Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par remercier notre collègue Nicolas About d’avoir posé cette question orale avec débat sur un sujet si important.
En France, comme dans beaucoup d’autres pays européens, les addictions restent un problème de santé publique majeur, dont les impacts sont multiples, du point de vue tant sanitaire que médical et social. Ce sujet mérite donc que l’on s’y attarde.
En France, environ 100 000 décès par an seraient provoqués par des accidents ou des maladies liés aux addictions de toutes sortes : alcool, drogue, nourriture, jeux, etc.
Aujourd’hui, nous observons une augmentation de la consommation d’alcool, de médicaments ou de drogues. L’on constate également, chez les usagers de ces produits, une multiplication des polyconsommations, c’est-à-dire une association régulière de plusieurs produits licites ou illicites consommés simultanément ou successivement. C’est ainsi qu’en France il existe environ 5 millions de personnes en difficulté avec l’alcool, 150 000 héroïnomanes actifs ou substitués, ainsi qu’un nombre croissant de cocaïnomanes ; l’expérimentation de l’ecstasy a, elle, progressé de 2, 8 % à 4 % et celle de la cocaïne de 2, 2 % à 3, 2 % entre 2000 et 2005 ; quant à la consommation de cannabis, elle s’est banalisée.
Je souhaiterais aborder, en premier lieu, le problème des jeunes avec l’alcool.
À dix-sept ans, si la consommation d’alcool demeure stable, les ivresses sont, elles, en hausse importante. C’est ainsi que 9 % à 10 % des jeunes Français âgés de dix-huit à vint-cinq ans présentent les signes d’un usage problématique de l’alcool. Les ivresses alcooliques ont augmenté entre 2003 et 2005 chez les adolescents de dix-sept ans.
Aujourd’hui, la façon de boire des adolescents a changé et se rapprocherait de celle de leurs homologues du nord de l’Europe. Une récente enquête indique que les jeunes commencent à consommer de l’alcool de plus en plus tôt et en excès. Parmi les boissons les plus fréquemment consommées chez ces jeunes, on retrouve les fameux « premix », ces mélanges d’alcools forts et de sodas contenant assez de sucre pour masquer le goût de l’alcool. Ces boissons entraînent des addictions préoccupantes, en ce sens qu’elles sont, de manière insidieuse, un facteur d’accoutumance des plus jeunes à l’alcool.
Récemment, on a observé dans notre pays un nouveau phénomène appelé « binge drinking », ce qui en français est traduit par l’expression « biture express ». II s’agit là d’un mode de consommation qui consiste à être ivre le plus vite possible. En Grande-Bretagne, où cette pratique est régulière, la question est considérée comme un véritable problème de santé publique.
Cette « cuite minute » constitue un réel fléau de société qui sévit chez les jeunes. En effet, l’excès d’alcool chez les jeunes est responsable d’actes de violence, d’accidents de la route, de conséquences sociales telles que l’absentéisme, la démotivation, les tentatives de suicides, des rapports sexuels non protégés. Il est donc important d’aider le plus tôt possible les adolescents en danger.
En Alsace, par exemple, nous sommes régulièrement confrontés à l’alcoolisme des jeunes, dont l’ampleur se révèle considérable. En effet, compte tenu des tarifs attractifs des alcools forts disponibles en Allemagne, où les boissons non alcoolisées sont quasiment au même prix que les autres, certains jeunes ont pris l’habitude de s’y rendre en soirée pour consommer de l’alcool vendu à une somme forfaitaire de dix euros.
La situation devient quasiment intolérable, non seulement parce que les jeunes boivent à volonté, mais aussi parce que ces breuvages sont conditionnés dans des seaux et présentés avec des pailles pour être absorbés plus vite !
Cela explique que, sur les routes haut-rhinoises, nombre d’excès de vitesse ou de fautes d’inattention occasionnent de graves accidents de la route impliquant des jeunes retrouvés ivres au volant après avoir pris des risques inconsidérés. L’ivresse atteint ainsi des degrés impressionnants et, même après un sommeil de quelques heures, l’alcool reste présent dans le sang. Dès lors, le jeune qui reprend le volant est convaincu d’être à jeun, alors qu’il représente un danger.
Madame la ministre, en matière de lutte contre les addictions, ne conviendrait-il pas de mettre en place une législation européenne ? Malgré ces chiffres importants, on constate toujours, aujourd’hui, des lacunes en matière de prévention et de suivi des jeunes toxicomanes. En effet, la prise en charge est insuffisante dans notre pays : l’escalade de la maladie n’est pas prise en compte immédiatement par les soignants et il n’existe ni suivi ni traitement psychologiques appropriés dès les premiers stades.
