences au quotidien et loi du plus fort. Quel paradoxe que de plonger des personnes ayant gravement méconnu les règles dans un univers où les droits et la sécurité ne sont pas garantis !
Chaque année, à Nancy, à Rouen, à Lannemezan ou ailleurs, des prisonniers meurent victimes de leurs codétenus. Quant au taux de suicides dans les prisons françaises, il reste, malgré les efforts du personnel pénitentiaire, l’un des plus élevés d’Europe, et les premières semaines de 2009 ne nous ont en aucune manière rassurés sur ce point.
Comment s’étonner alors des condamnations internationales qui frappent notre pays, condamnations dont le retentissement dans la patrie des droits de l’homme ne peut être que plus cruel encore que partout ailleurs, qu’il s’agisse d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture ou de ceux des commissaires successifs aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ?
Or, si les efforts accomplis n’ont pas produit jusqu’à présent les résultats escomptés, c’est qu’ils ont été freinés, voire anéantis par deux causes : la part croissante de personnes atteintes de troubles mentaux au sein de la population pénale et le surpeuplement carcéral.
Sur la première cause, et je préfère le reconnaître dès maintenant, la loi pénitentiaire ne pourra pas réellement peser et il nous faudra donc prendre date pour une réforme future.
Il faut savoir qu’en France les auteurs d’infractions atteints de troubles psychiatriques sont pris en charge par la prison plutôt que par l’hôpital.
Cette situation, paradoxale au regard du principe posé par le code pénal de l’irresponsabilité pénale des personnes qui, au moment des faits, « étaient atteintes d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli leur discernement ou le contrôle de leurs actes », s’explique par deux raisons essentielles.
D’une part, le législateur a permis, dans le nouveau code pénal de 1992, que, dans l’hypothèse où le trouble mental a seulement altéré – et non aboli – le discernement, l’auteur des faits soit punissable.
D’autre part, les évolutions de la psychiatrie contemporaine ont entraîné une réduction drastique du nombre de lits et de la durée des séjours hospitaliers.
Dans ces conditions, les jurys d’assises, estimant que la prison peut désormais seule répondre à la nécessité de protéger la société des personnes dangereuses atteintes de troubles mentaux, ne prononcent plus que très rarement d’acquittements motivés par l’irresponsabilité pénale.
En outre, l’altération du discernement, qui devrait à tout le moins constituer une circonstance atténuante, entraîne au contraire un allongement de la peine.
Comme le note M. Nicolas About dans son rapport pour avis au nom de la commission des affaires sociales, « le fait d’enfermer en prison des malades souffrant de troubles psychiatriques aboutit à nier le sens d’une peine qu’ils ne parviennent pas à comprendre ».
Une réforme s’impose, mais qui nécessitera un travail conjoint de la justice, de la santé et de l’intérieur.
Une modification des dispositions du code pénal, par exemple, n’aurait guère de sens si elle ne s’accompagnait pas d’une évolution de la psychiatrie et de la réouverture de lits psychiatriques en milieu fermé, comme cela se pratique dans bon nombre de pays voisins.
Le Sénat doit poursuivre la réflexion sur ce sujet et a confié à notre collègue M. Jean-Pierre Michel et à moi-même une mission d’information sur la responsabilité pénale des malades mentaux qui pourrait s’ouvrir au-delà de la commission des lois et préparer une nécessaire initiative législative.
J’en viens à la seconde cause de l’échec des efforts accomplis ces dernières années : l’inflation carcérale.
Nous sommes ici au cœur des préoccupations des rédacteurs du projet de loi : le volet consacré aux alternatives à l’incarcération et aux aménagements de peine suscite – du moins selon moi – une assez large adhésion.
Chacun sait que la population pénale n’a jamais été aussi nombreuse qu’au cours des dernières années, rendant impossible l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt, où la promiscuité subie génère troubles, violences et problèmes d’hygiène.
Pour la commission des lois, le renouvellement du parc immobilier et l’augmentation significative des capacités d’accueil des établissements pénitentiaires – l’actuel « programme 13 200 places » – associés au volontarisme des réformes proposées permettent de penser que l’application du principe de l’encellulement individuel, différé depuis 1875, n’est plus hors d’atteinte dans des délais raisonnables à la seule condition d’en faire une ardente obligation.
Ainsi, le développement considérable des aménagements de peine imposera la création de postes de conseillers d’insertion et de probation, postes qui, dans l’étude d’impact elle-même, sont évalués à 1000.
Pour important qu’il soit, cet effort s’avère loin d’être inaccessible, même à budget constant, lorsqu’on se remémore l’importance, ces dernières années, des créations de postes de surveillants imposées par l’ouverture de prisons nouvelles.
Je me permets, sur ce point, de proposer à votre réflexion, mes chers collègues, cette citation de l’Institut Montaigne : « Mieux vaut doubler l’effectif des 3 600 agents des SPIP – services pénitentiaires d'insertion et de probation – que d’embaucher 12 000 gardiens pour faire régner l’ordre sur 30 000 nouvelles places de prison ».
Je ne vous cacherai pas, madame le garde des sceaux, que l’autre partie du projet de loi, celle qui est consacrée au service public pénitentiaire et aux conditions de détention, a suscité plus de déceptions, tant au cours des visites d’établissements que lors des auditions d’une centaine de personnalités.
Il faut le dire, ce texte était tant attendu par les uns et par les autres, parfois, d’ailleurs, pour des raisons contradictoires, que ces réticences peuvent assez facilement s’expliquer.
La commission des lois a donc cherché à rééquilibrer les deux volets du projet de loi en s’appuyant, notamment, sur le travail remarquable accompli en peu de temps par le comité d’orientation restreint, le COR, sous l’autorité du procureur général Jean-Olivier Viout.
Parmi les modifications majeures introduites par la commission des lois dans le projet de loi, puisque depuis le 1er mars, la révision constitutionnelle du 23 juillet dernier est sur ce point entrée en vigueur…
C’est vrai ! Cependant, sur ce point, les choses sont claires, mon cher collègue !
Parmi les modifications majeures introduites par la commission des lois, on peut notamment citer l’institution d’une obligation d’activité pour les personnes détenues avec, pour corollaire, la possibilité pour les plus démunis d’obtenir une aide en numéraire et la reconnaissance d’un droit d’expression sous la forme d’une consultation sur les activités qui leur sont proposées.
La commission des lois a, en outre, très strictement encadré les fouilles, en rappelant, en particulier, que le recours aux fouilles intégrales n’est possible que si les autres moyens d’investigation, moins attentatoires à la dignité de la personne, notamment par voie de contrôles électroniques, s’avèrent insuffisants.
Quant aux investigations corporelles internes – qu’en termes galants ces choses-là sont dites, mes chers collègues ! –, elles seront désormais proscrites, sauf impératif spécialement motivé, et elles ne pourront alors être réalisées que par un médecin requis à cet effet et qui, si l’amendement présenté par M. About, au nom de la commission des affaires sociales, est adopté, ne participera pas aux soins en milieu carcéral.
La commission des lois a également renforcé les garanties reconnues aux détenus menacés de sanctions disciplinaires en prévoyant la présence d’une personne extérieure à l’administration pénitentiaire au sein de la commission de discipline et en ramenant la durée maximale de placement en cellule disciplinaire en cas de violence contre les personnes à trente jours, contre quarante-cinq aujourd’hui.
Elle a étendu à tous les détenus le bilan d’évaluation prévu au début de l’incarcération et réservé dans le projet de loi aux seuls condamnés, afin de donner les meilleures chances au temps de la détention d’être un temps utile.
Elle a encore prévu une évaluation de chaque établissement pour peines au regard de ses résultats en matière de récidive, afin que soit mieux mesuré l’impact des conditions de détention sur les chances de réinsertion.
Mais nous aurons l’occasion, au fil de la discussion des articles, d’évoquer les cent sept amendements qui, sur l’initiative des membres de la commission des lois et de moi-même, ont modifié de nombreuses dispositions du projet de loi.
Avec le texte qui vous est proposé, mes chers collègues, c’est le Parlement qui reprend la main sur l’organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires, alors que le droit de la prison relève pour l’essentiel aujourd’hui de mesures réglementaires, voire de circulaires.
Chacun s’accorde enfin à reconnaître que, puisque l’article 34 de la Constitution réserve à la loi la fixation des règles concernant les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l’exercice des libertés publiques, c’est au législateur qu’il appartient éventuellement de limiter les droits et garanties du détenu autres que sa liberté d’aller et venir. Ne nous y trompons pas : ce changement est considérable et l’on s’en rendra compte rapidement !
Je terminerai en insistant sur l’importance toute particulière que le Sénat se doit d’accorder à cette réforme. La Haute Assemblée s’est toujours totalement impliquée dans les combats pour les libertés individuelles et publiques et pour la dignité humaine : nous sommes donc au cœur de la spécificité de notre message.
Le président du Sénat, M. Gérard Larcher, a visité mardi dernier, à mes côtés, la prison de Lille-Loos avant d’animer une table ronde des personnels pénitentiaires, médicaux, éducatifs et des associations œuvrant en milieu carcéral. Je tiens à le remercier de ce geste symbolique, qui montre bien que, près de dix ans après le rapport Hyest-Cabanel « Prisons : une humiliation pour la République », le Sénat livre le même combat et entend bien cette fois le gagner.
Cette ambition impose aussi que les Français s’approprient les prisons de la République. Pour cela, il convient de repousser la tentation du secret et de l’opacité pour les exigences de la transparence.
Je suis convaincu que la presse doit pouvoir entrer dans les prisons pour y faire son métier d’information. Elle ne relatera que ce qu’elle verra. Dans le pire des cas, ses reportages seront un aiguillon pour remédier plus vite aux problèmes du quotidien ; dans le meilleur des cas, elle rapportera des confidences telles que celle que m’avait faite un jeune détenu dans un établissement pénitentiaire pour mineurs : « Quand je suis entré ici, je venais d’un quartier mineurs où la prison était un temps mort. En quelques mois, j’ai appris à lire et à écrire. »
Enfin, je cite M. Robert Badinter : « Rien n’est possible, lorsque l’on parle de transformation du monde pénitentiaire, si l’on ne fait pas fonctionner de concert la condition des détenus et celle des personnels qui œuvrent dans les prisons ». Cette exigence, nous l’avons bien à l’esprit, et je tiens à souligner le dévouement et le professionnalisme des personnels pénitentiaires dans le contexte difficile que nous traversons.
Notre collègue député M. Christophe Caresche écrivait en 2006, sans doute en référence à la citation de Camus que je rappelais tout à l’heure : « Si l’on juge une démocratie au sort réservé à ses prisonniers, alors nous sommes probablement plus près de la barbarie que de la civilisation ».
Même si je ne partage pas l’extrême sévérité de ce jugement, ce qui seul m’importe, c’est que, demain, ces propos n’intéressent plus que les historiens, tant ils seront étrangers à nos prisons du XXIe siècle.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Mes chers collègues, ne laissons pas passer la chance de faire en sorte que notre République n’ait plus jamais à avoir honte de ses prisons !
Bravo ! et applaudissementssur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur celles du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous venons de l’apprendre, non sans surprise : il faut jusqu’à cent vingt jours pour détecter un cas de tuberculose à la maison d’arrêt de Villepinte. Or il suffirait d’une nouvelle convention avec l’hôpital de rattachement pour ramener ce délai à trente jours. Cet exemple s’ajoute à ceux qui nous font déplorer trop souvent la situation médiocre de la santé en prison et les difficultés liées à l’organisation des soins dans ce milieu par nature confiné.
À Villepinte comme à Moulins, c’est à une maladie venue d’un autre âge et à des peurs de contagion que l’on pensait presque disparues que nous nous trouvons aujourd’hui confrontés. La prison joue ici le rôle de révélateur de l’état de santé d’une partie de la population, au-delà même de celle qui se trouve incarcérée.
En effet, si la prison concentre les difficultés de santé, c’est d’abord parce qu’elle concentre les difficultés sociales et aussi parce qu’elle suscite elle-même des troubles sanitaires. Je pense évidemment aux suicides, dont le nombre, qui avait plutôt tendance à diminuer ces dernières années, remonte depuis 2008, et singulièrement pendant les quinze premiers jours du mois de janvier dernier, ce qui constitue un signal fort du mal-être des détenus.
On sait aussi que les désordres psychologiques et mentaux sont fréquents en milieu carcéral, puisque, selon les études, ils toucheraient, pour les formes les plus graves, au moins 10 % des personnes emprisonnées et, pour l’ensemble des troubles mentaux, jusqu’à 60 % des détenus.
Cet état de fait paraît d’autant plus choquant qu’il est la preuve d’un double échec : échec de la santé publique en matière de soins psychiatriques et d’attention portée à des populations socialement fragiles ; échec des soins en prison, qui ne parviennent pas à prévenir, prendre en charge ou guérir les souffrances physiques et mentales auxquelles ils s’adressent.
Vous nous soumettez, madame le garde des sceaux, un projet de loi longtemps attendu, qui doit poser les nouveaux principes de notre organisation pénitentiaire. Il ne peut donc faire abstraction de la question de la santé en prison. Peu de dispositions, dans le texte d’origine, avaient trait à cette dernière.
La commission des affaires sociales se devait d’examiner vos propositions et de les compléter si besoin.
Permettez-moi de m’étonner quelque peu de ce que nous devions travailler dans l’urgence, alors que, la semaine prochaine, le docteur Louis Albrand doit vous remettre son rapport sur la prévention des suicides en milieu carcéral.
Durant la phase de préparation de notre travail, j’ai visité plusieurs établissements pénitentiaires afin d’y recueillir le point de vue des médecins, des directeurs ainsi que de quelques prisonniers – je n’ai pas fait l’énorme travail de notre rapporteur – avec lesquels j’ai pu m’entretenir.
J’ai parlé tout à l’heure d’un échec des soins en prison : que ce soit bien clair, cet échec ne tient pas aux personnels soignants dont j’ai constaté le dévouement, parfois jusqu’au bout de leur capacité à endurer. Malgré les incompréhensions et les conflits qui peuvent survenir, cet échec n’est pas non plus le fait des personnels pénitentiaires qui se trouvent démunis face à la maladie et se tournent vers les médecins. Le problème, c’est évidemment la prison elle-même.
Cela étant, les insuffisances de la situation actuelle ne doivent pas nous le faire oublier, d’énormes progrès ont été accomplis. Un tournant a été pris, il y a quinze ans, avec la loi du 18 janvier 1994. À partir de cette date, ce n’est plus l’administration pénitentiaire qui a eu la charge de la santé des détenus mais l’hôpital public.
Et ce fut là un changement radical des choses car la logique antérieure relevait trop souvent de la suspicion envers les condamnés. Elle justifiait presque l’octroi de soins a minima et s’accompagnait parfois d’une obligation à la rédemption non exempte d’effets pervers. Rappelons-nous les collectes de sang en prison pour favoriser la « réinsertion » des détenus et les drames de la contamination qu’elles ont causés.
Depuis 1994 donc, le détenu est considéré comme un patient à part entière, titulaire de droits et notamment le droit d’accéder à un niveau de soins égal à celui dont dispose le reste de la population.
Le problème est de faire en sorte que, désormais, la réalité corresponde aux principes.
Or, quelle est la situation actuelle ?
Depuis 1994, chacun des 194 établissements pénitentiaires est doté d’une unité de consultations et de soins ambulatoires, ou UCSA, chargée de dispenser les soins courants, le plus souvent les soins dentaires, et d’assurer la visite régulière d’un certain nombre de spécialistes, par exemple des gynécologues dans les prisons pour femmes.
La plupart des UCSA disposent également d’un psychiatre à moins qu’il n’y ait dans l’établissement un service médico-psychologique régional, le SMPR, qui regroupe psychiatres, psychologues et infirmiers spécialisés.
L’installation de chaque UCSA et de chaque SMPR fait l’objet d’une convention entre l’établissement carcéral et un hôpital de rattachement qui met à disposition les personnels et les moyens matériels. En fait, la plupart du temps, les conventions sont signées avec deux établissements hospitaliers car peu d’hôpitaux disposent à la fois de services somatiques et de services psychiatriques.
Ce doublement des rattachements est cause de difficultés matérielles qui s’ajoutent à la difficulté qu’on rencontre, parfois, pour instaurer un dialogue entre les médecins psychiatres et les somaticiens. Ainsi, même lorsque l’UCSA et le SMPR sont connectés par exemple à internet, ce qui est rare, et qu’ils sont connectés entre eux, ce qui est encore plus rare, ils ne peuvent pas partager le même dossier médical car les systèmes informatiques des hôpitaux de rattachement sont le plus souvent incompatibles.
Au sein même de leur hôpital de rattachement, les unités de soins en prison sont confrontées à un certain nombre de difficultés. Leur financement dépend de la tarification à l’activité, ou T2A, pour les soins somatiques. Or la T2A ne peut couvrir correctement l’ensemble des besoins, si bien qu’elle est complétée par une dotation, l’enveloppe financière allouée aux MIGAC, les missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation.
Dès lors, la tentation existe pour les hôpitaux soit de négliger les unités carcérales dans les négociations annuelles avec l’ARH, l’agence régionale d’hospitalisation, et donc de sous-estimer les besoins en personnels et équipements, soit d’utiliser les sommes destinées aux soins en prison pour assurer le fonctionnement général de l’hôpital.
Malgré les contrôles effectués par les ARH, il existe, de nombreux médecins me l’ont affirmé, des affectations fictives en prison, les personnels exerçant en réalité l’intégralité de leur service à l’hôpital.
Les personnels soignants qui assurent un service en prison le font par conviction. Certes il existe des primes, certes des personnels féminins peuvent y trouver des horaires permettant une meilleure conciliation de leur vie professionnelle et de leur vie familiale, mais cela n’est pas la motivation première.
On ne se confronte aux contraintes du monde carcéral – difficultés pratiques d’accès, négociations permanentes avec l’administration pénitentiaire, violence, essentiellement verbale mais souvent répétée, des prisonniers – que si l’on est pénétré du sentiment d’avoir une mission de service public à accomplir.
Il existe très peu de postes de médecin à plein temps en prison et peu de perspectives de progression de carrière, ce qui ne facilite pas les vocations.
Cela étant, il est, selon moi, justifié que les soignants continuent d’exercer partiellement à l’hôpital, car la médecine pratiquée en prison est répétitive et déqualifiante. Il en résulte, d’ailleurs, que ces médecins et ces infirmiers ne trouvent pas facilement à se « recaser » au sein d’un service qui les intéresse, malgré la priorité de reclassement dont ils bénéficient en principe.
J’ai vu des médecins et des infirmières venir s’occuper de leurs patients tous les jours, sans interruption ni vacances, jusqu’à l’extrême limite de leurs forces, parfois même jusqu’aux larmes. Leur épuisement physique et moral risque dès lors de se refléter tant sur la qualité des soins dispensés que sur leur propre santé.
C’est, me direz-vous, une situation qui se rencontre partout à l’hôpital, à peine aggravée par le caractère clos du milieu carcéral. J’y vois pourtant une différence essentielle.
Les unités de soins en prison ne sont pas faites pour prodiguer des soins lourds. Elles dispensent, comme le nom des UCSA l’indique, des soins ambulatoires. Seuls les SMPR disposent de quelques lits. Or, la difficulté des soins en prison tient essentiellement à la faiblesse de la prise en charge par les hôpitaux.
J’ai rencontré un homme qui m’a dit être depuis huit ans dans une cellule d’un SMPR. Huit années ! Cette situation n’est pas admissible ! En effet, cela signifie que la lourdeur de la pathologie de cet homme n’était en réalité pas compatible avec une incarcération ordinaire. Selon moi, il n’aurait jamais dû se retrouver en prison ; il aurait dû être soigné dans un établissement spécialisé.
J’ai vu aussi une personne de plus de 84 ans dans une position fœtale depuis des mois et des mois, cloîtrée dans une de ces prisons. On se demande ce que l’on attendait pour la faire sortir de cet établissement ? La réponse m’a été apportée : on ne sait pas où la mettre, ailleurs !
