La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article L.O. 111-10-1 du code de la sécurité sociale, l’état semestriel des sommes restant dues par l’État aux régimes obligatoires de base de sécurité sociale au 31 décembre 2010.
Acte est donné du dépôt de ce document.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales et sera disponible au bureau de la distribution.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la modernisation du congé maternité en faveur de la protection de la santé des femmes et de l’égalité salariale et sur les conditions d’exercice de la parentalité, présentée par Mme Claire-Lise Campion et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 492 [2009 2010], rapport n° 555).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Claire-Lise Campion, auteur de la proposition de loi et rapporteur.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, cette proposition de loi, dont je suis la première signataire, est le fruit d’un constat et d’un contexte.
Le constat est le suivant : malgré la politique familiale volontariste menée par les pouvoirs publics depuis le début des années quatre-vingt-dix, qui explique dans une large mesure le niveau élevé de la natalité en France, concilier vie familiale et vie professionnelle demeure difficile, en particulier pour les parents dont les ressources sont les plus faibles. En outre, l’égalité entre les hommes et les femmes reste un principe éloigné des réalités : dans les faits, les mères continuent d’assumer l’essentiel des tâches de la vie quotidienne et des soins aux enfants, et ce sont elles qui paient le plus lourd tribut à ce titre en termes d’emploi et de carrière professionnelle.
Le contexte, lui, est européen. Le 3 octobre 2008, la Commission européenne a transmis au Conseil et au Parlement européen une proposition de directive relative à la sécurité et à la santé au travail des femmes enceintes ou ayant accouché. Ce texte, qui est une refonte de la directive fondatrice de 1992, contient deux mesures phares : d’une part, l’allongement de la durée minimale européenne du congé de maternité, qui passerait de quatorze à dix-huit semaines ; d’autre part, la garantie d’une indemnisation à hauteur de 100 % du salaire mensuel moyen, dans la limite d’un plafond déterminé par chaque État membre.
La commission des affaires sociales du Sénat a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur cette directive en cours d’élaboration, puisque, sur l’initiative de notre collègue Annie David, elle a adopté, le 27 mai 2009, une proposition de résolution européenne, devenue résolution du Sénat le 15 juin suivant.
Depuis cette date, les négociations européennes ont suivi leur cours. Le 20 octobre dernier, le Parlement européen, à une très large majorité, a modifié la proposition de directive, en suggérant notamment de porter la durée du congé de maternité à vingt semaines intégralement rémunérées.
Pour sa part, le Conseil a consacré, en décembre, un débat d’orientation à cette proposition de directive, mais sans encore parvenir à définir une position commune. Lors de ce débat, la France s’est déclarée ouverte à l’idée de porter la durée du congé de maternité de quatorze à dix-huit semaines, mais a indiqué ne pas souhaiter aller au-delà. S’agissant de la rémunération à hauteur de 100 % du salaire, elle a considéré que cette proposition ne serait acceptable que si les États membres avaient la faculté de définir un plafond d’indemnisation.
Je suis convaincue que ces négociations européennes, qui se révèlent particulièrement vives, sont l’occasion d’approfondir le débat sur le plan national et de faire « bouger les lignes ».
Tel est le sens de la présente proposition de loi, qui traduit une triple ambition : moderniser le congé de maternité ; renforcer la protection juridique des femmes enceintes ou ayant accouché, qu’elles exercent une activité salariée ou non salariée ; enfin, adapter le congé de paternité aux évolutions des structures familiales.
J’en viens aux mesures proposées pour atteindre ces objectifs, qui peuvent être regroupées selon quatre grands thèmes.
Le premier de ces thèmes est l’instauration d’un congé de maternité plus long et mieux indemnisé.
Le congé de maternité est une période, essentielle aux yeux des professionnels de santé, au cours de laquelle les femmes nouent des liens privilégiés avec leur enfant. C’est une période de fragilité durant laquelle la femme doit retrouver un équilibre, tant physique que psychologique. C’est également une période charnière, déterminante pour l’avenir de l’enfant et de la nouvelle famille.
Actuellement, la durée légale de ce congé est, en France, de seize semaines pour les mères de un ou de deux enfants et de vingt-six semaines pour les mères de trois enfants ou plus. Cette durée est jugée bien trop courte, tant par les professionnels de santé que par les mères elles-mêmes – selon une enquête récente, 84 % d’entre elles souhaiteraient qu’elle soit prolongée.
Ces seize semaines ne permettent pas en effet d’assurer une transition sereine entre le nouvel équilibre familial et le retour à la vie professionnelle, qui nécessite la recherche d’un mode de garde satisfaisant. Trop vite et trop tôt, la question de l’accueil de l’enfant se pose et peut être source de culpabilité et de stress pour bon nombre de mères dont la préoccupation principale est encore la relation à leur nouveau-né.
Ces appréciations sont confirmées par la pratique, puisque la durée moyenne de l’ensemble des congés effectivement pris à l’occasion d’une naissance s’élève à cent cinquante jours pour un premier ou un deuxième enfant, soit un mois et une semaine de plus que le seul congé légal de maternité. Ces trente-cinq jours supplémentaires correspondent à la prise de congés pour grossesse pathologique et/ou à la mobilisation de jours de congés, annuels ou prévus par les conventions collectives.
Ainsi, la prescription fréquente de congés pour grossesse pathologique par les professionnels de santé – plus de 70 % des femmes sont concernées – démontre que la période de rétablissement psychologique et physique de la mère dépasse largement la durée légale du congé de maternité. Il paraît donc nécessaire de donner une dimension législative, un cadre juridique sécurisé et généralisé, à ces pratiques qui correspondent aux besoins de la mère et de l’enfant.
Par ailleurs, de nombreux facteurs viennent ajouter à la difficulté d’articuler convenablement vie familiale et vie professionnelle. Je pense notamment à la détérioration sensible des conditions de travail, en partie due à l’évolution de la législation sur le travail le dimanche ou le travail de nuit, ainsi qu’à l’augmentation du recours aux horaires décalés ou à l’allongement des temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail.
Contrairement à une idée reçue, la France n’est pas particulièrement généreuse en matière de durée du congé de maternité. Notre pays se situe certes, à cet égard, dans la moyenne des États membres, mais derrière nombre de ses voisins, allant du Portugal – où le congé de maternité est de dix-sept semaines – à l’Italie, en passant par le Royaume-Uni ou l’Irlande, pays dans lesquels la durée du congé de maternité atteint vingt-six semaines.
Les auteurs de la présente proposition de loi sont donc convaincus qu’un congé de plus longue durée permettrait aux femmes de se remettre dans de meilleures conditions de leur grossesse et de leur accouchement, de passer davantage de temps avec leur nouveau-né, de s’occuper des aînés si nécessaire et d’organiser la vie de la nouvelle structure familiale.
Le vote très large de nos collègues députés européens, en octobre dernier, en faveur de l’allongement du congé de maternité constitue donc un signal très fort envoyé aux parlementaires nationaux que nous sommes.
Dans ce double objectif d’amélioration de la santé et de la sécurité de la mère et de l’enfant et de conciliation des vies professionnelle et familiale, l’article 1er de la proposition de loi vise à porter la durée du congé de maternité à vingt semaines. Il s’agit donc d’un allongement de quatre semaines – et seulement de quatre semaines, aurais-je envie d’ajouter !
À ce titre, l’argument de l’éloignement des femmes du monde du travail, invoqué pour remettre en cause le congé parental d’éducation, dont la durée peut aller jusqu’à trois ans, n’est pas recevable dans ce cas précis.
Par ailleurs, la salariée enceinte a actuellement droit, en contrepartie de la suspension de son contrat de travail, à des indemnités journalières de maternité servies par l’assurance maladie pendant toute la durée légale de son congé. Or, ces indemnités, égales au salaire journalier de base, diminué de la part salariale des cotisations sociales et de la contribution sociale généralisée, versées dans la limite du plafond de la sécurité sociale, ne correspondent pas à un maintien du salaire. De ce fait, la maternité continue à être perçue par certaines femmes comme une sanction financière.
Cette situation n’est pas conforme au principe d’égalité des chances entre les femmes et les hommes, dont le respect impliquerait que les femmes en congé de maternité ne soient pas pénalisées financièrement par rapport à leurs homologues masculins.
Mes collègues et moi-même estimons qu’un congé de maternité, quelle que soit sa durée, ne sera réellement protecteur que s’il donne droit au maintien de la rémunération de la salariée. C’est pourquoi l’article 4 du texte pose le principe du versement, pendant le congé de maternité, d’une indemnité compensatrice d’un montant équivalent à celui du salaire.
J’en arrive au deuxième thème : le renforcement de la protection juridique des femmes salariées enceintes ou ayant accouché.
Nous savons que la reprise de l’activité professionnelle constitue souvent, pour la femme qui vient d’avoir un enfant, un moment délicat, car il lui faut trouver les moyens de concilier obligations familiales et professionnelles. Certaines conventions collectives prévoient la possibilité d’adapter les rythmes et horaires de travail des femmes revenant d’un congé de maternité, mais tel n’est pas le cas dans tous les secteurs d’activité.
Afin que l’ensemble des salariées puissent bénéficier de telles adaptations, l’article 2 prévoit que l’entretien professionnel auquel elles ont droit à l’issue de leur congé de maternité porte non seulement sur leur orientation professionnelle, mais aussi sur l’évolution de leurs conditions et horaires de travail. Cette mesure, directement inspirée de la proposition de directive européenne, peut, je le crois, faire l’objet d’un consensus entre nous aujourd’hui.
Par cohérence avec l’allongement de la durée du congé de maternité proposé à l’article 1er, et dans un souci de plus grande protection des femmes enceintes ou ayant accouché, l’article 3 vise, d’une part, à prolonger de deux semaines la période au cours de laquelle il est interdit d’employer une salariée avant et après son accouchement, pour la porter à dix semaines au total, et, d’autre part, d’étendre d’une semaine la période au cours de laquelle il est interdit d’employer une salariée après son accouchement, pour la porter à sept semaines.
Le troisième thème est l’extension des droits aux femmes exerçant une activité indépendante.
En effet, il est urgent de prendre en considération la situation des femmes exerçant une activité non salariée : qu’elles soient chefs d’entreprise, femmes artisans, commerçantes, conjointes collaboratrices, exploitantes agricoles, elles ne peuvent, actuellement, placer entre parenthèses leur travail trop longtemps, sauf à mettre en danger leur entreprise. Le problème se pose d’ailleurs aussi pour les professions libérales. La législation française apparaît très insuffisante pour permettre à toutes ces mères de vivre pleinement et sereinement l’expérience de la maternité : nombre d’entre elles sont contraintes de reprendre rapidement leur activité, bien avant le terme légal fixé pour les salariées.
Je ne citerai qu’un exemple à cet égard : les affiliées au régime social des indépendants, qui ne sont pas concernées par la durée légale du congé de maternité de seize semaines, ne perçoivent l’indemnisation journalière forfaitaire d’interruption d’activité que pendant soixante-quatorze jours au maximum en cas de naissance simple, ce qui est très inférieur aux cent douze jours d’indemnités journalières de maternité du régime général.
Afin de remédier à cette inégalité de fait, l’article 5 pose le principe d’une égalité des droits à congé, que l’activité exercée par les femmes soit ou non salariée.
Bien sûr, il ne s’agit pas de nier les spécificités des activités non salariées, lesquelles imposent – plus encore que les activités salariées – de trouver un équilibre entre obligations professionnelles et familiales. Mais le souci de la continuité de l’entreprise, parfaitement légitime et louable, ne saurait justifier que la santé et la sécurité de la femme enceinte et de son enfant passent au second plan.
Le dernier thème est la création d’un congé d’accueil de l’enfant.
L’instauration du congé de paternité en 2002 a été une grande avancée sociale, permettant aux pères de s’impliquer davantage dans l’accueil et l’éducation du nouveau-né. Ce congé rencontre d’ailleurs de plus en plus de succès. En effet, deux pères sur trois le prennent.
Toutefois, en l’état actuel du droit, seul le père peut, après la naissance de son enfant et dans un délai de quatre mois, bénéficier de ce congé de onze jours consécutifs, ou de dix-huit jours en cas de naissance multiple.
Or, depuis plusieurs décennies, la société française connaît de profondes mutations des structures familiales. Le modèle familial traditionnel, fondé sur un couple composé d’une femme et d’un homme unis par les liens du mariage et ayant des enfants communs, n’est certes pas contesté, mais il ne constitue plus le seul mode d’organisation de la vie familiale. Ainsi, des hommes sont parfois amenés à participer à l’éducation d’un enfant qui n’est pas biologiquement le leur. De même, au sein des couples homosexuels, la femme n’ayant pas porté elle-même l’enfant est tout autant impliquée que sa compagne dans le projet parental.
C’est pour adapter la législation à ces changements sociétaux que l’article 6 tend à créer un congé d’accueil de l’enfant destiné non seulement au père biologique de l’enfant, mais aussi au conjoint de la mère, à son concubin ou à son partenaire de PACS. Pendant ce congé de quatorze jours consécutifs – vingt et un en cas de naissance multiple –, la personne recevra une indemnité compensatrice d’un montant équivalent à son salaire.
Enfin, je ne ferai qu’évoquer rapidement les deux derniers articles, qui organisent la mise en œuvre du texte : l’article 7 précise qu’il s’appliquera à l’ensemble des femmes en congé de maternité au moment de la publication de la loi, et l’article 8 gage son financement par le relèvement des droits sur les alcools.
Telles sont, mes chers collègues, les dispositions de cette proposition de loi, auxquelles, vous l’aurez compris, je suis pleinement favorable. Permettez-moi, avant de conclure, d’insister sur deux points sur lesquels, je l’espère, Mme la ministre ne manquera pas de revenir.
En premier lieu, j’évoquerai les conditions d’attribution des indemnités journalières de maternité, lesquelles sont loin d’être une réalité pour toutes les femmes salariées. En effet, la condition, exigée par l’assurance maladie, de deux cents heures travaillées au cours des trois mois précédant la date de début de grossesse ou la date de début du congé prénatal est particulièrement difficile à remplir pour les femmes en situation professionnelle précaire, travaillant à temps partiel ou selon des horaires discontinus. Je pense notamment aux employées de la grande distribution, ainsi qu’aux intermittentes du spectacle.
Le second point est de portée plus générale : la modernisation du congé de maternité que nous préconisons est indissociable d’une politique familiale volontariste et ambitieuse en matière de modes d’accueil de l’enfant, qui permette d’offrir à chaque ménage la possibilité de faire garder son ou ses enfants à un coût raisonnable. Malheureusement, nous en sommes encore loin.
Conformément à l’accord passé entre les présidents des groupes politiques, la commission des affaires sociales n’a pas adopté de texte, afin que notre proposition de loi soit discutée aujourd’hui dans sa forme initiale. Nous avons néanmoins eu des échanges très riches et très constructifs sur des sujets aussi importants que le retour à l’emploi des jeunes mères, l’implication des pères dans l’éducation des enfants ou les représentations sociales en matière de partage des tâches entre les hommes et les femmes.
Je souhaite, quant à moi, que nos débats de cet après-midi dans l’hémicycle parviennent à convaincre le Sénat du bien-fondé des mesures présentées et de l’intérêt d’adopter cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord remercier Claire-Lise Campion de soumettre à l’examen du Sénat cette proposition de loi relative à la modernisation du congé maternité en faveur de la protection de la santé des femmes et de l’égalité salariale et sur les conditions d’exercice de la parentalité. En tant que ministre chargée de la famille, des droits des femmes et de l’égalité entre les hommes et les femmes, je me réjouis que ces questions soient abordées dans notre pays, comme elles le sont d’ailleurs au niveau européen.
