Intervention de Muguette Dini

Réunion du 3 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Discussion générale

Photo de Muguette DiniMuguette Dini :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai choisi de concentrer mon propos sur la prise en charge des soins des détenus, laquelle a connu une profonde mutation avec la loi du 18 janvier 1994. Brève dans sa rédaction, mais très puissante dans son contenu, cette loi a fondamentalement modifié l’organisation des soins dispensés aux personnes détenues. Depuis, cette organisation repose sur une conception globale de la prise en charge des soins, dans ses aspects somatique et psychique, ainsi que dans ses dimensions préventive et curative.

La réforme de 1994 a consisté à assurer aux détenus une qualité et une continuité des soins équivalentes à celles qui sont accordées à l’ensemble de la population. Un tel principe d’égalité ressort également de la loi du 4 mars 2002, qui effectue un rappel des droits des patients, sans distinction aucune en raison de la situation pénale du malade.

Concrètement, cela s’est traduit principalement par le transfert de la prise en charge sanitaire des personnes détenues de l’administration pénitentiaire au service public hospitalier et par l’affiliation de tous les détenus à l’assurance maladie et maternité du régime général de la sécurité sociale. Par conséquent, la santé des détenus a quitté le code de la procédure pénale pour entrer dans ceux de la santé publique et de la sécurité sociale.

C’est une véritable éthique de soins en prison qui fut ainsi affirmée. De ce fait, la médecine en prison s’est transformée. D’une médecine humanitaire et de l’urgence, elle est devenue un mode normal de prise en charge hospitalière.

En principe, les détenus bénéficient de soins délivrés par des professionnels hospitaliers, au sein des établissements pénitentiaires comme dans les établissements publics de santé, lors de consultations d’urgence, de consultations spécialisées et d’hospitalisations.

Le dispositif de soins en milieu pénitentiaire, autour notamment des unités de consultations et de soins ambulatoires, pour les soins somatiques, et des services médico-psychologiques régionaux, en matière de prise en charge psychiatrique, a été fort bien décrit par notre rapporteur pour avis, Nicolas About, président de la commission des affaires sociales ; je n’y reviens donc pas.

À ce jour, de nombreuses études et documents officiels – le dernier en date est le rapport pour avis de la commission des affaires sociales – mettent en évidence les progrès apportés par la loi du 18 janvier 1994. Dans le même temps, ils soulignent les difficultés persistantes dans la mise en œuvre au quotidien des soins et des activités de prévention en milieu carcéral.

De plus, de nouveaux besoins en santé des détenus se font jour. Nous devons bien entendu les prendre en compte.

Sur plusieurs points, la réforme majeure intervenue en 1994 est à bout de souffle. Le projet de loi qui nous est soumis devrait apporter un nouvel élan.

Pour apprécier le chemin qui reste à parcourir, il est nécessaire d’analyser la situation sanitaire des détenus, laquelle demeure globalement dégradée si on la compare à celle de la population générale d’âge similaire. En effet, la population carcérale continue de cumuler les facteurs de risque. Certains de ces facteurs sont stables. Ainsi, la précarité, le faible accès aux soins, la forte consommation d’alcool et de tabac, la toxicomanie et les phénomènes de violences sont des caractéristiques constantes chez les personnes qui entrent en prison.

Mais, au-delà de ce constat, plusieurs évolutions primordiales se produisent actuellement.

On observe une montée importante de la polytoxicomanie, les combinaisons alcool-drogue, héroïne-cocaïne, produits de substitution-cocaïne étant parmi les plus fréquentes.

Le vieillissement de la population carcérale est également un fait nouveau. L’âge des entrants augmente de manière continue depuis vingt ans et l’allongement des peines touche plus fortement les condamnés déjà âgés.

On constate aussi une baisse constante de la prévalence du virus de l’immunodéficience humaine, le VIH, en prison, mais le taux des personnes détenues atteintes reste supérieur à celui de la population générale.

En outre, il ressort que les hépatites B et C sont très présentes, très mal dépistées et donc rarement soignées avant l’incarcération.

La recrudescence de la tuberculose est inquiétante. D’ailleurs, madame la ministre, vous vous êtes exprimée récemment sur le sujet, après l’annonce de la contamination par le bacille de Koch d’un détenu, puis de cinq surveillants de la prison de Villepinte.

Surtout, une forte proportion de personnes détenues nécessite une prise en charge psychologique ou psychiatrique. Comme le montre l’enquête de prévalence des troubles mentaux chez les détenus menée par les professeurs Bruno Falissard et Frédéric Rouillon, les personnes incarcérées présentent de lourds antécédents personnels et familiaux, et ce quels que soient la population et le type d’établissement. Avant leur incarcération, plus du tiers d’entre elles ont déjà consulté un psychologue ou un psychiatre. Et 16 % des hommes détenus ont déjà été hospitalisés pour raisons psychiatriques. La prison est le plus souvent un facteur d’aggravation de ces troubles.

Plus généralement, l’étude souligne qu’un grand nombre de personnes détenues ressentent un niveau de souffrance psychique élevé.

Des avancées réelles doivent donc être envisagées, et ce dans quatre domaines.

Le premier se révèle être celui du dispositif de soins mentaux, particulièrement inadapté face à cette demande croissante.

Les unités pour malades difficiles à l’extérieur des prisons sont saturées, avec pour conséquence des délais d’attente importants. Dans les prisons disposant d’un service médico-psychologique régional, ou SMPR, il n’y a pas d’hospitalisation psychiatrique proprement dite, car les cellules sont identiques aux autres cellules.

Les soins dispensés correspondent le plus souvent à une hospitalisation de jour, qui n’est pas adaptée aux patients suicidaires, puisque le cadre légal n’autorise pas la prise en charge des patients sans leur consentement aux soins. Dans ces conditions, il n’y a souvent pas d’autre possibilité que de recourir à des hospitalisations d’office. Ces dernières sont généralement courtes et n’ont souvent pour seul effet que de pallier une crise aiguë, sans perspective de prise en charge prolongée de pathologies chroniques.

Les problèmes sanitaires liés au vieillissement doivent également être résolus dans les établissements pénitentiaires. Les handicaps sont sévères, particulièrement en établissements pour longue peine. Or la vétusté des équipements des locaux de détention empêche tout déplacement, ce qui aggrave les difficultés en matière d’hygiène. Les fins de vie liées aux cancers sont de plus en plus problématiques.

La prévention et l’éducation pour la santé restent timides, alors même que la population pénitentiaire en a le plus grand besoin. Plus globalement, la construction d’un programme cohérent de santé publique s’impose.

L’hygiène, autant individuelle que collective, présente des lacunes importantes : une hygiène corporelle non respectée – moins de trois douches par semaine et par personne –, un blanchissage inefficace, un système de chauffage défaillant, un mauvais éclairage, tout cela s’ajoute à l’insalubrité des locaux.

Enfin, on ne peut ignorer la misère sexuelle à laquelle sont confrontés les détenus ni le silence qui l’entoure.

Sur tous ces points, la commission des affaires sociales et la commission des lois, au travers de leurs excellents rapporteurs, proposent de vraies solutions, que le groupe de l’Union centriste soutiendra, en souhaitant qu’elles ne restent pas des vœux pieux.

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