Intervention de Robert Badinter

Réunion du 3 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Discussion générale

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Toutefois, je trouve que beaucoup sont étonnamment discrets sur un autre volet du texte ; j’étais habitué à entendre des communications fracassantes sur les innovations pénales et les modifications des textes de procédure.

Les enjeux du titre II du présent projet de loi ne sont pas, loin s’en faut, indifférents. De quoi s’agit-il ? Il nous est proposé de revenir à un principe qui n’aurait jamais dû être perdu de vue : l’impératif de l’individualisation des peines ; l’emprisonnement ne doit être qu’un dernier recours.

Je me réjouis également des modalités qui sont offertes aux magistrats – ce sont eux qui en ont la responsabilité au premier chef – pour prononcer des mesures alternatives à l’emprisonnement ou pour recourir à des aménagements de peines. En pratique, de telles possibilités sont complètement oubliées. Aujourd'hui, moins de 20 % des détenus bénéficient d’aménagements de peines avant leur sortie de prison. Or nous savons à quel point la « sortie sèche » de prison est dangereuse.

Toutes ces facultés sont considérablement élargies. J’aurais aimé que l’on s’en vantât ; j’aurais souhaité entendre des expressions telles que « admirable conversion » ou – cela doit naturellement s’entendre en termes maritimes – « changement de cap ». On redonne enfin aux principes d’humanisation et d’individualisation de la peine toute leur place ! Quelle modification par rapport aux peines planchers ou à ce qui était auparavant prôné, notamment l’emprisonnement ferme, y compris, le cas échéant, pour les mineurs !

Je salue un tel changement avec satisfaction. Je le considère comme infiniment heureux. De mon point de vue, la deuxième partie du projet de loi ne manquera pas de servir grandement la cause de l’humanisation des prisons.

J’aurais préféré que l’on commençât par ces mesures avant d’adopter les autres dispositions législatives que nous avons connues. Je ne citerai pas les propos que j’avais tenus à ce moment-là, en guise d’avertissement : c’est le triste privilège de l’âge et d’une certaine expérience.

Par ailleurs, ce texte comporte un autre aspect, auquel je suis très attaché. En posant dans la loi les principes devant gouverner la condition pénitentiaire, nous allons permettre le développement d’une démarche très importante, qui est d’ailleurs déjà à l’œuvre : le contrôle juridictionnel des conditions de détention.

Depuis quelques années, nous assistons à des mouvements concordants : la prise en compte par l’autorité judiciaire, sous toutes ses formes, du contrôle des détentions. Il s’agit de s’assurer que les droits fondamentaux des personnes, dont le respect doit précisément être garanti par ces juridictions, ne sont pas méconnus au sein de l’univers carcéral.

Le 16 octobre 2008, dans un arrêt Renolde contre France, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France en raison des conditions de détention. D’ailleurs, nous retrouvons la même question à propos de la période possible d’isolement cellulaire : attention aux quarante-cinq jours !

Mais, plus important encore, le Conseil d'État est à l’origine d’une jurisprudence essentielle ; je pense, notamment, à un arrêt de l’assemblée du contentieux rendu au mois de décembre 2007, ainsi qu’à trois arrêts de section plus récents du 17 décembre 2008 : dans toutes ces décisions, le Conseil d’État a rappelé que l’État de droit ne s’arrêtait pas à la porte des prisons et qu’il appartenait aux juridictions administratives d’user de leurs compétences pour veiller au respect de tels principes. Aujourd'hui, nous donnons aux juges la possibilité d’assurer encore plus fermement leurs missions.

Je n’insiste pas sur la jurisprudence des juridictions de l’ordre judiciaire ; je rappellerai simplement qu’une juridiction rouennaise a, en référé, permis de faire procéder à des constats.

Je suis convaincu qu’il s’agira là d’une grande loi. D’ailleurs, monsieur Lecerf, je souhaite qu’elle porte votre nom, car vous en êtes le véritable père.

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