Les moyens qu’exige l’état de ces personnes sont trop précieux en prison pour être mobilisés aussi longtemps au bénéfice d’une seule personne et de façon totalement inappropriée.
Même pour une simple consultation, on ne parvient que très difficilement à faire sortir un malade de prison. Les chambres sécurisées, permettant son accueil à l’hôpital, n’ont été que rarement et tardivement installées. J’en comprends les difficultés techniques, mais je n’exclus pas que la présence de prisonniers dans les services ne soit pas non plus très bien vue des personnels et qu’il n’y ait guère d’empressement à les accueillir. On s’occupe donc des prisonniers avec le souci de les faire retourner en prison le plus rapidement possible.
En milieu psychiatrique, cela se traduit par l’usage parfois abusif des cellules d’isolement, qui fait que – et c’est là un intolérable paradoxe – les malades préfèrent eux-mêmes revenir au plus vite en prison où, disent-ils, les conditions de soins sont moins dures.
Puisque l’on considère qu’on ne peut soigner durablement les prisonniers à l’hôpital, des unités intermédiaires sont actuellement en cours de mise en place : les unités hospitalières sécurisées interrégionales, les UHSI, pour les soins somatiques, et les unités d’hospitalisation spécialement aménagées, les UHSA, pour les soins psychiatriques. Coûteuses, ces structures n’ont pas encore fait leurs preuves en termes de soins. Il faudra en dresser le bilan.
Dès aujourd’hui pourtant, nous devons nous assurer que les unités en prison sont en mesure de fonctionner convenablement. Et cela passe nécessairement par une clarification des rôles : il faut réaffirmer que les médecins et les personnels soignants en prison sont là pour soigner des malades et non pour effectuer des missions de sécurité, comme les fouilles des cavités corporelles.
Il faut également garantir que le prisonnier malade bénéficie des mêmes droits que n’importe quel patient. Ces droits ont été consacrés en 1994 mais ils font l’objet d’entorses fréquentes, et tout particulièrement en ce qui concerne le respect du secret médical, en prison ou lors des consultations à l’hôpital.
Il faut aussi que les moyens matériels modernes dont sont dotés les hôpitaux soient mis à disposition de ces unités qui travaillent dans des conditions et pour une population particulièrement difficiles. Les prisonniers, on l’a vu, concentrent les difficultés sociales et sanitaires.
Je suis pour ma part favorable à l’institution d’un dossier médical électronique commun aux soins psychiatriques et somatiques. Celui-ci pourrait s’inscrire dans le cadre plus général du développement de la télémédecine qui permettrait de réduire les coûts de certaines consultations, faciliterait l’interprétation des analyses et l’accès à certains spécialistes, en évitant parfois le transfert des détenus dont on sait le coût et la difficulté d’organisation.
Je suis également très partisan du recours aux nouvelles technologies plutôt qu’aux fouilles corporelles, tant par palpation qu’avec intrusion. On l’a vu à Moulins, mais ce n’est pas un cas isolé : tout rentre en prison ! Les fouilles au corps ne servent donc pas à grand-chose, sauf à prendre parfois une autre signification, celle de l’humiliation délibérée des détenus.
Partout où cela est possible, il faut donc rapidement que des scanners, comme il en existe déjà dans les aéroports américains par exemple, puissent remplacer les fouilles au corps. Rien ne peut justifier, à mon sens, que l’on mélange médecine et sécurité.
Enfin, le problème de la santé en prison dépasse le cadre de la stricte organisation des soins pour rejoindre celui des conditions de détention. De ce point de vue, il n’existe aucune différence réelle entre les établissements anciens et les établissements plus récents : en moyenne, la population carcérale dépasse, dans les maisons d’arrêt, 130 % des capacités initiales, pour atteindre même, dans certaines, 180 %, voire 300 %.
Cette surpopulation conduit, dans certains cas, à faire cohabiter trois détenus ou plus dans une cellule de neuf mètres carrés avec une toilette ouverte au centre de la pièce. Les draps, y compris dans les SMPR, ne sont changés qu’une fois par mois – plus exactement, tous les quinze jours, on change alternativement le drap du dessus ou celui du dessous. Les détenus, trop nombreux, ne peuvent prendre une douche que trois fois par semaine.
Lutter contre la surpopulation carcérale est aussi une priorité sanitaire.
L’accès à la santé ne doit d’ailleurs pas s’arrêter à la porte de la prison. Pour de nombreux détenus, la visite, théoriquement facultative, chez le médecin et le psychiatre le jour de l’arrivée en prison – qui peut se limiter ce jour-là au mieux à un entretien avec le personnel infirmier, voire à rien du tout – est leur premier contact avec le monde de la santé.
Selon les cas, des traitements sont alors engagés, certains lourds et nécessitant un suivi à long terme : maladies chroniques, prothèses, soins dentaires, méthadone. Mais ils s’interrompent brutalement à la libération du prisonnier, surtout si elle est anticipée.
Si l’on prétend réinsérer, il faut soigner non seulement pendant l’incarcération mais aussi continuer après : il faut accompagner la personne et pas seulement le détenu.
Telles sont les considérations qui ont conduit la commission des affaires sociales à proposer plusieurs amendements au projet de loi pénitentiaire.
Ils ont essentiellement pour objet de compléter le projet de loi dans quatre directions : améliorer l’organisation des soins ; clarifier les missions des personnels soignants ; promouvoir l’emploi des techniques les plus modernes pour soigner et, si la nécessité s’en impose absolument, pour surveiller les détenus ; et surtout, renforcer les conditions d’hygiène en prison.
Bien sûr, dès la communication du rapport du docteur Albrand, nous nous réservons le droit de défendre de nouvelles propositions pour prévenir les suicides.
Enfin, notre dernier souci, et il n’est pas le moindre, a été de préparer, autant qu’il est possible, la réinsertion du détenu, grâce au maintien des liens familiaux, à l’accès à la formation et à la poursuite des traitements médicaux après la prison.
Vous l’aurez compris, nous soutiendrons ardemment nos amendements et nous comprendrions mal qu’on nous oppose, à l’occasion, un argument tiré de leur hypothétique valeur réglementaire.
En réalité, j’ai tendance à penser, comme beaucoup, que la plus grande partie du texte qui nous est proposé est essentiellement de niveau réglementaire !
Cet argument ne saurait valoir que pour les amendements de la commission des affaires sociales !
Sous réserve de l’adoption de ses propositions, notre commission s’est déclarée favorable à ce projet de loi pénitentiaire, certes très attendu, mais qui demeure perfectible dans sa forme, pourtant améliorée par la commission des lois et le travail remarquable de notre rapporteur Jean-René Lecerf.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.
Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce débat sur le projet de loi pénitentiaire n’est banal ni par son objet ni par les conditions dans lesquelles s’engage la discussion, mais, sur ce sujet extrêmement urgent, je ne me prononcerai pas sur la déclaration d’urgence !
Sourires.
En effet, cela a été rappelé, c’est la première fois sous la Ve République que la discussion en séance publique s’engagera, en application de l’article 42 de la Constitution révisée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, sur le texte élaboré par la commission, et non sur celui qui a été initialement déposé par le Gouvernement.
La commission des lois s’est longuement préparée à cette novation constitutionnelle, dont les conséquences n’ont peut-être pas été complètement appréhendées par tous ses promoteurs.
Je me permets de souligner au passage qu’il eût été bien plus facile de délibérer si les lois organiques avaient été votées en temps utile. Mais fermons là la parenthèse.
Pour lever les doutes sur l’application immédiate de cette novation et après avoir intégré dans le texte de la commission nombre d’amendements du rapporteur et des membres de la commission, nous avons examiné les amendements dits « extérieurs », tant ceux des sénateurs que ceux du Gouvernement – nous vous avons d’ailleurs entendue ce matin, madame le garde des sceaux. M. le président du Sénat l’a rappelé tout à l’heure, la commission des lois a confirmé le texte de la commission, et celui-ci est désormais proposé à votre délibération puisque l’article 42 de la Constitution est entré en vigueur depuis le 1er mars.
Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mes chers collègues, ce rappel ne vous est pas destiné ; nous sommes tous au courant de la nouvelle procédure ! Il s’adresse au Conseil constitutionnel, lequel a parfois besoin d’être éclairé sur le sens dans lequel nous allons !
Sourires.
Une telle démarche, qui lève toutes les objections à la procédure que nous avons initiée pour permettre l’examen de ce projet de loi si important pour le Sénat dès cette semaine, est presque expérimentale. Elle devrait permettre – c’est mon souhait – que notre débat en séance publique se concentre sur les enjeux importants du texte en discussion.
Madame le garde des sceaux, combien avons-nous attendu cette loi pénitentiaire ! Nous en avons d’ailleurs souvent parlé à vos prédécesseurs. Songeons que le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur ce sujet a été remis le 28 juin 2000. Hélas ! il demeure globalement d’actualité, malgré les efforts non négligeables accomplis au cours de ces dernières années.
À mon avis, il y a deux manières d’appréhender ce débat de société : on peut déplorer la surpopulation carcérale et la dégradation des conditions de détention, qui interdisent trop souvent à la prison d’assumer sa mission de réinsertion et de contribuer ainsi de manière efficace à la lutte contre la récidive ; mais, une fois ce constat réalisé, on peut – ou non ! – remettre à plus tard une réforme nécessaire et ambitieuse.
L’histoire de la prison en France, sur laquelle le président Badinter a écrit un ouvrage de référence, La prison républicaine – ou, plutôt, si peu républicaine… –, est très éclairante pour comprendre que, souvent, la punition justifiée par des actes que la société considère comme des manquements graves aux valeurs et aux règles de la vie en commun revenait uniquement à la mise à l’écart, pour un temps ou à vie, des criminels et des délinquants. Et je ne parle pas, bien entendu, de ce qui se passait avant l’abolition de la peine de mort.
Une question a toujours dominé : comment utiliser le temps de la prison pour permettre la réinsertion, voire l’insertion, des détenus ? Le législateur y a certes parfois répondu de façon positive et bon nombre d’humanistes se sont penchés sur ce sujet depuis cent cinquante ou deux cents ans. Mais une telle réponse a, bien vite, été contredite par les faits, et oubliée.
La bonne réponse est la suivante : il faut respecter la dignité des personnes détenues et, donc, améliorer les conditions de détention. Il importe, par exemple, de garantir un droit aux soins médicaux, pour lequel la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale a tout de même constitué un progrès considérable, on pourrait même aller jusqu’à dire une vraie révolution, même si le président About nous en a rappelé tout à l’heure les lacunes et nous a montré combien il était nécessaire d’aller plus loin dans ce domaine. Il convient également de favoriser le travail pénitentiaire et la formation, seuls gages d’une réinsertion possible, et, bien entendu, de lutter contre la surpopulation carcérale, qui sévit principalement et depuis longtemps dans les maisons d’arrêt.
En effet, comme nous l’avions noté en 2000, entre autres paradoxes – il y en a malheureusement beaucoup en la matière –, les prévenus, qui sont « normalement » présumés innocents, sont plus mal traités que les condamnés !
Des événements graves, qui sont encore survenus récemment, ponctuent la vie carcérale. Ils sont, tout comme les apparences, révélateurs de la gravité de la situation. Il faut néanmoins rappeler l’effort considérable entrepris, notamment, pour réhabiliter le parc pénitentiaire.
Madame le garde des sceaux, sans remonter au programme mis en œuvre par Albin Chalandon, suivi de celui qui avait été défini par Pierre Méhaignerie en 1995, la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice lancée par Dominique Perben, dont nous voyons déjà les résultats aujourd'hui et qui produira ses effets jusqu’en 2012, correspond à la nécessité d’avoir une stratégie immobilière ayant si souvent fait défaut et dans laquelle il faut, à l’évidence, intégrer la maintenance. Nous avons pu voir combien coûtait la rénovation des prisons qui ont été abandonnées pendant trente ou quarante ans. Vous pouvez vous-même en témoigner, madame le garde des sceaux, si Fleury-Mérogis avait fait l’objet de travaux de maintenance au cours de cette période, vous n’auriez pas dû engager un programme énorme de rénovation ! Je rappelle d’ailleurs que le partenariat public-privé permet d’assurer cette maintenance.
Nous avons soutenu avec beaucoup de force non seulement la création d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté, que vous avez proposée, mais aussi le développement du bracelet électronique, qui, je le rappelle, a pour origine une initiative du Sénat et dont l’administration pénitentiaire de l’époque – elle a bien changé ! – ne voulait à aucun prix. Elle a ainsi tout fait pour empêcher que cette expérience, pourtant bien connue au Canada et dans d’autres pays, réussisse en France.
L’un des aspects important de votre projet est de développer les alternatives à l’incarcération. Vous le savez, la commission a très largement approuvé ces mesures. Elles devraient contribuer en elles-mêmes à lutter contre la surpopulation carcérale et, surtout, s’agissant des courtes peines, dont je pense qu’elles sont bien souvent génératrices de récidive plutôt que d’exemplarité, à trouver d’autres solutions que la détention.
J’en viens aux dispositions relatives aux conditions de détention. Je tiens à ce propos à souligner l’excellent travail du rapporteur, notre collègue Jean-René Lecerf, …
…qui n’a ménagé ni son temps, ni son engagement sur ce sujet, ni son intelligence de la situation dans les établissements pénitentiaires. Dans la ligne du projet de loi, la commission des lois vous fera un certain nombre de propositions innovantes, en ce qui concerne tant les droits des détenus – c’est pour cette raison, monsieur About, que les dispositions de ce texte relèvent du domaine législatif – que l’obligation d’activité. Nous nous sommes longuement interrogés sur cette question, mais je crois qu’une telle obligation, qui existe à peu près partout, n’est absolument pas contraire, comme certains l’ont affirmé pendant longtemps, à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Bien entendu, madame le garde des sceaux, nous aurons à nous prononcer sur le maintien du principe de « l’encellulement individuel », lequel existe depuis 1875. Nous comprenons que cet objectif, qui n’a jamais été atteint, puisse paraître irréaliste. Certes, ce principe peut, pour des raisons positives, être aménagé, selon les modes de détention et les besoins des détenus, mais nous espérons que le nombre de prévenus continuera à diminuer et que les alternatives à l’incarcération prévues par votre projet trouveront toute leur dimension. Pour notre part, nous croyons à ce que nous proposons !
Nous nous sommes efforcés d’appréhender la réalité d’un service public singulier, en nous gardant, bien sûr, de tout angélisme. Il faut tout de même le rappeler de temps en temps, la plupart des détenus sont emprisonnés à la suite d’actes criminels ou délictueux graves, pour avoir tué, violé, blessé, abusé, fraudé, trafiqué. Toutes les sociétés ont le droit et le devoir de se protéger de ces personnes dangereuses qui violent gravement leurs lois.
Cela étant, la prison doit-elle demeurer le système confus qui fait que les établissements pénitentiaires sont à la fois des asiles, des hospices ou des hôpitaux ?
Sur ce sujet, MM. Lecerf et About l’ont évoqué, nous réfléchissons à une réforme de l’article 122-1 du code pénal. Madame le garde des sceaux, j’ai participé, comme nombre de parlementaires, à la révision du code pénal. À l’époque, nous avions pensé que cet article 122-1, qui se substituait notamment à l’ancien article 64 et qui ne faisait plus référence à la notion de démence, était une formidable avancée.
Or, je me demande si nous ne nous sommes pas trompés, dans la mesure où, comme M. le rapporteur l’a bien démontré, aujourd'hui, plus les personnes ont des troubles mentaux graves, plus elles sont lourdement condamnées.
Pour protéger la société, qui est un objectif somme toute compréhensible, on finit par condamner plus lourdement ceux qui ont les troubles psychiatriques les plus graves. Cela pose tout de même un réel problème ! Des tentatives ont déjà été réalisées. Mais la loi pénitentiaire en est un bon exemple : les essais peuvent se révéler concluants. Nous attendons donc aussi une loi sur l’hospitalisation psychiatrique.
Bien entendu, nous ne pouvons pas parler de la loi pénitentiaire sans évoquer les personnels.
Les surveillants d’aujourd'hui n’ont plus rien à voir avec les gardiens d’hier. Ils sont beaucoup mieux formés, ont un niveau supérieur et, souvent, sont beaucoup plus engagés dans la réinsertion des détenus que par le passé. Bien sûr, tout n’est pas rose et rien n’est évident, car, il faut le dire, c’est un métier difficile, que l’on n’a pas forcément choisi par vocation. Toutefois, tous ceux qui visitent les prisons régulièrement font, me semble-t-il, le même constat, les personnes qui ont accepté de travailler dans ce service public difficile font preuve d’un engagement fort.
Par ailleurs, il convient, bien sûr, de faire un effort supplémentaire pour développer le service pénitentiaire d’insertion et de probation, si l’on veut vraiment faire réussir la politique de diversification et d’aménagement des peines.
Madame le garde des sceaux, telles sont les quelques brèves observations qu’il me paraissait nécessaire de faire après les interventions de M. le rapporteur et de M. le rapporteur pour avis. Votre politique pénale doit être considérée dans son ensemble. À cet égard, ce projet de loi en est le dernier volet et constitue le pendant indispensable des textes votés antérieurement, comme celui sur la lutte contre la récidive. Je souhaite que sa mise en œuvre permette à la prison d’être plus utile et plus efficace, en donnant une chance à ceux qui se sont coupés de la société. J’attends qu’elle ne soit plus « une humiliation pour la République ».
C’est une ambition que nous partageons, et ce, j’en suis sûr, sur toutes les travées de cette assemblée. C’est une ambition digne de la France des droits de l’homme. Notre politique pénitentiaire doit savoir non seulement être ferme, pour « protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ». Nul doute que cet extrait d’une décision du Conseil constitutionnel en date du 20 janvier 1994 rappellera un souvenir particulier à l’un de nos éminents collègues !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
En juin 2007 – ce n’est pas si vieux ! –, devant le tribunal de Bobigny, vous déclariez, madame le garde des sceaux : « La justice ne peut être ferme si elle n’est pas humaine. Une justice humaine, c’est aussi une justice qui respecte totalement ceux qui sont condamnés ». Naturellement, nous souscrivons tous à de telles intentions et nous les partageons.
Après avoir examiné le projet de loi instaurant des peines minimales pour les récidivistes, après avoir adopté la loi mettant en place un contrôleur indépendant des lieux privatifs de liberté, nous sommes aujourd’hui saisis d’un texte fondateur dans le domaine pénitentiaire. Ces textes de loi, complémentaires, constituent le socle d’une justice que vous souhaitez, à juste titre, à la fois plus ferme et plus humaine.
Si la fermeté à l’égard des délinquants et des récidivistes est une nécessité, si notre arsenal juridique doit être renforcé afin de nous prémunir face à des cas de récidive parfois extrêmement graves, il convient toutefois de respecter pleinement les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
La sanction doit être sévère et aller jusqu’à l’enfermement, parce que la gravité de l’acte commis l’exige et parce que le comportement de l’auteur de l’acte incriminé le nécessite. Pour autant, notre justice se doit de toujours garder un visage humain et de rester attentive, non seulement aux victimes, mais également à la situation des personnes qui ont été condamnées au nom de la République, en notre nom.
L’emprisonnement doit toujours s’effectuer dans des conditions qui s’accordent avec le respect de la personne humaine. Ainsi, la privation de liberté ne signifie pas la privation de l’accès au droit.
Notre assemblée a toutes les raisons de se réjouir que ce projet de loi soit enfin soumis à son examen.
L’adoption de ce texte, déposé – faut-il le rappeler ? – le 28 juillet 2008 sur le bureau du Sénat, ne pouvait être plus longtemps différée. Il est aujourd’hui devant notre assemblée, qui a eu largement le temps de l’analyser.
Vous étiez venue, madame le garde des sceaux, devant la commission des lois, à l’automne dernier, lorsque celle-ci procédait à des auditions. Ce matin, vous êtes venue à nouveau devant elle pour soutenir vos amendements, comme le prévoit désormais notre procédure législative. Nous avons donc eu suffisamment de temps pour travailler sur ce texte.
