Intervention de Jacques Muller

Réunion du 15 septembre 2009 à 14h30
Engagement national pour l'environnement — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Jacques MullerJacques Muller :

Décrié par le monde scientifique, discrédité auprès des consommateurs, ce concept semble réapparaître par la petite porte, implicitement, à travers l’ambiguïté ou les lacunes du texte sur la certification environnementale des exploitations agricoles.

Ayant organisé, le 3 septembre dernier, au Sénat, une table ronde réunissant des organisations d’agriculteurs, des associations de protection de l’environnement et l’ensemble des associations de consommateurs, j’ai pu constater, en dépit de points de vue légitimement différents, que l’ensemble de ces acteurs s’entend sur une position unanime : toute nouvelle certification qui pèserait sur les épaules des petits producteurs et sur celles des consommateurs est inacceptable.

Ce n’est tout de même pas aux consommateurs, parmi lesquels se trouvent des personnes ou des familles démunies, ni aux petits exploitants d’avoir à supporter le coût d’une certification environnementale qui se pose, par ailleurs, en levier du changement nécessaire des pratiques agricoles !

Je le répète, c’est à la collectivité de redéployer les moyens financiers considérables dont elle dispose déjà – 10 milliards d’euros issus de la PAC chaque année – pour enclencher le basculement de l’agriculture productiviste industrielle d’aujourd’hui vers l’agriculture intégrée et l’agriculture biologique. L’argent existe, il suffit de le réorienter et de mettre fin à certains privilèges.

D’autres inquiétudes subsistent sur le modèle agricole que suppose ce texte, notamment l’absence de sanction spécifique de la « banalisation de l’usage des pesticides » par la publicité, ainsi que l’obligation pour tous les vendeurs de fruits, de légumes et de plantes horticoles d’indiquer le nom de la variété vendue, ce qui ne correspond à aucun engagement du Grenelle.

Cette disposition, apparemment banale, va mettre en difficulté les petits producteurs tout en menaçant la préservation de variétés rares et anciennes dont certaines ne sont pas encore répertoriées.

Il en va de même des « préparations naturelles peu préoccupantes », comme le purin d’ortie, que le Sénat dans son ensemble avait sauvées, mais qu’un décret scélérat vient de nouveau menacer. Chers collègues, il faudra que nous remédiions à cette situation !

En matière de déchets, je déplore que les objectifs timorés concernant la valorisation matière ne nous permettent même pas de nous situer, à moyen terme, parmi les bons élèves de la classe européenne d’aujourd’hui.

De même, je regrette la faiblesse des dispositions portant sur la réduction à la source, notamment en ce qui concerne la mise sur le marché par les industriels de produits et surtout d’emballages non recyclables.

Enfin, en matière de gouvernance, il me paraît inconcevable de ne pas prévoir dans un texte fondateur des dispositions qui permettent effectivement la protection des consommateurs contre le phénomène de « greenwashing », cette fameuse pratique qui consiste à repeindre en vert ce qui ne l’est pas et qui se développe très rapidement, pas seulement dans la sphère économique, d’ailleurs…

Monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous voici invités à conclure l’ensemble de la démarche du Grenelle, cette vaste concertation sociale qui a permis, je le reconnais volontiers, une mobilisation sans précédent des acteurs de la société civile sur la question centrale de l’environnement.

Il est de notre responsabilité d’élus de la République de ne pas trahir l’espoir immense né de cette mobilisation. Pourtant, force est de constater qu’au-delà des avancées, réelles, la logique de fond, productiviste, reste dominante.

Ainsi, on parle de « croissance verte » plutôt que de « réduction de l’empreinte écologique », de « taxe carbone » plutôt que d’une « contribution énergie-climat » qui aurait inclus le nucléaire.

La catastrophe de l’arbitrage présidentiel sur la taxe carbone est emblématique de la démarche en cours : une pseudo-concertation avec des groupes de travail et autres commissions de consensus, un discours élyséen dithyrambique portant sur le réchauffement climatique, « le plus terrible des défis qui nous est posé », tout cela pour déboucher sur une décision qui, injuste socialement, inefficace économiquement et, surtout, totalement inopérante sur le plan environnemental, risque de discréditer le concept pourtant essentiel de « pollutaxe » auprès de nos concitoyens !

Puissent nos débats permettre de clarifier ce texte pour éviter ce que nous avions déjà observé lors de la discussion du projet de loi « Grenelle I » : le rabotage discret mais efficace des dispositions allant à l’encontre des intérêts des groupes de pression économiques, qui font tout pour que rien ne change.

Sinon, le Grenelle de l’environnement ne sera qu’une formidable opération de greenwashing destinée à relifter le visage que la France présentera à Copenhague en décembre prochain. Mais l’opinion publique, nationale ou internationale, n’est pas dupe : faire illusion n’est pas durable !

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