Intervention de Rachida Dati

Réunion du 3 mars 2009 à 21h45
Loi pénitentiaire — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence texte de la commission

Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai brièvement aux orateurs qui se sont exprimés tout à l'heure.

Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, vous avez abordé dans vos interventions les principales avancées de notre texte, et je tiens à saluer vos contributions.

Comme vous, j’ai la conviction que, grâce à ce projet de loi, la situation dans nos prisons sera grandement améliorée. Vous l’avez souligné, ce texte est fondamental pour construire le service public pénitentiaire de demain. Vous avez énoncé les principaux enjeux sur lesquels portent aujourd'hui nos discussions. Il s'agit, en quelque sorte, de rédiger la « constitution » des prisons.

Le projet de loi propose une nouvelle conception de la prison, pour rendre cette dernière moderne et digne et pour promouvoir une nouvelle vision de la privation de liberté, grâce à la prison dite « hors les murs ».

En effet, la condamnation, la sanction, la privation de liberté, peuvent prendre d’autres formes que l’emprisonnement : l’assignation à résidence ou le bracelet électronique, par exemple, sont aussi possibles.

Ce projet de loi montre également que notre politique est équilibrée : la fermeté n’exclut pas l’humanité, ni la sanction la préparation de la réinsertion, et l’enfermement doit s’accompagner d’une réelle politique de prévention afin d’éviter la récidive à la sortie.

Comme vous, je souhaite rendre hommage aux personnels pénitentiaires, qui, dans des conditions extrêmement difficiles, exercent une mission essentielle pour la sécurité de nos concitoyens.

Monsieur le président de la commission des affaires sociales, vous avez raison de rappeler que les prisons concentrent en leur sein une population fragile et démunie.

L’effort que le Gouvernement consacre à la santé des détenus est réel et constant. Ainsi, les personnels hospitaliers travaillant en milieu carcéral sont passés de 2 138 en 2006 à près de 2 400 aujourd’hui.

L’ouverture prochaine d’unités hospitalières spécialement aménagées, que l’on a qualifiées d’« hôpitaux-prisons », permettra d’améliorer sensiblement la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques, un domaine dans lequel des progrès doivent être réalisés. Nous disposerons notamment de 60 places à Lyon et de 40 places à Nancy. C’est donc dans le département dont vous êtes l’élu, monsieur Buffet, qu’ouvrira le premier hôpital-prison !

Je tiens également à rappeler que la mise en service des nouveaux établissements pénitentiaires, garantissant des conditions de détention et d’hygiène satisfaisantes, s’accompagne de la fermeture des prisons les plus vétustes. Ainsi, en 2012, nous aurons fermé 37 des 44 maisons d’arrêt avec dortoirs.

Monsieur Buffet, je vous remercie d’avoir souligné l’ambition de ce texte, qui était attendu depuis plus de vingt ans et qui vise, comme vous l’avez noté, à concilier humanité et fermeté. Il se traduira par des avancées notables et concrètes dans la vie quotidienne des détenus. Je partage notamment votre approche pragmatique de l’encellulement individuel.

Monsieur Mézard, le tableau que vous présentez est quelque peu erroné : non, ce projet de loi n’est pas une création ex nihilo ! Plus de 90 % de ses dispositions sont issues des propositions du comité d’orientation restreint.

Le Gouvernement n’a pas non plus attendu l’examen de ce texte pour faire de la prison une priorité ! Le Conseil de l’Europe a pu souligner que la France était le premier État à avoir mis en place de manière effective les règles pénitentiaires européennes. Je tiens d'ailleurs à souligner le rôle volontaire qu’a joué à cette occasion l’administration pénitentiaire, dont les personnels se sont totalement engagés.

Au surplus, le budget de l’administration pénitentiaire augmente fortement depuis deux ans, puisqu’il a progressé de 6, 4 % en 2008 et de 4, 1 % en 2009. D’ici à 2012, quelque 13 000 places seront créées. Non seulement les crédits de l’administration pénitentiaire augmentent, mais des places de prison sont ouvertes et les effectifs des personnels s’accroissent !

En effet, nous assumons que l’administration pénitentiaire contribue à protéger la société. Elle constitue bien la troisième force de sécurité publique de la nation !