Depuis le 22 juin 1987, aucun autre gouvernement n’avait mis en chantier un texte relatif au droit pénitentiaire. En effet, la loi pénitentiaire soulève de très fortes attentes de la part de nos concitoyens, des professionnels de la justice et des élus, qui se sont beaucoup investis sur ce sujet.
C’est avec constance, et depuis de nombreuses années, que le Sénat accorde une attention toute particulière à la situation des établissements pénitentiaires.
Voilà neuf ans, le Sénat décidait la création d’une commission d’enquête sur ce sujet, présidée par Jean-Jacques Hyest. Dans son rapport d’enquête intitulé « Prisons : une humiliation pour la République », cette commission soulignait la nécessité absolue d’améliorer sans attendre les conditions de détention dans nos prisons. Sa conclusion était sans appel : « Il y a urgence... Il y a urgence depuis deux cents ans ».
Je tiens donc à saluer l’initiative du Gouvernement, qui permet aujourd’hui au Parlement de débattre d’une grande loi fondamentale sur le service public pénitentiaire.
Vingt-deux années ont passé depuis que M. Albin Chalandon, alors garde des sceaux, a fait adopter la loi pénitentiaire du 22 juin 1987. Or, en vingt-deux ans, tout a changé : le profil des détenus, l’administration pénitentiaire, notre société et les normes européennes et internationales, qui sont désormais plus précises.
Le projet de loi que vous nous proposez a pour vertu de mettre en conformité notre droit interne avec nos obligations européennes.
Le 11 janvier 2006, le Conseil de l’Europe énonçait en effet 108 règles pénitentiaires européennes, qui, malheureusement, n’avaient aucune valeur juridiquement contraignante. Votre texte, madame le garde des sceaux, permet de généraliser la mise en œuvre de ces recommandations.
Votre projet de loi comporte des avancées majeures qu’il convient de souligner et qui s’inscrivent dans une politique d’ensemble visant à moderniser le système pénitentiaire français.
Il reconnaît, tout d’abord, un ensemble de droits fondamentaux aux détenus, en consacrant le principe selon lequel la personne détenue conserve, comme tout citoyen, le bénéfice de ses droits, même si elle est privée de sa liberté, et à condition que le tribunal l’ait autorisée à conserver ces droits.
Votre texte multiplie les dispositions tendant à améliorer la vie quotidienne des détenus au sein de l’établissement pénitentiaire. Je pense à la possibilité offerte à tous les prisonniers de téléphoner, ou encore à l’incitation à exercer une activité professionnelle, sportive ou culturelle.
Il comporte également de sérieuses avancées pour les personnels pénitentiaires, auxquels nous souhaitons rendre collectivement un hommage appuyé, car ils exercent leurs missions dans des conditions souvent extrêmement difficiles : ils méritent incontestablement la reconnaissance de la société tout entière pour l’action qu’ils mènent au quotidien.
L’un des principes essentiels qui inspire le projet de loi est que la prison est une sanction nécessaire mais ultime. Une peine d’emprisonnement doit pouvoir être exécutée en dehors de la prison. C’est l’objet des alternatives à l’incarcération et des aménagements de peine destinés à favoriser la réinsertion des détenus et à lutter plus efficacement contre la récidive.
Ainsi, ce projet de loi institue l’assignation à résidence avec surveillance électronique, qui constituera une nouvelle alternative particulièrement crédible à la détention provisoire, permettant aussi une surveillance plus efficace qu’un placement sous contrôle judiciaire.
À l’heure où la surpopulation carcérale est, à juste titre, quotidiennement dénoncée, notre groupe ne peut qu’approuver, madame le garde des sceaux, des mesures alternatives à la détention qui ne représentent pas une menace pour la sécurité des personnes.
Enfin, ce projet de loi place la réinsertion des détenus au cœur de l’intervention du service public pénitentiaire, en favorisant le développement de la formation et du travail en prison.
Sur l’initiative de notre rapporteur, que je souhaite féliciter, au nom du groupe UMP et en mon nom personnel, de son travail de très grande qualité, la commission des lois a modifié certaines dispositions du texte du Gouvernement afin de donner au présent projet de loi toute sa portée.
Les propositions de Jean-René Lecerf suscitent une large adhésion, tant elles permettent d’améliorer de façon significative les conditions de détention.
Ainsi, la commission des lois a souhaité conserver le principe de l’encellulement individuel, imposé par le code de procédure pénale, mais auquel la France déroge en raison de la surpopulation carcérale.
Inscrit depuis 1875 dans le code de procédure pénale, l’encellulement individuel est un droit fondamental, qui, jusqu’à présent, n’a jamais atteint. S’il convient d’affirmer ce principe, il semble toutefois nécessaire de prévoir une certaine souplesse afin de permettre, dans des proportions restreintes, aux détenus qui supportent mal l’isolement carcéral d’être placés dans une cellule à usage collectif. Sur ce point, le débat qui se poursuit aujourd’hui devrait permettre de rapprocher les points de vue, au demeurant peu éloignés, de la commission et du Gouvernement.
Il est temps d’accorder toute leur place aux impératifs d’insertion et de réinsertion à la sortie de prison, parce qu’il importe d’assurer un meilleur respect des droits fondamentaux des personnes détenues.
Pour l’ensemble de ces raisons et sous réserve des observations que je viens de présenter, les membres du groupe UMP adopteront le texte proposé par la commission des lois sur le projet de loi pénitentiaire.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Applaudissements sur les travées du RDSE.
Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, comment faire de la prison un lieu d’espérance, alors qu’elle est aujourd’hui un lieu de désespérance, si ce n’est en ayant le sens de l’humain ?
Je tiens tout d’abord à rendre hommage au rapporteur de la commission des lois, Jean-René Lecerf, car son action et son discours ont été ceux d’un homme de conviction, qui sait faire entendre à la fois le cœur et la raison. Nous avons tous été touchés par sa force de conviction et par le caractère particulièrement humain de son travail.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Le texte intitulé « projet de loi pénitentiaire » ne saurait être appréhendé hors du contexte général de la politique pénale de notre pays. Il ne saurait être un instrument de communication destiné à masquer la réalité : la situation catastrophique des prisons françaises et une justice française considérée en Europe comme l’un des plus mauvais exemples. N’oublions pas ce qu’est notre univers carcéral, qui sont les détenus, quelles sont leurs origines – 95 % d’hommes, 50 % d’illettrés ! – et de quels milieux ils sont issus. La réalité, c’est cela !
Ce constat est la résultante non pas de la politique d’un seul gouvernement, mais d’une responsabilité nationale collective, découlant aussi du fait que nos concitoyens ne s’intéressent à la justice que lorsqu’ils sont personnellement ou familialement concernés.
Mettre à la disposition de la justice les budgets nécessaires, telle est la condition préalable à toute amélioration de la situation et tel est le moyen de respecter les règles pénitentiaires européennes adoptées le 11 février 2006.
On peut aussi, madame le garde des sceaux, illustrer ces problèmes par l’insuffisance du plan de relance pour la partie « justice » : 80 millions d’euros seulement, dont 30 millions d’euros pour les travaux de rénovation dans les établissements pénitentiaires, et 15 millions d’euros pour le lancement anticipé des quartiers de courtes peines.
En Europe, la France est montrée du doigt pour les dysfonctionnements de sa justice.
Le bâtonnier de Paris a qualifié publiquement les prisons françaises de « pourrissoirs » et a conclu ainsi son éditorial du 16 janvier 2009 : « Nous taire ou nous abstenir équivaudrait à nous rendre nous-mêmes complices de cette indignité ».
Dans son rapport, M. Delarue, nouveau contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont la nomination nous semble à tous très positive, établit ce même constat : surpopulation carcérale, nombreux lieux de non-droit où toutes les violences se propagent, taux de suicide en progression exponentielle, désarroi des personnels dont la tâche devient impossible...
Quelle est la réponse de l’État ? Que peut-on attendre de ce projet de loi pénitentiaire ? Résout-il le problème de la prison en France ?
Ce texte apporte un progrès sur la question du droit des détenus et sur celle des alternatives à la prison. Toutefois, faire un projet de loi dite « pénitentiaire » en remettant en cause l’encellulement individuel, ce n’est pas raisonnable !
Concilier la protection de la société, l’application d’une sanction pour des actes délictueux ou criminels avec l’impératif d’un travail de réinsertion sociale et des conditions satisfaisantes d’exercice professionnel des personnels est l’objectif de toute politique générale pénitentiaire équilibrée et raisonnable.
Le déséquilibre, mes chers collègues, intervient lorsqu’on privilégie le volet sécuritaire, autrement qualifié de « populisme pénal », ou, à l’inverse, le laxisme libertaire. Nous ne voulons ni de l’un ni de l’autre.
Ce projet de loi constitue-t-il uniquement une réponse médiatique aux multiples observations émanant d’organismes internationaux et nationaux, ou permettra-t-il de mettre en pratique dans les prisons lesdites recommandations, comme le souhaitent la commission, son rapporteur et son président ?
Le texte de la commission des lois constitue incontestablement un progrès par rapport au texte initial, et j’ai déjà dit tout le bien que nous pensions du travail effectué par M. le rapporteur.
Ce texte apporte certaines améliorations, au niveau tant des principes que d’une partie des droits reconnus aux détenus, droits inhérents à la personne humaine.
Il en est ainsi de l’article 1er A, de la garantie donnée à tout détenu, par l’administration pénitentiaire, du respect de ses droits, de l’article 2 relatif aux moyens de contrôle externe et interne, d’un meilleur encadrement des restrictions dont les droits des détenus peuvent faire l’objet, d’une communication plus facile avec la famille, l’avocat, des progrès concernant certains droits sociaux ainsi que les familles.
L’affirmation du caractère subsidiaire de l’emprisonnement ferme et de la nécessité de prévoir son aménagement est mise exergue par l’article 32. L’inscription au niveau législatif des principes du régime disciplinaire relève aussi du retour à la voie de droit, mais ne nous ramène pas au niveau européen.
Un débat, révélateur de l’échec de notre système, revient comme un serpent de mer : celui qui porte sur l’encellulement individuel.
Le livre du docteur Vasseur, en 2000, et le scandale qui suivit amenèrent les parlementaires à prohiber l’encellulement collectif, ce qui revenait à appliquer la loi de 1875, mais avec une entrée en vigueur au 15 juin 2003, reportée à 2008 par un cavalier législatif dans la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière !
Aujourd’hui, le Gouvernement nous propose en fait de revenir sur le principe de l’encellulement individuel. Aux termes de l’article 59, un moratoire de cinq ans est prévu pour l’application de l’encellulement individuel.
Il est facile, mes chers collègues, de dire que nous n’avons pas les moyens financiers d’appliquer l’encellulement individuel. Mais renoncer à ce principe, est-ce le moyen de préparer les budgets de demain ? Certainement pas !
En réalité, ce qui existe, c’est le droit, lorsque l’on est en cellule collective, à être transféré, souvent après plusieurs mois de procédure, dans une cellule individuelle n’importe où en France.
Conforter le principe du droit à l’encellulement individuel, c’est mettre l’État devant ses responsabilités.
La loi pénitentiaire ne sera qu’une déclaration d’intention sans plan d’urgence pour en finir avec la surpopulation carcérale, sans moyen nouveau pour assumer les dispositions relatives au travail en prison, à la surveillance électronique, au suivi sociojudiciaire.
Nous le savons tous, la situation actuelle, c’est l’entassement des prévenus et des condamnés en cellules collectives de maisons d’arrêt dans des conditions humiliantes et dégradantes – nombre important de détenus par cellule, matelas par terre, etc. –, la promiscuité, la loi du plus fort, l’arbitraire découlant de cette surpopulation, l’insuffisance de moyens d’une politique de réinsertion, le nombre de décès et de suicides, l’augmentation des affections contagieuses, y compris chez les surveillants : récemment, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a été saisi d’une requête de sept surveillants pour des problèmes de tuberculose.
Lorsqu’on atteint certains seuils de surpopulation carcérale, il faut savoir ouvrir les portes et prendre les décisions nécessaires pour ce faire.
Tout un volet du projet de loi tend à développer les aménagements de peines privatives de liberté. C’est positif, mais, là encore, l’expérience incite à un certain scepticisme si l’on se réfère à la chute du nombre de libérations conditionnelles ces dernières années et au fait que la mise en place de la surveillance électronique, surtout mobile, nécessite des infrastructures, ainsi qu’un suivi humain et un matériel coûteux.
Comment, en dehors des avancées que contient ce texte et que nous soulignons, ne pas noter la contradiction qui existe entre la politique d’affichage sécuritaire aboutissant à l’augmentation du nombre des détenus – « peines plancher », rétention de sûreté, carcéralisation du soin psychiatrique – et le projet de loi qui nous est soumis ?
Est-ce d’ailleurs une contradiction ou bien s’agit-il de la caractérisation d’une politique visant à faire du système répressif une noria où le flux d’entrées est augmenté pour répondre au message punitif et le flux de sorties en partie accéléré pour raison d’embouteillage humain ? Car telle est la réalité !
La dérive de l’institution est manifeste ! Comment préparer à la réinsertion lorsque des dizaines de milliers de petits délinquants entrent ou reviennent en prison pour purger des peines de quelques mois ? On prépare la récidive plus que la réinsertion.
La justice, mes chers collègues, est incompatible avec le suivisme de la médiatisation, avec le développement de la notion d’insécurité que la recherche du chiffre accentue plus qu’elle ne la diminue : les 577 000 gardes à vue de 2008 en sont l’illustration.
Dans son traité De la clémence, Sénèque affirmait : « Quant aux mœurs publiques, on les corrige mieux en étant sobre de punitions ; car le grand nombre des délinquants crée l’habitude du délit ; ».
Aujourd'hui, dans le concert des pays développés, la France est montrée du doigt en raison non pas du nombre de détenus proportionnellement à la population, mais des déplorables conditions de détention, inacceptables pour le pays des droits de l’homme.
Plutôt que d’accumuler les lois modifiant le code pénal et le code de procédure pénale, l’urgence, mes chers collègues, c’est de considérer enfin que l’état de nos établissements pénitentiaires relève d’une véritable priorité nationale.
Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat a souvent débattu de textes relatifs à la prison. Il y a plus d’un siècle, René Bérenger, catholique et républicain, est monté à cette tribune pour dresser ce constat si actuel : la récidive a pour cause l’état misérable des prisons, la promiscuité favorise la corruption ; Robert Badinter le rappelle dans son ouvrage La prison républicaine. René Bérenger ajoutait que le sursis, l’encellulement individuel, l’aménagement des peines, la libération conditionnelle évitent la récidive plus que l’enfermement.
Cent cinquante ans plus tard, le même débat nous occupe de nouveau : à quoi sert la prison, quel est le sens de la peine ? La question qui nous est posée n’est donc pas nouvelle. Nos prédécesseurs dans cet hémicycle nous ont légué une réponse qui se résume en deux verbes : surveiller et punir, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Michel Foucault. Aujourd’hui, cette réponse ne peut nous satisfaire. Une triple évidence s’impose à nous.
La première évidence est simple, et elle a été rappelée à de multiples reprises : un détenu reste un homme malgré les murs de sa prison. À l’exception de la liberté d’aller et de venir, qui lui a été retirée provisoirement, il conserve les droits qui sont ceux de l’homme.
La deuxième évidence est tout aussi forte : la prison reste « une humiliation pour la République », selon le titre du rapport de la commission d’enquête que présidait Jean-Jacques Hyest voilà maintenant neuf ans. La prison entasse, humilie, détruit, déshumanise. Elle ne constitue trop souvent qu’un trou dans lequel un individu tombe, individu qui, le plus souvent, trébuche depuis son enfance. Dans ce « trou à rat », au sens propre comme au sens figuré, celui-ci partagera onze mètres carrés avec deux ou trois codétenus, sans hygiène, sans intimité, sans possibilité de réfléchir à sa vie, à ce qu’elle fut, à ce qu’il souhaiterait qu’elle devienne, et il se comportera d’autant plus comme un enragé qu’il aura été traité comme tel.
Il fera preuve de violence non seulement envers les autres, qu’il s’agisse du personnel pénitentiaire, qui exerce une mission difficile, ou de ses codétenus, mais également envers lui-même, guidé par un désespoir qui pourra le conduire à l’automutilation ou au suicide. Le taux de suicide est sept fois plus élevé en prison qu’en milieu ouvert : en 2008, 115 suicides ont été recensés ; depuis le début de l’année, on compte un suicide tous les trois jours.
La troisième évidence est la suivante : statistiquement, et contrairement à ce que croit l’opinion publique, le détenu est rarement un « professionnel » de la délinquance pour qui la prison ferait partie des risques du métier. En général, il s’agit plutôt d’un « paumé » de la vie.
Aujourd’hui, puisqu’à notre tour nous avons la responsabilité de légiférer, tirons enfin les conséquences de ces évidences.
Si nous voulons éviter la récidive, la peine ne doit plus se limiter à surveiller et à punir : elle doit avoir pour ambition d’humaniser et de réinsérer. Pour atteindre cet objectif, il existe une méthode simple, faire entrer le droit commun en prison, autant que faire se peut, même si des spécificités sont propres à l’enfermement.
Nous jugerons le projet de loi qui nous est soumis en fonction de ce critère. Je prends soin, madame la garde des sceaux, de ne pas dire « votre » projet de loi puisque, en réalité, le texte de la Chancellerie a été revisité dans tous ses articles, ou presque, par la commission des lois.
Au-delà de nos sensibilités politiques, à mon tour, je salue l’engagement remarquable de notre collègue rapporteur, Jean-René Lecerf.
Il avait à examiner un projet de loi qui, selon les termes de son rapport, était resté « au milieu du gué », entraînant « une déception largement partagée ». Le texte se trouvait très en retrait des travaux du comité d’orientation restreint que le Gouvernement avait installé pour préparer une grande loi pénitentiaire. Il ignorait, bien sûr, les observations de l’Observatoire international des prisons et semblait mépriser le vaste chantier des états généraux de la condition pénitentiaire, au sein duquel notre collègue Robert Badinter a joué un grand rôle. Pourtant au cours de ces états généraux, le candidat Nicolas Sarkozy avait assuré : « Je me suis clairement engagé à ce que la dignité de la condition carcérale soit une priorité de notre action. »
Où en est le droit commun en prison ? Malheureusement, il n’est que l’exception. Il est absent quand un caïd asservit un codétenu, « une mule » dans le langage carcéral, pour organiser ses petits trafics en restant impuni. Il est absent quand les stupéfiants s’achètent et se vendent dans le mutisme de l’administration. Il est absent lorsque règne la pire sauvagerie.
Permettez-moi de vous citer deux cas. À Rouen, Idir, vingt-six ans, condamné pour conduite en état alcoolique, a été égorgé par Sofiane, qui avait tenté plusieurs fois de mettre fin à ses jours. À Nancy, Johnny, peintre en bâtiment, a été torturé jusqu’à la mort par un codétenu pendant quinze jours sans que personne remarque sa souffrance. Quel paradoxe de voir que la prison constitue un lieu hors du droit puisque ni la sécurité ni l’égalité n’y sont respectées !
Ne mettons pas en cause le personnel pénitentiaire, qui se débrouille avec les moyens mis à sa disposition ! La vraie raison tient à ce flou juridique qui doit gêner tout législateur : il existe bien un droit en prison, mais ce droit reste confus, fait de décrets, de circulaires, de notes, de règlements intérieurs dont l’usage varie parfois d’un établissement à l’autre, bref de normes qui sont d’une « qualité discutable », pour reprendre les termes de l’ancien Premier président de la Cour de cassation, M. Canivet ; l’expression est citée dans le rapport de la commission d’enquête présidée par Louis Mermaz.
Cette absence de règle aboutit trop fréquemment à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme. Ce projet de loi nous permettra-t-il de passer enfin de l’exception à la règle ?
Convenons-en, le texte contient des avancées sur les droits des détenus, par exemple l’allocation d’une aide en nature ou en numéraire, la domiciliation, ou encore sur cette importante question du droit à l’intégrité physique.
La commission, il faut le souligner, a aussi affirmé un principe majeur repris des règles européennes : l’emprisonnement doit constituer un dernier recours. Ce n’est pas rien, ayons l’honnêteté de le reconnaître, mais ce n’est pas suffisant.
