Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 3 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Discussion générale

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Ce changement, nous le savons, ouvrira la voie à tous les abus ! L’administration pénitentiaire pourra alors jeter des matelas au sol et considérer qu’il s’agit de places. Elle pourra construire des montagnes de lits superposés dans une seule cellule et continuer à clamer haut et fort qu’elle respecte la dignité des détenus.

J’estime qu’il est urgent de mettre un terme à cette mascarade. Nous devons aujourd’hui prendre nos responsabilités et affirmer, avec force et vigueur, que chaque détenu a droit à une cellule individuelle.

C’est à ce prix que le respect de la dignité du détenu prendra tout son sens, et c’est uniquement à ce prix que le détenu pourra concevoir la prison autrement que comme une zone d’attente délabrée, où la survie constitue souvent un combat de chaque instant.

Bien sûr, nous ne demandons pas que nos prisons se transforment en hôtel cinq étoiles ! Nous souhaitons seulement que chaque détenu n’ait pas à endurer, outre sa détention, des atteintes continues et répétées à ses droits fondamentaux, notamment ses droits à la dignité, à la santé et à l’intimité avec sa famille.

Le droit, rien que le droit, mais tout le droit pour nos détenus !

Nous ne pourrions imaginer que des citoyens puissent vivre, à l’extérieur des prisons, ce que nos détenus doivent subir en raison de la surpopulation carcérale.

Comme nous le savons, et comme beaucoup le répètent, la prison, c’est la privation de liberté, et pas plus que cela ! Le code pénal punit d’une peine d’emprisonnement ceux qui fournissent des logements indignes : pourquoi les détenus ne pourraient-ils pas aussi bénéficier d’une protection dans ce domaine ?

Il est temps, chers collègues, que la France reconnaisse un véritable « droit opposable » à l’encellulement individuel au profit des détenus. Nous devons saisir la responsabilité historique qui se présente à nous aujourd’hui !

La surpopulation carcérale est devenue le cancer de nos prisons et la construction de nouveaux établissements n’est pas une solution. Or, sans éradication de la surpopulation carcérale, nous ne réussirons jamais à faire respecter le droit le plus élémentaire du détenu : le droit à la dignité.

Profitons donc de la caducité du moratoire sur l’emprisonnement individuel, qui avait été instauré jusqu’au mois de juin 2008, pour enfin organiser, graduellement, mais sûrement, la mise en place progressive du principe « un détenu, une cellule ».

Le cadre juridique existe, puisque, le 10 juin 2008, madame le garde des sceaux, vous avez pris un décret pour assurer la mise en œuvre de l’encellulement individuel. L’enjeu d’une application effective de ce principe n’est pas seulement arithmétique : il s’agit de respecter et de faire respecter le droit à la dignité des détenus.

Je tiens d’ailleurs à signaler que la référence à ce droit a disparu du projet de loi pénitentiaire, ce que je regrette profondément.

Je ne pense pas que la réponse apportée à ceux qui s’interrogent sur la disparition d’un tel principe soit suffisante. Non, vraiment, le respect de la dignité du détenu ne va pas de soi !

Nous savons très bien pourquoi le terme a disparu : le détenu pourrait demain, au même titre que n’importe quel citoyen, soumettre au Conseil constitutionnel la question de la protection effective du droit au respect de sa dignité par voie préjudicielle. Or, vous connaissez tous très bien l’orientation englobante de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans ce domaine…

En privant le projet de loi de toute référence à la dignité du détenu, on prive donc ce dernier de la possibilité de s’en prévaloir !

Sur ce point précis, le texte de la commission souffre d’une carence impardonnable. Il nie le droit à la dignité du détenu, un droit que nous devons rétablir, au sens propre, comme au sens figuré, tout au long de nos débats. Sa négation, vous le savez, engendre les violences que les détenus exercent sur les agents de surveillance, sur leurs codétenus ou encore sur eux-mêmes et qui expriment souvent un mal-être.