Monsieur Anziani, je ne partage pas votre appréciation sur ce projet de loi, qui comporte tout de même des avancées significatives pour notre système pénitentiaire.

Je ne peux pas non plus accepter que vous compariez la prison à un « trou à rats », car cette expression n’est respectueuse ni des personnels de l’administration pénitentiaire ni des personnes détenues.

Monsieur Zocchetto, vous l’avez formulé parfaitement : le droit en prison progresse. Toutefois, nous devons, tous ensemble, poursuivre cet effort, ce qui passe par l’adoption du présent projet de loi.

Je remarque que, en fin de compte, vous trouvez ce texte « équilibré ».

Vous évoquez, notamment, les moyens humains et matériels nécessaires pour mettre en œuvre les mesures prévues. J’ai souhaité que des moyens adaptés soient accordés dès 2008 ; quant au budget pour 2009, y figurent les emplois et les crédits nécessaires à l’application de la future loi pénitentiaire. Je remercie d'ailleurs l’ensemble des parlementaires qui ont contribué à l’adoption de cette loi de finances, qui, aujourd'hui, permet le vote de la loi pénitentiaire : 9 millions d'euros seront dégagés pour cette dernière, dont 8 millions consacrés aux bracelets électroniques.

Le budget pour 2009 permettra notamment de renforcer en surveillants et en personnels d’insertion et de probation les effectifs de l’administration pénitentiaire : au cours de cette année, 1 264 emplois seront créés, dont 170 pour l’insertion et la probation.

La modernisation du parc pénitentiaire se poursuit. En dépendent la réussite de la mise en œuvre de la future loi pénitentiaire et l’amélioration des conditions d’incarcération.

Madame Borvo Cohen-Seat, je ne peux vous laisser énoncer des contrevérités sur le manque de personnels : en 2009, ce sont plus de 1 200 emplois qui seront créés au bénéfice de l’administration pénitentiaire ; quant aux effectifs des services d’insertion et de probation, ils sont passés de 1 800 en 2002 à 3 800 aujourd’hui.

M. du Luart a souligné avec pertinence la nécessité de donner au service public pénitentiaire les moyens humains et budgétaires nécessaires à la poursuite de ses missions de sécurité et de prévention de la récidive. Il a salué l’effort engagé en la matière par l’actuel gouvernement.

Madame Escoffier, vous avez parlé avec beaucoup d’éloquence du sens de la peine et de la nécessité de la réinsertion, et, comme vous, je suis d’avis que la prison ne doit pas être synonyme de « mort sociale », de bannissement.

Telle est bien la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé de généraliser les unités de vie familiale dans les nouveaux établissements pour peine. C’est une réussite dont il peut s’enorgueillir : elles permettent de maintenir le lien social entre les personnes détenues et leur famille, certes, mais aussi leurs proches.

Vous avez déploré les dégâts que provoquent les sorties « sèches ». Elles favorisent les récidives, je suis d’accord avec vous. D’ores et déjà, les aménagements de peine concernent 6 500 détenus, et le nombre de libérations conditionnelles a progressé de 20 % en deux ans.

La libération conditionnelle est, selon moi, l’un des meilleurs outils de réinsertion et de lutte contre la récidive. Lorsque j’ai pris mes fonctions actuelles, le nombre de détenus en bénéficiant stagnait depuis deux ou trois ans. Grâce au Gouvernement, il a doublé en deux ans.

De la même manière, le nombre d’aménagements de peine a triplé entre 2007 et 2008 : jusque-là, seules 2 000 peines aménagées étaient accordées chaque année.

Le Gouvernement a renoncé aux grâces collectives, aux réductions de peine automatiques et à la loi d’amnistie, au bénéfice de réels aménagements de peine ayant vocation à réinsérer la personne détenue et répondant à l’objectif non pas de « vider les prisons », mais de lutter contre la récidive. Avec l’article 48 du projet de loi, il va beaucoup plus loin en organisant systématiquement les aménagements de peine à quatre mois de la sortie de prison.

Le présent texte tardant à être inscrit à l’ordre du jour du Parlement, j’ai demandé que ces aménagements de peine soient d’ores et déjà expérimentés dans certains établissements pénitentiaires. L’opération a porté ses fruits.