Comment ne pas souscrire à votre constat initial, madame Campion ?
J’ai déjà moi-même maintes fois rappelé l’absolue nécessité de permettre une meilleure conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle et de garantir un meilleur partage des responsabilités familiales et professionnelles. Ce sont là des exigences incontournables si nous voulons faire avancer les droits des femmes, mais aussi bâtir une société plus juste et plus humaine.
Pour autant, si je partage votre constat, je discuterai les moyens que vous préconisez aujourd’hui.
En effet, comme dans toute bonne négociation, avant de demander l’application d’un accord pour améliorer les droits des femmes, je préfère évaluer préalablement les différents intérêts en jeu. J’essaie également d’imaginer des pistes permettant de procurer un bénéfice aux femmes, bien sûr, mais aussi à l’ensemble des entreprises et à l’État.
Une avancée sociale doit, en effet, contribuer à faire progresser l’intérêt général et être partagée par tous.
C’est pourquoi je vous proposerai tout à l’heure de nous investir d’abord dans la négociation collective, d’explorer les différents compromis possibles, avant de légiférer ou de prendre des dispositions réglementaires.
Mais permettez-moi d’abord de reprendre les quatre thématiques selon lesquelles s’articule la proposition de loi et de vous livrer, à leur sujet, mon sentiment, qui est évidemment celui du Gouvernement.
La première thématique est l’instauration d’un congé de maternité plus long et mieux indemnisé.
Pour mémoire, je rappellerai que la situation difficile de nos finances publiques ne permet pas, actuellement, d’envisager des dépenses nouvelles qui auraient pour conséquence d’augmenter les déficits publics ainsi que les charges des entreprises, puisque, pour l’instant, nous finançons notre politique sociale largement à crédit. Je me suis déjà exprimée sur ce sujet lors du dernier Conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs », dit EPSCO, le 6 décembre dernier.
Sans surestimer ces dépenses nouvelles, je souligne que, au-delà des coûts nets que cet allongement représente pour la sécurité sociale – 170 millions d’euros pour deux semaines, si nous passons de seize à dix-huit semaines dans le dispositif actuel d’indemnisation, sachant que le congé de maternité est aujourd’hui indemnisé à hauteur de quelque 95, 4 % du salaire net de l’assurée, dans la limite d’un plafond égal, au 1er janvier 2011, à 2 946 euros, et 340 millions d’euros pour quatre semaines, si la durée du congé de maternité est portée à vingt semaines –, elles s’élèveraient à plus de 1, 1 milliard d’euros si nous acceptions la disposition votée par le Parlement européen tendant à déplafonner l’indemnisation, en prenant comme référence la totalité du salaire réel. C’est évidemment une dépense inenvisageable dans l’état actuel de nos finances publiques.
Concernant les employeurs, cela pourrait constituer, dans certains cas, un frein à l’embauche des femmes, au développement de leur carrière et à leur progression salariale. Certains y verraient d’ailleurs une possibilité de renvoyer les femmes chez elles, en ne leur offrant pas un libre choix entre mener une carrière professionnelle et rester à la maison.
Les conditions de retour à l’emploi – dans les entreprises privées ainsi que dans le cadre de l’exercice d’une profession libérale – peuvent être compliquées, en France comme dans l’ensemble des pays européens.
Je souhaite donc qu’une expertise approfondie soit menée au préalable, pour bien cerner les conséquences réelles d’un allongement de la durée des congés dans ces cas particuliers.
Certaines comparaisons avec des pays étrangers peuvent comporter des biais d’évaluation importants.
Par exemple, en Suède, pays qui bénéficie d’une législation sociale très avancée et protectrice, après un an de congé parental pour la naissance d’un enfant, la quasi-totalité des mères intègrent en fait le secteur public. En effet, celui-ci garantit l’effectivité du retour à l’emploi, mais pas nécessairement les entreprises privées, où les conditions de fonctionnement et de gestion des ressources humaines sont évidemment beaucoup plus contraintes.
Ces difficultés, nous ne pouvons les ignorer : comparaison n’est donc pas raison ! C’est pourquoi j’insiste sur la priorité de recourir d’abord à un approfondissement préalable par la négociation collective.
Dans ce cadre, il faut impérativement articuler deux priorités : la préservation de la santé des femmes et la promotion de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Si, du point de vue de la santé des femmes, l’allongement du congé de maternité se justifie, il peut constituer, notamment dans certains métiers du secteur privé, un frein plus ou moins important à l’emploi et à la promotion des femmes. Nous avons tous à l’esprit un certain nombre d’exemples de cet ordre : c’est une réalité, aussi regrettable soit-elle.
Par conséquent, il nous faut éviter qu’un allongement souhaitable du congé de maternité puisse aboutir à un résultat contraire à l’intérêt et à la promotion sociale des femmes dans certaines professions. Nous ne pouvons accepter que cet allongement puisse organiser un retrait plus durable des femmes du marché du travail et des interruptions d’activité qui pèseront sur leur niveau de rémunération et leur retraite.
Deuxième thématique de votre proposition de loi : renforcer la protection juridique des femmes salariées enceintes ou ayant accouché.
L’entretien professionnel auquel les femmes ont droit à l’issue de leur congé de maternité doit porter non seulement sur leur orientation professionnelle, mais aussi sur l’évolution de leurs conditions et horaires de travail.
Là aussi, avant la mise en œuvre d’une mesure législative, il est essentiel d’engager une discussion approfondie avec les partenaires sociaux. Cette mesure relève surtout du domaine de la négociation et des conventions collectives.
Comme vous l’avez précisé lors de la réunion de la commission du 25 mai dernier, certaines conventions collectives prévoient déjà la possibilité d’adapter les rythmes et horaires de travail des femmes revenant d’un congé de maternité. Mais tel n’est pas le cas dans tous les secteurs d’activité. Pour y parvenir, il faut faire mûrir les esprits et rechercher de nouveaux points de consensus.
Vous soulignez que cette mesure est directement inspirée de la proposition de directive européenne. J’ai justement fait remarquer, lors du Conseil EPSCO du 6 décembre 2010 relatif à l’emploi et aux affaires sociales, que les options du Parlement européen ne tenaient pas suffisamment compte du principe de subsidiarité et qu’elles laissaient trop peu de place au dialogue social.
Il est nécessaire d’approfondir les pistes de réflexion en vue d’établir des liens entre les différentes formes de congés familiaux ouverts aux pères et aux mères, notamment le congé de paternité. Il faut se donner le temps d’explorer toutes les options et de discuter avec les partenaires sociaux, qui doivent être étroitement associés au traitement de ce dossier.
Je serais plutôt favorable à l’établissement préalable d’un constat précis des difficultés actuelles sur le marché du travail en termes de protection.
De même, il est nécessaire d’évaluer les conséquences de cette mesure sur le marché du travail des femmes, son degré d’efficacité et ses différents coûts pour l’entreprise, l’assurance maladie et l’État. On ne peut prendre de décision en la matière sans disposer d’un tableau précis des différents besoins de financement.
J’en viens maintenant aux troisième et quatrième thématiques : étendre les droits aux femmes enceintes exerçant une activité indépendante, d’une part, créer un congé d’accueil de l’enfant, d’autre part.
Comme pour la deuxième thématique, j’ai tendance à juger plus adéquat d’engager préalablement une négociation avec les partenaires sociaux et une évaluation précise des difficultés actuelles, des coûts pour les différentes parties, de l’efficacité et des conséquences de telles mesures sur le marché du travail.
Concernant les femmes exerçant une profession libérale, en faveur desquelles j’ai pris, je le rappelle, un certain nombre de dispositions dans le cadre des derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale, il convient de souligner un autre inconvénient : si le congé de maternité offre à toute salariée la garantie de retrouver son emploi à son retour, le poste qu’elle occupait, on ne peut apporter cette garantie aux femmes exerçant une activité libérale, celles-ci courant le risque de perdre une partie de leur clientèle.
Vous l’aurez compris, de nombreux volets de cette proposition de loi me semblent devoir encore faire l’objet d’un examen approfondi, afin de nous assurer que nous allons bien dans le sens d’une conciliation juste et durable de la vie familiale et de la vie professionnelle. L’ensemble des aspects particuliers doivent être réglés avant d’aborder la phase législative.
La politique familiale de notre pays, extrêmement ambitieuse et saluée sur de nombreux points par nos partenaires européens, ne saurait être réduite au seul congé de maternité. En 2010, nous lui avons consacré 5, 1 % de notre PIB, soit deux fois plus que la moyenne des autres pays européens, contre 4, 7 %, je le rappelle, au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy. C’est grâce à cet effort remarquable que nous obtenons les meilleurs résultats en Europe en termes de natalité, tout en ayant un taux d’activité féminin figurant parmi les plus élevés du continent. Comme vous le savez, l’avenir de notre pays se joue aussi dans le renouvellement des générations.
Il faut donc engager préalablement la négociation collective pour faire progresser les droits des femmes.
Comme aucun texte législatif n’est parfait, il faut que la réponse aux contraintes que fait peser la maternité sur l’activité professionnelle des femmes puisse être déterminée au cas par cas, selon les besoins et les spécificités des branches professionnelles et pour l’adapter aux différences qui existent, en matière de travail, entre la fonction publique et le secteur privé.
Il faut également introduire plus de souplesse, encadrée par la loi après la négociation collective afin d’assurer le respect des principes fondamentaux du droit du travail dans les relations entre employeurs et salariées, en vue de permettre aux femmes qui souhaitent reprendre le travail plus rapidement après leur accouchement de pouvoir le faire, en ne figeant pas le dispositif du congé de maternité.
Parallèlement, il me semble utile d’étudier des dispositifs protecteurs de nature législative ou sociale pour les femmes exerçant une profession libérale ou des fonctions de cadre supérieur en entreprise, comme l’a souligné en commission M. André Lardeux.
Je crois en outre important de régler des cas particuliers, comme la naissance d’un enfant handicapé – la mère doit pouvoir bénéficier de mesures d’accompagnement et d’aide supplémentaires – ou l’adoption, avec la prise en compte des besoins spécifiques que celle-ci implique.
Enfin, nous devons maîtriser les coûts pour les finances publiques et réfléchir au mode de financement de ces mesures nouvelles, recourir à une augmentation des droits sur les alcools n’étant pas satisfaisant.
J’ajoute que la tenue d’un Conseil EPSCO le 17 juin prochain va dans le même sens : il me paraît plus opportun de réserver notre position en attendant de connaître les prochaines évolutions.
Ce qui est certain, c’est que nous devons adopter une vision et une approche globales, qui tiennent compte non seulement du congé de maternité, mais aussi de l’articulation de l’ensemble des congés existants, afin de conserver la cohérence des dispositifs actuels. Il faut aussi étudier les conditions de l’intégration des femmes au sein du marché du travail, de la répartition des rôles et des responsabilités entre les hommes et les femmes ou encore de l’accueil de la petite enfance.
En effet, ces différentes dimensions sont liées, et elles seront abordées lors de la conférence sur l’égalité professionnelle et familiale que j’organiserai, à la fin du mois, avec mon collègue Xavier Bertrand.
Je ne saurais approuver ce texte en l’état, mais je tiens à réaffirmer mon engagement en faveur des droits des femmes et de l’égalité entre les hommes et les femmes. Chère Claire-Lise Campion, je vous remercie de votre travail ; vous avez ouvert, avec cette proposition de loi, un important dossier, selon une philosophie que je partage, mais son examen mérite d’être encore affiné. Je suis sûre que tel était le sens de votre initiative !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l’articulation de la vie professionnelle avec la vie familiale est un véritable enjeu pour les femmes d’aujourd’hui, qui, pour la plupart, souhaitent concilier les deux dans les meilleures conditions possible.
Il est donc de notre responsabilité de prendre toute la mesure de la problématique du cadre juridique du congé de maternité, pour y apporter des solutions appropriées. Or la présente proposition de loi ne le permet pas, et je le regrette. Elle a néanmoins le mérite de soulever des questions importantes pour les femmes et de rappeler que nous devons sans cesse avoir pour objectif d’assurer une meilleure protection des femmes dans notre société.
La principale objection du groupe UMP à ce texte a trait à l’allongement de quatre semaines de la durée du congé de maternité. Bien que séduisant, le dispositif s’avère peu pertinent, voire contreproductif, car il risque de se retourner contre les femmes concernées, en fragilisant leur situation dans les entreprises.
En effet, la mesure proposée est susceptible de représenter des contraintes importantes pour l’employeur. Par ailleurs, elle pourrait constituer, en amont, un frein à l’embauche, un élément d’une discrimination constamment dénoncée, mais difficilement maîtrisable dans les faits, d’autant que le maintien du salaire pendant cette période constituerait une contrainte supplémentaire, que toutes les entreprises ne pourraient pas supporter.
Actuellement, nous le savons, les emplois à temps partiel concernent majoritairement les femmes, qui en outre accèdent moins facilement que les hommes aux postes importants –rappelons qu’un cadre sur quatre est une femme – tandis que des différences injustifiées de salaires persistent. Quant au chômage, il frappe davantage les femmes que les hommes. Faut-il en rajouter ?
Les difficultés sont réelles, et le constat de la nécessité de mieux protéger la femme est partagé, mais les solutions que nous préconisons sont différentes des vôtres.
Tout d’abord, il convient de s’interroger sur ce que souhaitent les femmes dans ce domaine. Elles seraient nombreuses à préférer un congé plus court, mais mieux rémunéré, avec des possibilités de garde élargies. C’est en tout cas ce que déclarent 70 % des familles, selon une enquête du CREDOC, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie.
Nous devons aussi nous pencher sur les dispositifs existants, comme le congé parental d’éducation, qui ouvre à tout salarié, à la suite d’une naissance ou d’une adoption, la possibilité d’interrompre ou de réduire son activité professionnelle pour élever cet enfant, ou le congé de paternité, qui permet au père de bénéficier, à sa demande, d’un congé indemnisé d’une durée de onze à dix-huit jours calendaires.
Par ailleurs, il convient de saluer une mesure gouvernementale récente en faveur des femmes non salariées, ayant pour objet d’étendre le congé de maternité aux femmes relevant du régime social des indépendants, le RSI, et du régime agricole, ainsi qu’aux conjointes collaboratrices des assurés relevant du RSI.
En outre, il faut souligner l’efficacité de la politique familiale menée actuellement par le Gouvernement, notamment pour ce qui concerne la petite enfance. Avec 826 000 naissances en 2010, la France bénéficie d’un fort dynamisme démographique, dont le Gouvernement a mesuré l’importance. Ce sont près de 90 milliards d’euros qui sont consacrés à la politique familiale, soit deux fois plus que la moyenne des autres pays européens.
Le Gouvernement s’est déjà engagé à créer 200 000 places de garde supplémentaires d’ici à 2012. Cette démarche doit être retenue et amplifiée. La priorité absolue doit donc être la même que celle qui est exprimée par les mères de famille : créer des modes de garde diversifiés. C’est sur ce domaine précis que l’action publique doit se concentrer, avec un souci constant d’efficacité en matière d’aide aux familles.
Enfin, la mise en œuvre des dispositions de la proposition de loi qui nous est soumise entraînerait des dépenses supplémentaires importantes, alors que nos finances sociales connaissent déjà, comme vient de le souligner Mme la ministre, de grandes difficultés.
