Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, cette proposition de loi, dont je suis la première signataire, est le fruit d’un constat et d’un contexte.
Le constat est le suivant : malgré la politique familiale volontariste menée par les pouvoirs publics depuis le début des années quatre-vingt-dix, qui explique dans une large mesure le niveau élevé de la natalité en France, concilier vie familiale et vie professionnelle demeure difficile, en particulier pour les parents dont les ressources sont les plus faibles. En outre, l’égalité entre les hommes et les femmes reste un principe éloigné des réalités : dans les faits, les mères continuent d’assumer l’essentiel des tâches de la vie quotidienne et des soins aux enfants, et ce sont elles qui paient le plus lourd tribut à ce titre en termes d’emploi et de carrière professionnelle.
Le contexte, lui, est européen. Le 3 octobre 2008, la Commission européenne a transmis au Conseil et au Parlement européen une proposition de directive relative à la sécurité et à la santé au travail des femmes enceintes ou ayant accouché. Ce texte, qui est une refonte de la directive fondatrice de 1992, contient deux mesures phares : d’une part, l’allongement de la durée minimale européenne du congé de maternité, qui passerait de quatorze à dix-huit semaines ; d’autre part, la garantie d’une indemnisation à hauteur de 100 % du salaire mensuel moyen, dans la limite d’un plafond déterminé par chaque État membre.
La commission des affaires sociales du Sénat a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur cette directive en cours d’élaboration, puisque, sur l’initiative de notre collègue Annie David, elle a adopté, le 27 mai 2009, une proposition de résolution européenne, devenue résolution du Sénat le 15 juin suivant.
Depuis cette date, les négociations européennes ont suivi leur cours. Le 20 octobre dernier, le Parlement européen, à une très large majorité, a modifié la proposition de directive, en suggérant notamment de porter la durée du congé de maternité à vingt semaines intégralement rémunérées.
Pour sa part, le Conseil a consacré, en décembre, un débat d’orientation à cette proposition de directive, mais sans encore parvenir à définir une position commune. Lors de ce débat, la France s’est déclarée ouverte à l’idée de porter la durée du congé de maternité de quatorze à dix-huit semaines, mais a indiqué ne pas souhaiter aller au-delà. S’agissant de la rémunération à hauteur de 100 % du salaire, elle a considéré que cette proposition ne serait acceptable que si les États membres avaient la faculté de définir un plafond d’indemnisation.
Je suis convaincue que ces négociations européennes, qui se révèlent particulièrement vives, sont l’occasion d’approfondir le débat sur le plan national et de faire « bouger les lignes ».
Tel est le sens de la présente proposition de loi, qui traduit une triple ambition : moderniser le congé de maternité ; renforcer la protection juridique des femmes enceintes ou ayant accouché, qu’elles exercent une activité salariée ou non salariée ; enfin, adapter le congé de paternité aux évolutions des structures familiales.
J’en viens aux mesures proposées pour atteindre ces objectifs, qui peuvent être regroupées selon quatre grands thèmes.
Le premier de ces thèmes est l’instauration d’un congé de maternité plus long et mieux indemnisé.
Le congé de maternité est une période, essentielle aux yeux des professionnels de santé, au cours de laquelle les femmes nouent des liens privilégiés avec leur enfant. C’est une période de fragilité durant laquelle la femme doit retrouver un équilibre, tant physique que psychologique. C’est également une période charnière, déterminante pour l’avenir de l’enfant et de la nouvelle famille.
Actuellement, la durée légale de ce congé est, en France, de seize semaines pour les mères de un ou de deux enfants et de vingt-six semaines pour les mères de trois enfants ou plus. Cette durée est jugée bien trop courte, tant par les professionnels de santé que par les mères elles-mêmes – selon une enquête récente, 84 % d’entre elles souhaiteraient qu’elle soit prolongée.
Ces seize semaines ne permettent pas en effet d’assurer une transition sereine entre le nouvel équilibre familial et le retour à la vie professionnelle, qui nécessite la recherche d’un mode de garde satisfaisant. Trop vite et trop tôt, la question de l’accueil de l’enfant se pose et peut être source de culpabilité et de stress pour bon nombre de mères dont la préoccupation principale est encore la relation à leur nouveau-né.
Ces appréciations sont confirmées par la pratique, puisque la durée moyenne de l’ensemble des congés effectivement pris à l’occasion d’une naissance s’élève à cent cinquante jours pour un premier ou un deuxième enfant, soit un mois et une semaine de plus que le seul congé légal de maternité. Ces trente-cinq jours supplémentaires correspondent à la prise de congés pour grossesse pathologique et/ou à la mobilisation de jours de congés, annuels ou prévus par les conventions collectives.
Ainsi, la prescription fréquente de congés pour grossesse pathologique par les professionnels de santé – plus de 70 % des femmes sont concernées – démontre que la période de rétablissement psychologique et physique de la mère dépasse largement la durée légale du congé de maternité. Il paraît donc nécessaire de donner une dimension législative, un cadre juridique sécurisé et généralisé, à ces pratiques qui correspondent aux besoins de la mère et de l’enfant.