Les propos de M. Badinter ont particulièrement attiré mon attention, et je souhaite revenir sur l’attente qu’il a décrite d’une loi et d’une action résolue.

Il a raison : la France a trop attendu en ce domaine. Toutefois, il faut reconnaître que le Gouvernement non seulement a agi, mais, de plus, a été très efficace. Tout d’abord, il a mis en œuvre les règles pénitentiaires européennes, et la France est le seul pays membre du Conseil de l’Europe à les avoir réellement appliquées. Ensuite, il a lancé le programme de construction le plus important jamais réalisé. Enfin, il a élaboré ce projet de loi, qui, grâce à la très grande représentativité des membres du comité d’orientation restreint, a fait l’objet d’une large concertation.

Comme M. Badinter, je suis très attachée à la prise en compte des règles européennes en matière pénitentiaire. En effet, et il l’a souligné, elles imposent de prendre des mesures concrètes pour améliorer les conditions de détention.

Je le remercie également d’avoir évoqué, pour les soutenir, les aspects du texte relatifs aux aménagements de peine. Je profite de cette occasion pour rappeler qu’il n’y a pas de contradiction entre la mise en place d’une politique pénitentiaire ferme et protectrice de la sécurité des Français et le développement des aménagements de peine, qui, je le répète, contribuent à éviter la récidive. Je vois là deux facettes d’une même action globale, et la certitude de la sanction n’exclut pas l’humanité ni l’adaptation de son exécution.

Sur la question du droit en prison, je partage l’avis de M. Badinter : il n’y a pas d’action en matière pénitentiaire sans contrôle ; l’action et le contrôle sont indissociablement liés.

Je rappelle que la création d’un contrôleur général dit des prisons était attendue depuis 2000. Elle a été rendue effective par la loi du 30 octobre 2007. Le Gouvernement a souhaité que le contrôleur général soit indépendant et, bien au-delà des seules prisons, contrôle l’ensemble des quelque 6 000 lieux de privation de liberté que compte notre pays, soit, comme l’ont évoqué M. Hyest et M. Lecerf, les hôpitaux psychiatriques, les centres de rétention, les locaux de garde à vue, les centres éducatifs fermés et, bien sûr, les prisons.

Entendre les recommandations, les propositions, les constats du contrôleur général n’est pas toujours des plus agréables, mais le Gouvernement, fort des enseignements qu’il en tire, pourra mener une action résolue afin de rendre les conditions de détention beaucoup plus dignes.

À ce titre, et sur mes instructions, l’administration pénitentiaire, dès le prononcé des arrêts récents du Conseil d’État, a rédigé une circulaire globale rappelant aux chefs d’établissement les évolutions de cette jurisprudence qu’ils doivent mettre en œuvre. La veille jurisprudentielle renforce l’action de contrôle, notamment celle du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Madame Dini, vous avez évoqué les difficultés liées au vieillissement de la population carcérale. Le Gouvernement ne les a pas ignorées : dans ce projet de loi figurent deux dispositions y répondant.

En premier lieu, les conditions de la libération conditionnelle sont assouplies pour les condamnés âgés de plus de soixante-dix ans.

À l’origine, la libération conditionnelle s’adressait à une certaine catégorie de personnes détenues puisqu’elle était pour l’essentiel destinée à permettre à celles-ci de se former et de retrouver une activité. L’allongement des peines prononcées, conjugué à celui de l’espérance de vie des détenus, a motivé cette mesure d’assouplissement.

Je rappelle que, par ailleurs, dès lors qu’il exerce l’autorité parentale sur un enfant, un détenu peut déjà bénéficier de la libération conditionnelle. Le Gouvernement a encore assoupli cette possibilité.

En second lieu, la suspension de peine pour raison médicale peut être décidée en urgence pour les détenus en fin de vie.

Ces mesures traduisent le souhait du Gouvernement de concilier fermeté de la réponse pénale et humanité de la prise en charge individualisée des détenus.

Je sais à quel point Mme Hermange est attachée à une prise en charge humaine des personnes détenues ainsi qu’à leur réinsertion.