La progression de la place des femmes dans l’entreprise doit se poursuivre de façon toujours plus soutenue. Les résultats seront là si les entreprises se sentent pleinement associées à la démarche, et non pas contraintes. Dans le cas contraire, les femmes risqueraient d’être une nouvelle fois les victimes.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi aborde un sujet qui nous concerne tous, particulièrement les femmes. Dans cet hémicycle, nul ne saurait remettre en cause la nécessité d’adapter le congé de maternité aux évolutions du milieu du travail, qu’il s’agisse de l’accroissement du taux d’activité des femmes ou de l’allongement généralisé des temps de transport, notamment dans la région d’Île-de-France, comme en témoigne la résolution de la Haute Assemblée du 15 juin 2009 portant sur ce thème ou la position exprimée par la France dans le cadre de la révision de la directive de 1992.
Sur l’initiative des institutions européennes, voulant non seulement garantir un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, mais aussi mieux protéger les travailleuses enceintes, la Commission européenne a proposé une directive tendant à allonger et à encadrer la durée du congé de maternité, à améliorer l’indemnisation de celui-ci et à renforcer la protection juridique des femmes enceintes. La directive prévoit aussi l’assouplissement des rythmes et horaires de travail et le renversement de la charge de la preuve en cas d’infraction de l’employeur.
Si le processus de colégislation européen est avancé, aucun accord définitif n’est encore intervenu et aucune position commune n’a été adoptée sur ce texte.
À l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, on me permettra d’observer que l’intervention européenne mérite davantage notre approbation quand elle a un objectif social de protection, surtout lorsqu’elle tend vers une harmonisation par le haut, que quand elle consiste à édicter des normes techniques contraignantes dont le citoyen ne comprend pas souvent l’intérêt…
La présente proposition de loi, dont nous ne pouvons qu’approuver les objectifs, s’inscrit dans ce contexte européen et dans le cadre d’une politique familiale et de santé. Bien qu’aucune corrélation ne soit établie entre la générosité du dispositif d’un pays donné et le dynamisme de sa natalité, le congé de maternité est un outil de la politique démographique de la France, à l’instar du développement des modes de garde pour la petite enfance.
Si les intentions qui sous-tendent ce texte sont louables et méritent donc d’être débattues, nous ne jugeons pas, en revanche, que toutes les mesures proposées soient des plus pertinentes.
L’article 1er vise à porter de seize à vingt semaines la durée du congé de maternité, soit un allongement de quatre semaines. Comme le montre très bien le rapport, la France ne figure pas, il est vrai, au nombre des pays les plus généreux de l’Union européenne en la matière.
Cependant, un passage brutal de seize à vingt semaines poserait nombre de problèmes pratiques et financiers.
En effet, s’il convient de permettre à la mère d’accueillir son nouveau-né dans les meilleures conditions, il ne faut pas pour autant perdre de vue l’impératif de sa réinsertion professionnelle et de son retour à l’emploi après une longue coupure.
Une logique de protection qui ne laisse aucune souplesse aux femmes, notamment pour répartir leurs congés avant et après l’accouchement, ne tient pas suffisamment compte de la réalité du milieu professionnel, ni des contraintes du monde du travail. C’est particulièrement vrai pour les femmes qui occupent des postes à responsabilités, qui exercent une activité indépendante…
… ou, tout simplement, qui choisissent de consacrer tous leurs congés à leur nouveau-né.
On observe aussi que beaucoup de femmes, et pas seulement des cadres, veulent maintenir un lien avec leur travail et leurs collègues durant leur congé de maternité, pour ne pas perdre le fil et préparer leur retour.
C'est la raison pour laquelle nous serions favorables à un allongement du congé de maternité de deux semaines seulement, pour le faire passer de seize à dix-huit semaines, ce qui serait, du reste, conforme à la position exprimée par la France à l’échelon européen.
En tout état de cause, cette disposition ne saurait faire, à elle seule, une loi, et il serait évidemment très prématuré de se prononcer maintenant sur tous les autres aspects du texte, alors que le Conseil n’est pas parvenu à définir une position commune. Au titre de la transposition de la directive européenne dans notre droit interne, nous pourrions nous trouver contraints de revenir sur un texte que nous viendrions tout juste d’adopter.
À l’article 2, est prévu le maintien intégral du salaire pendant le congé de maternité, en remplacement du système actuel. Aujourd’hui, le congé de maternité n’est indemnisé, dans la limite du plafond de la sécurité sociale, qu’à hauteur du salaire journalier brut, diminué de la part salariale des cotisations sociales et de la contribution sociale généralisée.
Il s’agit d’une mesure dont le financement n’est pas assuré et dont le coût serait de 1 milliard d’euros pour l’assurance maladie si la durée du congé de maternité était portée à dix-huit semaines. Est-il opportun d’accroître les déficits en ces temps difficiles pour nos finances publiques ?
Nous souscrivons donc pleinement à la position de sagesse défendue par le Gouvernement à l’échelon européen, selon laquelle une indemnisation à hauteur de 100 % du salaire est envisageable, mais dans la limite d’un plafond défini par chaque État membre.
L’article 5 vise à étendre aux femmes qui exercent une activité non salariée les droits accordés aux femmes salariées en matière de congé de maternité. L’intention est certes généreuse, mais peu réaliste !
Prenons un exemple que je connais bien, celui des femmes exploitantes agricoles.
Tout le monde connaît les difficultés rencontrées par les agriculteurs qui veulent se faire remplacer pour prendre simplement une ou deux semaines de congés annuels : comment imaginer un remplacement de dix-huit semaines ?
Le problème est toujours le même : en créant des droits de façon très générale, sans tenir compte des spécificités des métiers ou des secteurs professionnels, on finit par créer des inégalités.
Avant de légiférer, une large concertation, s’appuyant sur des négociations collectives par secteur, serait souhaitable.
Enfin, l’article 6 tend à créer un congé d’accueil de l’enfant au bénéfice du conjoint, du concubin ou du partenaire de PACS de la mère. L’objectif, louable, est d’adapter le droit à l’évolution de la société. Toutefois, le dispositif manque de clarté juridique, il ne vise pas les parents adoptants, ce que l’on peut regretter, et son coût n’est pas chiffré.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe de l’Union centriste estiment que ce texte ne peut pas être adopté en l’état aujourd’hui, même s’ils comprennent l’initiative de Mme Campion et de ses collègues, saluent la qualité du travail accompli et reconnaissent l’importance du sujet.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.
M. Yvon Collin applaudit.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée débat aujourd’hui d’un texte qui pourrait constituer une avancée notable pour les femmes en France. Tirant les conclusions de l’adoption par le Parlement européen, le 20 octobre dernier, d’une proposition de directive, le groupe socialiste suggère, avec cette proposition de loi, de porter la durée du congé de maternité à vingt semaines.
Le législateur européen a instauré un droit plus protecteur, en améliorant l’indemnisation du congé de maternité, ainsi que la protection contre le licenciement de la femme enceinte ou de la jeune mère, en permettant aux femmes qui reprennent leur activité professionnelle un aménagement de leurs rythmes et horaires de travail dans le sens d’un assouplissement ou encore en renversant la charge de la preuve en cas d’infraction de l’employeur.
Un congé de maternité plus long et mieux indemnisé, une protection renforcée des femmes enceintes exerçant une activité salariée ou non salariée, une implication renforcée des pères : telles sont, en quelques mots, les avancées contenues dans cette proposition de loi socialiste. Je félicite notre collègue Claire-Lise Campion d’avoir pris l’initiative de son élaboration.
Cette évolution vers un droit plus protecteur n’est pourtant pas sans soulever des inquiétudes ou des réticences. En effet, tout reste encore à finaliser, que ce soit en matière de lutte contre les discriminations liées à la grossesse sur le marché du travail, de financement de ces mesures ou encore de définition du bénéficiaire du congé de paternité.
Outre l’argument de la santé des femmes enceintes ou celui de l’égalité des chances dans le domaine professionnel face à la maternité, l’élément qui peut nous rassembler est la politique menée en faveur de la natalité.
En effet, l’Union européenne dans son ensemble est confrontée au défi de la démographie et du vieillissement de sa population, et notre pays ne fait pas exception à cet égard.
Les orientations proposées au travers du présent texte vont dans le bon sens à long terme. Cela devrait nous obliger à mettre en place des aménagements, afin que les répercussions de son adoption sur le marché du travail ne soient pas trop lourdes pour les très petites entreprises et n’entraînent pas une précarisation des carrières des femmes.
Les premiers mois qui suivent la naissance sont une période très importante pour la mère et son nouveau-né, comme le démontrent les pédopsychiatres dans leurs publications scientifiques. C’est en effet pendant cette période que la mère et l’enfant tissent des liens, se découvrent et s’attachent l’un à l’autre. Pourtant, ce constat n’est pas encore entré dans les mentalités et n’a pas débouché sur la définition d’une priorité d’ordre sociétal.
Une récente enquête de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés montre d’ailleurs qu’allonger la durée du congé de maternité répond à une attente forte de nombreuses femmes et qu’une majorité de mères prennent un congé de maternité d’une durée supérieure à ce que prévoit la loi. Il s’agit souvent de congés supplémentaires dits « pathologiques », pris après l’accouchement pour permettre aux mères d’allaiter plus longtemps, de se remettre de leur grossesse ou tout simplement de surmonter une dépression post-partum.
Par conséquent, je souscris à la mise en place d’un congé d’accueil de l’enfant d’une durée de quatorze jours. Cela permettrait aux pères, souvent frustrés au début et tenus à l’écart, …
… de tisser des liens avec leur enfant, d’épauler la mère, de s’occuper des autres enfants ou de la maison.
Je voudrais évoquer plus longuement les discriminations à l’égard des femmes salariées.
Certains soulignent que l’allongement du congé de maternité à vingt semaines creuserait davantage les inégalités entre les hommes et les femmes. Malheureusement, ces inégalités existent déjà, et elles persistent !
Dans son dernier rapport, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, fait état de six cent dix-huit réclamations pour discriminations liées à la grossesse au titre de l’année 2010. Si la plupart de ces discriminations se manifestent pendant la grossesse ou lors du retour au travail, certaines se traduisent par l’évincement des femmes par anticipation, dès l’entretien d’embauche, si elles déclarent envisager d’avoir un enfant. Selon une étude réalisée par l’institut CSA, 23 % des femmes sondées déclarent avoir été interrogées, lors d’un entretien d’embauche, sur leur éventuelle volonté de devenir mère un jour.
Madame la ministre, cette proposition de loi met donc en exergue un véritable problème de société : celui du rôle et de la place respectifs des hommes et des femmes, envisagés dans une perspective d’égalité et dans l’intérêt des enfants et des familles.
Tout au long du xxe siècle, les femmes – il faut leur rendre hommage – se sont battues pour mettre un terme aux inégalités et aux discriminations. À force de revendications, de mouvements sociaux et de propositions de loi, à l’instar de celle que nous examinons aujourd’hui, l’égalité entre les hommes et les femmes a progressé.
Toutefois, dans les faits, il subsiste encore beaucoup trop d’inégalités. J’ai dénoncé cette situation à maintes reprises lors des débats que nous avons eus en octobre dernier à l’occasion de la réforme des retraites : les femmes gagnent en moyenne 19 % de moins que les hommes, elles sont surreprésentées dans les emplois à temps partiel, à durée déterminée ou à bas salaire, et elles sont plus touchées par le chômage. Ces déséquilibres s’amplifient encore lorsqu’elles deviennent mères.
Aussi, madame la ministre, la discussion de cette proposition de loi doit-elle être l’occasion d’engager une réflexion plus globale sur la société et ses évolutions. Elle doit ouvrir la voie à une politique familiale plus ambitieuse. Nous devons relever le défi de l’aménagement du temps de travail, afin qu’il soit socialement acceptable pour l’ensemble des femmes qui entendent concilier vie familiale et carrière professionnelle sans que l’une ou l’autre en pâtisse.
Même si le rôle des pères a évolué, les mentalités ne changent que lentement. Encore aujourd’hui, les tâches domestiques et l’éducation des enfants sont l’affaire des femmes, qui doivent mener de front une double journée et sont confrontées à des contraintes telles que les horaires de crèche ou la garde des enfants malades.
Je ne reviendrai pas ici sur le manque de structures d’accueil pour les jeunes enfants, …
… les besoins étant évalués à 400 000 places.
Les femmes ne doivent plus être toujours les premières victimes du travail à temps partiel subi, avec les conséquences que cela entraîne pour leur carrière et leur retraite. Dans cet esprit, je ne peux qu’être favorable à l’article 2 de la proposition de loi, qui prévoit que l’entretien professionnel auquel les salariées ont droit à l’issue de leur congé de maternité portera aussi sur l’aménagement de leurs conditions et de leurs horaires de travail.
Oui, le chemin sera semé d’écueils, car le congé de maternité est une question sensible au sein des entreprises ; oui, il nous faudra arbitrer pour trouver les financements nécessaires ; oui, il s’agit bien d’un choix de société.
En favorisant ainsi la maternité, nous espérons pouvoir non seulement relever le défi démographique et celui de la natalité, mais aussi promouvoir l’égalité. Cela a un coût : sommes-nous prêts à l’assumer ?
Pour toutes les raisons que j’ai développées, la majorité des sénateurs du Rassemblement démocratique et social européen votera ce texte avec conviction !
Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le vote du Parlement européen, sinon pour souligner qu’il va au-delà de la proposition de la Commission européenne et de la volonté du Gouvernement, madame la ministre, lequel souhaitait en rester à un congé de maternité de dix-huit semaines.
S’il reste encore beaucoup à faire pour tendre vers une harmonisation par le haut des droits sociaux au sein de l’Union européenne, il s’agit, malgré tout, d’un pas important, dont je me réjouis. Une fois n’est pas coutume, la Commission européenne, confortée par le Parlement européen, a proposé une harmonisation non par le haut, certes, mais médiane, puisque la durée du congé de maternité varie de façon importante d’un État membre à l’autre, se situant dans la plupart des cas entre seize et vingt-cinq semaines et atteignant même vingt-huit semaines en Slovaquie. §Avec seize semaines de congé de maternité, la France figure donc parmi les pays les moins généreux sur ce plan !
D’ailleurs, pour allonger leur congé postnatal, certaines femmes s’appuient sur la loi du 5 mars 2007, qui leur permet de reporter trois semaines de leur congé prénatal au maximum.Or ce congé répond à des impératifs de santé publique, pour la mère comme pour l’enfant. La commission des affaires sociales du Sénat a d’ailleurs adopté, le 27 mai 2009, une proposition de résolution européenne portant sur ce sujet, devenue une résolution du Sénat le 15 juin suivant ; j’y reviendrai au cours de l’examen de l’article 1er.
La balle est donc dans le camp des gouvernements européens ; la France se doit d’être au rendez-vous, mais le débat de ce matin en commission ne me laisse que peu d’espoir à cet égard, madame la ministre, et m’a même mise très en colère : les femmes ne peuvent pas vouloir le beurre et l’argent du beurre, ai-je entendu dire ! De tels propos sont indignes de notre assemblée ! Il est terrible de devoir constater que, encore de nos jours, des hommes…
J’ai bien dit « des hommes », mon cher collègue !
… parce qu’ils ne savent pas ce que signifie, pour une femme qui travaille, porter un enfant et le mettre au monde, peuvent penser de la sorte ! De tels propos me mettent en colère, je le répète, de même, madame la ministre, que les arguments qui ont été invoqués par l’un de vos collègues lors du débat à l’Assemblée nationale et que vous avez repris ici : prétexter des contraintes budgétaires en évaluant le coût de la mesure à 1, 3 milliard d’euros par an n’est pas recevable ! La santé des femmes et des enfants ne se négocie pas ; le sujet nous impose de prendre nos responsabilités. Je reprendrai à mon compte les mots de mon collègue député Roland Muzeau : « mieux vaut être restaurateur que femme enceinte » ! En effet, alors que le coût de la baisse de la TVA pour le secteur de la restauration a été assumé par l’État, celui de l’allongement du congé de maternité ne pourrait l’être ! §Il s’agit ici d’une question de santé publique, qui vous impose de prendre vos responsabilités, madame la ministre !