Sur trop de points, ce projet de loi reste empêtré dans des considérations sécuritaires. Il demeure notamment très en retrait des cent huit règles pénitentiaires européennes. J’ai consulté avec curiosité le site du ministère de la justice et j’y ai lu avec intérêt cette phrase : « L’administration pénitentiaire a décidé de faire du respect des règles pénitentiaires un objectif prioritaire ». Eh bien, madame la garde des sceaux, nous vous proposons de vous aider à atteindre cet objectif ! Il vous suffira d’accepter un certain nombre de nos amendements, puisqu’un quart d’entre eux reprend ces recommandations adoptées par le Conseil de l’Europe.
Allons plus loin : la Chancellerie propose de réduire la durée maximale du placement en cellule disciplinaire de quarante-cinq à quarante jours. La commission des lois a abaissé cette durée à trente jours. Par voie d’amendement, le Gouvernement s’obstine et veut revenir à quarante jours ; en tout cas, c’est ce que vous nous avez dit ce matin, madame la garde des sceaux. Pourquoi quarante jours ? Il ne s’agit pas d’un nombre sacré ! En réalité, cette durée n’a aucun sens. Aucune étude, aucune évaluation n’a jamais établi que la mise en cellule disciplinaire réduisait la violence en prison ! Au contraire, les témoignages montrent qu’elle ne fait qu’augmenter la haine et le désespoir, qui se retournent parfois contre leur auteur, puisque le taux de suicide au mitard est sept fois plus élevé que dans le reste de la prison.
Nous vous demandons d’abolir les mises en cellule disciplinaire et de les remplacer par des mesures de confinement individuel. À défaut, réduisez au moins cette durée aux normes européennes : la durée maximale de placement en cellule disciplinaire est de trois jours en Irlande, de neuf jours en Belgique, de quatorze jours en Angleterre, de vingt-huit jours en Allemagne. La commission d’enquête présidée par Jean-Jacques Hyest suggérait de la réduire à vingt jours. Je suis certain que le Sénat refusera de revenir à ces quarante jours, qui doivent constituer un record en Europe.
Méfions-nous aussi des régimes différenciés, car ils respirent l’arbitraire. J’ai entendu ce matin, en commission, l’exposé à cet égard de Mme la garde des sceaux : permettez-moi de vous dire, avec beaucoup de respect, qu’il s’agit d’une histoire pour enfants, car la réalité est tout autre. Le « quartier spécial », le « quartier fermé », le « strict » selon le jargon carcéral, constitue bien souvent – trop souvent ! – une sanction disciplinaire déguisée, sans procédure, sans durée précise, sans motif explicite. Je prendrai pour exemple ce qui s’est passé à Nantes, mais je pourrais également citer un exemple relevé à Bois d’Arcy : un détenu a été placé en quartier différencié non pas pour avoir commis un acte répréhensible – ce serait une sanction disciplinaire – mais simplement parce qu’il se promenait en claquettes et en short dans la prison. On ne pouvait évidemment pas lui infliger une sanction disciplinaire ; alors, on l’a placé sous un régime différencié, ce qui représente une atteinte à ses droits. Je vous rappelle que la cour administrative d’appel de Nantes, après le tribunal administratif de Nantes, a annulé cette décision de placement sous régime différencié.
Le projet de loi aurait pu aussi s’inspirer des principes constitutionnels. Deux d’entre eux sont gravement méconnus.
La séparation des pouvoirs de l’autorité qui poursuit et de l’autorité qui sanctionne est une garantie indispensable d’objectivité. Pourtant, en prison, l’administration restera juge et partie, même si l’article 53, je le reconnais bien volontiers, prévoit désormais un regard extérieur dans les commissions disciplinaires.
Selon un autre principe, les décisions relatives à la liberté relèvent du juge. La seconde partie du texte inquiète les juges de l’application des peines qui voient une partie de leurs attributions transférée à l’administration pénitentiaire.
D’autres lois, d’apparence plus anodine, restent également aux portes de la prison, par exemple la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : son article 2 précise que « les autorités administratives sont tenues d’organiser un accès simple aux règles de droit qu’elles édictent ». Quelle interprétation en faites-vous ? L’article 19 bis du projet de loi prévoit que le détenu sera informé des conditions de sa détention. C’est bien, mais la Chancellerie a refusé que cette information soit communiquée dans une langue que le détenu peut comprendre : c’est aberrant !
Quant au droit à la santé, je m’en remets aux propos du rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, mais j’insisterai sur un point : il serait grand temps de distinguer nettement la maladie mentale et le comportement disciplinaire. Un cas illustre l’absurdité qui peut résulter de la confusion qui règne actuellement. À Rouen, un détenu soupçonné de cannibalisme aurait dû être interné en hôpital psychiatrique : il a été condamné à 45 jours de cellule disciplinaire. Il est donc temps de remettre de l’ordre dans le droit applicable aux prisons.
Pour terminer, je voudrais évoquer deux droits fondamentaux affirmés avec force par plusieurs règles pénitentiaires européennes.
Le premier est le droit au respect, y compris au respect de l’intimité. Rien n’est plus bafoué en prison que l’intimité ! Avant, après le parloir, au moment des transferts ou dans de multiples circonstances, le détenu, femme ou homme, est mis à nu, subissant parfois des investigations anales ou vaginales, sans que ces contrôles obéissent à aucune règle précise, comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme.
Je ne nie pas la nécessité d’exercer des contrôles, mais d’autres méthodes existent ; elles ont été évoquées tout à l’heure. D’ailleurs, l’article 24 le rappelle, puisqu’il dispose : « Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou les moyens de détection électronique sont insuffisants ». Malheureusement, comme nombre de dispositions de ce projet de loi, la restriction apportée prive la bonne intention de toute portée concrète.
Ce droit à l’intimité est nié aussi par l’encellulement collectif. J’ai entendu, ce matin, la présentation de l’amendement du Gouvernement, qui veut revenir à son texte initial. Il remet donc en question le principe de l’encellulement individuel en expliquant que ce principe est bon, mais qu’il est irréaliste, car il ne peut être effectif. Prenez garde à cette philosophie : si vous la retenez, qu’allez-vous faire des principes de liberté, d’égalité et de fraternité, qui ne sont pas tous respectés et qui représentent aussi des objectifs parfois difficiles à atteindre ? Le rôle du législateur est de poser des principes et de se donner ensuite les moyens de les appliquer.
Mais, plus que tout, un second droit fondamental manque dans votre texte : redevenir un homme responsable après avoir purgé sa peine. Ce droit à la réinsertion est, selon moi, le grand absent de ce texte. Regardez combien sont précises les dispositions consacrées à la surveillance et floues celles qui sont consacrées à la réinsertion. Il manque un titre IV : « De la sortie de prison et de la réinsertion du condamné ». Ce titre-là est indispensable non seulement pour le détenu, mais également pour la société.
Regardons les chiffres : le taux de récidive est deux fois plus élevé lorsque la sortie de prison est « sèche », c’est-à-dire non préparée par un aménagement de peine. En fait, la réinsertion devrait être une obsession du service public pénitentiaire, et ce à tous les moments du parcours du détenu.
Dès l’entrée en prison, la formation devrait offrir une nouvelle chance, car il s’agit souvent de personnes dépourvues d’instruction : celle-ci n’est actuellement qu’une possibilité, variant selon les moyens et les circonstances.
En cours de peine, la semi-liberté et la libération conditionnelle devraient devenir des transitions obligées.
Enfin, lors de la levée d’écrou, le sortant a besoin d’un soutien matériel. En Allemagne, les détenus libérés se voient proposer une solution de logement ; en France, ils se retrouvent à la rue, avec moins de quinze euros en poche dans 25 % des cas et sans perspective d’emploi pour 60 % d’entre eux.
Voilà bien la grande faiblesse de votre politique pénitentiaire : elle ne se préoccupe pas suffisamment de la réinsertion et, dès lors – je le dis sans esprit polémique –, elle ne peut que favoriser la récidive.
J’ai débuté mon propos en rappelant nos prédécesseurs et, en particulier, René Bérenger. Je finirai en évoquant ceux qui nous suivront : que penseront-ils de ce texte ? L’exercice est périlleux, mais il me semble que certains salueront de réelles avancées, obtenues grâce à l’obstination de Jean-René Lecerf. D’autres souligneront que les intentions étaient belles, mais que, comme souvent, les moyens n’ont pas suivi. Tous mentionneront, me semble-t-il, que votre politique pénitentiaire a souffert d’un mal originel : votre politique pénale.
Au fond, que proposez-vous ? Vider les prisons après les avoir remplies à ras-bord ! Quelle politique contradictoire ! Pour plaire à l’opinion, vous remplissez les prisons à grand bruit. Puis, pour faire face à la surpopulation pénale, vous les videz en catimini.
La politique pénitentiaire et la politique pénale sont étroitement liées. Tous, nous voulons diminuer la délinquance, protéger les victimes, assurer l’ordre public. Mais, pour y parvenir, plusieurs voies existent : l’une d’elle se satisfait de surveiller et de punir ; l’autre entend humaniser et insérer.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi était attendu, ce qui n’a rien d’étonnant puisque l’on peut considérer que c’est la première fois, sous la Ve République, que le Parlement a à connaître d’un texte cadre consacré à la question pénitentiaire. Ce simple fait nous interpelle. Il est assez révélateur du déni qui a trop longtemps été celui de la puissance publique quant aux conditions réelles d’incarcération. Ce déni avait été stigmatisé par le Sénat, en 2000, dans le rapport d’information au titre plus que parlant : Prisons, une humiliation pour la République.
Comment a-t-on pu en arriver à qualifier le système carcéral d’humiliation pour la République ? L’examen du présent projet de loi nous permet aujourd’hui de le comprendre et de regarder en face ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe : tandis que le droit en prison a progressé au cours des trente dernières années, ces avancées ne se sont pas accompagnées d’améliorations suffisantes dans les conditions de vie des détenus, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, le droit en prison a progressé en l’absence d’intervention coordinatrice du législateur, par touches impressionnistes et très insuffisamment. Ensuite, la politique carcérale a été pensée indépendamment de la politique pénale.
Alors, ce projet de loi pénitentiaire répond-il de façon pertinente à ce double constat ? Pour bien répondre à cette question, il convient de se demander ce que l’on est en droit d’attendre d’une loi pénitentiaire. Je tenterai donc tout d’abord d’en circonscrire le champ.
Premièrement, la politique pénitentiaire est la continuation de la politique pénale par d’autres moyens ; politique pénitentiaire et politique pénale ne peuvent être disjointes. Or c’est précisément cette conception d’une politique pénale qui marche sur ses deux jambes que le projet de loi met en œuvre.
Ce texte a l’immense mérite de commencer par une clarification des missions du service public pénitentiaire, en prenant en compte son rôle d’insertion et de probation, ainsi que son rôle de lutte contre la récidive. Le projet de loi met en phase objectifs pénaux et objectifs carcéraux. Ce changement de perspective implique que les questions purement pénitentiaires soient traitées en même temps que celles qui sont relatives aux aménagements de peines et à leurs alternatives : c’est ce qui est fait dans le présent projet de loi, avec un titre II abouti et riche.
Il était fondamental d’énoncer le principe en vertu duquel l’emprisonnement est une mesure de dernier recours. Nous saluons, en particulier, le développement du recours aux travaux d’intérêt général, ainsi que l’ouverture de l’assignation à résidence avec surveillance électronique comme alternative à la détention provisoire.
L’ensemble du projet, de ce point de vue, est donc porté par une logique, une cohérence à laquelle nous ne pouvons que souscrire.
Deuxièmement, toujours dans notre entreprise de circonscription du champ pénitentiaire, il devient fondamental d’insister sur le fait que la politique carcérale n’est pas une branche de la politique de santé publique. Or, comme la commission des lois le souligne dans son rapport, les prisons accueillent – tout le monde le sait – de plus en plus de personnes atteintes de troubles mentaux en raison de la réduction du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques. Au risque de choquer certains, je dirai que, du fait des carences de l’hôpital, la prison se substitue à ce dernier. Je n’insiste pas plus sur ce sujet puisque ma collègue Muguette Dini y reviendra tout à l’heure.
Troisième et dernier effort de délimitation du texte qui nous est soumis, il convient de souligner que la loi pénitentiaire est une partie de la politique pénitentiaire, mais pas toute la politique pénitentiaire.
Une politique pénitentiaire, c’est un ensemble de moyens humains, matériels, économiques et juridiques. Or une loi pénitentiaire – c’est le cas du texte qui nous est soumis - n’a vocation à intervenir que sur ce dernier terrain, c’est-à-dire celui du droit. Autrement dit, n’attendons pas de cette loi qu’elle règle tous les problèmes, par ailleurs bien réels, qui sont liés au manque de moyens humains et matériels. C’est aux budgets et aux lois d’orientation et de programmation pour la justice de le faire. Nous devrons donc être vigilants lorsqu’ils seront examinés.
À l’issue de ce travail de délimitation du champ de la loi, la question centrale devient la suivante : le présent texte donne–t-il au système pénitentiaire les moyens d’assurer sa fonction de réinsertion ?
Dans la première version du projet de loi, celle du Gouvernement, on peut dire qu’il est répondu en partie à la question. En effet, le fondement du texte est incontestable : la fonction de réinsertion du système pénitentiaire commence par la garantie de droits. Quelqu’un que l’on prive de sa liberté d’aller et venir n’est pas pour autant déchu de ses autres droits et libertés. Et l’on comprend facilement que quelqu’un qui jouit de droits et libertés, même limités, a toutes les chances de pouvoir se réinsérer, à l’inverse de quelqu’un qui n’aurait plus aucun droit.
Longtemps ignorés en prison, ces droits et libertés se sont progressivement affirmés. Mais ces droits sont aujourd’hui bien trop disparates, donc peu lisibles, situés à un niveau trop bas dans la hiérarchie des normes par rapport aux prescriptions de l’article 34 de la Constitution.
D’où la nécessité du présent projet de loi qui rassemble et élève au niveau législatif des dispositions parfois aussi fondamentales que le droit à la vie familiale ou le droit de visite, alors que, jusqu’à présent, ces droits sont seulement énoncés par de simples circulaires.
D’où la nécessité de ce projet de loi qui crée de nouveaux droits, pourtant eux aussi fondamentaux, donc entrant dans le cadre de l’article 34 de la Constitution, tels que le droit au téléphone, le droit à une domiciliation, le droit à un minimum de revenus ou même le droit à la santé.
D’où également la nécessité de ce projet de loi qui porte des droits déterminants pour la réinsertion que sont le droit au travail et le droit à la formation professionnelle.
Cependant, en dépit de toutes les avancées du texte dans sa première version, à l’instar de la commission des lois, nous avons jugé que cette première version était en deçà de ce que l’on pouvait en attendre. Il y avait clairement un déséquilibre entre le titre II – j’ai dit tout le bien que nous en pensions – et le titre Ier, qui méritait d’être amélioré. Ce déséquilibre a été résorbé, me semble-t-il, par les travaux de la commission des lois.
Le texte du Gouvernement marquait un recul sur la question pourtant cruciale de l’encellulement individuel. L’encellulement individuel, c’est la reconnaissance d’un droit fondamental, le droit à l’intimité. C’est pourquoi nous souscrivons pleinement à la solution adoptée par la commission de revenir au texte actuel de l’article 716 du code de procédure pénale qui consacre le principe de l’encellulement individuel des personnes prévenues, quitte à discuter des éventuelles modalités d’un moratoire à l’article 59 du texte. Nous savons en effet - nous sommes lucides – que l’encellulement individuel ne peut être garanti pour l’instant.
Par-delà la question de l’encellulement individuel, la commission des lois, sous la houlette de son rapporteur, a considérablement amélioré le texte initial. Elle a répondu aussi au malaise des professionnels. C’est un malaise profond qu’éprouvent ceux qui travaillent dans les prisons, comme en témoigne le mouvement social prolongé du printemps dernier qui a abouti à un blocage statutaire. Le texte, tel qu’il a été amendé par la commission, apporte aux professionnels la reconnaissance qu’ils attendent.
Dans ces circonstances, je voudrais à mon tour saluer le travail collectif réalisé par la commission des lois ainsi que la perspicacité et la disponibilité remarquables de Jean-René Lecerf, travail très utilement complété par celui de Nicolas About.
En conclusion, tel qu’il a été modifié, le texte de la loi pénitentiaire nous semble équilibré. Nous le voterons si les propositions de la commission sont maintenues, tout en demeurant attentifs à ce que les futures orientations budgétaires en la matière assurent sa concrétisation effective.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, de Victor Hugo à Paul Amor en 1945, un long et difficile parcours humaniste a fait supprimer les bagnes et les travaux forcés, instaurer la libération conditionnelle, placer le reclassement social des condamnés au centre de la peine privative de liberté.
Après l’abolition de la peine de mort, de la perpétuité réelle, après les lois Badinter de 1983-1985, après la création des services d’insertion et de probation, comment notre pays en est-il arrivé, au XXIe siècle, à être montré du doigt pour l’état de ses prisons ?
Le constat est sévère et, depuis longtemps, des voix s’élèvent pour appeler les politiques à se ressaisir et à reconnaître enfin les détenus comme des sujets de droits.
Aujourd’hui, hélas ! on est loin de l’esprit qui prévalait en 1945 ; on est loin de la commission d’enquête sénatoriale sur les prisons françaises qui proposait de se garder « de tout parti pris », qui constatait « que la situation dans les prisons était la résultante d’une absence de politique d’envergure et de réformes chaotiques imposées aux gouvernements successifs par les circonstances » et voulait engager « des investigations approfondies ».
Le sentiment général est qu’il s’agit d’un projet de loi a minima, voire régressif sur certains points. Il est d'ailleurs hautement significatif que la majorité de la commission des lois ait adopté, sous l’impulsion de notre rapporteur, une centaine d’amendements qui tentent de l’améliorer.
Vous aviez annoncé, madame la ministre, une loi « fondamentale », mot qui figure dans l’exposé des motifs de votre projet de loi. Or vous donnez plutôt l’impression de vous résigner à ce que votre texte soit conforme a minima aux règles européennes qui nous sont pourtant imposées : il est muet sur le sens de la peine et sur les principes fondamentaux qui guident votre réforme. Cette lacune n’a pas échappé à notre rapporteur, qui a ajouté un article sur le sens de la peine pour tenter de formuler les objectifs du service public pénitentiaire.
Vous pouvez dire que la gauche n’a pas fait plus ! C’est vrai : le précédent gouvernement de gauche n’a pas eu le courage nécessaire et a renoncé au projet élaboré sous la responsabilité de Mme Lebranchu, alors garde des sceaux.
Mais disons-le très nettement : si les rapports parlementaires étaient alarmants en 2000, depuis, la situation s’est considérablement détériorée.
En 1999, à la veille de la publication du rapport de notre assemblée qualifiant les prisons d’« humiliation pour la République » - ces termes ont été maintes fois cités, mais je les reprends, car ils sont significatifs - il y avait en prison 53 000 personnes. Elles sont aujourd'hui 64 000 et l’administration pénitentiaire avance le chiffre de 80 000 en 2012.
Le gouvernement actuel et sa majorité font preuve d’une véritable schizophrénie, répondant aux consignes d’un Président de la République qui s’est nourri des doctrines de l’administration Bush : tolérance zéro, contrôle serré des populations, « gène de la délinquance », enfermement dès douze ans, une logique poussée à son paroxysme avec la rétention de sûreté.
Vous avez beau jeu, chers collègues de la majorité, de vous lamenter sur la condition pénitentiaire quand vous avez voté toutes les lois conduisant à un accroissement du nombre des incarcérations et à l’allongement des peines, que ce soit l’aggravation des qualifications des actes, les « peines plancher », les limites concernant les peines alternatives et les libérations conditionnelles.
Près de sept ans de matraquage médiatique et politique sur la délinquance ont orchestré une constante aggravation pénale, surfant sur le triptyque « peur-victime-répression ».
Sur les deux axes de la détérioration des conditions de détention, le nombre d’entrées en prison et la durée des peines, vous n’avez fait qu’aggraver la situation.