Par ailleurs, de nombreux facteurs viennent ajouter à la difficulté d’articuler convenablement vie familiale et vie professionnelle. Je pense notamment à la détérioration sensible des conditions de travail, en partie due à l’évolution de la législation sur le travail le dimanche ou le travail de nuit, ainsi qu’à l’augmentation du recours aux horaires décalés ou à l’allongement des temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail.
Contrairement à une idée reçue, la France n’est pas particulièrement généreuse en matière de durée du congé de maternité. Notre pays se situe certes, à cet égard, dans la moyenne des États membres, mais derrière nombre de ses voisins, allant du Portugal – où le congé de maternité est de dix-sept semaines – à l’Italie, en passant par le Royaume-Uni ou l’Irlande, pays dans lesquels la durée du congé de maternité atteint vingt-six semaines.
Les auteurs de la présente proposition de loi sont donc convaincus qu’un congé de plus longue durée permettrait aux femmes de se remettre dans de meilleures conditions de leur grossesse et de leur accouchement, de passer davantage de temps avec leur nouveau-né, de s’occuper des aînés si nécessaire et d’organiser la vie de la nouvelle structure familiale.
Le vote très large de nos collègues députés européens, en octobre dernier, en faveur de l’allongement du congé de maternité constitue donc un signal très fort envoyé aux parlementaires nationaux que nous sommes.
Dans ce double objectif d’amélioration de la santé et de la sécurité de la mère et de l’enfant et de conciliation des vies professionnelle et familiale, l’article 1er de la proposition de loi vise à porter la durée du congé de maternité à vingt semaines. Il s’agit donc d’un allongement de quatre semaines – et seulement de quatre semaines, aurais-je envie d’ajouter !
À ce titre, l’argument de l’éloignement des femmes du monde du travail, invoqué pour remettre en cause le congé parental d’éducation, dont la durée peut aller jusqu’à trois ans, n’est pas recevable dans ce cas précis.
Par ailleurs, la salariée enceinte a actuellement droit, en contrepartie de la suspension de son contrat de travail, à des indemnités journalières de maternité servies par l’assurance maladie pendant toute la durée légale de son congé. Or, ces indemnités, égales au salaire journalier de base, diminué de la part salariale des cotisations sociales et de la contribution sociale généralisée, versées dans la limite du plafond de la sécurité sociale, ne correspondent pas à un maintien du salaire. De ce fait, la maternité continue à être perçue par certaines femmes comme une sanction financière.
Cette situation n’est pas conforme au principe d’égalité des chances entre les femmes et les hommes, dont le respect impliquerait que les femmes en congé de maternité ne soient pas pénalisées financièrement par rapport à leurs homologues masculins.
Mes collègues et moi-même estimons qu’un congé de maternité, quelle que soit sa durée, ne sera réellement protecteur que s’il donne droit au maintien de la rémunération de la salariée. C’est pourquoi l’article 4 du texte pose le principe du versement, pendant le congé de maternité, d’une indemnité compensatrice d’un montant équivalent à celui du salaire.
J’en arrive au deuxième thème : le renforcement de la protection juridique des femmes salariées enceintes ou ayant accouché.
Nous savons que la reprise de l’activité professionnelle constitue souvent, pour la femme qui vient d’avoir un enfant, un moment délicat, car il lui faut trouver les moyens de concilier obligations familiales et professionnelles. Certaines conventions collectives prévoient la possibilité d’adapter les rythmes et horaires de travail des femmes revenant d’un congé de maternité, mais tel n’est pas le cas dans tous les secteurs d’activité.
Afin que l’ensemble des salariées puissent bénéficier de telles adaptations, l’article 2 prévoit que l’entretien professionnel auquel elles ont droit à l’issue de leur congé de maternité porte non seulement sur leur orientation professionnelle, mais aussi sur l’évolution de leurs conditions et horaires de travail. Cette mesure, directement inspirée de la proposition de directive européenne, peut, je le crois, faire l’objet d’un consensus entre nous aujourd’hui.
Par cohérence avec l’allongement de la durée du congé de maternité proposé à l’article 1er, et dans un souci de plus grande protection des femmes enceintes ou ayant accouché, l’article 3 vise, d’une part, à prolonger de deux semaines la période au cours de laquelle il est interdit d’employer une salariée avant et après son accouchement, pour la porter à dix semaines au total, et, d’autre part, d’étendre d’une semaine la période au cours de laquelle il est interdit d’employer une salariée après son accouchement, pour la porter à sept semaines.
Le troisième thème est l’extension des droits aux femmes exerçant une activité indépendante.
En effet, il est urgent de prendre en considération la situation des femmes exerçant une activité non salariée : qu’elles soient chefs d’entreprise, femmes artisans, commerçantes, conjointes collaboratrices, exploitantes agricoles, elles ne peuvent, actuellement, placer entre parenthèses leur travail trop longtemps, sauf à mettre en danger leur entreprise. Le problème se pose d’ailleurs aussi pour les professions libérales. La législation française apparaît très insuffisante pour permettre à toutes ces mères de vivre pleinement et sereinement l’expérience de la maternité : nombre d’entre elles sont contraintes de reprendre rapidement leur activité, bien avant le terme légal fixé pour les salariées.