D’ailleurs, un rapport récent émanant de la majorité se prononce en faveur d’un allongement du congé de maternité, au motif qu’il induit « un grand nombre d’effets bénéfiques tant il permet aux mamans d’établir un lien privilégié avec leurs enfants dans les premiers mois de la vie qui sont considérés par différents pédiatres comme déterminants pour l’enfant ».
J’ajoute qu’il ne faut pas se contenter de déplorer, comme vous l’avez fait tout à l’heure, madame la ministre, l’existence d’un frein à l’embauche ; il faut combattre cette situation.
Par ailleurs, avec un taux d’activité féminin de près de 80 %, l’accueil de la petite enfance est devenu un enjeu majeur pour la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. Ainsi, dans un rapport adressé au Premier ministre, Michèle Tabarot estime que 25 % des parents qui se sont arrêtés de travailler pour garder leur enfant ont choisi cette solution par défaut. Le manque d’autres solutions pour la garde des enfants explique pourquoi, en trente-cinq ans, malgré l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, la part des emplois à temps partiel est passée de 13 % à 37 %. Or les trois quarts des femmes occupant de tels emplois souhaiteraient travailler à temps plein.
À nos yeux, la solution passe non pas par la création de jardins d’éveil ou par la diversification des structures d’accueil, mais par la mise en œuvre d’un véritable service public de la petite enfance, s’accompagnant d’une augmentation du nombre de places offertes : il en manque actuellement, selon les estimations, de 200 000 à 400 000. Le développement des moyens de garde n’est pas antinomique de l’allongement du congé de maternité, au contraire : l’un et l’autre sont nécessaires pour permettre aux femmes de mieux articuler activité professionnelle et vie familiale.
Quant au maintien intégral du salaire, proposé également par la Commission et le Parlement européens, nous sommes pleinement favorables à une telle mesure d’équité. Pour l’heure, le maintien intégral du salaire pendant le congé de maternité n’est nullement obligatoire, sauf si une convention collective ou un accord de branche le prévoit. De ce fait, les droits des femmes varient selon les secteurs d’activité.
En vue de parfaire la protection de la femme enceinte, le cas des femmes contraintes de s’arrêter de travailler bien avant le début du congé pour grossesse pathologique ou de maternité, pour des raisons de santé liées à leur état de grossesse, mérite d’être pris en compte. Cette période d’arrêt de travail étant assimilée à un arrêt pour maladie, elle est source d’inégalité ; j’y reviendrai lors de l’examen de l’article 1er.
Je souhaite également, à la suite de Mme la rapporteur, attirer l’attention sur la discrimination dont sont victimes les femmes affiliées au régime des intermittents du spectacle.
En effet, celles-ci se voient fréquemment refuser l’indemnisation de leur congé de maternité par la sécurité sociale, en raison de la discontinuité de leur emploi. Elles sont doublement pénalisées, car, n’ayant pas obtenu l’ouverture de leurs droits à la sécurité sociale, elles se voient également refuser le bénéfice de l’indemnisation au titre du chômage. Cette absence de protection sociale subie par une partie de nos concitoyennes est indigne de notre République. De nombreuses mères victimes de cette situation, regroupées au sein du collectif « Les Matermittentes », ont saisi la HALDE à ce sujet.
Avant de conclure, je souhaite évoquer l’extension proposée du congé de paternité, redéfini en congé d’accueil pour l’enfant, et son allongement à quatorze jours. Cette mesure nous semble aller dans le bon sens, mais il convient de veiller à ne pas porter atteinte à l’autorité parentale.
Enfin, nous souscrivons pleinement à l’article 5 de la proposition de loi, qui tend à créer des droits nouveaux pour les femmes exerçant une activité non salariée.
En définitive, ce texte répond à une nécessité. Quoi que vous en disiez, quoi que vous en pensiez, mes chers collègues, nous devrons aller plus loin encore ! En effet, si la France se classe au deuxième rang européen en matière de fécondité, avec 1, 98 enfant par femme en 2009, c’est parce que la plupart de nos concitoyennes peuvent continuer à travailler en étant mères, même si ce n’est qu’à temps partiel. Toutes les mesures les aidant à concilier travail et famille et valorisant leur « double casquette » favorisent à la fois la présence des femmes sur le marché du travail et le maintien d’un taux de natalité élevé. Vous devriez leur faire bon accueil, plutôt que de crier haro sur les droits des femmes !
La stratégie de Lisbonne spécifie pourtant bien que tout doit être fait pour favoriser le travail des femmes !
En conclusion, je soulignerai, pour faire écho au récent débat sur les retraites, que si un taux de natalité élevé constitue bien sûr l’un des éléments clés pour préserver notre modèle par répartition, d’autres paramètres interviennent. Il convient également de revoir la place de la femme dans le monde du travail et de permettre qu’elle accède à un emploi stable, à temps plein si elle le souhaite, et dont la rémunération soit à la hauteur de celle qui est versée à un homme occupant le même poste. C’est ainsi que l’on combattra les inégalités en matière de pensions de retraite. §
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans le droit fil des initiatives récentes de l’Union européenne visant à garantir les droits des femmes et à améliorer leur situation.
En effet, en 2008, en vue de permettre une meilleure conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, la Commission européenne avait proposé de modifier la directive 92/85/CEE, afin de porter la durée minimale du congé de maternité à dix-huit semaines et de rendre obligatoire un arrêt d’au moins six semaines après l’accouchement.
Cette proposition comportait d’autres avancées importantes. Ainsi, elle prévoyait l’interdiction du licenciement des femmes enceintes, le droit pour elles à bénéficier de l’ensemble des avantages accordés à leurs collègues pendant leur absence ou la possibilité de demander une modification des horaires et rythmes de travail à leur retour. Enfin, la Commission européenne posait le principe du maintien intégral du salaire pendant le congé de maternité.
En octobre 2010, le Parlement européen est allé encore plus loin, en se prononçant en faveur d’un congé de maternité de vingt semaines au minimum rémunéré à hauteur de 100 % du salaire, conformément aux recommandations de l’Organisation internationale du travail.
Il s’agit aujourd’hui d’allonger la durée du congé de maternité en France, qui, actuellement fixée à seize semaines, se situe dans la moyenne basse de l’Union européenne. Rappelons qu’elle est par exemple de vingt-six semaines en Italie et de vingt-huit semaines au Danemark. Cette proposition de loi vise donc à adapter notre législation à l’évolution du droit européen, en faisant passer la durée du congé de maternité de seize à vingt semaines.
Une telle mesure répond à une attente des femmes, qui aimeraient rester plus longtemps auprès de leur bébé. Il s’agit également d’une question de santé publique : en période prénatale, le congé de maternité est une nécessité, en raison des incidences sur la santé non seulement du travail, mais aussi des trajets en voiture ou en transport en commun pour se rendre sur le lieu de travail ; en période postnatale, les mères sont fatiguées, surtout si elles ont subi une césarienne, et l’accouchement nécessite une période de récupération suffisamment longue.
Le rejet du principe de cette mesure, au motif qu’elle créerait de nouvelles dépenses publiques et des charges supplémentaires pour les entreprises, est, selon nous, inacceptable. La maternité ne peut pas être considérée comme un fardeau pesant sur les systèmes de sécurité sociale, alors qu’il s’agit de la santé des femmes, du renouvellement des générations, d’un investissement pour l’avenir.
L’argument entendu en commission des affaires sociales selon lequel les femmes deviendraient plus difficilement employables est tout aussi irrecevable. Une enquête de 2006 sur l’allongement du congé de maternité en France prouve que, en pratique, la majorité des femmes ont recours aux congés pour grossesse pathologique, aux congés payés ou à un congé sans solde pour prolonger le congé de maternité : seulement 12 % d’entre elles ne s’arrêtent que seize semaines. Cela confirme que les mères ont réellement besoin d’un congé plus long et que les coûts de ces arrêts de travail supplémentaires pour les entreprises, l’État et les familles existent déjà. Finissons-en avec l’hypocrisie !
En outre, la mise en œuvre des dispositions de cette proposition de loi obligera l’employeur à évoquer l’adaptation des conditions et horaires de travail avec l’intéressée à son retour de congé de maternité. Est aussi prévu le maintien intégral du salaire, qui dépend aujourd’hui du contenu des conventions collectives, aucune obligation légale n’existant en la matière.
La situation des femmes qui exercent des professions non salariées – chefs d’entreprise, artisans, conjoints collaborateurs – est également prise en compte. Afin de leur permettre de mener à bien leur maternité, la proposition de loi prévoit pour elles le bénéfice d’un congé rémunéré tenant compte de leur nécessaire remplacement au sein de l’entreprise. C’est une question de justice envers ces femmes, qui doivent pouvoir vivre pleinement cette période, sans éprouver de culpabilité.
Enfin, cette proposition de loi aborde un point essentiel, la présence du père à la naissance de l’enfant. La création du congé de paternité en 2001 par Ségolène Royal, alors ministre déléguée à la famille et à l’enfance, a constitué un pas décisif en la matière. Le bénéfice de ce congé permet le développement du sentiment de paternité et l’implication du père dans le partage des tâches. En effet, nous le savons, l’absence de partage des responsabilités familiales et du travail domestique handicape les femmes et engendre des inégalités sur le marché du travail.
Malheureusement, seulement deux tiers des pères prennent un congé de paternité. On peut voir dans cet état de choses la persistance de stéréotypes dans la définition des rôles parentaux. La proposition de loi vise donc à mieux impliquer le père par l’instauration d’un congé de paternité de quatorze jours consécutifs, rebaptisé « congé d’accueil de l’enfant ». Pour en bénéficier, la personne concernée devra vivre maritalement avec la mère, quel que soit son statut juridique : mari, partenaire de PACS ou concubin.
Ce texte contribue à l’évolution de notre législation pour l’adapter aux réalités actuelles des familles. C’est un premier pas, dans l’attente d’une politique plus globale et plus volontariste en matière de congé parental d’éducation, lequel est pour l’heure très peu demandé par les hommes, en raison de la baisse de rémunération qu’il implique. Aujourd’hui, le père n’est plus seulement le symbole de l’autorité au sein de la famille, il participe désormais, au même titre que la mère, à la prise en charge de tous les aspects du quotidien. Beaucoup de ceux que l’on qualifie de « nouveaux pères » s’investissent, dès les premiers jours, dans les soins apportés aux enfants ; il faut les encourager à aller plus loin.
La France pourrait proposer à tous les couples un dispositif s’inspirant du modèle suédois, où le congé parental de seize mois est mieux rémunéré que chez nous et divisé entre les deux parents, afin d’encourager le partage de l’éducation des enfants. C’est essentiel pour favoriser l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, mais c’est surtout bénéfique pour l’épanouissement de l’enfant. Il faut aussi développer les modes de garde, car le manque de structures d’accueil pour les enfants non scolarisés est patent dans notre pays. Il reste donc encore beaucoup à faire !
Dans l’immédiat, nous vous proposons, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi. Elle représente un progrès pour la santé des femmes et constitue un premier pas vers une politique familiale plus ambitieuse. Aujourd’hui, la France affiche un taux élevé de fécondité ; nous nous en réjouissons, car les enfants sont une richesse pour notre pays. Il faut témoigner de la considération et de l’estime aux futures mères qui parviennent à concilier vie familiale et vie professionnelle. Si l’on veut que les femmes continuent à devenir des mères, encourageons-les en améliorant leurs conditions de vie.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Sourires
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il s’agit aujourd’hui d’évoquer la modernisation d’un des éléments clés de notre politique familiale, à savoir le congé de maternité.
Je suis particulièrement heureux de m’exprimer dans cet hémicycle, en tant qu’homme, …
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Personne n’est parfait !
Sourires.
… sur une question qui touche tant aux évolutions de notre société qu’à la place que nous souhaitons donner à la femme au sein de celle-ci.
Je veux avant tout saluer l’initiative de notre rapporteur, Claire-Lise Campion, et les avancées que permet la proposition de loi qu’elle a déposée. Son contenu, qui répond aux préoccupations de nombre de jeunes couples, est tout à la fois moderne et utile.
Toutefois, le texte dont nous débattons aujourd’hui montre aussi qu’un long chemin reste à parcourir avant de parvenir à une égalité réelle entre les hommes et les femmes.
Comme la plupart des orateurs qui m’ont précédé l’ont indiqué, notre débat s’inscrit dans le cadre d’un processus européen visant à harmoniser les législations nationales par le haut. Il s’agit d’une situation suffisamment rare pour n’être pas soulignée : en effet, les directives européennes sont souvent considérées, à tort ou à raison, comme marquant un recul par rapport à notre modèle français.
C’est pourquoi je me réjouis pleinement de l’adoption par le Parlement européen, le 23 février 2010, d’un rapport invitant les pays membres à instituer un congé de maternité d’une durée de vingt semaines au minimum.
De la même façon, je me félicite de l’adoption, le 8 mars 2010, de la directive relative au congé parental, qui porte de trois à quatre mois la durée de ce dernier, pose le principe d’un mois non transférable entre parents et prévoit une négociation obligatoire avec l’employeur portant sur l’aménagement des horaires de travail au retour du congé parental.
La présente proposition de loi s’inscrit dans la lignée de ces initiatives européennes.
Pour écarter d’emblée l’un des arguments avancés contre elle, j’aborderai la question du coût et du financement de son dispositif.
Les projections du ministère du travail, de l’emploi et de la santé évaluent entre 250 millions et 350 millions d’euros le coût de l’allongement à dix-huit semaines du congé de maternité. Quant à l’allongement conjoint du congé de maternité et du congé de paternité, il coûterait environ 550 millions d’euros.
Je rappelle, pour comparaison, que la baisse du taux de la taxe sur la valeur ajoutée dans le secteur de la restauration représente pour sa part une dépense fiscale de 3 milliards d’euros, pour le résultat que l’on sait…
La question du financement de l’allongement du congé de maternité relève donc d’un choix politique fort et assumé, car il est des dépenses qui représentent des investissements pour l’avenir : c’est le cas de celles qu’entraînera la mise en œuvre de notre proposition de loi.
Certes, notre politique familiale est volontariste, puisque, comme Mme la ministre l’a rappelé tout à l’heure, notre pays lui consacre une part non négligeable de son PIB et se situe sur ce plan au troisième rang des pays de l’OCDE. Nous bénéficions en outre de l’un des meilleurs taux de fécondité européens, avec 2, 02 enfants par femme.
Depuis plusieurs années, cependant, les modes de vie et les attentes de nos concitoyens évoluent : la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle est au cœur de leurs préoccupations. Toutes les enquêtes, en particulier celle de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, montrent que le congé de maternité est jugé insuffisant par les mères : 84 % d’entre elles souhaiteraient s’arrêter de travailler plus longtemps à la naissance d’un enfant.
À juste titre, les femmes souhaitent avoir des enfants sans pour autant renoncer à leur carrière professionnelle. Un chiffre, à cet égard, doit nous interpeller : entre 25 et 49 ans, c’est-à-dire dans la tranche d’âge où l’activité professionnelle est le plus fréquente, une femme sur cinq est inactive. En outre, ce sont les femmes les moins qualifiées et disposant des ressources les plus faibles qui sont le plus souvent écartées du marché du travail. Remarquons également que, pour de multiples raisons, l’âge de la maternité ne cesse de reculer : désormais, les femmes deviennent mères pour la première fois après 30 ans.