Cette frénésie législative répressive hypothèque aujourd’hui la sincérité du projet de loi.
Le constat est sévère : 115 suicides en 2008, 96 en 2007 ; 1 519 tentatives et 2 021 actes d’automutilation de janvier à novembre ; près d’un suicide tous les deux jours depuis janvier 2009. Heureusement, il semble que cela se ralentisse. Ces chiffres justifient la commission d’enquête demandée par mon groupe.
Le rapport Albrand, qui contiendrait des préconisations destinées à réduire les suicides, n’est pas encore rendu public. Le sera-t-il pendant les débats sur ce projet de loi ? Et si la réponse se trouve uniquement dans des vêtements et des draps en papier, ce sera un peu court et bien peu adapté pour combattre la détresse humaine.
Je crois néanmoins savoir que ce rapport suggère, par exemple, de diminuer la durée de placement en quartier disciplinaire, alors que vous avez d’emblée indiqué, madame la ministre, que vous refuseriez l’amendement de la commission des lois et que vous entendiez maintenir cette durée à quarante jours.
En tout état de cause, on est bien loin de la circulaire de l’administration pénitentiaire du 29 mai 1998 qui, elle-même, insistait sur le fait qu’une politique de prévention du suicide « n’est légitime et efficace que si elle cherche non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie ».
Notre rapporteur a cité Albert Camus : « une société se juge à l’état de ses prisons ». Alors, mes chers collègues, posons-nous ensemble la seule question qui vaille : ce projet de loi va-t-il contribuer à créer de meilleures conditions carcérales et de nouveaux rapports entre la société et la prison ?
L’exposé des motifs du projet de loi rappelle fort justement que « l’incarcération doit, dans tous les cas, constituer l’ultime recours ».
Ce texte permettra-il de limiter le recours à la prison ?
Il ne le permettra pas si la loi continue de remplir les prisons, ce que tend à indiquer l’augmentation du nombre de places : 13 200 places supplémentaires sont prévues entre 2002 et 2012 C’est donc considérer qu’il y aura au moins autant de détenus.
Sans remise en cause de la politique pénale en œuvre, la fuite en avant continuera : construction de prisons pour accueillir davantage de détenus. Vous refusez l’encellulement individuel au motif qu’il faudrait augmenter les places. Nous vous proposons donc d’essayer de réduire le nombre de détenus et d’accepter l’encellulement individuel.
Ce texte ne permettra pas de limiter le recours à la prison si l’on continue à enfermer des gens qui n’ont rien à faire derrière les barreaux : les condamnés à de courtes peines, les sans-papiers, les malades mentaux.
Tout le monde le sait, et nombreux sont ceux qui l’ont souligné ici même, le nombre de personnes emprisonnées atteintes de troubles mentaux qui existaient avant leur incarcération ou qui sont apparus durant la détention ne fait que croître. La réduction drastique des lits en psychiatrie publique alliée à la frénésie répressive fait de la prison un hôpital psychiatrique. Il est vrai que celle-ci coûte dix fois moins cher, ce qui est très intéressant du point de vue de la RGPP, mais certainement pas au regard des êtres humains concernés ou des codétenus !
Christiane de Beaurepaire, qui a une longue expérience comme psychiatre en prison, a poussé un cri d’alarme : « la prison n’est pas un lieu pour soigner les malades mentaux ». Vous ne pouvez pas occulter cette question !
Limiter le recours à la prison, c’est faire de la détention provisoire l’exception, c’est chercher, avant la prison, les alternatives à l’incarcération, c’est prévoir les aménagements de peine, tout particulièrement la libération conditionnelle organisée et le contrôle judiciaire.
Certes, vous nous promettez le bracelet électronique. Si l’on en croit les chiffres, vous semblez penser, madame la ministre, qu’il a de l’avenir : le nombre de bracelets est passé de 679 en 2004 à 3 431 au 1er janvier 2009. Et le projet de loi prévoit d’étendre ce dispositif.
Quelles sont les conclusions de l’expérience menée ces dernières années ? Nous aimerions les connaître avant de considérer le bracelet électronique comme un remède miracle. La technique apporte-t-elle une solution aux problèmes humains ? Devenant outil de contrôle et de neutralisation, le placement sous surveillance électronique ne participe-t-il pas d’une conception du contrôle social qui peut avoir des extensions et des conséquences insoupçonnées ? Nous sommes de plus en plus nombreux à craindre un glissement dangereux de son utilisation.
Un risque de glissement existe aussi dans le choix de régimes de détention différenciés en fonction de l’appréciation de la dangerosité, notion bien peu scientifique.
Quant aux mineurs, ils ont fort peu de place dans ce texte. Pourtant, le constat est terrible : trois se sont suicidés en 2008 et, selon la défenseure des enfants, on a compté en 2007 quarante fois plus de tentatives de suicide parmi les jeunes incarcérés que chez les jeunes en général.
En ce qui concerne les conditions de détention, il manque l’énoncé que les droits fondamentaux sont intangibles, donc garantis, et ne sont pas accordés au mérite par l’administration.
Je partage la réflexion de l’Observatoire international des prisons, qui estime que « la réforme envisagée maintient des pans entiers du droit dans le champ réglementaire, alors même que sont pourtant constitutionnellement garantis les libertés et droits fondamentaux en question ».
Je fus la première parlementaire à utiliser la loi du 15 juin 2000 pour me rendre dans un établissement pénitentiaire : c’était à Fresnes. J’ai eu recours à ce texte un certain nombre de fois depuis. Quand la porte se referme sur l’extérieur, on n’oublie pas qu’il y a des coupables, des meurtriers, donc des victimes. Mais on voit la pauvreté, la misère du monde qui « s’expose », comme dirait Mme de Beaurepaire, misère sociale, physique, psychologique, morale. On voit des hommes emmurés dans neuf mètres carrés – sept à la Santé avant la rénovation ! –, des matelas sous les lits pour un troisième ou un quatrième détenu quand ils sont déjà deux, des toilettes nauséabondes sous leurs yeux. On voit des jeunes déjà abîmés, des vieux, des malades, quelquefois même des personnes en fin de vie, des fous ; le temps – long – et rien d’autre !
Il est utile pour nous, parlementaires, d’aller régulièrement dans un lieu de détention, parce que nous y voyons véritablement le fruit de notre travail de législateurs.
Nous proclamons que la peine doit être un temps pour se reconstruire et se réinsérer, mais la prison est une zone de non-droit, de violence, de destruction, où tout s’achète. Ce projet de loi va-t-il changer la situation, dans le contexte actuel d’enfermement à tout-va ? Va-t-il faire sortir la prison de l’exception législative et permettre au détenu de garder ses droits d’humain, à part celui d’aller et venir, et des moyens d’exister ?
On peut en douter quand on voit le flou du texte sur les modalités d’application, qui sont renvoyées à de futurs décrets, ou les nombreuses restrictions encadrant des droits pourtant reconnus. Nous voulons saluer les nombreux efforts accomplis par notre rapporteur tant pour affirmer des principes – le droit à l’encellulement individuel en est une preuve – que pour préciser les droits des détenus, notamment à une rémunération, ou ceux des familles. Cela étant, ces efforts ne compensent pas l’absence d’ambition et de sens, qui devraient pourtant être la marque d’une loi fondamentale.
Ajoutons que chaque incident, accident, ou drame dans un établissement pénitentiaire confirme le manque de moyens dont dispose l’administration pénitentiaire pour faire face à la hausse constante du nombre de détenus.
On est en droit de s’interroger : où est la programmation budgétaire qui permettrait que la situation change et que des moyens soient disponibles pour préparer, en termes de suivi psychologique, de formation et de réinsertion, les détenus à la sortie, laquelle arrivera de toute façon un jour ? Comment accepter un budget de la justice aussi misérable ?
Vous avez trouvé le remède : confier de plus en plus au privé la construction et la gestion des prisons. Mais quel est le sens de ce choix ? Si de grands groupes comme Bouygues acceptent de s’en charger, alors que, chacun le sait, ce ne sont pas des philanthropes, c’est parce qu’ils pensent y trouver leur compte. Comment ? Par un coût important pour l’État, parce qu’ils escomptent un nombre croissant de personnes en prison ? Il y a de quoi s’inquiéter au vu des dérives de ce genre de système. Il ne vous a pas échappé que des juges ont été mis en examen en Pennsylvanie parce qu’ils avaient été payés par des centres de détention privés pour envoyer des jeunes en prison pour des peccadilles !
Mes chers collègues, lors de la suppression de la peine de mort, en 1981, un débat public avait permis de faire triompher l’idée éminemment progressiste et humaniste qu’aucune personne ne pouvait être privée de la vie, car aucune indignité ne pouvait être considérée comme définitive. Notre société semblait enfin avoir entendu Victor Hugo qui disait : « Il est un droit qu’aucune loi ne peut entamer, qu’aucune sentence ne peut retrancher : le droit de devenir meilleur. » En ce qui nous concerne, nous n’accepterons jamais de refermer la page des progrès qui ont été réalisés à l’époque.
Aujourd’hui, une grande loi pénitentiaire qui affirmerait que les droits de la personne sont intangibles, y compris quand elle est détenue, aurait provoqué un grand débat national, au-delà des professionnels, des associations et des politiques. Cela aurait été productif et aurait contribué au combat nécessaire en faveur de tout ce qui relève d’une conception humaniste du droit pénal, de la peine et de la détention.
Je regrette profondément que le débat ne puisse avoir lieu sur le sens de la sanction pénale.
Je regrette qu’il ne puisse avoir lieu sur la question des longues peines, remise sur la sellette avec les évasions de la prison de Moulins. Rappelons-nous ces dix prisonniers de la centrale de Clairvaux condamnés à de très longues peines et qui sont allés jusqu’à réclamer pour eux-mêmes la peine de mort.
Je regrette qu’il ne puisse avoir lieu sur l’enfermement des mineurs ou encore, bien sûr, sur la santé en prison.
Madame la garde des sceaux, nombreux sont ceux – professionnels, organisations associatives et syndicats – qui ont travaillé, alerté, proposé. Il semble que vous ayez du mal à les entendre !
Vous n’avez pas non plus tenu compte des propositions contenues dans les rapports parlementaires sur les prisons, dans ceux de la commission Canivet, de M. Burgelin, ou de M. Warsmann, ou dans la proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires déposée en 2000 par le président de notre commission des lois, Jean-Jacques Hyest, et notre ancien collègue Guy-Pierre Cabanel.
Vous avez méprisé les conclusions des états généraux de la condition pénitentiaire, les propositions de l’OIP, du collectif « Trop c’est trop », ou de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Vous avez été peu attentive aux cent vingt préconisations du Comité d’orientation restreint, que vous avez pourtant vous-même réuni.
Vous restez, pour l’essentiel, sourde aux incessantes condamnations de la France, et encore récemment, par le commissaire européen aux droits de l’homme.
Vous n’entendez pas les personnels, dont les conditions de travail s’aggravent. Fallait-il attendre un meurtre à la maison centrale de Lannemezan, la semaine dernière, pour que vous annonciez la création de 177 postes supplémentaires, mais, semble-t-il, par redéploiement, comme le prévoit la LOLF ?
Contraindre les personnels à travailler dans une situation où l’on fait subir à des détenus des conditions de vie inhumaines et dégradantes et des peines de plus en plus longues n’est pas acceptable. Ce n’est pas une réserve civile qui réglera la question ; c’est le recrutement des personnels statutaires nécessaires et des conditions de détention correctes pour les personnes qu’ils sont chargés de surveiller. À la maison centrale de Moulins, il manquait seize surveillants pour assurer un fonctionnement normal. On ne remplace pas des surveillants par les équipes régionales d’intervention et de sécurité.
Vous avez déclaré l’urgence sur ce projet de loi. Que voulez-vous exactement ? Empêcher un débat approfondi ? Attacher votre nom à une loi ? L’enjeu est trop grave pour être un simple sujet d’affichage.
Nous voulons un vrai débat. Les efforts de notre rapporteur, approuvé par la majorité de la commission des lois, sont réels, mis ils ne transforment pas le projet de loi. Nous pouvons aller plus loin et discuter des amendements qui ont, jusqu’à présent, été refusés. Même si la déclaration d’urgence ne nous permet pas de travailler dans les meilleures conditions, nous devons absolument avoir ce débat, car nous ne pourrons pas voter ce texte en l’état.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui est aujourd’hui soumis à l’examen de notre assemblée marque une étape importante dans l’organisation du service public pénitentiaire, comme dans la garantie des droits accordée en milieu carcéral. Et l’on ne peut que saluer cette initiative, très attendue, du Gouvernement et de Mme la garde des sceaux.
Parce qu’il a été précédé de nombreux travaux préparatoires, ce projet de loi doit être un texte refondateur sous la Ve République dans le domaine pénitentiaire. Parce qu’il ambitionne de répondre à de vives attentes et qu’il suscite d’immenses espoirs, il peut et doit être un grand texte, faisant honneur à notre République. Notre assemblée s’est d’ailleurs souciée depuis fort longtemps de ces attentes légitimes et a souligné l’urgence à y répondre, car il y a là plus encore qu’un devoir politique : un impératif moral !
En 2000, la commission d’enquête présidée par notre collègue président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, a puissamment contribué à cette prise de conscience en publiant un rapport remarquable dont le seul titre ne pouvait laisser subsister la moindre ambiguïté : Les prisons : une humiliation pour la République.
La commission des finances du Sénat a, elle aussi, fortement exprimé, et depuis de nombreuses années, ses préoccupations et, pourquoi ne pas le dire, ses inquiétudes.
En tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », je soulignais, voilà quelques semaines encore, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2009, le caractère inacceptable des conditions de détention dans notre pays. J’insistais, notamment, sur la vétusté de la plupart de nos prisons et sur le taux de surpopulation carcérale, qui a atteint le niveau historiquement le plus élevé de 136 % au cours de l’année 2008. Et encore ce taux ne correspond-il qu’à un taux moyen, qui ne doit pas occulter de très grands écarts, certains établissements pénitentiaires affichant des taux supérieurs à 200 % !
Je ne peux donc que me féliciter de ce que le projet de loi rentre en résonance avec ce qu’il faut bien appeler un cri d’alarme. L’exécution d’une peine privative de liberté ne doit, en aucun cas, conduire à des conditions parfois inhumaines de détention. Ces conditions de détention, notamment la promiscuité, ne doivent pas non plus constituer un facteur de contagion de la délinquance, radicalement contraire à l’objectif premier de la peine, à savoir l’amendement du condamné.
Pour que le texte qui nous est soumis remplisse pleinement les objectifs qui le sous-tendent, certains éléments de réussite méritent une attention particulière. Je souhaite ici en relever trois, tout à fait essentiels. Il n’est pas d’amélioration possible, ni durable, du service public pénitentiaire sans une bonne adéquation des moyens, en particulier humains, sans un programme ambitieux de construction et de rénovation du parc pénitentiaire, sans une meilleure prise en charge des cas de psychiatrie.
Madame la garde des sceaux, permettez-moi de vous donner un conseil : obtenez des garanties du ministre de la santé avant l’ouverture de nouveaux établissements, car il y a beaucoup à faire sur le plan de la psychiatrie et les failles sont nombreuses. Puisque ce domaine relève du ministère de la santé, une coordination gouvernementale est indispensable.
En ce qui concerne les moyens, tout d’abord, il faut permettre à l’administration pénitentiaire d’assurer efficacement ses missions et de « donner vie », sur le terrain, à la loi qui ressortira du débat parlementaire ; à cette fin, la prise en compte de la variable budgétaire paraît primordiale.
De ce point de vue, il convient de rappeler que le budget du programme « Administration pénitentiaire », en 2009, représente 37, 1 % de l’ensemble des crédits de paiement de la mission « Justice ». Avec 2, 4 milliards d’euros, il enregistre une hausse de 4 % par rapport à l’exercice précédent. Je note que l’un de nos collègues dénonçait tout à l’heure l’insuffisance de ces crédits. Qu’a fait la gauche pendant la période où elle était au pouvoir ?
Cette progression s’explique, notamment, par le souci d’un juste dimensionnement des effectifs à la charge de travail croissante pesant sur l’administration pénitentiaire. Ainsi, pour 2009, cette administration a vu ses effectifs augmenter de près de 900 équivalents temps plein.
Une telle évolution est importante. Elle renvoie à la priorité, accordée par la Chancellerie, à l’accompagnement de l’ouverture de nouveaux établissements par des moyens humains correspondants. Cette priorité budgétaire doit être de nature à rassurer les personnels de l’administration pénitentiaire, qui ont fait part au cours des derniers mois de leurs inquiétudes quant à l’avenir.
À n’en pas douter, cet effort financier devra continuer d’être soutenu dans les prochaines années, a fortiori dans le cadre de l’entrée en application de la nouvelle loi pénitentiaire.
Mais il est tout aussi certain que la démarche de rationalisation de l’activité pénitentiaire devra se poursuivre. En particulier, la problématique des transfèrements de détenus, actuellement supportés par la police et la gendarmerie nationales, appelle, dès 2009, des réponses concrètes, réalistes et plus conformes à l’esprit de la LOLF. Dans cette perspective, l’audit en cours de réalisation par le ministère de l’intérieur, à la demande du Sénat, débouchera prochainement sur des conclusions. Celles-ci devront servir de base de négociation entre ce ministère et la Chancellerie.
La rénovation et la construction de places en établissement pénitentiaire constituent une autre priorité absolue.
En 2008, on comptait 50 806 places pour 64 250 détenus. À lui seul, ce simple rapprochement de chiffres témoigne de la crise actuelle. Une durée moyenne de détention qui tend à se stabiliser, mais un nombre de condamnés définitifs qui ne cesse de croître : ce triste constat est malheureusement trop bien connu ; il vide de toute substance le principe de l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt, pourtant inscrit dans la loi depuis 1875. C’est pourquoi j’y attache tant d’importance dans la discussion d’aujourd’hui.
Aussi convient-il de souligner le caractère crucial du programme de modernisation du parc immobilier pénitentiaire engagé avec la loi d’orientation et de programmation pour la justice, la LOPJ. Au total, ce sont 13 200 places qui ont vocation à être ouvertes : 10 800 sont réservées à la réalisation de nouveaux établissements et 2 400 sont dédiées à l’application de nouveaux concepts, par exemple les établissements pour mineurs.
En 2009, 4 588 places, nettes de fermetures d’établissements, seront ainsi créées. Mais le « programme 13 200 » permettra-t-il de remédier au cruel déficit de places en détention ? Probablement pas ! Au regard de la projection réalisée par la commission des finances dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009, à supposer que le nombre de détenus demeure au niveau présent et que les prévisions en matière de créations nettes de places soient respectées, le nombre de places n’égalera pas le nombre de personnes détenues au terme de la programmation. La vigilance reste donc de mise. Tout comme demeure centrale la question de la prise en charge défaillante des cas de psychiatrie en milieu carcéral ; plusieurs intervenants l’ont évoqué avant moi.
S’il est difficile d’avoir une estimation exacte de la proportion de détenus atteints de troubles mentaux, on peut néanmoins, sans trop se tromper, avancer un ordre de grandeur d’environ un tiers. La première des explications à cette très forte proportion réside dans la réduction importante du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques. En tant que président de conseil général, je préside un centre hospitalier spécialisé ; je sais donc de quoi je parle. Le corollaire en est un transfert des personnes souffrant de troubles psychiatriques vers nos prisons, le nouveau code pénal admettant la responsabilité pénale des personnes dont le discernement a été altéré par un trouble psychique ou neuropsychique.
En dépit d’un effort important en vue de l’ouverture d’unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, on ne peut que vivement déplorer l’insuffisance globale de moyens en la matière, notamment concernant le faible nombre de psychiatres intervenant en établissement pénitentiaire. Un long chemin reste encore à faire sur la voie du renforcement des équipes psychiatriques. Certains diront que c’est mon « dada », mais je crois que j’aborde là l’un des points les plus importants pour la réussite de cette loi.
