Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l’article 1er définit les missions du service public pénitentiaire : exécution des décisions pénales et des mesures de détention, réinsertion des détenus, prévention de la récidive et garantie de la sécurité publique. Ce service doit être organisé pour assurer l’individualisation et l’aménagement des peines.
La question qui se pose d’emblée, dès cet article, est celle des moyens.
On comprend bien qu’il s’agit aujourd’hui de choisir la répression au détriment de la prévention. Mais rien dans ce projet de loi ne nous assure que les services pénitentiaires d’insertion et de probation seront renforcés. Pourtant, leur rôle et leur activité ne manqueront pas de s’accroître, à la mesure de la volonté affichée de développer l’aménagement des peines.
Comme d’habitude, aucune étude d’impact ne permet d’anticiper les besoins induits par les nouvelles dispositions relatives aux aménagements de peine, notamment l’extension des possibilités d’y recourir.
Ce projet de loi consacre le rôle central des services pénitentiaires d’insertion et de probation, alors que la réforme statutaire qui les concerne n’est pas aboutie et provoque déjà un large mécontentement chez les agents, qui ont lancé un mouvement social depuis mai 2008.
Ces professionnels assurent la préparation et le suivi de l’ensemble des mesures pénales en milieu ouvert, ce qui représente environ 150 000 personnes placées sous main de justice ; ils coordonnent l’ensemble des actions d’insertion et préparent les aménagements de peine pour les personnes détenues.
Depuis une dizaine d’années, leurs missions évoluent à la faveur des lois pénales qui se succèdent et d’une pression accrue pour aller toujours plus vite dans le traitement des dossiers.
Devant l’ampleur de ces tâches et les responsabilités qu’elles représentent, il n’est pas étonnant que ce projet de loi inquiète les personnels et leur fasse craindre une évolution de leur métier vers une gestion comptable des flux qui ne tienne pas compte du facteur humain et du facteur temps, seuls à même de donner un sens à leur action.
Une peine à aménager, ce n’est pas seulement un acte technique de transformation de jours de prison en travail d’intérêt général, en liberté conditionnelle, en semi-liberté, en placement extérieur, en sursis avec mise à l’épreuve ou en surveillance par le biais d’un bracelet électronique. C’est aussi accompagner et soutenir une population de plus en plus précarisée, faite de personnes la plupart du temps sans diplôme, en rupture sociale et familiale, isolées, qui connaissent de plus en plus souvent des troubles psychologiques, voire de véritables maladies psychiatriques.
C’est à des situations complexes que sont confrontés les agents de ces services dont le rôle est hybride, entre travail social et application du droit.
Il est clair pour nous tous que les actes délictueux doivent être punis et que la sanction doit s’appliquer, mais, si on veut vraiment éviter la récidive, on ne doit pas rater la sortie de détention, que ce soit dans le cadre d’un aménagement de peine ou d’une sortie définitive ; on doit donc consacrer du temps à la construction d’un véritable projet, réaliste, tenant compte à la fois de la personnalité et des contraintes du détenu et des possibilités offertes par l’environnement. Sinon, le risque est grand d’un nouvel échec et d’un retour à la case départ.
Et pourtant, aujourd’hui, les SPIP, comme on les appelle couramment, fonctionnent avec des moyens a minima : former des équipes de deux agents est, la plupart du temps, impossible, alors que, dans certaines situations, pour prévenir notamment des risques réels de violence, ce serait indispensable.
Les déplacements, qui sont nombreux car chaque dossier nécessite une enquête, donc des visites à domicile et dans l’entourage, ou des démarches extérieures, sont souvent effectués avec les véhicules personnels des agents.
Il n’y a quasiment pas de psychologues dans les services – on en compte un seul pour ma région –, alors que la pluridisciplinarité est un besoin largement exprimé. Chaque agent a en charge plus d’une centaine de dossiers, ce qui ne lui permet pas toujours d’approfondir autant que de besoin l’investigation ou l’accompagnement nécessaires.
C’est bien sur le fond et sur le sens de leur travail que les agents sont inquiets. N’oublions pas que ce sont les avis qu’ils donnent aux juges qui permettent à ces derniers de prendre leurs décisions, lourde responsabilité qu’ils souhaitent légitimement avoir les moyens d’assumer. L’accomplissement de leurs missions nécessite du temps et un investissement tant humain que matériel. Ils doivent aussi pouvoir garder une certaine sérénité face à leur avenir et au sens de leur action.
Ce texte ne mettra pas fin à la surpopulation carcérale et il ne garantit pas la réalisation des missions, pourtant indispensables, qu’il confie au service public – insertion ou réinsertion, prévention de la récidive –, car il ne répond pas aux vraies questions, comme nous allons le voir tout au long de notre discussion.
Il s’inscrit dans une politique qui aggrave sans cesse les inégalités sociales, qui ne s’attaque pas aux causes de la délinquance en amont, qui choisit de mettre en œuvre une répression réactive - chaque victime est utilisée médiatiquement pour porter ce choix, dans une démarche populiste – une politique qui ne choisit pas la prévention.
La protection judiciaire de la jeunesse et les acteurs du travail social auprès de l’enfance, réunis au sein d’un collectif, se sont mis en mouvement pour défendre, entre autres principes, les missions de service public aujourd’hui en danger, comme l’assistance éducative en milieu ouvert, alors que les orientations vont vers la sanction et l’enfermement pour les jeunes les plus difficiles. Il est sans doute plus facile de montrer que l’on agit et que l’on protège les citoyens en produisant des chiffres sur les passages au tribunal, les placements coercitifs, les incarcérations que d’évaluer le travail d’accompagnement et de prévention auprès de ces jeunes et de leurs familles.
Emplir d’un côté, vider de l’autre : le Gouvernement réinvente tout à la fois le mouvement perpétuel, le serpent qui se mord la queue et le cercle vicieux !