Aussi l’article 1er de notre proposition de loi prévoit-il un allongement de seize à vingt semaines de la durée du congé de maternité. J’observe d’ailleurs – cela a déjà été rappelé – que la très grande majorité des femmes s’arrêtent de travailler plus longtemps que la durée légale de seize semaines, soit qu’elles se soient vu reconnaître un état pathologique lié à leur grossesse, soit qu’elles prennent un congé supplémentaire après la naissance de leur enfant.
Il me paraît donc tout à fait judicieux de mettre notre législation en adéquation avec les aspirations des couples et les besoins des enfants.
Allonger la durée du congé de maternité présente aussi l’avantage, en facilitant l’installation de l’allaitement maternel, d’encourager la prolongation de celui-ci. En effet, six semaines au moins après la naissance sont nécessaires pour bien installer l’allaitement maternel. Or c’est précisément à cette période que la mère commence à penser à la reprise de son activité professionnelle et envisage dans cette perspective un sevrage la dixième semaine. C’est pourquoi l’Association française de pédiatrie ambulatoire est favorable à l’allongement de la durée du congé de maternité.
Alors que la crise économique frappe les Français de toutes catégories, il est difficile d’admettre que de jeunes mères de famille puissent, aujourd’hui encore, être pénalisées financièrement en prenant un congé de maternité, quand leurs employeurs ne sont pas tenus contractuellement de maintenir intégralement leur salaire. L’article 4 de notre proposition de loi vise donc à garantir le maintien de l’intégralité du salaire pendant le congé de maternité.
Il est temps de remédier aux trop nombreuses inégalités qui subsistent : toutes les mères, qu’elles soient ou non salariées, doivent être traitées de la même façon. En effet, en France, le congé de maternité ne va pas forcément de soi. Je tiens, à la suite de ma collègue Annie David, à relayer dans cet hémicycle l’appel du collectif « Les Matermittentes », qui dénonce l’inégalité de traitement dont sont victimes les femmes relevant du régime des intermittents : pour l’ouverture du bénéfice des indemnités de congé de maternité, la caisse primaire d’assurance maladie exige qu’elles réunissent les mêmes conditions que les femmes titulaires d’un CDI.
L’article 5 de notre proposition de loi vise à lutter contre les injustices statutaires qui demeurent entre les différentes catégories de salariées, entre salariées et non-salariées.
L’article 6 prévoit la création d’un congé d’accueil de l’enfant d’une durée de deux semaines, afin de permettre au père, au conjoint ou à la personne vivant maritalement ou ayant conclu un PACS avec la mère d’être présent auprès de celle-ci et de l’enfant : la législation doit en effet évoluer et faire référence non plus à un congé de paternité, mais à un congé d’accueil de l’enfant ouvert à l’ensemble des familles, dans toute leur diversité.
J’ajoute enfin que notre débat d’aujourd’hui ne peut pas ignorer la question de l’offre en matière d’accueil de la petite enfance. À quoi servirait-il, en effet, de favoriser la reprise du travail et de s’attacher à permettre une meilleure conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle si aucune politique ambitieuse n’était menée dans le domaine de l’accueil de la petite enfance ? Je rappelle que la création d’un service public de la petite enfance était une promesse du candidat Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle de 2007…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.
Or nous sommes aujourd’hui très loin des 400 000 places de crèche qui furent alors promises, et même des 200 000 places annoncées pour 2012, c’est-à-dire pour l’année prochaine… Le débat sur la petite enfance que nous avons eu la semaine dernière a permis de mettre clairement en évidence cette pénurie.
Cette proposition de loi, mes chers collègues, nous permet de faire progresser les droits des femmes, d’améliorer la protection de leur santé, de promouvoir l’égalité et d’instaurer un meilleur équilibre entre les parents au sein de la famille.
Chacun se déclare favorable à l’égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines : professionnel, salarial et familial. Ce texte est par conséquent bienvenu : pourquoi remettre à demain ce que nous pouvons faire aujourd’hui ?
Aussi est-ce avec enthousiasme, conviction et détermination que je voterai cette proposition de loi et que je vous invite à faire de même, mes chers collègues : car, comme l’a si bien chanté Jean Ferrat, la femme est l’avenir de l’homme !
Je souhaite remercier tous les participants à cet important débat de la qualité de leurs interventions. Ils ont su, autant qu’il était possible, refuser la polémique.
J’observe que certains pays européens ont été cités en exemple en matière de congé de maternité, notamment par Mmes David et Printz. Il me semble nécessaire d’apporter certaines précisions, pour montrer la difficulté d’établir des comparaisons.
Ainsi, on a vanté le modèle slovaque. Certes, le congé de maternité est de vingt-huit semaines en Slovaquie, mais on oublie d’ajouter qu’il est rémunéré à hauteur de 55 % d’un salaire plafonné à un niveau extrêmement bas…
Par conséquent, comparaison n’est pas raison. Il est important de prendre en compte, outre la durée du congé de maternité, le niveau de son indemnisation. Les comparaisons doivent également intégrer la notion de rang de naissance, qui n’a jamais été abordée par aucun orateur au cours de cette discussion. Or, en France, le congé de maternité est porté à vingt-six semaines à partir de la troisième naissance…
Qu’en est-il, par ailleurs, du congé pour grossesse pathologique, d’une durée de deux semaines, qui concerne 70 % des femmes dans notre pays, même si l’on peut penser que les grossesses pathologiques ne sont pas à ce point répandues ? Quoi qu’il en soit, dans les faits, le congé de maternité est d’ores et déjà de dix-huit semaines pour 70 % des Françaises ; ce point n’a été évoqué à aucun moment.
Reconnaissez-donc que la durée du congé de maternité n’est pas suffisante !
J’ajoute que, dans certains pays, l’octroi d’un congé de maternité particulièrement long peut être considéré comme un moyen d’éloigner délibérément les femmes du marché du travail. Un tel objectif est même parfois publiquement revendiqué par des pays tels que la Bulgarie, où le congé de maternité peut atteindre cinquante-huit semaines, ou par des partis politiques qui militent en faveur du retour des femmes à la maison. À cet égard, je vous renvoie aux débats du Parlement européen sur l’allongement du congé de maternité.
Pour établir des comparaisons, il faut enfin tenir compte de l’existence ou non d’un congé de paternité.
L’ensemble de ces éléments doivent être versés au débat, ce qui n’a nullement été le cas jusqu’à présent.
Cela étant dit, je souscris pleinement aux remarques de Mme Bruguière, qui a souligné la nécessité de procéder à une large concertation, ainsi qu’aux observations formulées par Mmes Cros et Laborde, qui, tout en approuvant la philosophie du texte, ont estimé que la réflexion devait être beaucoup approfondie…
Je le redis, la politique familiale ne se résume pas au congé de maternité. La France est le pays européen qui y consacre le plus de moyens. Soutenir les couples dans leur démarche parentale relève d’une politique globale. Avec 600 milliards d’euros de dépenses sociales, nous battons tous les records des pays développés – et c’est une chance. Nous avons la politique sociale la plus ambitieuse, et notre politique familiale représente un effort deux fois supérieur à la moyenne des pays les plus riches. Par exemple, depuis le début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, nous avons créé 200 000 nouvelles places pour l’accueil des jeunes enfants : c’est là un effort considérable, consenti en dépit de la crise particulièrement sévère qui affecte les finances publiques. Ces chiffres doivent aussi être versés à notre débat.
En conclusion, l’examen de ce dossier mérite d’être approfondi et la problématique soulevée doit être articulée avec l’ensemble de nos politiques sociales, qu’elles soient nationales ou territorialisées. Je remercie Mme Campion de son initiative, mais je ne peux approuver le texte en l’état.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
Le premier alinéa de l’article L. 1225-17 du code du travail est ainsi rédigé :
« La salariée a le droit de bénéficier d’un congé de maternité de vingt semaines qui commence sept semaines avant la date présumée de l’accouchement. »
L'amendement n° 6, présenté par Mme Cros et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer le mot :
vingt
par le mot :
dix-huit
La parole est à Mme Roselle Cros.
Cet amendement a pour objet de fixer la durée du congé de maternité à dix-huit semaines, au lieu de vingt comme le prévoit la proposition de loi.
Cela permettrait d’aider les familles, en particulier les mères, et de mettre par anticipation notre législation en conformité avec les prescriptions européennes, sans aller jusqu’à porter le congé de maternité à vingt semaines, durée qui nous paraît excessive, comme je l’ai indiqué au cours de la discussion générale. Il s’agirait, en quelque sorte, d’une première étape.
La commission des affaires sociales ayant souhaité que le débat sur l’allongement de la durée du congé de maternité se tienne en séance plénière, elle a émis, ce matin, un avis de sagesse sur l’amendement de notre collègue.
À titre personnel, j’estime que cette proposition de nos collègues du groupe de l’Union centriste représente une première avancée dans la bonne direction, même si elle est moins ambitieuse que celle que nous avons formulée au travers de la proposition de loi. De ce fait, elle constitue une solution de compromis, sachant que notre volonté commune est de mieux protéger la santé et la sécurité de la mère et de l’enfant et de permettre à celle-ci de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale.
J’ajoute que la proposition de nos collègues est cohérente avec la position affirmée dès 2009 par la commission des affaires sociales et avec celle de la France, qui, dans le cadre des négociations européennes sur la proposition de directive, s’est déclarée ouverte à un allongement de deux semaines de la durée légale du congé de maternité.
Madame Cros, pour les raisons que j’ai exposées tout à l'heure, je vous demanderai de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Lors du dernier Conseil EPSCO, j’ai indiqué que la France accepterait un allongement de la durée du congé de maternité à dix-huit semaines dès lors qu’une telle mesure serait préconisée par les instances européennes, en ajoutant que, d’ici là, nous examinerions un certain nombre de questions qui demeurent pendantes, s’agissant en particulier du congé pour grossesse pathologique : ce congé de deux semaines, qui ne peut être pris qu’avant l'accouchement, s'ajoutera-t-il ou non au congé de maternité ? Des difficultés techniques doivent encore être levées, ce que ne permet pas la discussion de cette proposition de loi.
J'entends bien votre argumentation, madame le ministre, mais, comme je l'ai indiqué lors de la discussion générale, cet article 1er ne fait pas à lui seul une loi.
Je maintiens mon amendement, ne serait-ce que pour vérifier qu’il n’y a pas d’opposition de principe, dans cette assemblée, à un allongement de la durée du congé de maternité.
La proposition de nos collègues représente certes une avancée par rapport à la législation actuelle, mais aussi un recul par rapport aux recommandations de l’Organisation internationale du travail et à la position adoptée par le Parlement européen, sur lesquelles se fonde notre proposition de loi.
La question fondamentale, on le voit bien, est celle du maintien ou non de la rémunération du congé de maternité. En effet, lors du débat au Conseil européen sur la durée de celui-ci, des pays comme la Hongrie, où ce congé est très long, mais n’est pas rémunéré, ne se sont pas opposés à une durée de vingt semaines, au contraire de l’Allemagne, de la Suède, du Danemark, du Royaume-Uni et d’autres pays encore, qui ont estimé que le maintien intégral du salaire deviendrait alors trop coûteux.
Toutefois, la plupart des délégations se sont déclarées disposées à accepter que le congé de maternité soit fixé à dix-huit semaines. Cette durée est déjà inscrite dans de très nombreuses législations nationales. De plus, les prescriptions médicales avant ou après l’accouchement conduisent à la retenir : dans la mesure où 70 % des femmes de notre pays bénéficient de deux semaines de congé pour grossesse pathologique, cet allongement ne ferait qu’entériner la pratique la plus courante. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une telle mesure n’aboutirait pas, comme certains le craignent, à éloigner plus longtemps qu’aujourd’hui les femmes du monde du travail.
En adoptant cet amendement, le Sénat signifiera donc sa volonté que la loi rejoigne, en quelque sorte, la réalité. La commission des affaires sociales s’était déjà prononcée en faveur d’un congé de maternité de dix-huit semaines en 2009, lors du débat sur la proposition de résolution européenne. Cela correspond aussi à la position de la France dans le débat européen actuel.
A contrario, si cet amendement n’est pas voté, nous resterons clairement en deçà de la réalité, ce qui serait regrettable de la part du législateur.
En l’état actuel du débat, porter la durée du congé de maternité constitue donc un compromis acceptable par beaucoup. À nos yeux, il ne s’agit cependant que d’une solution d’attente.
En tout état de cause, soucieux de faire progresser les droits des femmes, le groupe socialiste votera cet amendement.
Dans un premier temps, nous n’étions guère favorables à cet amendement, qui marque un recul par rapport au texte de la proposition de loi. Pour notre part, nous souhaitons que la durée du congé de maternité soit portée à vingt semaines.
Comme vient de le dire M. Kerdraon, l’amendement de nos collègues du groupe de l’Union centriste représente une solution d’attente. Allonger de deux semaines le congé de maternité serait un premier pas dans la bonne direction.
J'ai bien entendu vos arguments relatifs à la prise en compte du congé de deux semaines pour grossesse pathologique, madame la ministre. Puisque celui-ci n’est pas remis en cause et qu’il concerne, comme vous l’avez dit, 70 % des femmes, la durée effective de l’arrêt d’activité sera, le plus souvent, de vingt semaines.
À ce propos, madame la ministre, vous semblez estimer que l’octroi d’un congé pour grossesse pathologique ne répond pas toujours à une réelle nécessité. Pour ma part, je ne considère pas qu’il s’agisse d’un congé de confort.
Vous n’avez pas employé ces termes, je vous l’accorde, mais vous avez indiqué que les femmes qui bénéficient de ce congé ne vivent pas toutes une grossesse difficile. Or, en tant qu’ancienne ministre de la santé, vous êtes bien placée pour savoir que les médecins ne peuvent pas accorder aux femmes enceintes des congés pour grossesse pathologique comme bon leur semble. Eux aussi ont des comptes à rendre !
Même si c’est avec un peu d’amertume, dans la mesure où nous aurions préféré que la durée du congé de maternité soit portée dès aujourd’hui à vingt semaines, nous voterons cet amendement d'attente.
Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Procaccia et Dini, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
Le deuxième alinéa du même article est ainsi rédigé :
« Sous réserve d'un avis motivé du professionnel de santé qui suit la grossesse, la salariée choisit elle-même la répartition des périodes de suspension de son contrat de travail avant et après la date présumée de son accouchement. Elle reporte obligatoirement sur la personne mentionnée à l'article L. 1225–35 le bénéfice des quatre dernières semaines de son congé postnatal. »
La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Cet amendement a un double objet.
En premier lieu, il porte sur la répartition du congé de maternité entre période prénatale et période postnatale.
La lecture du code du travail donne à penser que la grossesse serait une maladie. Bien sûr, tel n'est pas le cas, et l’on ne peut pas faire de généralisation : si certaines grossesses sont difficiles, d'autres se passent très bien.
En outre, certains emplois sont moins pénibles que d’autres, et les femmes qui les tiennent pourraient rester au travail quasiment jusqu’au jour de l’accouchement si elles en avaient l’envie et la possibilité. Un certain nombre de femmes, plutôt que de cesser le travail six semaines avant la date présumée de leur accouchement, conformément au code du travail, préféreraient bénéficier d’une certaine souplesse en la matière et pouvoir s'arrêter une, deux ou trois semaines plus tard.
Dans cet esprit, cet amendement vise à laisser le soin à la femme enceinte, et à elle seule, de déterminer la répartition de son congé de maternité avant et après l’accouchement, dont la date n’est d’ailleurs connue à l’avance qu’approximativement.
