Intervention de François Zocchetto

Réunion du 3 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Discussion générale

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi était attendu, ce qui n’a rien d’étonnant puisque l’on peut considérer que c’est la première fois, sous la Ve République, que le Parlement a à connaître d’un texte cadre consacré à la question pénitentiaire. Ce simple fait nous interpelle. Il est assez révélateur du déni qui a trop longtemps été celui de la puissance publique quant aux conditions réelles d’incarcération. Ce déni avait été stigmatisé par le Sénat, en 2000, dans le rapport d’information au titre plus que parlant : Prisons, une humiliation pour la République.

Comment a-t-on pu en arriver à qualifier le système carcéral d’humiliation pour la République ? L’examen du présent projet de loi nous permet aujourd’hui de le comprendre et de regarder en face ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe : tandis que le droit en prison a progressé au cours des trente dernières années, ces avancées ne se sont pas accompagnées d’améliorations suffisantes dans les conditions de vie des détenus, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, le droit en prison a progressé en l’absence d’intervention coordinatrice du législateur, par touches impressionnistes et très insuffisamment. Ensuite, la politique carcérale a été pensée indépendamment de la politique pénale.

Alors, ce projet de loi pénitentiaire répond-il de façon pertinente à ce double constat ? Pour bien répondre à cette question, il convient de se demander ce que l’on est en droit d’attendre d’une loi pénitentiaire. Je tenterai donc tout d’abord d’en circonscrire le champ.

Premièrement, la politique pénitentiaire est la continuation de la politique pénale par d’autres moyens ; politique pénitentiaire et politique pénale ne peuvent être disjointes. Or c’est précisément cette conception d’une politique pénale qui marche sur ses deux jambes que le projet de loi met en œuvre.

Ce texte a l’immense mérite de commencer par une clarification des missions du service public pénitentiaire, en prenant en compte son rôle d’insertion et de probation, ainsi que son rôle de lutte contre la récidive. Le projet de loi met en phase objectifs pénaux et objectifs carcéraux. Ce changement de perspective implique que les questions purement pénitentiaires soient traitées en même temps que celles qui sont relatives aux aménagements de peines et à leurs alternatives : c’est ce qui est fait dans le présent projet de loi, avec un titre II abouti et riche.

Il était fondamental d’énoncer le principe en vertu duquel l’emprisonnement est une mesure de dernier recours. Nous saluons, en particulier, le développement du recours aux travaux d’intérêt général, ainsi que l’ouverture de l’assignation à résidence avec surveillance électronique comme alternative à la détention provisoire.

L’ensemble du projet, de ce point de vue, est donc porté par une logique, une cohérence à laquelle nous ne pouvons que souscrire.

Deuxièmement, toujours dans notre entreprise de circonscription du champ pénitentiaire, il devient fondamental d’insister sur le fait que la politique carcérale n’est pas une branche de la politique de santé publique. Or, comme la commission des lois le souligne dans son rapport, les prisons accueillent – tout le monde le sait – de plus en plus de personnes atteintes de troubles mentaux en raison de la réduction du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques. Au risque de choquer certains, je dirai que, du fait des carences de l’hôpital, la prison se substitue à ce dernier. Je n’insiste pas plus sur ce sujet puisque ma collègue Muguette Dini y reviendra tout à l’heure.

Troisième et dernier effort de délimitation du texte qui nous est soumis, il convient de souligner que la loi pénitentiaire est une partie de la politique pénitentiaire, mais pas toute la politique pénitentiaire.

Une politique pénitentiaire, c’est un ensemble de moyens humains, matériels, économiques et juridiques. Or une loi pénitentiaire – c’est le cas du texte qui nous est soumis - n’a vocation à intervenir que sur ce dernier terrain, c’est-à-dire celui du droit. Autrement dit, n’attendons pas de cette loi qu’elle règle tous les problèmes, par ailleurs bien réels, qui sont liés au manque de moyens humains et matériels. C’est aux budgets et aux lois d’orientation et de programmation pour la justice de le faire. Nous devrons donc être vigilants lorsqu’ils seront examinés.

