Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 3 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Discussion générale

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur :

Pardonnez-moi une remarque personnelle, mes chers collègues, pour vous dire que si ce projet de loi ne devait pas modifier fondamentalement la situation de nos prisons, s’il n’était qu’un texte parmi d’autres, si la montagne devait accoucher d’une souris, ce serait là la pire déception de ma vie de parlementaire !

Toutefois, j’ai déjà le sentiment d’avoir été partial et injuste à l’égard de l’administration pénitentiaire, dont l’évolution, pourtant, se révèle considérable.

Que l’on songe quelques instants aux prisons des années 1970 – ce n’est pas si lointain ! –, ces univers clos, où les journaux étaient interdits et où nul échange n’était possible entre surveillants et détenus. Ceux qui ont visité les cellules disciplinaires utilisées jusqu’à cette époque à la centrale de Clairvaux ont eu l’impression que le temps s’était arrêté depuis le Moyen Âge et les cages de fer que l’on prête à Louis XI !

Il est vrai que, au cours des dernières décennies, le parc pénitentiaire a été largement renouvelé à la suite des différents programmes de construction engagés depuis la fin des années 1980. Je veux citer ici le nom d’Albin Chalandon, qui était un élu du département que j’ai l’honneur de représenter, le Nord, lorsqu’il fut nommé garde des sceaux, en 1986.

Les services pénitentiaires d’insertion et de probation ont été mis en place. La prison s’est ouverte sur l’extérieur, au-delà des aumôniers et des instituteurs, avec les visiteurs de prisons, les associations, les délégués du Médiateur et les parlementaires.

Depuis la loi du 18 janvier 1994, la prise en charge de la santé des détenus est assurée par le service public hospitalier dans les conditions du droit commun. La formation des personnels, dispensée notamment à l’École nationale de l’administration pénitentiaire, se révèle de grande qualité et intègre la culture des droits de l’homme. L’influence des normes internationales, la référence aux règles pénitentiaires européennes, les jurisprudences du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme vont dans le sens de l’amélioration continue des conditions de détention.

Tout cela n’est pas discutable, et il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour affirmer que rien n’a changé et que l’univers carcéral est demeuré immobile.

J’ai moi-même rencontré d’innombrables personnels de direction, de surveillance ou d’insertion et de probation dont l’implication et l’humanisme forcent l’admiration, comme ce surveillant du quartier maison centrale du centre pénitentiaire de Château-Thierry, ou peut être devrais-je dire de la « maison de fous » de Château-Thierry, qui confiait que, lorsqu’un détenu hurlait la nuit, il allait s’asseoir dans sa cellule, des heures durant s’il le fallait, pour lui parler, et qu’il ne le quittait qu’après l’avoir rassuré.

Oui, il serait tout aussi absurde de nier ces inestimables progrès que de ne pas reconnaître avec humilité l’étendue du chemin qui reste à parcourir !

Une cellule de douze mètres carrés partagée par trois détenus, avec un matelas par terre, un cabinet d’aisance non ventilé, dépourvu de cloisons, telle est encore la réalité dans un certain nombre de maisons d’arrêt en attente de rénovation !

Les aumôniers nationaux, qui ont tous été entendus par votre rapporteur, lui ont transmis un message de leurs aumôniers, qui affirment consacrer parfois moins de temps à satisfaire aux exigences de la vie spirituelle, morale et religieuse qu’à accompagner les détenus, notamment les jeunes, jusqu’à la douche, à les attendre et à les reconduire en cellule pour qu’ils ne risquent ni coups ni viols.

Voilà près de cent cinquante ans, mes chers collègues, que Tocqueville écrivait : « La société a le droit de punir mais non de corrompre ceux qu’elle châtie ».

Trop souvent, la prison, dans les cours de promenade et parfois jusque dans les cellules, reste un lieu où perdurent violences au quotidien et loi du plus fort. Quel paradoxe que de plonger des personnes ayant gravement méconnu les règles dans un univers où les droits et la sécurité ne sont pas garantis !

Chaque année, à Nancy, à Rouen, à Lannemezan ou ailleurs, des prisonniers meurent victimes de leurs codétenus. Quant au taux de suicides dans les prisons françaises, il reste, malgré les efforts du personnel pénitentiaire, l’un des plus élevés d’Europe, et les premières semaines de 2009 ne nous ont en aucune manière rassurés sur ce point.

Comment s’étonner alors des condamnations internationales qui frappent notre pays, condamnations dont le retentissement dans la patrie des droits de l’homme ne peut être que plus cruel encore que partout ailleurs, qu’il s’agisse d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture ou de ceux des commissaires successifs aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ?

Or, si les efforts accomplis n’ont pas produit jusqu’à présent les résultats escomptés, c’est qu’ils ont été freinés, voire anéantis par deux causes : la part croissante de personnes atteintes de troubles mentaux au sein de la population pénale et le surpeuplement carcéral.

Sur la première cause, et je préfère le reconnaître dès maintenant, la loi pénitentiaire ne pourra pas réellement peser et il nous faudra donc prendre date pour une réforme future.

Il faut savoir qu’en France les auteurs d’infractions atteints de troubles psychiatriques sont pris en charge par la prison plutôt que par l’hôpital.

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