Seul le médecin qui suit la grossesse pourra imposer à la salariée de cesser de travailler s’il estime que des raisons de santé le justifient. Sous cette réserve, il n’appartiendra à personne d’autre qu’à la femme enceinte de décider du moment où elle arrêtera de travailler.
En second lieu, cet amendement vise à organiser le report automatique sur le père des semaines supplémentaires de congé de maternité prévues, afin en quelque sorte de rétablir en partie l’équilibre entre hommes et femmes aux yeux des employeurs. En effet, à l’heure actuelle, certains d’entre eux hésitent à embaucher des femmes, anticipant une éventuelle maternité. Il en résulte une discrimination à l’encontre des femmes, qu’une répartition du congé de maternité entre le père et la mère permettrait de combattre. Il s’agit donc ici d’une mesure d’égalité.
Monsieur le président, afin de tenir compte de l’adoption de l’amendement n° 6, je rectifie le présent amendement en remplaçant les mots : « quatre semaines » par les mots : « deux semaines ».
Je suis donc saisi d’un amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Mmes Procaccia et Dini, et ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
Le deuxième alinéa du même article est ainsi rédigé :
« Sous réserve d'un avis motivé du professionnel de santé qui suit la grossesse, la salariée choisit elle-même la répartition des périodes de suspension de son contrat de travail avant et après la date présumée de son accouchement. Elle reporte obligatoirement sur la personne mentionnée à l'article L. 1225–35 le bénéfice des deux dernières semaines de son congé postnatal. »
Quel est l’avis de la commission ?
Cet amendement vise donc à poser le principe du libre choix, par la salariée, de la répartition de son congé de maternité entre périodes prénatale et période postnatale. Il tend en outre à organiser le report automatique sur le père des deux semaines supplémentaires de congé de maternité prévues.
Bien que la commission souscrive à l’objectif de réduction des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes affirmé par Mme Procaccia, elle a estimé que l’adoption de cet amendement risquerait de créer une certaine confusion entre congé de maternité et congé de paternité. C’est pourquoi elle a émis un avis défavorable.
Il convient de bien distinguer le congé de maternité, qui a pour vocation de permettre à la mère de se rétablir sur les plans physique et psychologique, du congé de paternité, qui répond à d’autres motivations.
C'est à mon sens dans le cadre d’une autre discussion, portant par exemple sur le congé parental d'éducation, que nous pourrions envisager une meilleure répartition entre le père et la mère des congés liés à la naissance d’un enfant, de manière à réduire les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, objectif auquel, je le répète, nous souscrivons tous.
Le Gouvernement étant opposé à l’adoption de l'article 1er, il ne saurait être favorable à un amendement portant sur celui-ci. Cela étant, je souhaite répondre sur le fond à Mme Procaccia.
Laisser aux salariées le soin de déterminer la répartition de la période de suspension de leur contrat de travail avant et après l’accouchement ne va pas de soi.
La protection de la maternité est un des dispositifs les plus anciens de notre législation du travail. L’interdiction d’emploi de huit semaines avant et après l’accouchement, dont au moins six semaines après, en fait partie.
Le congé de maternité peut débuter entre six et trois semaines avant la date présumée de l’accouchement. Notre législation offre donc déjà une certaine souplesse, mais cette souplesse est encadrée, pour éviter que les salariées ne subissent des pressions de la part de leur employeur : l’interdiction d’emploi doit rester absolue.
Une suppression de toute période d’interdiction d’emploi avant l’accouchement ne pourrait se justifier que dans des cas rarissimes. La réflexion doit être poursuivie sur cette question, en ayant pour objectif de concilier au mieux la liberté de choix de la salariée et la protection de la maternité.
Madame Procaccia, vous souhaitez en outre que les deux semaines de congé de maternité supplémentaires soient reportées sur le père : cela n’est pas acceptable dans le cadre de la législation actuelle.
Cet amendement soulève donc de nombreuses difficultés de nature technique, mais surtout de principe. Accorder une telle liberté serait faire un mauvais cadeau aux femmes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourquoi ne pas demander au bébé de fixer la répartition du congé de maternité ?
Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.
Je suis résolument hostile à la mesure de libéralisation proposée par les auteurs de l’amendement n° 1 rectifié bis. C’est le syndrome people : chacun doit pouvoir faire ce qu’il veut. Le problème est que toutes les femmes ne sont pas des people…
Je considère pour ma part que le législateur doit assurer aux femmes et aux enfants une protection absolue de leur santé.
Très souvent, dans la mesure où leur santé le permet, les femmes souhaitent réduire le congé prénatal pour prolonger le congé postnatal, eu égard aux difficultés qu’elles rencontrent pour faire garder leur jeune enfant et aux réticences qu’elles éprouvent à confier très tôt celui-ci à une structure d’accueil. Elles préfèrent donc rester avec leur nouveau-né le plus longtemps possible, ce qui plaide en faveur de l’allongement du congé de maternité.
Cela étant, si l’on laisse à la seule salariée le soin de répartir son congé de maternité avant et après l’accouchement, l’employeur risquera d’influencer sa décision, notamment pour l’inciter à cesser son activité le plus tard possible, sachant que peut-être elle ne reprendra pas son emploi après la naissance…
C’est là une mesure pro-patronat, visant les cadres de direction, qui va à l’encontre de la protection de la maternité.
En outre, on sait très bien que ne pas cesser l’activité professionnelle suffisamment longtemps avant la naissance favorise les accouchements prématurés, notamment chez les femmes qui effectuent de longs trajets pour se rendre sur leur lieu de travail. J’ajoute que cela a un coût pour la sécurité sociale, argument que vous devriez prendre en compte, vous qui êtes obnubilés par la réduction de la dépense publique !
Il est tout à fait illusoire d’invoquer la liberté des femmes en la matière, car une telle mesure ne profiterait qu’à un très petit nombre d’entre elles, appartenant à certaines catégories bien précises. Madame Procaccia, je vais à mon tour citer les paroles d’une chanson de Jean Ferrat : « Ma môme, elle joue pas les starlettes », comme certaines femmes qui font la une des journaux people, « elle travaille en usine à Créteil. » Les femmes qui travaillent debout toute la journée, en usine ou à Carrefour, n’ont aucune envie qu’on les pousse à rester à leur poste jusqu’au jour de leur accouchement ! §
Mme Procaccia souhaite donc que la future mère choisisse librement la répartition de son congé de maternité, mais je crains que l’employeur n’exerce des pressions pour influer sur ce choix…
Je considère que trop de femmes sont déjà suffisamment confrontées à des situations de non-choix en matière de congé de maternité : que l’on songe aux agricultrices, aux femmes qui exercent une profession libérale. Il me paraît donc souhaitable de laisser les femmes qui ne se trouvent pas dans de telles situations profiter de leur congé de maternité.
Par ailleurs, si la grossesse n’est certes pas une maladie, les femmes ne sont pas toutes égales, sur le plan de la santé ou sur celui des conditions de travail.
Je voterai contre cet amendement.
Outre les objections de fond qui lui ont été opposées, cet amendement, comme l’a souligné Mme la ministre, pose des difficultés techniques et ne relève d’ailleurs pas vraiment de la proposition de loi. C’est pourquoi le groupe socialiste ne le votera pas.
Madame Borvo Cohen-Seat, vous avez tenu des propos caricaturaux ! J’évoque la liberté de la femme, vous répondez : amendement pro-patronat ! Il ne s’agit pas du tout de cela, et je ne pense pas que mes collègues de la commission des affaires sociales aient perçu mon amendement de cette façon !
Alors seulement ceux qui appartiennent à votre groupe, ma chère collègue !
En termes de protection des salariées – l’amendement ne vise pas les femmes exerçant une profession libérale ou indépendante –, les huit semaines d’interdiction d’emploi demeurent.
Cette notion de liberté de choix que je défends a quelque peu progressé grâce aux dispositions qui ont été introduites dans le code du travail voilà trois ou quatre ans. Le temps est venu, me semble-t-il, d’aller un peu plus loin, tout en maintenant des protections pour les futures mères.
Cela étant, ma conviction n’étant manifestement pas partagée, je retire l’amendement.
L'amendement n° 1 rectifié bis est retiré.
La parole est à Mme la ministre.
L’article 1er, modifié par l’adoption de l’amendement n° 6, porte la durée du congé de maternité de seize à dix-huit semaines. Comme j’ai eu l’occasion de le redire devant le Conseil « Emploi et affaires sociales », le Gouvernement français acceptera, dans le cadre de l’harmonisation des politiques européennes, un tel allongement du congé de maternité.
Cependant, la présente discussion a permis de mettre en évidence que de nombreux points de nature technique méritaient d’être approfondis.
Au regard de l’harmonisation européenne, il convient de rappeler que les dispositions prévues par le Parlement européen concernent non seulement l’allongement du congé de maternité, mais également le déplafonnement des indemnités y afférentes. Or, sur ce second sujet, il existe une réelle divergence entre la position du Gouvernement français et celle du Parlement européen.
Dans notre pays, l’indemnisation du congé de maternité est plafonnée à hauteur d’environ 3 000 euros par mois, mais, de fait, le salaire est intégralement maintenu dans la plupart des entreprises et des branches. Or la mise en œuvre du dispositif élaboré par le Parlement européen reviendrait à faire supporter par nos organismes de protection sociale des dépenses qui sont actuellement prises en charge par les entreprises. Il y a là une vraie difficulté. En l’état, nous ne pouvons pas nous rallier à la position du Parlement européen. Un travail considérable de concertation et d’harmonisation reste à accomplir à l’échelon européen ; les discussions sont en cours avec la Commission européenne.
Par ailleurs, je le répète, des difficultés d’ordre technique doivent être levées. Ainsi, la question de la prise en compte ou non, au titre du congé de maternité, des deux semaines de congé pour grossesse pathologique n’a pas été abordée au cours de ce débat. Je rappelle que 70 % des femmes en bénéficient aujourd’hui. Bien d’autres points doivent également être approfondis.
Pour ces motifs, je demande au Sénat de voter contre l’article 1er.
La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l'article.
Notre groupe votera, bien évidemment, l’article 1er.
On s’accorde à dire que, dans les faits, la durée du congé de maternité est déjà de dix-huit semaines, compte tenu des deux semaines de congé pour grossesse pathologique. Cependant, toutes les femmes ne bénéficient pas de celui-ci, et le code du travail dispose bien que le congé de maternité est de seize semaines.
L’adoption de l’article 1er manifesterait donc la volonté du législateur d’accorder de nouveaux droits aux femmes. On entend beaucoup de belles promesses et de grandes déclarations sur ce sujet, mais les actes ne suivent pas !
Je le rappelle, la commission des affaires sociales a déjà adopté le principe d’un congé de maternité de dix-huit semaines. L’adoption de l’amendement du groupe de l’Union centriste, visant à porter la durée du congé de maternité à dix-huit semaines, au lieu de vingt, devrait permettre au Sénat de voter l’article 1er. Si pour certaines femmes les choses se passent bien, la mission sur le mal-être au travail créée par la commission des affaires sociales a mis en évidence une dégradation des conditions de travail. Dans certaines entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, celles-ci sont devenues à ce point détestables qu’elles affectent même la santé des salariés. Ce phénomène touche l’ensemble de la société.
Avec l’allongement du congé de maternité, les femmes voudraient le beurre et l’argent du beurre, comme nous l’avons entendu dire ce matin en commission. Selon certains, elles devraient s’estimer heureuses de leur sort et ne pas demander plus ! Or les femmes n’ont pas à accepter des conditions de travail qui sont parfois insupportables ! Nous voterons l’article 1er, même s’il ne va pas aussi loin que nous l’aurions souhaité.
Ce n’est pas un secret : nous sommes partisans d’un congé de maternité de vingt semaines. Contre mauvaise fortune, nous allons donc faire bon cœur…
On ne peut pas indéfiniment tenir des discours sur l’égalité entre les hommes et les femmes et se défiler le jour où l’on est mis au pied du mur.
Le compromis qui nous est proposé cet après-midi, je l’ai dit tout à l’heure, revient à pratiquer la politique des petits pas. Reste qu’il faut d’abord mettre celle-ci en œuvre ; ensuite, nous aviserons.
Ne nous cachons pas derrière des arguties sémantiques ou techniques pour éviter de faire progresser les droits des femmes et l’égalité entre les hommes et les femmes ; donnons toute leur place aux femmes dans la société !
L’adoption de cet article important représenterait un signal très fort donné en direction de celles et de ceux qui attendent que la durée du congé de maternité progresse vers les vingt semaines. Par conséquent, nous le voterons.
L'article 1 er n’est pas adopté.
Par pure bonté d’âme, je signale à la Haute Assemblée que l’article 1er ne visait que le premier alinéa de l’article L. 1225-17 du code du travail. Ce texte a été rédigé de telle sorte que la référence au code de la sécurité sociale a été omise, ce qui rendait le dispositif inopérant.
La charge du financement aurait en effet intégralement porté sur les entreprises.
L'article L. 1225-27 du même code est complété par les mots :
« et de l'adaptation de ses conditions et horaires de travail ».
L'article 2 n’est pas adopté.
L'amendement n° 4, présenté par Mmes Campion et Printz, M. Kerdraon, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Alquier, Demontès, Ghali, Schillinger et San Vicente-Baudrin, MM. Cazeau, Daudigny, Desessard, Gillot, Godefroy, Jeannerot, S. Larcher, Le Menn, Teulade et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article L. 1225-9 du code du travail, les mots : « sur sa demande » sont supprimés.
La parole est à Mme Gisèle Printz.
Aux termes de l’article L. 1225-9 du code du travail, une femme en état de grossesse médicalement constaté ou ayant accouché, qui travaille de nuit, est affectée sur sa demande à un poste de jour pendant la durée de sa grossesse et pendant la période du congé postnatal.
Cette rédaction pose deux problèmes.
Tout d’abord, combien de femmes dans les entreprises savent-elles qu’elles peuvent bénéficier de cette disposition ? Surtout, combien d’entre elles savent-elles qu’elles doivent déposer une demande auprès de la direction de l’entreprise pour en bénéficier ?
Il est donc tout à fait possible que, n’ayant pas déposé de demande, des femmes enceintes ou ayant accouché travaillant la nuit ne soient pas affectées à un travail de jour, ce qui peut avoir un effet négatif sur leur santé et sur celle de l’enfant. Nous proposons donc que l’affectation à un poste de jour soit automatique afin d’éviter cet inconvénient. Une telle mesure permettrait de mettre un terme à la disparité entre celles qui sont informées, souvent dans les grandes entreprises dotées d’un service de santé et d’une présence syndicale, et celles qui ne le sont pas.
Ensuite, certains nous objectent que les postes de nuit sont souvent mieux rémunérés que les postes de jour.
Cette situation conduirait les jeunes femmes enceintes à ne pas déposer de demande afin de continuer à bénéficier de cet avantage financier pourtant souvent fort mince.
Il est bien évident que cet argument n’est pas recevable au regard des impératifs de santé de la mère et de l’enfant et de conciliation avec la vie de famille. En revanche, il pose la question du niveau des salaires et du développement de la précarité dont nombre de jeunes, notamment parmi les femmes, sont victimes, ce qui les conduit trop souvent à ne pas faire reconnaître leurs droits au détriment de leur situation et de celle de leur famille.
Voilà pourquoi nous proposons d’instaurer l’automaticité d’application du droit à un travail de jour pour les femmes enceintes ou ayant accouché.
La commission a émis un avis défavorable, malgré l’avis favorable du rapporteur.
L'amendement n'est pas adopté.
L’article L. 1225-29 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1225-29. – Il est interdit d’employer la salariée pendant une période de dix semaines au total avant et après son accouchement.
