Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable, en nous fondant sur plusieurs raisons.
M. Yung l’a évoqué, et M. Sueur vient de nouveau de le souligner s’il était nécessaire, le projet de loi est en totale contradiction avec la politique menée depuis 2002 en matière pénale par les gouvernements successifs, politique qui a d’ailleurs conduit à la situation de surpopulation dans les prisons que nous déplorons aujourd’hui.
À la lecture de l’exposé des motifs du projet de loi, on aurait pu croire que ce n’était pas tout à fait le même gouvernement qui affirmait que l’« incarcération doit, dans tous les cas, constituer l’ultime recours » ou que les « statistiques sur la récidive démontrent que l’aménagement de la fin de peine des condamnés est le meilleur outil de lutte contre la récidive », et qui faisait adopter la loi sur la rétention de sûreté six mois auparavant et la loi sur les peines plancher un an plus tôt.
Madame la garde des sceaux, si vous entendez réellement faire de l’emprisonnement l’ultime recours, il faut pousser la logique jusqu’au bout et abroger ces deux textes.
Depuis 2002, d’ailleurs, les lois qui ont été adoptées ont eu pour principal objet d’allonger les peines et de réduire les possibilités de les aménager. Nous en constatons aujourd’hui le résultat : au 1er février dernier, 62 744 personnes étaient détenues dans les prisons françaises.
Cette situation de surpopulation a beau avoir été dénoncée et avoir fait l’objet de condamnations unanimes des parlementaires, des personnels, des magistrats, des associations, et même des deux derniers commissaires aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, nul n’a réellement voulu la modifier ni s’attaquer au problème carcéral.
La prison était devenue une zone de non-droit : priver les détenus de leur liberté d’aller et venir ne suffisait pas, il fallait en plus leur retirer l’ensemble des droits fondamentaux inhérents à la personne.
Sur ce point, le projet de loi est, hélas ! en deçà des règles pénitentiaires européennes de 2006, des cent vingt préconisations du comité d’orientation restreint de la loi pénitentiaire et, de manière générale, des attentes de l’ensemble du monde judiciaire, pénitentiaire et associatif.
Il faut aussi que votre démarche ait une traduction budgétaire ; ce n’est pas le cas dans le projet de loi de finances pour 2009, qui est axé sur la construction de nouvelles places de prison. Pourtant, les juges de l’application des peines et les services pénitentiaires d’insertion et de probation auront besoin de personnels supplémentaires pour mettre en œuvre les nouvelles mesures d’aménagement des peines. Seront-ils prévus dans le prochain budget ? Nous l’ignorons !
À la suite de ma collègue, qui est intervenue dans la discussion générale, je réaffirme qu’il manque déjà du personnel. Ainsi, la nouvelle maison de détention de Roanne, qui s’est ouverte tout dernièrement et, d’ailleurs, un peu rapidement, souffre déjà d’une pénurie de personnel ; et je ne mentionnerai pas les mesures de sécurité fort douteuses mises en place…
Le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis est donc largement perfectible. Mais aurons-nous le temps de travailler, de tenter de l’améliorer et de parvenir à un texte qui puisse s’apparenter à une grande loi pénitentiaire ? Nous en doutons d’autant plus que le Gouvernement a fait le choix, trois jours avant son examen, de déclarer l’urgence sur ce texte, qui a été déposé sur le bureau du Sénat le 28 juillet 2008, qui est attendu de tous et mobilise l’ensemble des secteurs concernés.
Des parlementaires, de tous bords, se sont particulièrement investis en faveur des prisons : nous avons utilisé notre droit de visite, nous avons alerté l’opinion et interpellé le Gouvernement à de nombreuses reprises afin que ce projet de loi soit inscrit à l’ordre du jour.
Compte tenu de toutes ses insuffisances, deux lectures dans chaque assemblée étaient loin d’être superflues.