À l’issue de ce travail de délimitation du champ de la loi, la question centrale devient la suivante : le présent texte donne–t-il au système pénitentiaire les moyens d’assurer sa fonction de réinsertion ?

Dans la première version du projet de loi, celle du Gouvernement, on peut dire qu’il est répondu en partie à la question. En effet, le fondement du texte est incontestable : la fonction de réinsertion du système pénitentiaire commence par la garantie de droits. Quelqu’un que l’on prive de sa liberté d’aller et venir n’est pas pour autant déchu de ses autres droits et libertés. Et l’on comprend facilement que quelqu’un qui jouit de droits et libertés, même limités, a toutes les chances de pouvoir se réinsérer, à l’inverse de quelqu’un qui n’aurait plus aucun droit.

Longtemps ignorés en prison, ces droits et libertés se sont progressivement affirmés. Mais ces droits sont aujourd’hui bien trop disparates, donc peu lisibles, situés à un niveau trop bas dans la hiérarchie des normes par rapport aux prescriptions de l’article 34 de la Constitution.

D’où la nécessité du présent projet de loi qui rassemble et élève au niveau législatif des dispositions parfois aussi fondamentales que le droit à la vie familiale ou le droit de visite, alors que, jusqu’à présent, ces droits sont seulement énoncés par de simples circulaires.

D’où la nécessité de ce projet de loi qui crée de nouveaux droits, pourtant eux aussi fondamentaux, donc entrant dans le cadre de l’article 34 de la Constitution, tels que le droit au téléphone, le droit à une domiciliation, le droit à un minimum de revenus ou même le droit à la santé.

D’où également la nécessité de ce projet de loi qui porte des droits déterminants pour la réinsertion que sont le droit au travail et le droit à la formation professionnelle.

Cependant, en dépit de toutes les avancées du texte dans sa première version, à l’instar de la commission des lois, nous avons jugé que cette première version était en deçà de ce que l’on pouvait en attendre. Il y avait clairement un déséquilibre entre le titre II – j’ai dit tout le bien que nous en pensions – et le titre Ier, qui méritait d’être amélioré. Ce déséquilibre a été résorbé, me semble-t-il, par les travaux de la commission des lois.

Le texte du Gouvernement marquait un recul sur la question pourtant cruciale de l’encellulement individuel. L’encellulement individuel, c’est la reconnaissance d’un droit fondamental, le droit à l’intimité. C’est pourquoi nous souscrivons pleinement à la solution adoptée par la commission de revenir au texte actuel de l’article 716 du code de procédure pénale qui consacre le principe de l’encellulement individuel des personnes prévenues, quitte à discuter des éventuelles modalités d’un moratoire à l’article 59 du texte. Nous savons en effet - nous sommes lucides – que l’encellulement individuel ne peut être garanti pour l’instant.

Par-delà la question de l’encellulement individuel, la commission des lois, sous la houlette de son rapporteur, a considérablement amélioré le texte initial. Elle a répondu aussi au malaise des professionnels. C’est un malaise profond qu’éprouvent ceux qui travaillent dans les prisons, comme en témoigne le mouvement social prolongé du printemps dernier qui a abouti à un blocage statutaire. Le texte, tel qu’il a été amendé par la commission, apporte aux professionnels la reconnaissance qu’ils attendent.

Dans ces circonstances, je voudrais à mon tour saluer le travail collectif réalisé par la commission des lois ainsi que la perspicacité et la disponibilité remarquables de Jean-René Lecerf, travail très utilement complété par celui de Nicolas About.

En conclusion, tel qu’il a été modifié, le texte de la loi pénitentiaire nous semble équilibré. Nous le voterons si les propositions de la commission sont maintenues, tout en demeurant attentifs à ce que les futures orientations budgétaires en la matière assurent sa concrétisation effective.

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