« Il est interdit d’employer la salariée dans les sept semaines qui suivent son accouchement. »
L'article 3 n’est pas adopté.
L'amendement n° 5, présenté par Mmes Campion et Printz, M. Kerdraon, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Alquier, Demontès, Ghali, Schillinger et San Vicente-Baudrin, MM. Cazeau, Daudigny, Desessard, Gillot, Godefroy, Jeannerot, S. Larcher, Le Menn, Teulade et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article L. 1225-4 du code du travail, les mots : « les quatre semaines » sont remplacés par les mots : « l’année ».
La parole est à M. Ronan Kerdraon.
Selon l’article L. 1225-4 du code du travail, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant le congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit à congé, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l’expiration de ces périodes.
Cet article dispose également que l’employeur peut toujours rompre le contrat pour faute grave, non liée à l’état de grossesse, ou en raison de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat ne peut être notifiée ou prendre effet qu’en dehors du congé de maternité.
L’extension à un an suivant la fin du congé de maternité de l’interdiction de licenciement a été adoptée, je le rappelle, le 16 avril 2009, par la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen. Ce vote faisait suite au rapport de la députée socialiste portugaise Edite Estrela sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil portant modification de la directive de 1992, qui aurait dû être révisée en 1997. Il était en accord avec la position de la Confédération européenne des syndicats, qui souhaitait offrir aux femmes les conditions requises pour leur permettre d’élever leurs enfants.
Notre amendement reprend cette proposition. Il ne s’agit donc pas, de notre part, d’une position isolée. Il s’agit de prendre en compte la situation des femmes, particulièrement celles qui élèvent seules leur enfant.
Je rappelle que les familles monoparentales sont les plus exposées, de très loin, à la pauvreté. Telle était la raison de la création de l’allocation de parent isolé, avant sa fusion avec le revenu de solidarité active. Cela consacrait la reconnaissance d’un dispositif d’aide nécessaire face à la montée du chômage pour ces jeunes mères.
La sécurité matérielle est la condition fondamentale, indispensable, pour assurer le déroulement dans de bonnes conditions des premières années de la vie de l’enfant. Le moyen d’assurer cette sécurité matérielle passe normalement par l’emploi. Elle permet à la mère, à toute la famille, de ne pas éprouver l’angoisse du lendemain et de vivre de manière épanouie la relation avec l’enfant.
Le développement du chômage et de la précarité doit donc conduire à envisager pour les mères de jeunes enfants un dispositif spécifique de protection en matière d’emploi afin de préserver leurs ressources.
La commission a émis un avis défavorable, malgré l’avis favorable du rapporteur.
L'amendement n'est pas adopté.
L’article L. 1225-24 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une indemnité compensatrice d’un montant équivalent à son salaire est assurée à la salariée durant la période définie à l’article L. 1225-17, au moyen d’une indemnité à la charge de l’employeur lorsque le salaire dépasse le plafond fixé par la sécurité sociale. »
L'article 4 n’est pas adopté.
Les femmes exerçant une activité non salariée bénéficient des mêmes droits à congé maternité que les salariées. L’assurance maladie, invalidité et maternité de leur profession prend en charge la couverture des frais exposés pour assurer leur remplacement à leurs fonctions, et le maintien de leur rémunération selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État, lorsqu’elles sont empêchées de les accomplir en raison de la maternité ou de l’arrivée à leur foyer d’un enfant confié en vue de son adoption par un service d’aide social à l’enfance ou par un organisme autorisé pour l’adoption.
L’allocation de remplacement leur est également accordée lorsqu’elles sont titulaires de l’agrément mentionné aux articles L. 225-2 ou L. 225-17 du code de l’action sociale et des familles lorsqu’elles adoptent ou accueillent un enfant en vue de son adoption par décision de l’autorité étrangère compétente, à condition que l’enfant ait été autorisé, à ce titre, à entrer sur le territoire français.
L'article 5 n’est pas adopté.
I. – L’article L. 1225-35 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 1225-35. – Après la naissance de l’enfant et dans un délai de quatre mois, le père, le conjoint, ou la personne vivant maritalement avec la mère de l’enfant ou ayant conclu avec elle un pacte civil de solidarité, bénéficie d’un congé d’accueil de l’enfant de quatorze jours consécutifs ou de vingt-et-un jours consécutifs en cas de naissances multiples.
« Le congé d’accueil de l’enfant entraîne la suspension du contrat de travail.
« Le salarié qui souhaite bénéficier du droit à ce congé avertit son employeur un mois avant la date à laquelle il envisage bénéficier de son droit. En cas de naissance prématurée, ce délai est ramené à cinq jours.
« La période de ce congé est considérée comme une période de travail effectif pour la détermination des droits que le salarié tient de son ancienneté.
« Durant cette période, une indemnité compensatrice d’un montant équivalent à son salaire est assurée au salarié, au moyen d’une indemnité à la charge de l’employeur lorsque le salaire dépasse le plafond fixé par la sécurité sociale. »
« L'employeur ne peut refuser le bénéfice de ce congé pour les personnes qui en font la demande. »
II. – 1. Au 5° de l’article L. 1142-3 et à L. 1225-36 du même code, les mots : « congé de paternité » sont remplacés par les mots : « congé d’accueil de l’enfant ».
2. L’intitulé de la section 2 du chapitre V du titre II du livre II de la première partie du même code est ainsi rédigé : « Congé d’accueil de l’enfant ».
III. – les deux premiers alinéas de l’article L. 331-8 du code de la sécurité sociale sont ainsi rédigés :
« Après la naissance de l’enfant, et dans un délai de trois mois, le père assuré, le conjoint assuré, la personne assurée vivant maritalement avec la mère de l’enfant ou ayant conclu avec elle un pacte civil de solidarité reçoit, pendant une durée maximale de quatorze jours consécutifs et dans les mêmes conditions d’ouverture de droit, de liquidation et de service, l’indemnité journalière visée à l’article L. 331-3, sous réserve de cesser toute activité salariale ou assimilée.
« En cas de naissances multiples, la durée maximale fixée au précédent alinéa est égale à vingt et un jours consécutifs. »
IV. – Dans le code de la sécurité sociale, les mots : « congé de paternité » sont remplacés par les mots : « congé d’accueil de l’enfant ».
La proposition de loi prétend rétablir une certaine égalité entre les hommes et les femmes pour mieux concilier vie familiale et activité professionnelle, comme nous l’a indiqué Mme le rapporteur, mais elle va à l’encontre de ces intentions à l’article 6.
Je signale que l’amendement que j’avais déposé sur cet article a été jugé irrecevable par la commission des finances. Or, lorsque l’on dépose un seul amendement de trois lignes ayant des incidences financières le dimanche soir et que l’on apprend son irrecevabilité le mardi suivant, j’estime que la commission des finances ne remplit pas sa fonction. La moindre des choses aurait été de m’informer plus tôt ! C’est la raison pour laquelle mon amendement sur l’article 1er était un peu complexe.
L’article 6, qui vise à créer un congé d’accueil de l’enfant au bénéfice du père de l’enfant ainsi que du conjoint de la mère et d’autres personnes, ne va pas dans le bon sens. Regardons ce qui ne fonctionne pas depuis quarante ans : plus on attribue des avantages à la mère de famille, plus elle se trouve défavorisée sur le plan professionnel. En outre, les pères ou les conjoints s’occupent toujours aussi peu de l’éducation des enfants et de la vie familiale.
Je proposais donc de faire autrement, en rendant obligatoires pour tous les hommes – j’y insiste – les quatre semaines de congé proposées par Claire-Lise Campion, qui sont devenues deux semaines, plus les onze jours de congé de paternité qui existent actuellement. Ainsi, quand une entreprise aurait embauché un homme, elle aurait su qu’il était susceptible de prendre un arrêt de six ou sept semaines, sans oublier qu’un homme peut être père à un âge avancé.
C’est en accordant des avantages au père que l’on rétablira l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et que l’on cessera cette discrimination.
Le procès-verbal fera foi de votre observation au sujet de l’article 40 de la Constitution. Je ne doute pas que le président Arthuis, en tant que gardien du temple – fonction dans laquelle il excelle –, répondra à votre interpellation sur un sujet qui agace nombre de parlementaires.
Je sors un court instant de mon rôle de président de séance pour rappeler que l’article 40 de la Constitution a pour objet de nous protéger du déficit. On voit à quel point il est efficace…
La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour explication de vote.
Je découvre avec ravissement que Mme Procaccia se heurte elle aussi à l’article 40 de la Constitution. Pourtant, lors de l’examen du projet de loi portant réforme des retraites, l’argument de l’irrecevabilité financière de nos amendements nous a été opposé à de nombreuses reprises sans que Mme Procaccia proteste.
La différence, c’est que vous aviez déposé huit cents amendements à l’époque ; moi, un seul sur le présent texte !
Oublions l’article 40 de la Constitution pour le moment et revenons à l’article 6 de la proposition de loi !
Dire qu’il faut accorder des droits supplémentaires aux hommes dans le monde du travail dépasse l’entendement.
Je rappelle que, à poste équivalent, la différence de salaires entre les femmes et les hommes est toujours de 27 % et que l’inégalité dépasse également l’entendement en matière de pensions de retraite. Quant au travail à temps partiel, les femmes auront fort à faire avant de rattraper les hommes.
Avant d’accorder des droits nouveaux aux hommes faisons d’abord en sorte que les hommes et les femmes aient les mêmes droits dans le monde du travail, ne serait-ce qu’en garantissant l’égalité salariale comme tente de le faire Claire-Lise Campion avec cet article. Indemnisons notamment à 100 % le congé de maternité, puisque c’est l’une des raisons qui expliquent l’inégalité que connaissent les femmes non seulement lorsqu’elles travaillent, mais aussi lorsqu’elles arrivent à l’âge de la retraite. Du coup, leur pension en pâtit.
Nous voulons, paraît-il, le beurre et l’argent du beurre. Pas du tout ! Nous voulons juste que les femmes soient traitées comme les hommes dans le monde du travail, qu’elles aient les mêmes droits, les mêmes salaires, les mêmes postes. Pour quelle raison les hommes sont-ils plus souvent choisis que les femmes dans le cadre des nominations ?
Hier après-midi, par exemple, nous avons assisté à une audition dans le cadre de la mission commune d’information sur le Pôle emploi. Nous nous sommes retrouvés face à une belle brochette ! Que des hommes, des directeurs aux présidents d’associations du secteur de la formation ! La parité a encore bien du chemin à faire.
Accorder des droits aux hommes, pourquoi pas ? Mais n’oublions pas qu’il est davantage question ici de l’amélioration des droits des travailleuses. §
L'article 6 n’est pas adopté.
La présente loi s’applique également aux femmes en congé maternité à la date de sa publication.
L'article 7 n’est pas adopté.
Les conséquences financières supplémentaires qui pourraient résulter pour les régimes de sécurité sociale de l’application de la présente proposition de loi sont compensées, à due concurrence, par le relèvement des droits sur les alcools prévus par les articles 402 bis et 403 du code général des impôts.
Mes chers collègues, je vous rappelle que si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les huit articles qui la composent auraient été rejetés. Aucune explication de vote sur l’ensemble du texte ne pourrait donc être admise...
La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour explication de vote.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, pour répondre à votre invitation, je vais expliquer mon vote sur l’article 8.
Sourires sur les travées du groupe socialiste.
Je regrette que l’initiative de Claire-Lise Campion d’allonger le congé de maternité n’ait pas trouvé suffisamment d’écho dans cet hémicycle.
Je vous ai écoutée avec beaucoup d’attention, madame la ministre. Chiche ! Retrouvons-nous dans trois ou quatre mois, le temps de mener les études adéquates et de mettre les textes en harmonie avec la législation européenne, afin que les femmes puissent enfin obtenir ce à quoi elles ont droit, à savoir l’égalité avec les hommes.
Je suis d’accord avec Annie David : accorder des droits supplémentaires aux hommes, pourquoi pas ? Mais examinons d’abord la situation actuelle et faisons preuve de pragmatisme. Comme Claire-Lise Campion, soyons modernes, utiles à la société française…
Madame la ministre, vous avez raison, cette proposition de loi comporte des imperfections. Comme vous l’avez fait remarquer, le dispositif tel qu’il avait été rédigé aurait fait peser le surcoût sur les entreprises.
Par définition, ce texte est issu de l’initiative d’un groupe parlementaire. Ce n’est pas un projet de loi ! Les parlementaires n’ont donc pas à leur disposition de nombreux collaborateurs susceptibles de les aider à rédiger au mieux leur proposition. La navette parlementaire aurait pu permettre d’améliorer la rédaction si vous aviez vraiment voulu allonger le congé de maternité. Vous auriez également pu amender le texte en séance publique pour corriger les erreurs juridiques qui auraient pu persister.
Nous vous offrions là une véritable occasion d’améliorer ensemble les conditions du droit au congé de maternité. Vous regretterez dans quelque temps de ne pas avoir saisi la perche qui vous était tendue. Si vous écoutez les femmes, vous verrez que l’augmentation du congé de maternité est une véritable demande de nombre d’entre elles dans notre pays et, au-delà, dans d’autres États européens. Si la France avait pu être de nouveau porteuse d’avancées sociales en matière de droit du travail, vous vous en seriez – je n’en doute pas – réjouie !
L’article 8 porte sur les modalités de financement, qui sont l’une des raisons pour lesquelles nous ne voterons pas cette proposition de loi.
Je saisis l’opportunité que vous nous offrez, monsieur le président, pour faire remarquer que, à l’occasion de l’examen de mon amendement, une majorité des membres de notre assemblée ont exprimé leur accord sur la nécessité d’allonger la durée du congé de maternité.
Madame la ministre, il faut parfois envoyer un signal pour faire avancer les choses. À travers l’examen du congé de maternité, le Sénat a montré qu’il souhaitait qu’une grande politique en faveur de la vie familiale et de la santé soit conduite.
L'article 8 n’est pas adopté.
Les huit articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés, je constate qu’il n’y a pas lieu de voter sur l’ensemble, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, en procédure accélérée, visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique, ainsi que de la proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de schiste, présentée par Mme Nicole Bricq et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, et de la proposition de loi visant à abroger les permis exclusifs de recherches d’hydrocarbures non conventionnels et à interdire leur exploration et leur exploitation sur le territoire national, présentée par M. Michel Houel et plusieurs de ses collègues (propositions n° 510, 377 et 417, texte de la commission n° 557, rapport n° 556).
Mon rappel au règlement est motivé par un élément nouveau qui pourrait modifier la manière d’aborder notre débat de cet après-midi.
En effet, nous venons d’apprendre par le journal britannique The Independent, dont on ne saurait mettre en doute la rigueur intellectuelle et l’indépendance, que se sont produits deux séismes au nord de l’Angleterre, dont l’un hier, dus, semble-t-il, à des opérations de fracturation hydraulique.
L’orateur brandit la une du journal.
Je vous livre la traduction du titre : « Petit tremblement de terre à Blackpool », qui est le lieu où se sont produites les fracturations ; quant au sous-titre, il évoque un « Gros choc pour la politique énergétique britannique ».
La nouvelle secousse semble avoir été déclenchée par le processus de fracturation. Vendredi dernier, le tremblement de terre à côté de Blackpool est arrivé au moment même où la compagnie d’énergie Cuadrilla Resources injectait du liquide à haute pression sous terre pour faire délibérément ressortir le gaz.
Le British Geological Survey – pardonnez mon accent, je serais plus à l’aise en occitan
Sourires
Nouveaux sourires.
