Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 3 mars 2009 à 21h45
Loi pénitentiaire — Articles additionnels avant l'article 1er A

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Dans l’exposé des motifs du présent projet de loi, il est affirmé que « l’incarcération doit, dans tous les cas, constituer l’ultime recours » et n’être décidée que lorsque toutes les autres solutions ont échoué.

Le Gouvernement va plus loin encore en affirmant qu’il convient de limiter la durée de l’incarcération en ayant dès que possible recours à des mesures alternatives ou à des aménagements de peine. Il s’agit là d’un revirement pour le moins surprenant et exceptionnel !

Depuis bien longtemps, les élus de mon groupe militent pour un changement radical de la politique carcérale française. Nous n’avons de cesse de répéter que la privation de liberté doit constituer le dernier recours et qu’elle doit être assortie d’une prise en charge à la fois sociale, éducative et psychologique, de façon à permettre l’insertion ou la réinsertion des détenus dans la société, faute de quoi l’incarcération n’a nulle valeur.

Comme l’a souligné Nicole Borvo Cohen-Seat dans la discussion générale, nous dénonçons également de façon récurrente l’état scandaleux des prisons en France, les droits bafoués des personnes incarcérées, la criminalisation de plus en plus forte de la société, la bureaucratisation incessante de la justice. Tous ces phénomènes créent de l’arbitraire au détriment de l’individualisation des peines et de la réflexion au cas par cas.

Bref, nous dénonçons sans cesse cette machine à punir qui fabrique des citoyens marginalisés, en rupture avec les règles élémentaires qui font la société.

Certes, nous pourrions nous arrêter sur ce revirement et nous féliciter de constater que notre travail a été pris en compte et « absorbé » par le Gouvernement dans ce projet de loi. Mais comment concilier ces déclarations avec la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, qui, il y a tout juste un an et demi, instaurait le principe des peines plancher ? Cette loi n’a fait qu’accentuer ce que le Gouvernement semble dénoncer aujourd’hui !

À l’époque, nous avions fermement critiqué ce texte parce qu’il procédait à une inversion de notre logique judiciaire, voire de notre philosophie pénale, dans le seul but de rassurer l’opinion en sacrifiant la spécificité de la justice des mineurs sur l’autel de la surenchère médiatique.

Jusqu’à l’année dernière, en effet, le principe était que les magistrats devaient motiver leurs décisions, notamment celles qui prévoient des peines privatives de liberté. Conformément à l’article 66 de la Constitution, l’autorité judiciaire, « gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Or, avec la loi sur la récidive, ce principe a été bafoué : désormais, le juge motive non plus la privation de liberté, mais le maintien en liberté.

Dans ces conditions, il est impossible de maintenir dans la loi le principe d’automatisation de la peine et d’affirmer que l’incarcération doit être le dernier recours.

De la même façon, se pose le problème de la compatibilité entre l’affirmation dans ce texte du principe de l’individualisation des peines et les conséquences de la loi sur la récidive d’août 2007.

En effet, aux termes de la loi sur les peines plancher, en cas de première récidive, le juge peut déroger à l’obligation de prononcer une peine minimale si les circonstances de l’infraction, la personnalité de son auteur ou ses garanties d’insertion ou de réinsertion le justifient. En cas de nouvelle récidive, pour les crimes et les délits les plus graves, le juge ne pourra y déroger que si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion et, même dans ce cas, il est de toute façon tenu de prononcer une peine d’emprisonnement.

Le principe de l’individualisation des peines est donc devenu l’exception face à la quasi-automaticité de la sanction. C’est là, à notre sens, une totale incohérence entre la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et le présent projet de loi.

Soit le revirement de la politique carcérale est affirmé par l’abrogation du texte de 2007 – tel est l’objet de notre amendement –, soit les déclarations contenues dans l’exposé des motifs resteront lettre morte et le seul bénéficiaire en sera le Gouvernement, qui pourra prétendre avoir agi pour les prisons et les détenus !

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