Les moyens dont dispose la France dans le combat contre l’alcool restent limités, avec seulement 230 centres de cure ambulatoire ; quant aux médecins généralistes, ils ne sont pas suffisamment formés pour repérer l’alcoolisme chez tel ou tel individu.
Je souhaiterais également attirer votre attention, madame la ministre, sur la prise en charge curative et psychologique de l’alcoolisme chez la femme enceinte.
Selon une étude, seules 22 % des personnes interrogées savent qu’il ne faut pas boire du tout pendant la grossesse, et 60 % d’entre elles pensent qu’une consommation occasionnelle ne présente pas de risque. Pourtant, il est avéré que la consommation de boissons alcoolisées pendant la grossesse, même en faible quantité, peut avoir des conséquences graves sur la santé de l’enfant. Ainsi, aujourd’hui, la méconnaissance des femmes quant aux risques de l’alcool pour le bébé est encore très forte.
La recommandation actuelle est de ne consommer aucun verre d’alcool pendant la grossesse. Or, si cette exigence d’abstinence est bien connue, elle n’est pas perçue comme étant absolue. Le message sur la tolérance zéro ne passe pas encore. Il faut donc renforcer les dispositifs existants et faire plus de prévention.
Autre phénomène inquiétant : depuis quelques années, nous observons une autre source d’addiction, au même titre que la drogue ou l’alcool, je veux parler des jeux vidéo. On parle d’addiction aux jeux vidéo quand on assiste à un appauvrissement de la vie affective, relationnelle et intellectuelle. Parfois, certains utilisateurs de ces jeux perdent toute perception de la réalité et peuvent développer des problèmes psychologiques lourds. Certains comportements agressifs peuvent également être provoqués par des jeux extrêmement violents. Selon le degré d’isolement, on peut aussi observer des troubles physiques : par exemple, chez certains, on constate un état d’amaigrissement dû au fait qu’ils ne prennent plus le temps de manger.
On considère que, dans la population touchée, il existerait 5 % à 10 % de véritables « accros ». Malheureusement, nous ne disposons pas, aujourd’hui, de véritable étude sur la question.
Madame la ministre, face aux risques de dépendance et d’utilisation excessive, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre ?
Compte tenu du développement des nouvelles technologies, des réseaux de communication numérisés ou encore des moyens de la téléphonie mobile, les sollicitations sont nombreuses pour jouer en ligne. Or, dans de très nombreux cas, cette dépendance provoque des drames tant financiers que familiaux et peut être considérée comme une réelle pathologie.
Madame la ministre, quelles sont les règles relatives à la protection des joueurs ?
Dans la révolution numérique que nous connaissons, il convient de rester vigilant quant au développement de ces jeux de hasard et, plus précisément, des jeux en ligne.
Je rappellerai aussi que la France est l’un des pays industrialisés les plus touchés par le suicide. Depuis 2000, la mortalité par suicide ne diminue pas et il semble qu’il y ait un lien étroit entre addiction et suicide. Les produits psychoactifs, notamment l’alcool, ont un effet direct sur l’acte suicidaire ; ils provoquent, dans un premier temps, une levée du contrôle de soi, puis, dans un second temps, une désinhibition favorisant le passage à l’acte. Mais, à ce jour, nous ne disposons pas, en France, d’études de grande ampleur sur le lien existant entre addiction et suicide.
Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, si le Gouvernement envisage de mener une telle étude ?
Pour conclure sur la lutte contre les dépendances, je dirai que les comportements addictifs – aux drogues, au tabac et à l’alcool, mais aussi au jeu et aux médicaments – doivent être traités comme des maladies, d’où la nécessité de promouvoir une politique au service de la santé.
En matière d’addictions, il nous faut construire une politique publique citoyenne et surtout efficace, et l’arme la plus utile en la matière reste la prévention : il est important de mettre en place de nombreuses actions pour prévenir, former et accompagner, afin de lutter contre l’alcool et les produits à risque. J’ajoute que réprimer n’est ni prévenir ni soigner.
Madame la ministre, je souhaite aussi attirer votre attention sur les nouveaux phénomènes festifs qui se développent aux États-Unis, où certains jeunes absorbent des cocktails de médicaments trouvés dans les pharmacies et finissent dans les services d’urgence des hôpitaux. Que fera la France quand elle sera touchée à son tour ?
Aujourd’hui, l’efficacité des politiques de prévention utilisant des actions d’information, d’éducation et de formation reste faible. Il faut déployer encore plus de moyens pour informer, éduquer et former. Il faut accélérer et améliorer la recherche afin de développer des interventions en matière de prévention et de soins. II faut trouver de nouveaux moyens et renforcer les dispositifs pour encadrer les jeunes en détresse et leurs familles, car, bien souvent, les parents sont désemparés.