Il me semble aussi important de revenir sur un autre point, la question de la santé du détenu, déjà évoquée par les orateurs qui m’ont précédée. Je voudrais simplement rappeler la demande que j’ai déposée, il y a quelques mois, avec plusieurs collègues, de constitution d’une commission d’enquête sur la prise en charge sanitaire des détenus et l’évaluation des risques suicidaires en prison.

Chers collègues, les chiffres parlent d’eux-mêmes : nous avons enregistré 115 suicides pour la seule année 2008, soit une augmentation de 20 % par rapport à 2007, et 26 suicides pour les seuls mois de janvier et de février 2009, dont plusieurs concernent des mineurs.

Or le projet de loi est absolument muet sur cette question. Certes, il mentionne le droit à l’information des familles sur les démarches à suivre, mais n’est-ce pas là le minimum ?

Nous ne trouvons rien sur l’évaluation de la santé des détenus par rapport à l’incarcération, rien sur la prise en charge de ceux d’entre eux qui intègrent malades les établissements et sur la continuité des soins, rien sur l’aménagement des régimes de détention en fonction de l’état de santé des personnes concernées.

Le détenu malade est un détenu comme les autres ? Eh bien, non ! Il est, avant tout, un malade, un être humain en demande de soins. Nous ne devons pas l’oublier !

Nous souhaitons donc, pour notre part, remettre la santé du détenu au cœur du parcours d’exécution de la peine, avec une prise en compte de son état de santé dès l’incarcération et à toutes les phases de l’exécution de la peine, y compris lors de mesures disciplinaires.

La question de la prise en charge sanitaire des détenus a été oubliée depuis la grande loi du 18 janvier 1994. Quinze ans après, il est important d’établir un bilan pour les ministères responsables et de repenser le soin dans ses rapports avec la peine.

En prison, la demande de soins est beaucoup plus pressante qu’à l’extérieur et l’absence de soins y a des conséquences tragiques, comme nous avons tous pu le mesurer au cours des derniers mois. Là encore, les chiffres sont impressionnants : 25 % des détenus présentent des troubles mentaux, dont environ 8 % souffrent de psychoses graves.

Nous devons sortir de cette escalade morbide par la mise en œuvre de moyens plus importants, tant humains que matériels. Il faut mettre un terme au mélange des genres et assurer, au bénéfice du détenu, un service public hospitalier d’une qualité équivalente à celle que l’on rencontre à l’extérieur.

Cela passe par un développement des unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, afin de laisser aux services médico-psychologiques régionaux, les SMPR, aujourd’hui totalement saturés, la responsabilité effective des soins ambulatoires.

Cela passe également par une remise à plat de la démographie psychiatrique. Pourquoi les prisons se sont-elles vidées de leurs psychiatres ? Comme dans le cas des infirmières, c’est en raison de conditions d’exercice très difficiles !

C’est pourquoi je voudrais également rendre hommage à l’ensemble des personnels intervenant dans les prisons, ceux qui appartiennent à l’administration pénitentiaire, mais aussi les médecins, les infirmières et les éducateurs, qui souffrent, eux aussi, des conditions très difficiles qui prévalent en milieu pénitentiaire.

Madame le garde des sceaux, nous devons sortir de la contradiction entre une politique pénale répressive et une politique pénitentiaire qui se veut un outil de réinsertion et de lutte contre la récidive.

Mes chers collègues, madame le garde des sceaux, nous abordons l’examen de ce projet de loi pénitentiaire avec optimisme et dans un esprit de collaboration. Nous souhaitons voir évoluer le texte, ce pourquoi nous vous soumettrons plusieurs propositions, équilibrées et au plus près des règles pénitentiaires européennes. Nous espérons que vous saurez y adhérer... et, ainsi, que nous pourrons peut-être voter cette loi.

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