Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 3 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Discussion générale

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Tout le monde le sait, et nombreux sont ceux qui l’ont souligné ici même, le nombre de personnes emprisonnées atteintes de troubles mentaux qui existaient avant leur incarcération ou qui sont apparus durant la détention ne fait que croître. La réduction drastique des lits en psychiatrie publique alliée à la frénésie répressive fait de la prison un hôpital psychiatrique. Il est vrai que celle-ci coûte dix fois moins cher, ce qui est très intéressant du point de vue de la RGPP, mais certainement pas au regard des êtres humains concernés ou des codétenus !

Christiane de Beaurepaire, qui a une longue expérience comme psychiatre en prison, a poussé un cri d’alarme : « la prison n’est pas un lieu pour soigner les malades mentaux ». Vous ne pouvez pas occulter cette question !

Limiter le recours à la prison, c’est faire de la détention provisoire l’exception, c’est chercher, avant la prison, les alternatives à l’incarcération, c’est prévoir les aménagements de peine, tout particulièrement la libération conditionnelle organisée et le contrôle judiciaire.

Certes, vous nous promettez le bracelet électronique. Si l’on en croit les chiffres, vous semblez penser, madame la ministre, qu’il a de l’avenir : le nombre de bracelets est passé de 679 en 2004 à 3 431 au 1er janvier 2009. Et le projet de loi prévoit d’étendre ce dispositif.

Quelles sont les conclusions de l’expérience menée ces dernières années ? Nous aimerions les connaître avant de considérer le bracelet électronique comme un remède miracle. La technique apporte-t-elle une solution aux problèmes humains ? Devenant outil de contrôle et de neutralisation, le placement sous surveillance électronique ne participe-t-il pas d’une conception du contrôle social qui peut avoir des extensions et des conséquences insoupçonnées ? Nous sommes de plus en plus nombreux à craindre un glissement dangereux de son utilisation.

Un risque de glissement existe aussi dans le choix de régimes de détention différenciés en fonction de l’appréciation de la dangerosité, notion bien peu scientifique.

Quant aux mineurs, ils ont fort peu de place dans ce texte. Pourtant, le constat est terrible : trois se sont suicidés en 2008 et, selon la défenseure des enfants, on a compté en 2007 quarante fois plus de tentatives de suicide parmi les jeunes incarcérés que chez les jeunes en général.

En ce qui concerne les conditions de détention, il manque l’énoncé que les droits fondamentaux sont intangibles, donc garantis, et ne sont pas accordés au mérite par l’administration.

Je partage la réflexion de l’Observatoire international des prisons, qui estime que « la réforme envisagée maintient des pans entiers du droit dans le champ réglementaire, alors même que sont pourtant constitutionnellement garantis les libertés et droits fondamentaux en question ».

Je fus la première parlementaire à utiliser la loi du 15 juin 2000 pour me rendre dans un établissement pénitentiaire : c’était à Fresnes. J’ai eu recours à ce texte un certain nombre de fois depuis. Quand la porte se referme sur l’extérieur, on n’oublie pas qu’il y a des coupables, des meurtriers, donc des victimes. Mais on voit la pauvreté, la misère du monde qui « s’expose », comme dirait Mme de Beaurepaire, misère sociale, physique, psychologique, morale. On voit des hommes emmurés dans neuf mètres carrés – sept à la Santé avant la rénovation ! –, des matelas sous les lits pour un troisième ou un quatrième détenu quand ils sont déjà deux, des toilettes nauséabondes sous leurs yeux. On voit des jeunes déjà abîmés, des vieux, des malades, quelquefois même des personnes en fin de vie, des fous ; le temps – long – et rien d’autre !

Il est utile pour nous, parlementaires, d’aller régulièrement dans un lieu de détention, parce que nous y voyons véritablement le fruit de notre travail de législateurs.

Nous proclamons que la peine doit être un temps pour se reconstruire et se réinsérer, mais la prison est une zone de non-droit, de violence, de destruction, où tout s’achète. Ce projet de loi va-t-il changer la situation, dans le contexte actuel d’enfermement à tout-va ? Va-t-il faire sortir la prison de l’exception législative et permettre au détenu de garder ses droits d’humain, à part celui d’aller et venir, et des moyens d’exister ?

On peut en douter quand on voit le flou du texte sur les modalités d’application, qui sont renvoyées à de futurs décrets, ou les nombreuses restrictions encadrant des droits pourtant reconnus. Nous voulons saluer les nombreux efforts accomplis par notre rapporteur tant pour affirmer des principes – le droit à l’encellulement individuel en est une preuve – que pour préciser les droits des détenus, notamment à une rémunération, ou ceux des familles. Cela étant, ces efforts ne compensent pas l’absence d’ambition et de sens, qui devraient pourtant être la marque d’une loi fondamentale.

Ajoutons que chaque incident, accident, ou drame dans un établissement pénitentiaire confirme le manque de moyens dont dispose l’administration pénitentiaire pour faire face à la hausse constante du nombre de détenus.