Je ne citerai qu’un exemple à cet égard : les affiliées au régime social des indépendants, qui ne sont pas concernées par la durée légale du congé de maternité de seize semaines, ne perçoivent l’indemnisation journalière forfaitaire d’interruption d’activité que pendant soixante-quatorze jours au maximum en cas de naissance simple, ce qui est très inférieur aux cent douze jours d’indemnités journalières de maternité du régime général.
Afin de remédier à cette inégalité de fait, l’article 5 pose le principe d’une égalité des droits à congé, que l’activité exercée par les femmes soit ou non salariée.
Bien sûr, il ne s’agit pas de nier les spécificités des activités non salariées, lesquelles imposent – plus encore que les activités salariées – de trouver un équilibre entre obligations professionnelles et familiales. Mais le souci de la continuité de l’entreprise, parfaitement légitime et louable, ne saurait justifier que la santé et la sécurité de la femme enceinte et de son enfant passent au second plan.
Le dernier thème est la création d’un congé d’accueil de l’enfant.
L’instauration du congé de paternité en 2002 a été une grande avancée sociale, permettant aux pères de s’impliquer davantage dans l’accueil et l’éducation du nouveau-né. Ce congé rencontre d’ailleurs de plus en plus de succès. En effet, deux pères sur trois le prennent.
Toutefois, en l’état actuel du droit, seul le père peut, après la naissance de son enfant et dans un délai de quatre mois, bénéficier de ce congé de onze jours consécutifs, ou de dix-huit jours en cas de naissance multiple.
Or, depuis plusieurs décennies, la société française connaît de profondes mutations des structures familiales. Le modèle familial traditionnel, fondé sur un couple composé d’une femme et d’un homme unis par les liens du mariage et ayant des enfants communs, n’est certes pas contesté, mais il ne constitue plus le seul mode d’organisation de la vie familiale. Ainsi, des hommes sont parfois amenés à participer à l’éducation d’un enfant qui n’est pas biologiquement le leur. De même, au sein des couples homosexuels, la femme n’ayant pas porté elle-même l’enfant est tout autant impliquée que sa compagne dans le projet parental.
C’est pour adapter la législation à ces changements sociétaux que l’article 6 tend à créer un congé d’accueil de l’enfant destiné non seulement au père biologique de l’enfant, mais aussi au conjoint de la mère, à son concubin ou à son partenaire de PACS. Pendant ce congé de quatorze jours consécutifs – vingt et un en cas de naissance multiple –, la personne recevra une indemnité compensatrice d’un montant équivalent à son salaire.
Enfin, je ne ferai qu’évoquer rapidement les deux derniers articles, qui organisent la mise en œuvre du texte : l’article 7 précise qu’il s’appliquera à l’ensemble des femmes en congé de maternité au moment de la publication de la loi, et l’article 8 gage son financement par le relèvement des droits sur les alcools.
Telles sont, mes chers collègues, les dispositions de cette proposition de loi, auxquelles, vous l’aurez compris, je suis pleinement favorable. Permettez-moi, avant de conclure, d’insister sur deux points sur lesquels, je l’espère, Mme la ministre ne manquera pas de revenir.
En premier lieu, j’évoquerai les conditions d’attribution des indemnités journalières de maternité, lesquelles sont loin d’être une réalité pour toutes les femmes salariées. En effet, la condition, exigée par l’assurance maladie, de deux cents heures travaillées au cours des trois mois précédant la date de début de grossesse ou la date de début du congé prénatal est particulièrement difficile à remplir pour les femmes en situation professionnelle précaire, travaillant à temps partiel ou selon des horaires discontinus. Je pense notamment aux employées de la grande distribution, ainsi qu’aux intermittentes du spectacle.
Le second point est de portée plus générale : la modernisation du congé de maternité que nous préconisons est indissociable d’une politique familiale volontariste et ambitieuse en matière de modes d’accueil de l’enfant, qui permette d’offrir à chaque ménage la possibilité de faire garder son ou ses enfants à un coût raisonnable. Malheureusement, nous en sommes encore loin.
Conformément à l’accord passé entre les présidents des groupes politiques, la commission des affaires sociales n’a pas adopté de texte, afin que notre proposition de loi soit discutée aujourd’hui dans sa forme initiale. Nous avons néanmoins eu des échanges très riches et très constructifs sur des sujets aussi importants que le retour à l’emploi des jeunes mères, l’implication des pères dans l’éducation des enfants ou les représentations sociales en matière de partage des tâches entre les hommes et les femmes.
Je souhaite, quant à moi, que nos débats de cet après-midi dans l’hémicycle parviennent à convaincre le Sénat du bien-fondé des mesures présentées et de l’intérêt d’adopter cette proposition de loi.