On le voit, le projet de loi pénitentiaire soumis à notre examen est lourd d’enjeux fondamentaux. Il y va du respect de la dignité des personnes en milieu carcéral comme des conditions de travail dans ces établissements. Sur ce dernier point, je tiens tout particulièrement à saluer le dévouement et l’engagement des personnels de l’administration pénitentiaire, autant de mérites que j’ai eu encore tout récemment l’occasion de constater lors d’une visite de la future maison d’arrêt du Mans.
Naturellement, les progrès attendus de la nouvelle loi pénitentiaire ne pourront se concrétiser qu’à la double condition d’être accompagnés de moyens budgétaires adéquats et d’une évaluation pertinente, sur le long terme, du résultat des décisions prises. La barre est donc placée haut, mais, désormais, l’élan est pris !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Applaudissements sur les travées du RDSE.
Madame la ministre, dans cette très courte intervention – aussi courte que les quatre petits articles 11 ter, 13, 14 et 14 bis de ce projet de loi, excellemment revisité par le rapporteur, M. Jean-René Lecerf, à qui je veux rendre le même hommage que celui que j’ai entendu depuis le début de ce débat sur l’ensemble des travées – je voudrais évoquer le sujet crucial de la réinsertion sur lequel je vous avais déjà alertée lors du débat budgétaire.
Pour avoir rencontré des détenus et des personnels pénitentiaires à la fois dans une maison d’arrêt aux conditions matérielles insoutenables et dans un centre de détention, à l’inverse, humanisé, j’ai surtout retenu la volonté partagée de faire du temps de détention non pas un temps mort, mais un temps de resocialisation, de reconstruction, un temps pour permettre aux hommes et aux femmes détenus de se remettre debout.
Je mettrai donc en cause non pas les personnels pénitentiaires, même si certains peuvent, par leur attitude, avoir contrarié cette volonté partagée, mais l’institution elle-même. Je citerai, pour illustrer mon propos, l’expérience d’un détenu qui a dénoncé dans un livre récemment paru non pas tant les problèmes de surpopulation et d’hygiène que ceux de la formation et du travail, deux puissants leviers d’une réinsertion sociale réussie.
Ce détenu écrit : « Pour qu’une condamnation soit efficace, il est nécessaire d’atteindre un juste équilibre entre les objectifs de neutralisation, de punition, d’amendement, de réparation, de conscientisation et de réhabilitation ».
Or le défaut majeur du système actuel est de ne pas croire en l’homme, de poser pour principe que le détenu doit être, à raison de ses crimes, un être dominé et privé d’autonomie. L’univers carcéral est conçu non pas pour protéger l’individu contre sa propre désintégration, mais trop souvent pour lui faire seulement acquitter sa dette envers la société.
Il s’ensuit une autre forme de suicide que celle qui a été dramatiquement relevée ces derniers mois, l’acceptation de la mort sociale, mort lente apprise dans une prison qui, loin de remplir sa mission de réinsertion, ne fait que pousser dans la voie de l’exclusion.
Je voudrais ne plus jamais avoir à lire cette condamnation sans appel de notre système pénitentiaire : « Je fus libéré sans un sou en poche, d’une libération sèche et douloureuse. La prison m’avait vomi sur le trottoir comme un vulgaire déchet ».
Aussi, madame la ministre, je ne peux que me réjouir qu’aient été intégrés à ce projet de loi les quatre articles que j’ai cités et qui ont pour objet de donner un sens au temps de la détention.
Mais, dans le même temps, nous sommes nombreux à souhaiter voir affirmer avec force dans ce texte le principe de réinsertion. La prison, écrivez-vous, doit être vraiment le pont qui conduira la personne condamnée à une réinsertion réussie.
Comment ce pont permettra-t-il à 60 % des personnes incarcérées qui ne détiennent aucun diplôme, à 50% d’entre elles qui sont illettrées, d’intégrer un plan de formation individualisé, élaboré en pleine concertation entre le détenu et un conseiller d’orientation compétent ? Comment seront financées les activités scolaires, qui, aujourd’hui, s’adressent à 23 % de la population des détenus ?
Pourquoi ne pas examiner, en particulier, la proposition de certains de ces détenus de créer des postes d’auxiliaires aides enseignants, détenus qui seraient associés à des activités éducatives et pourraient animer des ateliers sur le lieu de leur détention ? L’un de vos prédécesseurs, madame la ministre, avait accueilli cette proposition favorablement en 2007, mais il semble que, depuis, elle n’ait pas été reprise et que seuls les institutionnels, frileusement, accomplissent leur obligation.
Comment ce pont facilitera-t-il l’insertion professionnelle de ces 40 % de détenus qui n’ont jamais travaillé avant leur incarcération ? L’article 14 et le nouvel article 14 bis veulent répondre à cette exigence, et je ne peux que m’en féliciter. Il faudra alors, bien sûr, qu’au-delà des obstacles internes soient levés les obstacles externes, c’est-à-dire ceux que chacun de nous oppose à ces « sortants de prison », à ces « errants » au curriculum vitae noirci par une ligne blanche entre deux périodes de leur vie dans le monde.
Je veux croire, madame la ministre, que vous mettrez toute votre volonté, toute votre détermination, toute votre énergie à faire que ce pont, que vous appelez de vos vœux, enjambe réellement le fleuve de la désespérance.
Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, chacun comprendra que je rende d’abord un hommage particulier au rapporteur de la commission des lois, M. Jean-René Lecerf, non seulement pour le talent dont il a fait preuve et pour tout ce qu’il a apporté à ce texte de loi, mais également, et surtout, pour l’humanité avec laquelle il consacre, depuis si longtemps, tant d’efforts et de temps à visiter les prisons, à écouter les personnels pénitentiaires, à observer les expériences des pays proches et à concilier les différents impératifs de l’institution carcérale.
Monsieur le rapporteur, vous avez eu de grands prédécesseurs ; je pense, notamment, à un homme qui m’a fait longtemps rêver – mais j’ai beaucoup rêvé à la commission des lois, sans succès –, et dont le nom devrait orner l’entrée de la salle de réunion de la commission des lois : le sénateur René Bérenger.
Enfin, nous voilà au rendez-vous que nous espérions depuis si longtemps, madame la garde des sceaux, un rendez-vous que l’on ne souhaite donc pas voir s’interrompre trop vite. C’est l’une des raisons de fond pour laquelle la procédure d’urgence n’a pas sa place ici, d’autant qu’il s’agit du sort, de la condition d’êtres humains, et au premier chef des libertés fondamentales, lesquelles relèvent consubstantiellement du domaine législatif.
Donc, écartons la procédure accélérée, puisque c’est elle qui nous régit à présent, et voyons ce qu’il en est.
Nous sommes très en retard et, je le répète, voilà longtemps que nous attendons. Pour ne citer que la dernière décennie, il y eut le rapport du Premier président de la Cour de cassation Guy Canivet, en 2000, puis, la même année, deux rapports parlementaires, dans un climat de consensus absolu, l’un au Sénat sous la présidence de M. Hyest, l’autre à l’Assemblée nationale sous la présidence de M. Mermaz. Une proposition de loi fut même déposée au Sénat.
Les élections sont intervenues et nous avons assisté à un torrent de textes législatifs, orientés vers toujours plus d’incarcération. La loi pénitentiaire, quant à elle, restait dans le domaine des colloques et des articles de presse.
Heureusement, nous avons connu avec bonheur l’influence du mouvement européen, auquel nous devons beaucoup dans ce domaine. Sans ce mouvement européen, avec ce qu’il représente ici et particulièrement au Conseil de l’Europe de volonté d’humanisation et de reconnaissance des droits des détenus et des personnels pénitentiaires, je ne suis pas sûr que le Gouvernement nous aurait enfin saisis de ce projet de loi pénitentiaire. Je tiens également à souligner, à cet égard, la pression exercée par la commission des lois du Sénat.
Le Parlement européen adopta des résolutions, dont une en 1998, invitant chaque pays à adopter une loi pénitentiaire. Plusieurs résolutions du Conseil de l’Europe vinrent s’ajouter à celles-ci. Il y eut ensuite l’adoption des règles pénitentiaires européennes. C’est à la pression de l’Europe et du Conseil de l’Europe que l’on doit, en vérité, l’instauration du contrôleur général des prisons, fonction aujourd’hui occupée par l’excellent M. Delarue.
Nous avons connu également les rapports d’inspection du Comité européen pour la prévention de la torture, les rapports des commissaires aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. À chaque fois, nous étions sinon stigmatisés, du moins pointés du doigt, véritable humiliation pour les parlementaires que nous sommes et pour la République.
Un moment particulier s’est greffé sur ce mouvement d’ensemble, celui des États généraux de la condition pénitentiaire, rassemblant la quasi-totalité des professions intervenant dans le champ pénitentiaire. Il existe des militants de la cause de l’amélioration des conditions de détention.
Nous sommes arrivés à une résolution finale qui a recueilli l’accord de tous. Au-delà de sa dimension œcuménique, celle-ci a une importance particulière parce qu’elle a recueilli une assez large approbation de principe des principaux candidats à l’élection présidentielle, notamment de l’actuel Président de la République, M. Sarkozy.
Il aura tout de même fallu attendre près de deux ans pour que le texte soit enfin soumis au Parlement. La révision constitutionnelle nous permet heureusement de débattre du texte de la commission des lois, ainsi que des amendements essentiels que vous nous proposez, monsieur About.
Ce texte est exceptionnel en ce qu’il touche, au premier chef, à la condition d’êtres humains ; c’est ce que nous devons conserver à l’esprit quand nous abordons ce domaine. Il s’agit de milliers d’êtres humains confinés dans un espace clos, prévenus, suspectés ou condamnés pour des infractions de natures diverses.
C’est une population particulière que vous connaissez bien, monsieur le rapporteur. L’opinion publique s’en fait une idée au travers des faits divers les plus saisissants, les seuls qui l’intéressent par leur dramatisation ; elle imagine je ne sais quel rassemblement de Mesrine ou de Dils.
Au-delà d’un noyau dur de criminels, auquel il faut porter la plus extrême attention, comment est composée l’immense majorité des quelque 100 000 personnes qui entrent chaque année en prison en France ?
Entre 25 % et 30 % des détenus souffrent d’affections mentales graves, ce qui soulève de grandes difficultés auxquelles il faudra absolument remédier, sans parler des cas de dépression, qui sont légion. Seuls 40 % des détenus jouissaient d’un emploi avant d’entrer en prison. Près de 13 % sont complètement illettrés et 12, 5 % sont à peine capables de déchiffrer un texte et encore moins d’écrire. J’ajoute qu’une grande partie des détenus est composée de marginaux dès l’enfance, puisque 28 % d’entre eux ont connu un placement par le juge des enfants.
Telle est la réalité de la population carcérale, à laquelle nous devons songer quand nous examinons une loi pénitentiaire.
En observant la prison contemporaine, on est saisi de retrouver les traits des lieux d’enfermement dénoncés par les hommes des Lumières où l’on mêlait les fous, les vagabonds, les criminels, les filles de joie. Ceux qui ont beaucoup fréquenté les prisons ont le cœur serré devant ce magma de populations indifférenciées. Vous ne verrez jamais le fils d’un banquier ou d’une grande avocate en prison. L’inégalité sociale s’inscrit en ces lieux en lettres impitoyables.
On comprend bien à quel point il est difficile d’intervenir auprès de cette population pénale. Je tiens à mon tour, après MM. Lecerf et About, à rendre hommage aux personnels pénitentiaires – ce que je fais depuis longtemps, avec toujours plus de conviction –, qui ne sont pas nécessairement formés, comme ils le disent modestement, pour veiller sur les 30 % de détenus qui souffrent de troubles mentaux, responsabilité qu’ils assument pourtant. J’aurais souhaité que la loi s’ouvre par un article reconnaissant l’importance de la mission des personnels pénitentiaires.
Au regard de ces questions essentielles, je rejoins votre préoccupation, monsieur le rapporteur : il ne faudrait pas que cette loi pénitentiaire soit une chance perdue, une occasion manquée ; revenons au souffle des grands principes ! Ces principes, nous les connaissons bien – ils sont faciles à rappeler – quand il s’agit, dans une grande démocratie du XXIe siècle, des conditions de détention. J’aurais souhaité qu’on les proclamât également solennellement dans la loi.
Le premier principe, celui qui sous-tendait l’ensemble du rapport du Premier président de la Cour de cassation Guy Canivet, c’est que les détenus sont des êtres humains, des hommes, pour l’essentiel, et des femmes, et, quand ils sont français, des citoyens : nous ne devons jamais perdre de vue cette évidence ! Par conséquent, ils doivent jouir de tous les droits de l’homme et du citoyen, à l’exception de ceux que l’autorité judiciaire leur a retirés, avant ou après leur condamnation. Tout s’éclaire si l’on aborde la condition pénitentiaire au travers de ce prisme.
Dans un espace clos, il faut évidemment prendre en compte la sécurité des personnes et des biens quand ceux-ci sont gravement menacés, car c’est un monde de tensions et de violences. C’est la seule restriction au principe que je viens d’évoquer.
Le deuxième principe majeur, c’est que l’État de droit ne peut pas s’arrêter à la porte des prisons ; il doit aussi régir l’univers pénitentiaire. Nous aurons l’occasion d’y revenir quand nous aborderons les problèmes complexes posés par les régimes différenciés et les sanctions disciplinaires.
Nous devrons également revenir sur le règne de l’arbitraire, trop longtemps toléré en matière de fouille et constitutif d’une atteinte grave à la dignité humaine. Cette pratique corporelle est inacceptable à tous égards quand il s’agit de fouille intégrale. La commission des affaires sociales a proposé des amendements complétant le texte élaboré par la commission des lois et auxquels nous devons souscrire. Je me demande même s’il ne faudrait pas aller plus loin sur ce point.
Tout cela se résume en une préoccupation essentielle ! L’apport personnel du grand René Cassin à la Déclaration universelle des droits de l’homme a été le respect de la dignité humaine, qui ne figurait pas dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le respect de la dignité humaine est un principe majeur qui doit gouverner notre approche de l’univers pénitentiaire. Or celui-ci ne s’accommode pas des fouilles que j’évoquais précédemment, pas plus que de l’absence d’encellulement individuel, phénomène récurrent qui s’inscrit dans la douloureuse histoire pénitentiaire.
C’est en 1874 que le brillant vicomte d’Haussonville, au terme d’un rapport pénitentiaire admirable – certainement la plus brillante étude jamais réalisée sur l’univers carcéral dans une société –, a fait voter, à l’aube de la IIIe République, le principe de l’individualisation de la cellule des prévenus et des condamnés à une peine de moins d’un an. Mais cela n’a jamais – je dis bien « jamais » ! – été mis en vigueur, et toujours pour des considérations budgétaires.
Nous ne pouvons pas transiger sur un tel principe, qui figure d’ailleurs dans les règles pénitentiaires européennes. Nous devons simplement prendre en considération les cas de figure où un détenu, dans son propre intérêt, ne doit pas rester seul. J’évoquais tout à l’heure les dépressions : nombre de personnalités sont fragiles et ne peuvent pas vivre dans l’isolement cellulaire.
Il s’agit là de principes que nous aurons à mettre en œuvre demain et après-demain.
Dans une remarquable intervention, M. Alain Anziani a rappelé que chacun des droits des détenus devait être pris en compte au regard de ces principes fondamentaux, auxquels le président Jean-Jacques Hyest a eu raison d’ajouter la réinsertion du détenu, devenue un objectif de valeur constitutionnelle à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1994.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, acquiesce.
Toutefois, je trouve que beaucoup sont étonnamment discrets sur un autre volet du texte ; j’étais habitué à entendre des communications fracassantes sur les innovations pénales et les modifications des textes de procédure.
Les enjeux du titre II du présent projet de loi ne sont pas, loin s’en faut, indifférents. De quoi s’agit-il ? Il nous est proposé de revenir à un principe qui n’aurait jamais dû être perdu de vue : l’impératif de l’individualisation des peines ; l’emprisonnement ne doit être qu’un dernier recours.
Je me réjouis également des modalités qui sont offertes aux magistrats – ce sont eux qui en ont la responsabilité au premier chef – pour prononcer des mesures alternatives à l’emprisonnement ou pour recourir à des aménagements de peines. En pratique, de telles possibilités sont complètement oubliées. Aujourd'hui, moins de 20 % des détenus bénéficient d’aménagements de peines avant leur sortie de prison. Or nous savons à quel point la « sortie sèche » de prison est dangereuse.
Toutes ces facultés sont considérablement élargies. J’aurais aimé que l’on s’en vantât ; j’aurais souhaité entendre des expressions telles que « admirable conversion » ou – cela doit naturellement s’entendre en termes maritimes – « changement de cap ». On redonne enfin aux principes d’humanisation et d’individualisation de la peine toute leur place ! Quelle modification par rapport aux peines planchers ou à ce qui était auparavant prôné, notamment l’emprisonnement ferme, y compris, le cas échéant, pour les mineurs !
Je salue un tel changement avec satisfaction. Je le considère comme infiniment heureux. De mon point de vue, la deuxième partie du projet de loi ne manquera pas de servir grandement la cause de l’humanisation des prisons.
J’aurais préféré que l’on commençât par ces mesures avant d’adopter les autres dispositions législatives que nous avons connues. Je ne citerai pas les propos que j’avais tenus à ce moment-là, en guise d’avertissement : c’est le triste privilège de l’âge et d’une certaine expérience.
Par ailleurs, ce texte comporte un autre aspect, auquel je suis très attaché. En posant dans la loi les principes devant gouverner la condition pénitentiaire, nous allons permettre le développement d’une démarche très importante, qui est d’ailleurs déjà à l’œuvre : le contrôle juridictionnel des conditions de détention.
Depuis quelques années, nous assistons à des mouvements concordants : la prise en compte par l’autorité judiciaire, sous toutes ses formes, du contrôle des détentions. Il s’agit de s’assurer que les droits fondamentaux des personnes, dont le respect doit précisément être garanti par ces juridictions, ne sont pas méconnus au sein de l’univers carcéral.
Le 16 octobre 2008, dans un arrêt Renolde contre France, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France en raison des conditions de détention. D’ailleurs, nous retrouvons la même question à propos de la période possible d’isolement cellulaire : attention aux quarante-cinq jours !
Mais, plus important encore, le Conseil d'État est à l’origine d’une jurisprudence essentielle ; je pense, notamment, à un arrêt de l’assemblée du contentieux rendu au mois de décembre 2007, ainsi qu’à trois arrêts de section plus récents du 17 décembre 2008 : dans toutes ces décisions, le Conseil d’État a rappelé que l’État de droit ne s’arrêtait pas à la porte des prisons et qu’il appartenait aux juridictions administratives d’user de leurs compétences pour veiller au respect de tels principes. Aujourd'hui, nous donnons aux juges la possibilité d’assurer encore plus fermement leurs missions.
Je n’insiste pas sur la jurisprudence des juridictions de l’ordre judiciaire ; je rappellerai simplement qu’une juridiction rouennaise a, en référé, permis de faire procéder à des constats.
Je suis convaincu qu’il s’agira là d’une grande loi. D’ailleurs, monsieur Lecerf, je souhaite qu’elle porte votre nom, car vous en êtes le véritable père.
Bravo ! sur les travées de l ’ UMP.
J’ignore ce qu’en diront les Dalloz, souvent infidèles en la matière, sans parler des journalistes, souvent incertains. Mais, pour moi, ce sera bien la loi Lecerf. Et, croyez-moi, dans l’histoire désolante, terrible, de l’institution pénitentiaire, la loi Lecerf marquera le moment où l’État de droit aura cessé d’être seulement une référence pour devenir une réalité dans l’univers carcéral, que je connais bien, dont les acteurs savent les responsabilités et les difficultés quotidiennes.
Applaudissements
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai choisi de concentrer mon propos sur la prise en charge des soins des détenus, laquelle a connu une profonde mutation avec la loi du 18 janvier 1994. Brève dans sa rédaction, mais très puissante dans son contenu, cette loi a fondamentalement modifié l’organisation des soins dispensés aux personnes détenues. Depuis, cette organisation repose sur une conception globale de la prise en charge des soins, dans ses aspects somatique et psychique, ainsi que dans ses dimensions préventive et curative.