Elle l’a affirmé très justement : ce projet de loi permettra une meilleure prise en compte de la situation actuelle de nos prisons.

Je l’approuve pleinement lorsqu’elle souligne que tous les acteurs qui opèrent à l’intérieur et à l’extérieur de la prison doivent coordonner leur action lors de la préparation de la réinsertion de chaque détenu. C’est fondamental, nous le savons tous.

C’est pour cette raison que j’ai souhaité faire figurer dans le projet de loi des dispositions concrètes sur la formation professionnelle et le travail. Le temps passé en prison doit être un temps utile.

C’est aussi pour cette raison qu’une innovation très attendue est concrétisée par ce texte : l’entrée dans les lieux de détention d’entreprises d’insertion. Celles-ci apportent une nouvelle offre de travail en détention, qu’elles accompagnent d’une formation professionnelle adaptée. Le détenu prépare ainsi dans de bonnes conditions sa sortie et sa réinsertion professionnelle.

Monsieur Jeannerot, je ne peux vous laisser caricaturer la situation pénitentiaire actuelle alors que les gouvernements que vous avez soutenus n’ont pratiquement rien fait pour moderniser notre système pénitentiaire.

Les programmes de construction ont été lancés par des gouvernements de droite, et la première loi pénitentiaire fut voulue par Albin Chalandon, membre d’un gouvernement de droite. Je ne veux pas polémiquer, mais force est de constater que ce sont toujours des gouvernements de droite qui ont permis d’améliorer les conditions de détention !

C’est le gouvernement actuel qui construit de nouvelles places de prison, qui développe les aménagements de peine et qui a créé le contrôleur général des lieux de privation de liberté ; c’est encore lui qui a souhaité cette grande loi pénitentiaire.

Madame Boumediene-Thiery, je connais votre implication dans le domaine pénitentiaire et je rends hommage à votre connaissance du terrain. Nous avons toujours pu discuter de ces sujets avec la plus grande civilité.

Je tiens à revenir sur deux des points que vous avez soulignés.

Le premier est la notion de dignité, sur laquelle je partage votre avis. Lors du débat que nous aurons sur les conditions d’encellulement, je serai d’ailleurs conduite à vous faire une proposition fondée sur l’engagement à respecter, dans la loi, la dignité dans les conditions d’hébergement.

Le second est le douloureux problème du suicide en prison. Vous l’avez rappelé : 115 personnes détenues ont mis fin à leurs jours en 2008.

Depuis 2003, l’administration pénitentiaire s’est fortement engagée dans une politique volontariste de prévention du suicide qui repose, notamment, sur la formation des personnels de l’administration pénitentiaire. Cette politique a déjà produit des effets positifs : je rappelle, à titre indicatif, qu’en 1999 le taux de suicide dans les établissements pénitentiaires était de 23 pour 10 000 ; aujourd’hui, il est de 17 pour 10 000.

Nous ne saurions nous satisfaire de cette baisse. Tout garde des sceaux est hanté par ce problème, si douloureux qu’il ne peut donner lieu à polémique ou à querelle de chiffres : comment oser se flatter d’avoir à déplorer moins de suicides que son prédécesseur ? Ne se produirait-il qu’un seul suicide, ce serait encore un de trop.

J’ai donc demandé à un collège d’experts – Mme Borvo Cohen-Seat y a fait allusion – de réfléchir à cette question et de me remettre un rapport dressant le bilan des actions engagées et formulant de nouvelles propositions pour mieux prévenir le risque de suicide. Mes services préparent à partir de ce document un plan d’action afin de mettre en œuvre les préconisations de ces experts.

Monsieur Fouché, vous êtes intervenu sur la question de la création de places de prison. En 2008 ont été créées 2 800 places, et 5 130 autres seront ouvertes en 2009. Au total, 63 000 nouvelles places seront disponibles d’ici à 2012.

La prise en charge sanitaire des personnes détenues est également au cœur de mes préoccupations. Les premières unités hospitalières spécialement aménagées pour les détenus atteints de troubles mentaux ouvriront en 2009 : elles offriront 60 places à Lyon, 40 autres à Nancy, et 705 au total d’ici à 2011.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais apporter à vos différentes interventions.

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