Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme me tient particulièrement à cœur.
Si, en la matière, la Réunion connaît les mêmes problèmes que la France métropolitaine, chez nous, la situation est quelque peu paradoxale, notamment pour l’alcoolisme, qui reste une cause de décès préoccupante : à la Réunion, il provoque 2, 4 % des décès, soit quatre fois plus qu’en métropole. Encore la situation s’est-elle améliorée puisque, voilà dix ans, le chiffre était six à sept fois plus élevé. Le syndrome d’alcoolisation fœtale touche, en moyenne, deux enfants pour mille en métropole, contre cinq à six pour mille à la Réunion ; encore faut-il préciser que d’autres départements métropolitains se situent au-delà.
C’est pourquoi il était important d’améliorer l’information en direction des femmes enceintes en apposant sur les bouteilles un pictogramme ou un message d’information. C’est pour moi une grande victoire d’y être parvenue. Mais c’est insuffisant, car les dimensions du message sanitaire rendent parfois ce dernier illisible. J’aimerais, madame la ministre, qu’on améliore l’efficacité de cette mesure en imposant des normes strictes quant aux dimensions du message et à sa place sur l’étiquette principale de la bouteille.
L’addiction est maintenant considérée comme un phénomène majeur de santé publique. Mais, parce que ce dernier est protéiforme, on commence seulement à l’appréhender dans sa globalité. On ne le comprend pas encore très bien, on a du mal à l’embrasser dans toutes ses dimensions et implications.
C’est pourquoi il me semblait très important que la commission des affaires sociales procède à des auditions de spécialistes sur ce sujet.
Je saisis l’occasion pour remercier le président Nicolas About d’avoir organisé ces rencontres, qui nous permettent aujourd’hui d’y voir beaucoup plus clair, et donc de mieux légiférer. Le fait que nos travaux aient conduit à l’inscription de cette question â l’ordre du jour de la Haute Assemblée est une reconnaissance de l’importance du phénomène addictif et de la nécessité d’y apporter de façon urgente des réponses concrètes en termes de politiques de santé.
Dans le même temps, ces auditions ont clairement mis en lumière le fait que la notion d’addiction est ambivalente. Parler d’addiction, c’est isoler un phénomène psychologique et comportemental consistant, selon la définition donnée par le professeur Marc Valleur que nous avons auditionné, à faire d’une substance ou d’une activité « le problème existentiel majeur du malade qui est dans l’impossibilité de s’abstenir, de réduire sa consommation et de se livrer à toute autre activité ».
C’est un changement de perspective réel, une autre manière de voir les choses, une modification d’angle. En effet, cette approche permet de briser des grilles d’analyse qui, au fil du temps, sont devenues obsolètes compte tenu de l’évolution de la société.
La notion d’addiction permet de dépasser le traitement de la question en fonction de la dangerosité des diverses substances à l’origine de l’addiction, ou bien du caractère légal ou non de ce produit.
Plus généralement encore, la substance – drogue, tabac, alcool ou autre – ne caractérise plus les comportements observés. La notion transversale d’addiction permet d’établir des passerelles, jusqu’ici impensables, entre alcoolisme, tabagisme et, par exemple, dépendance aux jeux vidéo.
Cette dernière dépendance, ainsi que l’impact de la violence télévisuelle sur les nouvelles générations, est particulièrement problématique. Cette question est très bien traitée par Christine Kerdellant et Gabriel Grésillon dans leur livre .
Face au phénomène de la violence des jeux vidéo et de la télévision, je m’interroge, madame la ministre : le Gouvernement a-t-il établi un plan spécifique ?
Je disais que la notion d’addiction était utile. Mais elle a aussi ses limites. Elle doit être d’emploi prudent. Par sa généralité même, elle empêche de réfléchir à la situation dans laquelle se trouvent de nombreuses personnes qui, sans être dépendantes, rencontrent des problèmes pour maîtriser certains produits. De nombreux comportements à risque ne sont pas des addictions.
De plus, les personnes que nous avons vues ont souligné le fait que le problème fondamental demeure l’alcool, dont l’aspect spécifique peut être masqué par le terme « addiction ». Nous devons prendre garde à ce que la généralisation de ce terme n’entraîne pas une banalisation néfaste qui s’appliquerait à une multiplicité de situations à la gravité très variable. C’est ce à quoi ne doit pas contribuer le présent débat. Voilà pourquoi je concentrerai mon propos sur les problèmes spécifiques de l’alcoolisme et du tabagisme.
En matière d’alcoolisme, la situation de la France s’est améliorée, sans pour autant être brillante : si la consommation d’alcool a certes diminué de plus de 40 % en un demi-siècle, la surmortalité qui y est liée est supérieure de 30 % à la moyenne européenne. C’est le produit addictif dont le coût social est le plus élevé dans notre pays.
Face à cela, il y a beaucoup à faire. L’information des femmes enceintes via une signalétique spécifique sur les bouteilles était fondamentale, mais de nombreuses mesures pourraient encore être prises. Madame la ministre, quel est, globalement, le plan du Gouvernement contre l’alcoolisme ?
Tous nos interlocuteurs ont insisté sur l’importance de la prévention et sur le caractère largement perfectible de cette dernière, dans notre pays. Les enquêtes actuelles révèlent qu’un pourcentage important des consommateurs d’alcool n’a pas une bonne connaissance des conséquences sanitaires et sociales induites par un excès de boisson. Pourquoi ne pas imaginer, comme certaines des personnalités auditionnées l’ont proposé, de mettre en place très tôt – dès le secondaire – une sorte d’éducation civique à la prévention dont les connaissances pourraient être sanctionnées ? Les pays scandinaves le font avec succès.
Dans le même temps, il est nécessaire de réduire l’accessibilité aux boissons alcooliques, notamment pour les jeunes. Je crois savoir, madame la ministre, que vous avez l’intention d’interdire à tous les mineurs la vente d’alcool dans tous les commerces alimentaires.