Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 3 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Discussion générale

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Le texte intitulé « projet de loi pénitentiaire » ne saurait être appréhendé hors du contexte général de la politique pénale de notre pays. Il ne saurait être un instrument de communication destiné à masquer la réalité : la situation catastrophique des prisons françaises et une justice française considérée en Europe comme l’un des plus mauvais exemples. N’oublions pas ce qu’est notre univers carcéral, qui sont les détenus, quelles sont leurs origines – 95 % d’hommes, 50 % d’illettrés ! – et de quels milieux ils sont issus. La réalité, c’est cela !

Ce constat est la résultante non pas de la politique d’un seul gouvernement, mais d’une responsabilité nationale collective, découlant aussi du fait que nos concitoyens ne s’intéressent à la justice que lorsqu’ils sont personnellement ou familialement concernés.

Mettre à la disposition de la justice les budgets nécessaires, telle est la condition préalable à toute amélioration de la situation et tel est le moyen de respecter les règles pénitentiaires européennes adoptées le 11 février 2006.

On peut aussi, madame le garde des sceaux, illustrer ces problèmes par l’insuffisance du plan de relance pour la partie « justice » : 80 millions d’euros seulement, dont 30 millions d’euros pour les travaux de rénovation dans les établissements pénitentiaires, et 15 millions d’euros pour le lancement anticipé des quartiers de courtes peines.

En Europe, la France est montrée du doigt pour les dysfonctionnements de sa justice.

Le bâtonnier de Paris a qualifié publiquement les prisons françaises de « pourrissoirs » et a conclu ainsi son éditorial du 16 janvier 2009 : « Nous taire ou nous abstenir équivaudrait à nous rendre nous-mêmes complices de cette indignité ».

Dans son rapport, M. Delarue, nouveau contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont la nomination nous semble à tous très positive, établit ce même constat : surpopulation carcérale, nombreux lieux de non-droit où toutes les violences se propagent, taux de suicide en progression exponentielle, désarroi des personnels dont la tâche devient impossible...

Quelle est la réponse de l’État ? Que peut-on attendre de ce projet de loi pénitentiaire ? Résout-il le problème de la prison en France ?

Ce texte apporte un progrès sur la question du droit des détenus et sur celle des alternatives à la prison. Toutefois, faire un projet de loi dite « pénitentiaire » en remettant en cause l’encellulement individuel, ce n’est pas raisonnable !

Concilier la protection de la société, l’application d’une sanction pour des actes délictueux ou criminels avec l’impératif d’un travail de réinsertion sociale et des conditions satisfaisantes d’exercice professionnel des personnels est l’objectif de toute politique générale pénitentiaire équilibrée et raisonnable.

Le déséquilibre, mes chers collègues, intervient lorsqu’on privilégie le volet sécuritaire, autrement qualifié de « populisme pénal », ou, à l’inverse, le laxisme libertaire. Nous ne voulons ni de l’un ni de l’autre.

Ce projet de loi constitue-t-il uniquement une réponse médiatique aux multiples observations émanant d’organismes internationaux et nationaux, ou permettra-t-il de mettre en pratique dans les prisons lesdites recommandations, comme le souhaitent la commission, son rapporteur et son président ?

Le texte de la commission des lois constitue incontestablement un progrès par rapport au texte initial, et j’ai déjà dit tout le bien que nous pensions du travail effectué par M. le rapporteur.

Ce texte apporte certaines améliorations, au niveau tant des principes que d’une partie des droits reconnus aux détenus, droits inhérents à la personne humaine.

Il en est ainsi de l’article 1er A, de la garantie donnée à tout détenu, par l’administration pénitentiaire, du respect de ses droits, de l’article 2 relatif aux moyens de contrôle externe et interne, d’un meilleur encadrement des restrictions dont les droits des détenus peuvent faire l’objet, d’une communication plus facile avec la famille, l’avocat, des progrès concernant certains droits sociaux ainsi que les familles.

L’affirmation du caractère subsidiaire de l’emprisonnement ferme et de la nécessité de prévoir son aménagement est mise exergue par l’article 32. L’inscription au niveau législatif des principes du régime disciplinaire relève aussi du retour à la voie de droit, mais ne nous ramène pas au niveau européen.