On est en droit de s’interroger : où est la programmation budgétaire qui permettrait que la situation change et que des moyens soient disponibles pour préparer, en termes de suivi psychologique, de formation et de réinsertion, les détenus à la sortie, laquelle arrivera de toute façon un jour ? Comment accepter un budget de la justice aussi misérable ?

Vous avez trouvé le remède : confier de plus en plus au privé la construction et la gestion des prisons. Mais quel est le sens de ce choix ? Si de grands groupes comme Bouygues acceptent de s’en charger, alors que, chacun le sait, ce ne sont pas des philanthropes, c’est parce qu’ils pensent y trouver leur compte. Comment ? Par un coût important pour l’État, parce qu’ils escomptent un nombre croissant de personnes en prison ? Il y a de quoi s’inquiéter au vu des dérives de ce genre de système. Il ne vous a pas échappé que des juges ont été mis en examen en Pennsylvanie parce qu’ils avaient été payés par des centres de détention privés pour envoyer des jeunes en prison pour des peccadilles !

Mes chers collègues, lors de la suppression de la peine de mort, en 1981, un débat public avait permis de faire triompher l’idée éminemment progressiste et humaniste qu’aucune personne ne pouvait être privée de la vie, car aucune indignité ne pouvait être considérée comme définitive. Notre société semblait enfin avoir entendu Victor Hugo qui disait : « Il est un droit qu’aucune loi ne peut entamer, qu’aucune sentence ne peut retrancher : le droit de devenir meilleur. » En ce qui nous concerne, nous n’accepterons jamais de refermer la page des progrès qui ont été réalisés à l’époque.

Aujourd’hui, une grande loi pénitentiaire qui affirmerait que les droits de la personne sont intangibles, y compris quand elle est détenue, aurait provoqué un grand débat national, au-delà des professionnels, des associations et des politiques. Cela aurait été productif et aurait contribué au combat nécessaire en faveur de tout ce qui relève d’une conception humaniste du droit pénal, de la peine et de la détention.

Je regrette profondément que le débat ne puisse avoir lieu sur le sens de la sanction pénale.

Je regrette qu’il ne puisse avoir lieu sur la question des longues peines, remise sur la sellette avec les évasions de la prison de Moulins. Rappelons-nous ces dix prisonniers de la centrale de Clairvaux condamnés à de très longues peines et qui sont allés jusqu’à réclamer pour eux-mêmes la peine de mort.

Je regrette qu’il ne puisse avoir lieu sur l’enfermement des mineurs ou encore, bien sûr, sur la santé en prison.

Madame la garde des sceaux, nombreux sont ceux – professionnels, organisations associatives et syndicats – qui ont travaillé, alerté, proposé. Il semble que vous ayez du mal à les entendre !

Vous n’avez pas non plus tenu compte des propositions contenues dans les rapports parlementaires sur les prisons, dans ceux de la commission Canivet, de M. Burgelin, ou de M. Warsmann, ou dans la proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires déposée en 2000 par le président de notre commission des lois, Jean-Jacques Hyest, et notre ancien collègue Guy-Pierre Cabanel.

Vous avez méprisé les conclusions des états généraux de la condition pénitentiaire, les propositions de l’OIP, du collectif « Trop c’est trop », ou de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Vous avez été peu attentive aux cent vingt préconisations du Comité d’orientation restreint, que vous avez pourtant vous-même réuni.

Vous restez, pour l’essentiel, sourde aux incessantes condamnations de la France, et encore récemment, par le commissaire européen aux droits de l’homme.

Vous n’entendez pas les personnels, dont les conditions de travail s’aggravent. Fallait-il attendre un meurtre à la maison centrale de Lannemezan, la semaine dernière, pour que vous annonciez la création de 177 postes supplémentaires, mais, semble-t-il, par redéploiement, comme le prévoit la LOLF ?

Contraindre les personnels à travailler dans une situation où l’on fait subir à des détenus des conditions de vie inhumaines et dégradantes et des peines de plus en plus longues n’est pas acceptable. Ce n’est pas une réserve civile qui réglera la question ; c’est le recrutement des personnels statutaires nécessaires et des conditions de détention correctes pour les personnes qu’ils sont chargés de surveiller. À la maison centrale de Moulins, il manquait seize surveillants pour assurer un fonctionnement normal. On ne remplace pas des surveillants par les équipes régionales d’intervention et de sécurité.

Vous avez déclaré l’urgence sur ce projet de loi. Que voulez-vous exactement ? Empêcher un débat approfondi ? Attacher votre nom à une loi ? L’enjeu est trop grave pour être un simple sujet d’affichage.

Nous voulons un vrai débat. Les efforts de notre rapporteur, approuvé par la majorité de la commission des lois, sont réels, mis ils ne transforment pas le projet de loi. Nous pouvons aller plus loin et discuter des amendements qui ont, jusqu’à présent, été refusés. Même si la déclaration d’urgence ne nous permet pas de travailler dans les meilleures conditions, nous devons absolument avoir ce débat, car nous ne pourrons pas voter ce texte en l’état.

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