La réforme de 1994 a consisté à assurer aux détenus une qualité et une continuité des soins équivalentes à celles qui sont accordées à l’ensemble de la population. Un tel principe d’égalité ressort également de la loi du 4 mars 2002, qui effectue un rappel des droits des patients, sans distinction aucune en raison de la situation pénale du malade.
Concrètement, cela s’est traduit principalement par le transfert de la prise en charge sanitaire des personnes détenues de l’administration pénitentiaire au service public hospitalier et par l’affiliation de tous les détenus à l’assurance maladie et maternité du régime général de la sécurité sociale. Par conséquent, la santé des détenus a quitté le code de la procédure pénale pour entrer dans ceux de la santé publique et de la sécurité sociale.
C’est une véritable éthique de soins en prison qui fut ainsi affirmée. De ce fait, la médecine en prison s’est transformée. D’une médecine humanitaire et de l’urgence, elle est devenue un mode normal de prise en charge hospitalière.
En principe, les détenus bénéficient de soins délivrés par des professionnels hospitaliers, au sein des établissements pénitentiaires comme dans les établissements publics de santé, lors de consultations d’urgence, de consultations spécialisées et d’hospitalisations.
Le dispositif de soins en milieu pénitentiaire, autour notamment des unités de consultations et de soins ambulatoires, pour les soins somatiques, et des services médico-psychologiques régionaux, en matière de prise en charge psychiatrique, a été fort bien décrit par notre rapporteur pour avis, Nicolas About, président de la commission des affaires sociales ; je n’y reviens donc pas.
À ce jour, de nombreuses études et documents officiels – le dernier en date est le rapport pour avis de la commission des affaires sociales – mettent en évidence les progrès apportés par la loi du 18 janvier 1994. Dans le même temps, ils soulignent les difficultés persistantes dans la mise en œuvre au quotidien des soins et des activités de prévention en milieu carcéral.
De plus, de nouveaux besoins en santé des détenus se font jour. Nous devons bien entendu les prendre en compte.
Sur plusieurs points, la réforme majeure intervenue en 1994 est à bout de souffle. Le projet de loi qui nous est soumis devrait apporter un nouvel élan.
Pour apprécier le chemin qui reste à parcourir, il est nécessaire d’analyser la situation sanitaire des détenus, laquelle demeure globalement dégradée si on la compare à celle de la population générale d’âge similaire. En effet, la population carcérale continue de cumuler les facteurs de risque. Certains de ces facteurs sont stables. Ainsi, la précarité, le faible accès aux soins, la forte consommation d’alcool et de tabac, la toxicomanie et les phénomènes de violences sont des caractéristiques constantes chez les personnes qui entrent en prison.
Mais, au-delà de ce constat, plusieurs évolutions primordiales se produisent actuellement.
On observe une montée importante de la polytoxicomanie, les combinaisons alcool-drogue, héroïne-cocaïne, produits de substitution-cocaïne étant parmi les plus fréquentes.
Le vieillissement de la population carcérale est également un fait nouveau. L’âge des entrants augmente de manière continue depuis vingt ans et l’allongement des peines touche plus fortement les condamnés déjà âgés.
On constate aussi une baisse constante de la prévalence du virus de l’immunodéficience humaine, le VIH, en prison, mais le taux des personnes détenues atteintes reste supérieur à celui de la population générale.
En outre, il ressort que les hépatites B et C sont très présentes, très mal dépistées et donc rarement soignées avant l’incarcération.
La recrudescence de la tuberculose est inquiétante. D’ailleurs, madame la ministre, vous vous êtes exprimée récemment sur le sujet, après l’annonce de la contamination par le bacille de Koch d’un détenu, puis de cinq surveillants de la prison de Villepinte.
Surtout, une forte proportion de personnes détenues nécessite une prise en charge psychologique ou psychiatrique. Comme le montre l’enquête de prévalence des troubles mentaux chez les détenus menée par les professeurs Bruno Falissard et Frédéric Rouillon, les personnes incarcérées présentent de lourds antécédents personnels et familiaux, et ce quels que soient la population et le type d’établissement. Avant leur incarcération, plus du tiers d’entre elles ont déjà consulté un psychologue ou un psychiatre. Et 16 % des hommes détenus ont déjà été hospitalisés pour raisons psychiatriques. La prison est le plus souvent un facteur d’aggravation de ces troubles.
Plus généralement, l’étude souligne qu’un grand nombre de personnes détenues ressentent un niveau de souffrance psychique élevé.
Des avancées réelles doivent donc être envisagées, et ce dans quatre domaines.
Le premier se révèle être celui du dispositif de soins mentaux, particulièrement inadapté face à cette demande croissante.
Les unités pour malades difficiles à l’extérieur des prisons sont saturées, avec pour conséquence des délais d’attente importants. Dans les prisons disposant d’un service médico-psychologique régional, ou SMPR, il n’y a pas d’hospitalisation psychiatrique proprement dite, car les cellules sont identiques aux autres cellules.
Les soins dispensés correspondent le plus souvent à une hospitalisation de jour, qui n’est pas adaptée aux patients suicidaires, puisque le cadre légal n’autorise pas la prise en charge des patients sans leur consentement aux soins. Dans ces conditions, il n’y a souvent pas d’autre possibilité que de recourir à des hospitalisations d’office. Ces dernières sont généralement courtes et n’ont souvent pour seul effet que de pallier une crise aiguë, sans perspective de prise en charge prolongée de pathologies chroniques.
Les problèmes sanitaires liés au vieillissement doivent également être résolus dans les établissements pénitentiaires. Les handicaps sont sévères, particulièrement en établissements pour longue peine. Or la vétusté des équipements des locaux de détention empêche tout déplacement, ce qui aggrave les difficultés en matière d’hygiène. Les fins de vie liées aux cancers sont de plus en plus problématiques.
La prévention et l’éducation pour la santé restent timides, alors même que la population pénitentiaire en a le plus grand besoin. Plus globalement, la construction d’un programme cohérent de santé publique s’impose.
L’hygiène, autant individuelle que collective, présente des lacunes importantes : une hygiène corporelle non respectée – moins de trois douches par semaine et par personne –, un blanchissage inefficace, un système de chauffage défaillant, un mauvais éclairage, tout cela s’ajoute à l’insalubrité des locaux.
Enfin, on ne peut ignorer la misère sexuelle à laquelle sont confrontés les détenus ni le silence qui l’entoure.
Sur tous ces points, la commission des affaires sociales et la commission des lois, au travers de leurs excellents rapporteurs, proposent de vraies solutions, que le groupe de l’Union centriste soutiendra, en souhaitant qu’elles ne restent pas des vœux pieux.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi s’ouvre dans un contexte difficile. Aussi, je tiens à rendre hommage à votre courage, madame la ministre. Je salue également l’engagement de notre rapporteur, Jean-René Lecerf, son humanité, son obstination ; le président Nicolas About s’est aussi beaucoup investi dans ce projet de loi, comme peuvent en témoigner les membres de la commission des affaires sociales.
L’institution pénitentiaire a été mise au cœur de l’actualité en ce mois de janvier 2009, durant lequel nos prisons ont connu onze suicides de détenus, pour des raisons psychologiques et affectives, parce que la prison est considérée comme un temps mort, un temps d’absence définitive de la société. Avec quinze suicides pour 10 000 personnes détenues, la France connaît l’un des taux les plus élevés d’Europe.
Mais ces actes désespérés ne doivent pas seulement soulever des interrogations sur le fonctionnement du « monde carcéral », comme nous l’appelons, expression d’ailleurs inappropriée, qui illustre bien le malaise que suscite ce que nous considérons comme un « autre monde ». Celui-ci relève non pas d’une galaxie inconnue, mais bien de notre société, concentrant de façon cruciale nombre de ses caractéristiques et, naturellement, de ses faiblesses.
Ces faiblesses, ce sont nos impossibilités à prendre soin des autres lorsqu’ils ne se situent pas dans notre champ de vision. Ainsi en est-il des personnes atteintes de troubles mentaux. Nous, familles et État, ne savons pas nous y prendre avec elles. Alors, nous les conduisons en prison.
Ces faiblesses, ce sont aussi les séquelles que laisse la prison sur ceux qui ont séjourné en ce lieu de misère psychologique, sociale et affective, qui dit l’absence d’amour ; ces séquelles se nomment violence, drogue, dépression et maladies.
Certes, le droit de la prison s’est progressivement structuré autour d’objectifs tels que la resocialisation des personnes détenues, au-delà des considérations d’ordre et de sécurité. Mais certaines règles, bien que reconnues, sont parfois difficiles à mettre en œuvre, même si la politique menée depuis plusieurs années – création des unités de visite familiale et des unités hospitalières sécurisées interrégionales, projets d’établissements pour mineurs, unités hospitalières spécialement aménagées – permet de développer la prise en charge de publics spécifiques et de progresser pour allier sécurité et respect des droits de l’homme.
Il s’avère aujourd’hui d’une façon criante que la fracture du lien entre l’hôpital et la prison n’est pas encore ressoudée et que la préparation du détenu à sa sortie de prison n’est pas assurée.
Le présent projet de loi vise à permettre une meilleure prise en compte de la situation actuelle. Cependant, il m’a paru opportun, après Nicolas About, d’attirer votre attention sur les deux points essentiels que constituent la prise en charge médicale des détenus et leur réinsertion.
Qu’il soit condamné à six mois, deux ans ou trente ans de prison, nous devons garder à l’esprit le fait que le détenu est une personne qui a vocation à reprendre vie au sein de la société.
Comme l’a souligné Nicolas About, la manière dont l'État prend en charge la santé des détenus est révélatrice de l’attention que notre société prête à ses membres les plus faibles et de sa volonté de leur offrir la possibilité de retrouver une place en son sein, voire tout simplement d’en trouver une.
Si la prise en charge des soins somatiques en prison est, dans l’ensemble, efficace, les soins psychiatriques souffrent d’un manque de moyens. Est-il normal, madame la ministre, que des psychiatres recrutés à plein temps dans nos prisons ne semblent pas y exercer l’intégralité de leur service ?
Est-il normal que les soins ne soient pas garantis le week-end ou la nuit en raison de l’absence de surveillants disponibles, voire du refus d’alerter les services compétents en raison d’une mauvaise évaluation de l’urgence ?
En matière de prise en charge de pathologies mentales, les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2006, déjà, le Comité national consultatif d’éthique a exprimé sa préoccupation quant au taux de pathologies psychiatriques, qui est vingt fois plus élevé en prison qu’au sein de la population dans son ensemble !
La psychiatrie se retrouve donc en première ligne avec peu de moyens, face à une population vulnérable qui peut être conduite au suicide ou à la récidive à sa sortie de prison.
L’une des explications de ce taux élevé réside dans la reconnaissance de la responsabilité pénale de personnes dont le discernement a été altéré par un trouble psychique, mais aussi, parallèlement, dans la réduction draconienne du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques, alors même que dans des hôpitaux, tel la Pitié-Salpêtrière, des salles entières d’enfermement seraient disponibles et prêtes à être réaménagées.
Une autre explication est la fragilisation psychique qui résulte des conditions de détention.
Les services médico-psychologiques régionaux créés en 1986 ou les unités hospitalières spécialement aménagées sont plus que nécessaires, mais l’insuffisance des effectifs et le manque de moyens entraînent des délais d’attente pour les consultations d’au moins six mois, sauf pour les cas d’urgence. À cet égard, madame la ministre, nous aurions souhaité voir à vos côtés, au banc du Gouvernement, la ministre de la santé.
L’article 20 prévoit que la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles qui sont dispensées à l’ensemble des personnes accueillies dans les établissements de santé publics ou privés. Il prévoit également que l’état psychologique des personnes détenues est pris en compte lors de leur incarcération et pendant leur détention. Cette disposition est primordiale pour que les personnes fragiles ne sortent pas de prison dans un état psychologique aggravé.
J’aborderai brièvement la question de la prévention du VIH. Le combat n’est pas gagné, même si des progrès ont été constatés.
Les associations préconisent, par exemple, de poursuivre les actions de dépistage à l’entrée en prison en améliorant le conseil pré-test et post-test et en renouvelant régulièrement les propositions de test. Elles insistent aussi sur la nécessité de préparer la sortie du détenu en proposant qu’un médecin assurant un suivi médical VIH à Fleury-Mérogis procède à une consultation post-pénale au sein de l’hôpital Pitié-Salpêtrière où il exerce par ailleurs. Êtes-vous prête, madame la ministre, à favoriser de tels dispositifs ?
J’en viens aux addictions ; la prison manque de spécialistes pour la prise en charge de celles-ci. Or 33 % des détenus utilisent des substances illicites et 31 % ont une consommation problématique d’alcool. La prison pourrait être l’occasion d’un premier accès à la santé pour nombre de prisonniers. Mais le voulons-nous vraiment ?
Pour que les traitements entamés soient efficaces, il faut qu’ils soient poursuivis après la sortie de prison.
Or, à l’heure actuelle, les soins peuvent prendre fin du jour au lendemain, dès que la décision de sortie est prononcée, ce qui est contraire à l’objectif de santé publique de la loi de 1994 et dangereux tant pour l’ancien détenu que pour la société, comme dans le cas d’une interruption brutale d’un traitement à la méthadone.
C’est tout le sens d’un article additionnel après l’article 22, proposé par la commission, qui prévoit une visite médicale de sortie.
Les soins dispensés aux prisonniers ne doivent pas se limiter au milieu carcéral. Il importe d’établir une cohérence avec les traitements qui seront prodigués hors les murs. Cette coordination en matière de santé doit aussi s’opérer dans les domaines du logement, de l’insertion professionnelle et du maintien des liens familiaux.
S’agissant du logement, il me paraît important d’établir un bilan social complet du détenu à l’entrée en prison et de mettre en place un soutien individualisé.
Je souhaite aussi, madame la ministre, que vous vous attachiez à promouvoir et à pérenniser des dispositifs tels que celui des appartements-relais, qui permettent la réinsertion et l’autonomisation progressive du détenu sorti de prison.
Ne pas prévoir de réinsertion, c’est ouvrir la porte à l’errance, à la rue, à l’isolement, quelquefois à la récupération par des réseaux, et à la récidive. Nous pouvons le prévoir, notamment avec des sorties « sèches » à minuit à Fleury-Mérogis, à midi à Fresnes, un samedi, avec en tout et pour tout un préservatif fourni par l’administration pénitentiaire.
S’agissant de l’insertion professionnelle, la prison devrait constituer une opportunité formatrice d’un point de vue pédagogique pour des personnes qui, souvent, ne possèdent pas les bases de l’instruction. Tel est le sens du développement de la formation en prison préconisé par notre assemblée à l’article 11, qui fait obligation au détenu d’exercer une activité afin de lutter contre l’oisiveté cérébrale et de rendre utile ce temps de détention.
Enfin, j’insisterai sur le maintien des liens familiaux. Il s’agit d’un enjeu de santé publique ! Madame la ministre, en tant que mère de famille, vous pouvez comprendre la nécessité d’éviter la rupture entre les parents et l’enfant de moins de trois ans : cette relation est indispensable pour le développement de l’enfant et la construction des parents.
Pour faciliter ce lien, l’acheminement de l’enfant jusqu’au lieu de détention devrait être pris en charge par la puissance publique.
Les rencontres entre enfants et parents en détention doivent avoir lieu dans des espaces spécialisés, avec un cahier des charges établi par la Protection maternelle et infantile, la PMI. Cela limiterait les troubles liés à l’éloignement.
La personne détenue doit sortir de prison en meilleur état psychique qu’elle n’y est entrée. Il faut lui donner ou redonner la conscience de son humanité et lui dire : « tu as ta place dans notre société, parce que nous croyons en toi ».
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, mes premiers mots vont à notre collègue Jean-René Lecerf, rapporteur, que je tiens à remercier.
Nous sommes en effet nombreux à connaître et apprécier son engagement pour une humanisation effective des prisons, engagement qu’il nous prouve aujourd’hui à travers le texte proposé. Je le remercie également de nous avoir toujours associés aux différents déplacements et aux auditions.
Ainsi, il a su nous démontrer que la question des prisons dépasse les clivages politiques traditionnels et que, dans ce domaine, la sécurité ne peut justifier éternellement de porter atteinte aux droits fondamentaux des détenus.
Sur de nombreux points, nous avons été très loin, aussi loin qu’il est possible d’aller. Je pense notamment à la responsabilité de plein droit de l’administration pénitentiaire, que vous souhaitez créer pour les violences entre détenus, ou aux procédures d’aménagement de peine propres à garantir une certaine décongestion de nos prisons.
Je pense aussi au renforcement du principe de l’encellulement individuel des prévenus, qui est proposé à l’article 49 du projet de loi, même si l’article 59 vient vider celui-ci de son sens.
Néanmoins, je regrette que le texte soit insuffisant sur de nombreuses questions et, en premier lieu, sur celle de l’encellulement individuel obligatoire, que le Gouvernement souhaite réduire par voie d’amendement à un principe d’encellulement individuel facultatif.
Non seulement il n’est plus question, comme le prévoit actuellement le code de procédure pénale, de faire respecter le principe de l’encellulement individuel, mais le Gouvernement profite de ce projet de loi pour redéfinir, au travers d’un amendement, la notion même d’encellulement individuel : non plus un détenu par cellule, mais un détenu par place !
Ce changement, nous le savons, ouvrira la voie à tous les abus ! L’administration pénitentiaire pourra alors jeter des matelas au sol et considérer qu’il s’agit de places. Elle pourra construire des montagnes de lits superposés dans une seule cellule et continuer à clamer haut et fort qu’elle respecte la dignité des détenus.
J’estime qu’il est urgent de mettre un terme à cette mascarade. Nous devons aujourd’hui prendre nos responsabilités et affirmer, avec force et vigueur, que chaque détenu a droit à une cellule individuelle.
C’est à ce prix que le respect de la dignité du détenu prendra tout son sens, et c’est uniquement à ce prix que le détenu pourra concevoir la prison autrement que comme une zone d’attente délabrée, où la survie constitue souvent un combat de chaque instant.
Bien sûr, nous ne demandons pas que nos prisons se transforment en hôtel cinq étoiles ! Nous souhaitons seulement que chaque détenu n’ait pas à endurer, outre sa détention, des atteintes continues et répétées à ses droits fondamentaux, notamment ses droits à la dignité, à la santé et à l’intimité avec sa famille.
Le droit, rien que le droit, mais tout le droit pour nos détenus !
Nous ne pourrions imaginer que des citoyens puissent vivre, à l’extérieur des prisons, ce que nos détenus doivent subir en raison de la surpopulation carcérale.
Comme nous le savons, et comme beaucoup le répètent, la prison, c’est la privation de liberté, et pas plus que cela ! Le code pénal punit d’une peine d’emprisonnement ceux qui fournissent des logements indignes : pourquoi les détenus ne pourraient-ils pas aussi bénéficier d’une protection dans ce domaine ?
Il est temps, chers collègues, que la France reconnaisse un véritable « droit opposable » à l’encellulement individuel au profit des détenus. Nous devons saisir la responsabilité historique qui se présente à nous aujourd’hui !
La surpopulation carcérale est devenue le cancer de nos prisons et la construction de nouveaux établissements n’est pas une solution. Or, sans éradication de la surpopulation carcérale, nous ne réussirons jamais à faire respecter le droit le plus élémentaire du détenu : le droit à la dignité.
Profitons donc de la caducité du moratoire sur l’emprisonnement individuel, qui avait été instauré jusqu’au mois de juin 2008, pour enfin organiser, graduellement, mais sûrement, la mise en place progressive du principe « un détenu, une cellule ».
Le cadre juridique existe, puisque, le 10 juin 2008, madame le garde des sceaux, vous avez pris un décret pour assurer la mise en œuvre de l’encellulement individuel. L’enjeu d’une application effective de ce principe n’est pas seulement arithmétique : il s’agit de respecter et de faire respecter le droit à la dignité des détenus.
Je tiens d’ailleurs à signaler que la référence à ce droit a disparu du projet de loi pénitentiaire, ce que je regrette profondément.