Un débat, révélateur de l’échec de notre système, revient comme un serpent de mer : celui qui porte sur l’encellulement individuel.

Le livre du docteur Vasseur, en 2000, et le scandale qui suivit amenèrent les parlementaires à prohiber l’encellulement collectif, ce qui revenait à appliquer la loi de 1875, mais avec une entrée en vigueur au 15 juin 2003, reportée à 2008 par un cavalier législatif dans la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière !

Aujourd’hui, le Gouvernement nous propose en fait de revenir sur le principe de l’encellulement individuel. Aux termes de l’article 59, un moratoire de cinq ans est prévu pour l’application de l’encellulement individuel.

Il est facile, mes chers collègues, de dire que nous n’avons pas les moyens financiers d’appliquer l’encellulement individuel. Mais renoncer à ce principe, est-ce le moyen de préparer les budgets de demain ? Certainement pas !

En réalité, ce qui existe, c’est le droit, lorsque l’on est en cellule collective, à être transféré, souvent après plusieurs mois de procédure, dans une cellule individuelle n’importe où en France.

Conforter le principe du droit à l’encellulement individuel, c’est mettre l’État devant ses responsabilités.

La loi pénitentiaire ne sera qu’une déclaration d’intention sans plan d’urgence pour en finir avec la surpopulation carcérale, sans moyen nouveau pour assumer les dispositions relatives au travail en prison, à la surveillance électronique, au suivi sociojudiciaire.

Nous le savons tous, la situation actuelle, c’est l’entassement des prévenus et des condamnés en cellules collectives de maisons d’arrêt dans des conditions humiliantes et dégradantes – nombre important de détenus par cellule, matelas par terre, etc. –, la promiscuité, la loi du plus fort, l’arbitraire découlant de cette surpopulation, l’insuffisance de moyens d’une politique de réinsertion, le nombre de décès et de suicides, l’augmentation des affections contagieuses, y compris chez les surveillants : récemment, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a été saisi d’une requête de sept surveillants pour des problèmes de tuberculose.

Lorsqu’on atteint certains seuils de surpopulation carcérale, il faut savoir ouvrir les portes et prendre les décisions nécessaires pour ce faire.

Tout un volet du projet de loi tend à développer les aménagements de peines privatives de liberté. C’est positif, mais, là encore, l’expérience incite à un certain scepticisme si l’on se réfère à la chute du nombre de libérations conditionnelles ces dernières années et au fait que la mise en place de la surveillance électronique, surtout mobile, nécessite des infrastructures, ainsi qu’un suivi humain et un matériel coûteux.

Comment, en dehors des avancées que contient ce texte et que nous soulignons, ne pas noter la contradiction qui existe entre la politique d’affichage sécuritaire aboutissant à l’augmentation du nombre des détenus – « peines plancher », rétention de sûreté, carcéralisation du soin psychiatrique – et le projet de loi qui nous est soumis ?

Est-ce d’ailleurs une contradiction ou bien s’agit-il de la caractérisation d’une politique visant à faire du système répressif une noria où le flux d’entrées est augmenté pour répondre au message punitif et le flux de sorties en partie accéléré pour raison d’embouteillage humain ? Car telle est la réalité !

La dérive de l’institution est manifeste ! Comment préparer à la réinsertion lorsque des dizaines de milliers de petits délinquants entrent ou reviennent en prison pour purger des peines de quelques mois ? On prépare la récidive plus que la réinsertion.

La justice, mes chers collègues, est incompatible avec le suivisme de la médiatisation, avec le développement de la notion d’insécurité que la recherche du chiffre accentue plus qu’elle ne la diminue : les 577 000 gardes à vue de 2008 en sont l’illustration.

Dans son traité De la clémence, Sénèque affirmait : « Quant aux mœurs publiques, on les corrige mieux en étant sobre de punitions ; car le grand nombre des délinquants crée l’habitude du délit ; ».

Aujourd'hui, dans le concert des pays développés, la France est montrée du doigt en raison non pas du nombre de détenus proportionnellement à la population, mais des déplorables conditions de détention, inacceptables pour le pays des droits de l’homme.

Plutôt que d’accumuler les lois modifiant le code pénal et le code de procédure pénale, l’urgence, mes chers collègues, c’est de considérer enfin que l’état de nos établissements pénitentiaires relève d’une véritable priorité nationale.

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