Intervention de Alain Anziani

Réunion du 3 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Discussion générale

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat a souvent débattu de textes relatifs à la prison. Il y a plus d’un siècle, René Bérenger, catholique et républicain, est monté à cette tribune pour dresser ce constat si actuel : la récidive a pour cause l’état misérable des prisons, la promiscuité favorise la corruption ; Robert Badinter le rappelle dans son ouvrage La prison républicaine. René Bérenger ajoutait que le sursis, l’encellulement individuel, l’aménagement des peines, la libération conditionnelle évitent la récidive plus que l’enfermement.

Cent cinquante ans plus tard, le même débat nous occupe de nouveau : à quoi sert la prison, quel est le sens de la peine ? La question qui nous est posée n’est donc pas nouvelle. Nos prédécesseurs dans cet hémicycle nous ont légué une réponse qui se résume en deux verbes : surveiller et punir, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Michel Foucault. Aujourd’hui, cette réponse ne peut nous satisfaire. Une triple évidence s’impose à nous.

La première évidence est simple, et elle a été rappelée à de multiples reprises : un détenu reste un homme malgré les murs de sa prison. À l’exception de la liberté d’aller et de venir, qui lui a été retirée provisoirement, il conserve les droits qui sont ceux de l’homme.

La deuxième évidence est tout aussi forte : la prison reste « une humiliation pour la République », selon le titre du rapport de la commission d’enquête que présidait Jean-Jacques Hyest voilà maintenant neuf ans. La prison entasse, humilie, détruit, déshumanise. Elle ne constitue trop souvent qu’un trou dans lequel un individu tombe, individu qui, le plus souvent, trébuche depuis son enfance. Dans ce « trou à rat », au sens propre comme au sens figuré, celui-ci partagera onze mètres carrés avec deux ou trois codétenus, sans hygiène, sans intimité, sans possibilité de réfléchir à sa vie, à ce qu’elle fut, à ce qu’il souhaiterait qu’elle devienne, et il se comportera d’autant plus comme un enragé qu’il aura été traité comme tel.

Il fera preuve de violence non seulement envers les autres, qu’il s’agisse du personnel pénitentiaire, qui exerce une mission difficile, ou de ses codétenus, mais également envers lui-même, guidé par un désespoir qui pourra le conduire à l’automutilation ou au suicide. Le taux de suicide est sept fois plus élevé en prison qu’en milieu ouvert : en 2008, 115 suicides ont été recensés ; depuis le début de l’année, on compte un suicide tous les trois jours.

La troisième évidence est la suivante : statistiquement, et contrairement à ce que croit l’opinion publique, le détenu est rarement un « professionnel » de la délinquance pour qui la prison ferait partie des risques du métier. En général, il s’agit plutôt d’un « paumé » de la vie.

Aujourd’hui, puisqu’à notre tour nous avons la responsabilité de légiférer, tirons enfin les conséquences de ces évidences.

Si nous voulons éviter la récidive, la peine ne doit plus se limiter à surveiller et à punir : elle doit avoir pour ambition d’humaniser et de réinsérer. Pour atteindre cet objectif, il existe une méthode simple, faire entrer le droit commun en prison, autant que faire se peut, même si des spécificités sont propres à l’enfermement.

Nous jugerons le projet de loi qui nous est soumis en fonction de ce critère. Je prends soin, madame la garde des sceaux, de ne pas dire « votre » projet de loi puisque, en réalité, le texte de la Chancellerie a été revisité dans tous ses articles, ou presque, par la commission des lois.

Au-delà de nos sensibilités politiques, à mon tour, je salue l’engagement remarquable de notre collègue rapporteur, Jean-René Lecerf.

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