Je ne pense pas que la réponse apportée à ceux qui s’interrogent sur la disparition d’un tel principe soit suffisante. Non, vraiment, le respect de la dignité du détenu ne va pas de soi !
Nous savons très bien pourquoi le terme a disparu : le détenu pourrait demain, au même titre que n’importe quel citoyen, soumettre au Conseil constitutionnel la question de la protection effective du droit au respect de sa dignité par voie préjudicielle. Or, vous connaissez tous très bien l’orientation englobante de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans ce domaine…
En privant le projet de loi de toute référence à la dignité du détenu, on prive donc ce dernier de la possibilité de s’en prévaloir !
Sur ce point précis, le texte de la commission souffre d’une carence impardonnable. Il nie le droit à la dignité du détenu, un droit que nous devons rétablir, au sens propre, comme au sens figuré, tout au long de nos débats. Sa négation, vous le savez, engendre les violences que les détenus exercent sur les agents de surveillance, sur leurs codétenus ou encore sur eux-mêmes et qui expriment souvent un mal-être.
Il me semble aussi important de revenir sur un autre point, la question de la santé du détenu, déjà évoquée par les orateurs qui m’ont précédée. Je voudrais simplement rappeler la demande que j’ai déposée, il y a quelques mois, avec plusieurs collègues, de constitution d’une commission d’enquête sur la prise en charge sanitaire des détenus et l’évaluation des risques suicidaires en prison.
Chers collègues, les chiffres parlent d’eux-mêmes : nous avons enregistré 115 suicides pour la seule année 2008, soit une augmentation de 20 % par rapport à 2007, et 26 suicides pour les seuls mois de janvier et de février 2009, dont plusieurs concernent des mineurs.
Or le projet de loi est absolument muet sur cette question. Certes, il mentionne le droit à l’information des familles sur les démarches à suivre, mais n’est-ce pas là le minimum ?
Nous ne trouvons rien sur l’évaluation de la santé des détenus par rapport à l’incarcération, rien sur la prise en charge de ceux d’entre eux qui intègrent malades les établissements et sur la continuité des soins, rien sur l’aménagement des régimes de détention en fonction de l’état de santé des personnes concernées.
Le détenu malade est un détenu comme les autres ? Eh bien, non ! Il est, avant tout, un malade, un être humain en demande de soins. Nous ne devons pas l’oublier !
Nous souhaitons donc, pour notre part, remettre la santé du détenu au cœur du parcours d’exécution de la peine, avec une prise en compte de son état de santé dès l’incarcération et à toutes les phases de l’exécution de la peine, y compris lors de mesures disciplinaires.
La question de la prise en charge sanitaire des détenus a été oubliée depuis la grande loi du 18 janvier 1994. Quinze ans après, il est important d’établir un bilan pour les ministères responsables et de repenser le soin dans ses rapports avec la peine.
En prison, la demande de soins est beaucoup plus pressante qu’à l’extérieur et l’absence de soins y a des conséquences tragiques, comme nous avons tous pu le mesurer au cours des derniers mois. Là encore, les chiffres sont impressionnants : 25 % des détenus présentent des troubles mentaux, dont environ 8 % souffrent de psychoses graves.
Nous devons sortir de cette escalade morbide par la mise en œuvre de moyens plus importants, tant humains que matériels. Il faut mettre un terme au mélange des genres et assurer, au bénéfice du détenu, un service public hospitalier d’une qualité équivalente à celle que l’on rencontre à l’extérieur.
Cela passe par un développement des unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, afin de laisser aux services médico-psychologiques régionaux, les SMPR, aujourd’hui totalement saturés, la responsabilité effective des soins ambulatoires.
Cela passe également par une remise à plat de la démographie psychiatrique. Pourquoi les prisons se sont-elles vidées de leurs psychiatres ? Comme dans le cas des infirmières, c’est en raison de conditions d’exercice très difficiles !
C’est pourquoi je voudrais également rendre hommage à l’ensemble des personnels intervenant dans les prisons, ceux qui appartiennent à l’administration pénitentiaire, mais aussi les médecins, les infirmières et les éducateurs, qui souffrent, eux aussi, des conditions très difficiles qui prévalent en milieu pénitentiaire.
Madame le garde des sceaux, nous devons sortir de la contradiction entre une politique pénale répressive et une politique pénitentiaire qui se veut un outil de réinsertion et de lutte contre la récidive.
Mes chers collègues, madame le garde des sceaux, nous abordons l’examen de ce projet de loi pénitentiaire avec optimisme et dans un esprit de collaboration. Nous souhaitons voir évoluer le texte, ce pourquoi nous vous soumettrons plusieurs propositions, équilibrées et au plus près des règles pénitentiaires européennes. Nous espérons que vous saurez y adhérer... et, ainsi, que nous pourrons peut-être voter cette loi.
Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la France, pays des droits de l’homme, attendait cette loi pénitentiaire avec une grande impatience. Nous savons tous, hélas, et personne dans cette assemblée ne l’a contesté à ce jour, que les prisons françaises ne sont pas dignes de notre démocratie et sont loin des exigences européennes.
La loi que vous nous proposez aujourd’hui, madame le garde des sceaux, répond-elle à la nécessité ? Force est de reconnaître que la déception est à la mesure des espoirs investis, et ce n’est pas polémiquer que de faire un tel constat.
Mes collègues se sont déjà exprimés : le texte n’est pas à la hauteur de l’enjeu, même si certains de ses aspects marquent des progrès réels, que nous soulignerons.
Son insuffisance tient sans doute, pour une part, au contexte paradoxal, voire contradictoire, dans lequel il a été conçu. Ainsi, depuis 2002, une série de lois ont modifié la politique pénale, en accentuant notamment sa dimension répressive. Comme vous le savez, cette tendance s’est consolidée avec la mise en œuvre de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, qui institue des peines minimales, dites peines plancher, pour les délinquants récidivistes.
Or ces diverses dispositions ont conduit mécaniquement à une surpopulation des établissements pénitentiaires. Je pourrais rapidement en décrire les conséquences actuelles, mais beaucoup de mes collègues l’ont déjà fait. Cette suroccupation avoisine aujourd’hui 125 % des capacités d’hébergement, ce qui signifie que de nombreuses maisons d’arrêt enregistrent des taux plutôt proches de 130 % ou 135 %.
Le projet de loi que vous proposez, madame le garde des sceaux, traduit de fait un changement de cap, puisqu’il est inspiré par la nécessité de pallier cette surpopulation au moyen d’aménagements et d’une plus grande diversification des peines. Nous approuvons ces propositions, à condition, bien sûr, qu’elles soient accompagnées d’une réelle ambition de réinsertion.
Mais, convenez avec moi, madame le garde des sceaux, qu’une loi pénitentiaire digne de ce nom doit aller plus loin. Par conséquent, acceptez que nous mettions à profit votre texte, aujourd’hui insuffisant et partiel, …
… mais il est vrai déjà enrichi par le rapporteur de la commission des lois et le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales !
Je vous propose de transformer encore ce texte, largement enrichi donc par rapport à son état d’origine, pour offrir une véritable possibilité de progrès à notre pays.
Cette loi doit principalement porter haut le droit à la dignité pour tous les détenus et ce droit à la dignité doit pouvoir s’incarner dans tous les aspects de leur vie.
Je voudrais spécialement retenir deux droits qui, du point de vue de la dignité humaine, sont essentiels : le droit à la santé, largement développé par le président de la commission des affaires sociales, et le droit à la réinsertion professionnelle.
S’agissant du droit à la santé, tout d’abord, la surpopulation observée a des effets désastreux sur l’état de santé des détenus, ainsi que sur l’organisation des parcours de santé. Ces insuffisances ne doivent cependant pas nous faire oublier les énormes progrès accomplis, en particulier grâce à la loi du 18 janvier 1994, qui représente, cela a été dit, un tournant décisif.
La prise en charge des détenus est désormais confiée au secteur hospitalier, afin d’assurer en prison une qualité et une continuité de soins équivalentes à celles qui sont offertes à l’ensemble de la population. Telle était l’ambition de ce texte.
Cependant, dans la réalité, cette loi n’est que partiellement appliquée. En effet, et c’est l’Académie de médecine qui le dit, la prise en charge des détenus n’est toujours pas égale à celle des autres citoyens. Le statut du détenu prime toujours sur celui du malade. Cela se traduit par des carences graves de l’hygiène, l’absence de permanences médicales la nuit et le week-end, la transgression fréquente du secret médical, l’insuffisance de suivi à la sortie, une discontinuité dans le parcours de santé.
Enfin, nombreux sont mes collègues qui ont insisté sur ce sujet à juste raison, les soins mentaux, et plus encore le suivi, sont inadaptés devant une demande croissante : près de 25 % des personnes détenues sont atteintes de troubles mentaux et près de la moitié souffrent d’états psychotiques.
De ce point de vue, le texte qui nous est aujourd'hui soumis mérite encore des évolutions. Il doit permettre notamment de mieux prendre en compte l’état psychologique des détenus.
À cet égard, les règles pénitentiaires européennes doivent, me semble-t-il, constituer pour nous un cadre de référence devant nous permettre d’aller encore plus loin que les dispositions qui nous sont proposées.
C’est pourquoi le groupe socialiste présentera des amendements visant à garantir mieux et à instrumenter ce droit à la santé, en cohérence avec les propositions qu’a formulées le président de la commission des affaires sociales et que nous soutenons.
J’ai écouté avec attention le rapporteur de la commission des lois, qui conclut à la nécessité de retravailler ce sujet ultérieurement. Pour autant, il serait dommage qu’un tel projet de loi, qui se veut fondateur, ne porte pas en lui-même cette question essentielle de la santé.
J’en viens maintenant au droit à la réinsertion.
La réinsertion doit être un sujet de préoccupation central dans un texte de cette nature. Si elle s’opère aussi grâce au maintien des liens familiaux, à la mise en place d’un suivi médical qui s’organise au-delà de la période de détention, elle est d’abord rendue possible grâce à l’accès au travail et à la formation professionnelle.
Le travail est au cœur de la problématique de l’incarcération. Il offre un lien indispensable avec le monde de la « vie réelle ». Il permet l’apprentissage de disciplines utiles pour la resocialisation et procure surtout une rémunération nécessaire.
Pourtant, la proportion d’individus incarcérés exerçant une activité en prison ne dépasse pas 40 %. Les chiffres de la formation sont plus inquiétants encore : 75 % des entrants en détention n’atteignent pas le niveau du CAP et la moitié d’entre eux souffre d’illettrisme.
Il faut pourtant tout faire pour que le temps de l’incarcération soit, sous ces aspects, un temps utile : il ne doit pas rester un « temps mort ».
À cet égard, le texte présenté par la commission devra être enrichi de dispositions favorisant l’accès au travail et à la formation professionnelle. Nous formulerons des propositions en ce sens.
Dans la perspective de ce débat, j’ai longuement visité la semaine dernière la maison d’arrêt de Besançon. J’y ai rencontré des détenus, une équipe de direction très professionnelle ainsi que des personnels soucieux d’assurer leur mission dans les meilleures conditions d’efficacité.
La justification de ce projet de loi pénitentiaire, c’est évidemment le détenu. Mais, en proposant à la vie pénitentiaire un cadre législatif ambitieux, non seulement nous ferons avancer la dignité des femmes et des hommes détenus dans nos prisons, ce qui est essentiel, mais nous permettrons aussi aux personnels pénitentiaires d’exercer leurs missions dans un cadre valorisé, responsabilisé et porteur de progrès.
En 1981, en abolissant la peine de mort, la France se mettait en accord avec elle-même ; Robert Badinter le rappelait à cette époque. Notre pays avait en effet été parmi les premiers à éradiquer la torture, à supprimer l’esclavage.
Avec arrogance parfois, nous rappelons notre primauté au regard des droits de l’homme. Par conséquent, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, faisons en sorte que la France ne soit pas la dernière à se doter des règles pénitentiaires dignes d’une démocratie.
Cette occasion est là aujourd'hui devant nous. Mes chers collègues, saisissons-la ensemble !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je rappellerai d’abord le rôle majeur et précurseur du Sénat sur la question pénitentiaire.
Au mois de janvier 2000, le rapport de Véronique Vasseur a entraîné dans un premier temps l’ouverture de deux commissions d’enquête parlementaires, puis la formulation de propositions par Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel.
Sur ce texte, la commission des lois a aussi accompli un travail remarquable...
... et son rapporteur, Jean-René Lecerf, s’est engagé fortement et personnellement.
Nous entamons l’examen de ce projet de loi que le travail des commissions a permis d’enrichir.
Pour ma part, madame le garde des sceaux, en tant que professionnel du droit, je ne suis pas déçu : ce texte, qui est nécessaire à mes yeux, contient de réels progrès et présente de grands mérites.
D’une part, ce projet de loi est courageux. Dans une période de crise, la condition des détenus n’est pas la préoccupation de la grande majorité des Français, ...
... lesquels estiment que l’on doit être puni, lorsque l’on a commis une faute, et que, si les conditions de confort et de vie ne sont pas bonnes, tant pis !
Lorsqu’ils apprennent que nous examinons le projet de loi pénitentiaire, nos concitoyens s’exclament : « Vous n’allez pas leur offrir un quatre étoiles ! ». Oui, il fallait du courage pour ouvrir ce dossier en cette période.
D’autre part, ce projet de loi place la réinsertion des détenus au cœur de l’intervention du service public pénitentiaire. Il s’attaque ainsi frontalement au « paradoxe pénitentiaire », qui fait trop souvent de la prison une école de la récidive.
Tocqueville écrivait : « La société a le droit de punir, mais non de corrompre ceux qu’elle châtie. »
Il ajoutait que l’on jugeait de l’efficacité du système pénitentiaire à son taux de récidive.
Les avancées que permet ce projet de loi sont nombreuses.
Ainsi, il prévoit l’évaluation du taux de renouvellement de l’infraction par établissement pénitentiaire, afin de mesurer l’impact des conditions de détention sur la récidive.
Il s’agit de tout mettre en œuvre pour éviter l’incarcération, en développant les alternatives et en multipliant les aménagements de peines.
En matière correctionnelle, il est certain que l’emprisonnement ferme constitue une sanction qui ne doit être prononcée qu’en ultime recours et que, dans le même esprit, la libération conditionnelle doit être, aussi souvent que possible, préférée aux réductions de peine, tant il est primordial d’éviter les « sorties sèches ».
En effet, la réussite de la réinsertion est tout entière conditionnée par les modalités d’exécution de la peine. Dès lors, il est indéniable que nous devons prendre à bras-le-corps le problème de la surpopulation pénale, que les peines plancher ont accentué.
Certes, la surpopulation est réelle, mais il faut rappeler l’effort constant d’un certain nombre de gardes des sceaux de la majorité, depuis bientôt trente ans, pour construire de nouvelles places de prison.
Trois programmes ont été successivement mis en œuvre. Le programme Chalandon a permis la création de 13 000 places de détention avec la construction de vingt-cinq établissements. Certes, à l’époque, les maisons d’arrêt n’étaient pas construites à proximité des hôpitaux psychiatriques, ce qui n’est plus le cas aujourd'hui. Le programme Méhaignerie a permis de créer 4 000 places, avec la construction de six établissements. Enfin, sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, a été prévue la construction d’une quinzaine d’établissements pénitentiaires – elle est en cours ; l’établissement qui se trouve près de ma commune est presque terminé – et de sept établissements pour mineurs.
Parallèlement, au sein des établissements existants, un programme d’accroissement des capacités a permis de créer, entre 2003 et le mois de juin 2008, près de 1 600 places de détention.
Ce n’est pas suffisant, mais des progrès ont été réalisés ; les chiffres sont irréfutables. C’est en poursuivant et en amplifiant cette orientation que nous répondrons au besoin de sécurité de la collectivité et à l’impérieuse nécessité d’humaniser nos prisons.
Si je me félicite, en tant que professionnel mais aussi en tant qu’humaniste, de l’objectif de réinsertion affiché par ce texte, je ne perds cependant pas de vue que ce dernier ne peut s’appliquer ni à tous, ni de la même façon. À l’optimisme de la réinsertion s’opposera toujours un pessimisme à l’égard des personnes « inamendables ». Et, ne nous leurrons pas, il nous faudra toujours des prisons, mais qui soient adaptées et dignes de ce nom.
À cet égard, madame le garde des sceaux, je considère que l’encellulement individuel doit rester une priorité. Certes, des assouplissements doivent être possibles, en fonction de la personnalité du détenu. Mais l’on sait très bien que tout ne peut pas se faire en un jour ! Il faut incontestablement se donner les moyens. Dans cet esprit, le rapporteur préconise, s’agissant du travail et de la formation des personnes détenues ou de leur sécurité, un régime de responsabilité sans faute de l’État pour tout décès en détention qui serait la suite d’une agression commise par un autre détenu. La même logique des moyens prévaut pour le statut des personnels pénitentiaires.
Il faut encore se donner les moyens pour garantir l’effectivité des droits reconnus aux détenus. Ce projet de loi est porteur, en la matière, de grandes avancées, et c’est heureux, qu’il s’agisse du droit à la communication, des visites et du maintien des liens familiaux, notamment avec le développement des unités de vie familiale. Il en va de même du droit disciplinaire, dont les principes fondamentaux sont désormais élevés au niveau législatif.
À cet égard, j’insisterai plus particulièrement sur la nécessaire limitation des fouilles corporelles, réalisées parfois dans des conditions indignes. De telles fouilles sont aussi effectuées dans les commissariats, dans le cadre de placements en garde à vue. Comme le disait M. Badinter, les détenus sont des êtres humains et doivent être traités en tant que tels, comme vous et moi, mes chers collègues.
Enfin, je conclurai sur la délicate question de l’administration des soins en prison, que le président de la commission des affaires sociales a excellemment analysée et dans le détail.
La prison ne peut être une zone de non-droit et ne saurait être une zone de non-soin.
On lit, dans certains journaux, des chiffres extravagants sur le nombre de détenus dits « malades mentaux ». Ces données ne sont pas tout à fait exactes. Voilà quelques jours, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec le professeur Senon, psychiatre bien connu, homme exceptionnel qui travaille à Poitiers. Il m’a indiqué qu’aujourd’hui 4 % à 7 % des malades décomptés dans nos prisons sont des schizophrènes et des psychotiques, …
… 10 % à 20 % sont en état dépressif en raison de leur changement de vie, entre quatre murs, voire délinquants sexuels ou autres.
Se pose également le problème, évoqué à plusieurs reprises, des jeunes détenus, plus fragilisés que les autres et qui risquent d’être entraînés vers la récidive.
Notons aussi le problème des malades difficiles, accueillis dans les unités pour malades difficiles, les UMD. Dans les années quatre-vingt-dix ont été supprimés un certain nombre de lits. Or, aujourd’hui, toutes les UMD ont des listes d’attente. La proposition de créer quatre nouvelles unités correspond aux besoins de la population actuelle.
Au-delà, il importe de garantir à tous l’effectivité des soins, sans une attente de plusieurs mois pour une consultation spécialisée, et de fixer des objectifs de santé publique pour la population carcérale en fonction des pathologies. À ce titre, l’idée d’introduire un numerus clausus, sous la forme de l’interdiction d’incarcération de nouveaux détenus dans un établissement ayant un taux d’occupation supérieur à 120 % de ses capacités, peut se justifier.
Assurer un suivi des soins après la sortie de prison est une idée qui tombe également sous le sens, mais qui, pour être correctement appliquée, implique une coordination de tous les acteurs.
L’instauration d’une visite médicale obligatoire après la sortie de prison sera sans doute de nature à amorcer ce processus vertueux. La prise en charge médicale du détenu démontre qu’il a besoin d’un accompagnement continu « dedans » et « dehors ». Ce suivi social, médical et psychologique, pendant et après l’exécution de la peine, est l’un des gages d’une réinsertion réussie.
Madame le garde des sceaux, très attendu, votre projet de loi pose des fondements. Telle est d’ailleurs la volonté de tous, venant de tous les horizons. Il faudra encore lui donner de l’ampleur – c’est parfois le plus difficile –, notamment en dégageant les moyens nécessaires à la réalisation des objectifs fixés.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt-et-une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Bernard Frimat.