… structure publique de recherche, estime que ce tremblement de terre d’une magnitude de 1, 5 sur l’échelle de Richter était similaire à celui d’une magnitude de 2, 3 qui est survenu en avril dernier, dans la même zone, et que les deux pourraient être liés aux expérimentations de fracking pour l’obtention des gaz de schiste naturel. Un géologue de cet organisme considère comme « assez probable » que les deux événements soient liés. Les informations géologiques situent l’épicentre à deux kilomètres sous terre dans la région de Preese Hall, soit à la profondeur où l’eau mélangée aux produits chimiques est injectée à très haute pression pour fracturer la roche.
Je tenais à faire part de ce fait à notre assemblée avant que ne commence la discussion sur un sujet contestable et contesté et, dès lors, à la mettre en garde, une nouvelle fois, contre les dangers de la technique dite de fracturation hydraulique pour extraire les gaz de schiste.
Il existait jusqu’à maintenant le risque de pollution des nappes phréatiques, de gaspillage de l’eau, de destruction des paysages – j’en passe et des meilleurs –, voilà à présent le risque séismique !
Le mythe de « l’apprenti sorcier » est trop connu pour que je le développe ici. J’espère néanmoins que la sagesse du Sénat saura prendre en compte cet événement nouveau afin que l’on en revienne à un peu de bon sens et que l’on préserve les roches-mères de notre sous-sol.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
M. le président. Je suppose que votre rappel au règlement était fondé sur l’article du règlement relatif aux gaz de schiste, mon cher collègue.
Sourires sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous débattons aujourd’hui d’une question extrêmement sensible et d’une très grande actualité, comme vient de nous le rappeler M. Fauconnier en montrant la une du journal The Independent, qui préoccupe l’ensemble du Parlement.
La preuve est en : pas moins de cinq propositions de loi ont été déposées dans les deux chambres, dont celle de Nicole Bricq et celle de Michel Houel au Sénat. Je peux en outre témoigner que le débat sur ce sujet a été vif à l’Assemblée nationale. Au total, ce sont donc plus de 400 parlementaires qui ont cosigné ces textes.
Je pense également aux courriers que j’ai reçus, aux pétitions qui m’ont été adressées, à la cinquantaine de délibérations ou d’arrêtés d’interdiction qui ont été pris par les municipalités, aux très nombreuses manifestations qui ont réuni plusieurs dizaines de milliers d’opposants à la recherche des gaz de schiste.
Je pense enfin à la très forte couverture médiatique de ce débat.
Notre situation a quelque chose de paradoxal : nous ne sommes pas en terrain vierge, puisque des autorisations ont été accordées, mais nous ne sommes pas non plus en terrain connu, ce qui m’a conduite à dire, en d’autres lieux, que ces autorisations n’auraient peut-être pas dû être accordées.
La mission conjointe du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies, le CGIET, et du Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, a remis à la mi-avril un rapport d’étape dense et riche d’enseignements. Toutefois, ce dernier souligne surtout tout ce que continuent d’ignorer tant les tenants de l’exploration du gaz de schiste que ses détracteurs.
Les partisans de l’exploration estiment que nous ignorons le potentiel économique de notre sous-sol, tandis que ses opposants considèrent que ce n’est pas le sujet, dans la mesure où les technologies aujourd’hui utilisables et disponibles sont extrêmement problématiques du point de vue de la préservation de l’environnement.
Michel Houel, dans le rapport qu’il a rédigé au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, a d’ailleurs souligné l’étendue de cette inconnue. Il y affirme, d’un côté, que « les hydrocarbures de schiste, […], apparaissent désormais comme une ressource potentiellement considérable », et, de l’autre, que « les risques que cette technique, utilisée massivement, pourrait faire peser sur l’environnement et, plus généralement, l’incertitude qui entoure ses conséquences s’opposent à son utilisation dans l’état actuel des connaissances ».
Je pose la question : à quoi servent les richesses et l’économie, sinon à mieux vivre ? Veillons donc à bien vivre sur une planète dont le climat sera stabilisé, dans un environnement préservé, dans un climat social serein.
Lorsque nous invoquons le développement économique, pensons aussi au développement non industriel des territoires ; pensons au tourisme vert ; pensons à l’agriculture ; pensons à la viticulture « bio ». Bref, pensons à la cohérence de nos démarches. À ce sujet, je vous informe qu’aujourd’hui, avec mon collègue Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, nous avons demandé à l’UNESCO le classement de l’espace Causses-Cévennes au patrimoine mondial de l’humanité.
Pour avoir rencontré les élus concernés par ce dossier, notamment Jacques Blanc, qui est présent dans cet hémicycle, je sais que vous êtes nombreux à y être très attentifs.
Cela aurait-il du sens, alors que nous sommes en train de demander ce classement, d’aller mener des campagnes d’exploration du gaz de schiste dans ce territoire ? Je ne le crois pas !
Adoptons une perspective internationale : si certains gouvernements cèdent au plus offrant et font jouer la concurrence entre différentes formes d’énergie, l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels risque d’accentuer les changements climatiques, ouvrant une nouvelle ère de l’énergie fossile. Cela pourrait par ailleurs retarder le développement des énergies renouvelables, qui, pour leur part, n’émettent pas de gaz carbonique.
Enfin, localement, l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels est une activité industrielle qui présente de multiples risques ou nuisances, comme l’a indiqué Christian Jacob dans l’exposé des motifs de la proposition de loi qu’il a présentée. Je pense à la pollution des nappes souterraines et des sols, à l’impact paysager, au bruit, à l’augmentation du trafic routier. Je pense aussi à la consommation d’eau, qui est de l’ordre de 15 000 mètres cubes par forage horizontal, ce qui est énorme.
Alors que certaines des technologies utilisées sont en fait relativement anciennes, notre capacité collective à maîtriser ces risques fait débat. Il faut dire que le documentaire Gasland, qui a été nommé aux Oscars, nous a tous impressionnés, avec cette boule de feu qui sort d’un robinet dans une maison américaine.
Mesdames, messieurs les sénateurs, qu’avons-nous fait au juste ? Nous avons appliqué le principe de précaution. Ce dernier ne signifie nullement que l’on ne fasse rien à un moment où le monde évolue.
Nous avons d’abord agi de telle manière qu’il y ait de facto une suspension des forages, notamment des forages avec fracturation hydraulique.
Nous avons ensuite voulu en savoir davantage. Ainsi, le Gouvernement a chargé le CGIET et le CGEDD de rédiger un rapport sur le sujet, au moment même où l’Assemblée nationale confiait une mission sur le même thème aux députés François-Michel Gonnot et Philippe Martin.
Nous avons désormais en notre possession des éléments de réflexion. Mais, comme je le disais tout à l’heure, beaucoup d’incertitudes demeurent, tant sur le potentiel économique de notre sous-solque sur notre capacité à maîtriser les risques environnementaux.
Pour aller plus loin, le CGIET et le CGEDD recommandent dans leur rapport de mener une expérimentation à des fins de recherche et, surtout, de suspendre la fracturation hydraulique. C’est aussi ce que préconise Claude Biwer, dont les trois amendements déposés sur le texte issu de l’Assemblée nationale ont été approuvés par la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Permettez-moi de dire quelques mots sur l’expérimentation, qui a provoqué des débats au sein de la commission. Pour le Gouvernement, l’expérimentation correspond bien à l’esprit du principe de précaution : il s’agit de suspendre tout mouvement, toute décision, qui pourrait faire courir un risque, de mettre en œuvre parallèlement des procédures d’évaluation des risques et d’adopter en conséquence des mesures provisoires et proportionnées.
Pour autant – je l’ai dit à l’Assemblée nationale, et je le répète ici –, compte tenu des risques que j’ai évoqués, une expérimentation scientifique nécessite un encadrement très strict. Toutes les garanties techniques et environnementales doivent être réunies. L’expérimentation doit non seulement être suivie par un comité scientifique – c’est évident –, mais elle doit surtout être contrôlée par un comité national réunissant, dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, des organisations non gouvernementales, des parlementaires, des élus locaux et des associations de riverains, ces derniers étant réunis selon le principe du comité local d’information.
Il faudra sans aucun doute du temps pour mettre en place toutes les garanties nécessaires à une expérimentation possible. Le Gouvernement en rendra compte dans son rapport annuel au Parlement.
Pour terminer mon propos, j’insisterai sur la cohérence du Gouvernement, qui a profité d’une opportunité de calendrier pour remédier à une insuffisance du code minier, celle qui a été la plus contestée, à savoir la non-consultation des populations pour la délivrance des permis de recherches. Le Gouvernement a ainsi mis un terme à une lacune aberrante et antique.
L’ordonnance portant codification de la partie législative du code minier, prise par le Gouvernement le 20 janvier 2011, et publiée au Journal officiel le 25 janvier 2011, a ponctué un travail de recodification à droit constant. Le Gouvernement a déposé un projet de loi de ratification de cette ordonnance devant le Parlement.
Le texte instaure une procédure de consultation du public sur les demandes de permis de recherches ainsi que sur les demandes de prolongation des concessions. Je signale que ces dernières, même si elles échappent pour le moment à l’obligation de débat, se font de manière extrêmement discrète.
Cependant, elles posent le même problème que les permis d’exploration et elles seront modifiées de la même manière.
Nous avons franchi là une première étape. Je suis très favorable à ce que ce texte puisse être complété afin que toutes les questions qui ne pourront être tranchées aujourd’hui puissent être prises en compte. Le code minier est vaste et complexe ; nous aurons donc besoin de temps.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui est d’une importance majeure. Il s’agit en effet d’adopter une mesure tendant à une mise en œuvre très concrète du principe de précaution, que vous avez bien voulu, il y a quelques années, constitutionnaliser.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi de M. Christian Jacob et de plusieurs de ses collègues, transmise par l’Assemblée nationale, et à laquelle la conférence des présidents a décidé, à juste titre, d’adjoindre, d’une part, la proposition de loi déposée au Sénat par Mme Nicole Bricq et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, et, d’autre part, le texte que j’ai moi-même présenté avec plusieurs de mes collègues.
L’Assemblée nationale a adopté son texte le 11 mai, soit il y a exactement trois semaines. La commission de l’économie a donc dû travailler très rapidement.
Or la proposition de loi, bien qu’elle ne comporte qu’un nombre réduit d’articles, porte sur une question complexe dans ses aspects techniques et considérable par ses conséquences économiques. Nous n’avons heureusement pas peur de la difficulté, et la question des gaz et huiles de schiste commence à nous être familière, tant la mobilisation autour de cette question a été importante dans nos territoires.
Permettez-moi avant tout de rappeler de quoi nous parlons exactement. Sur cette question, qui était encore inconnue il y a six mois du grand public et, disons-le, de la plupart des élus eux-mêmes, les termes techniques ont leur importance.
Les hydrocarbures non conventionnels, dont la principale variété en France est constituée par les gaz et les huiles de schiste, sont stockés dans une roche profonde, dite « roche-mère », souvent située à 2 000 ou à 3 000 mètres de profondeur. L’huile de schiste, qui est une forme de pétrole, concerne plutôt le Bassin parisien, tandis que le gaz de schiste, qui est en fait du méthane, est présent notamment dans des régions du sud de la France.
On évalue les ressources en gaz de schiste à une ou plusieurs dizaines d’années de consommation. Il pourrait donc s’agir d’un avantage considérable non seulement pour notre balance commerciale, mais aussi pour la sécurisation de l’approvisionnement énergétique de la France.
Je dois préciser toutefois que ces chiffres ne sont que des approximations, fondées sur des données partielles, selon des méthodes théoriques. Seuls des forages et des tests permettraient de déterminer ce qu’il en est réellement.
Cela m’amène au second point technique.
L’exploitation commerciale de ces gaz et huiles de schiste, en l’état des connaissances, n’est pas possible sans fracturation hydraulique. Des experts et des industriels m’ont parlé de plusieurs pistes possibles pour fissurer la roche sans eau ou sans produits chimiques, mais ces techniques n’en sont pas encore au stade de l’industrialisation. Il faudra évaluer le moment venu leur efficacité et leur impact sur l’environnement.
La fracturation hydraulique consiste à injecter dans la roche de grandes quantités d’eau, mélangées à du sable et à des adjuvants chimiques, afin de provoquer des mini-fissures et de pouvoir ainsi récupérer les ressources qui y sont contenues. Il ne s’agit pas de faire exploser la roche, contrairement à ce que l’on voit sur des schémas très simplificateurs.
Cette technique est pratiquée depuis le milieu du xxe siècle dans le monde. Elle a été utilisée une cinquantaine de fois en France, y compris sur des gisements conventionnels, et apparemment sans dommage pour l’environnement. Mais elle a été utilisée à une tout autre échelle aux États-Unis, depuis le début des années 2000 : un million de fracturations auraient été réalisées dans ce pays. Nous entrons donc dans une autre dimension, avec des dommages sur l’environnement qui semblent avérés. Les conditions d’exploitation des gaz de schiste aux États-Unis ont notamment mis en évidence une maîtrise incomplète des techniques de forage et une régulation insuffisante des activités par la puissance publique.
Or le manque d’information lors de l’attribution des permis d’exploration en France a fait craindre, un temps, que notre pays aille appliquer des règles anciennes, manquant de transparence, à des activités nouvelles qui demandaient pourtant une rénovation du cadre réglementaire et de meilleures garanties de préservation de l’environnement.
Face à la mobilisation venue de la base et des territoires, le Gouvernement a répondu avec célérité, en demandant dès février 2011 aux entreprises concernées de suspendre leurs forages en attendant les résultats d’une mission conduite par les corps d’inspection de l’État que sont le CGEDD et le CGIET.
L’Assemblée nationale a, pour sa part, lancé une mission d’information dirigée par nos collègues François-Michel Gonnot et Philippe Martin. Les contraintes du calendrier législatif ne nous permettent malheureusement pas de disposer de leurs conclusions au moment où nous examinons ce texte au Sénat, et nous le regrettons très sincèrement, madame la ministre.
La suspension demandée par le Gouvernement était provisoire : elle ne répondait pas à l’exigence qui s’est manifestée dans nos territoires. Nous avons donc été nombreux, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, à déposer ou à cosigner des propositions de loi, qui, malgré leurs différences, tendent toutes à interdire l’exploration et l’exploitation avec fracturation hydraulique et à abroger les permis existants : trois propositions de loi ont été déposées par les députés et deux par les sénateurs, émanant d’élus de la majorité comme de l’opposition.
La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire s’est réunie le mercredi 25 mai et elle a adopté le texte transmis par l’Assemblée nationale, en le complétant par trois amendements déposés par notre collègue Claude Biwer et soutenus par le groupe de l’Union centriste. Le texte que je vais vous présenter est donc, me semble-t-il, équilibré.
L’article 1er, dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, vise à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche.
Cet article résout le problème central : il met fin à l’utilisation de la fracturation hydraulique dans le cadre des deux procédures prévues par le code minier, à savoir l’exploration et l’exploitation, dont les modalités actuelles ne sont pas adaptées à la perspective d’une utilisation massive de cette technique.
Faut-il définir dans la loi la fracturation hydraulique ? Cette technique bien connue recourt à l’injection sous pression d’un fluide mélangé à des agents chimiques afin de provoquer des fissures dans la roche. Il sera donc facile de prouver devant un juge une éventuelle infraction à cette interdiction.
Je le rappelle, la question ayant été posée, l’article 1er ne concerne pas la géothermie profonde, énergie renouvelable d’avenir pour notre pays.
La commission a toutefois prévu, sur proposition de M. Claude Biwer, une dérogation en autorisant des projets scientifiques d’expérimentation. Puisqu’il s’agit de la principale modification apportée au texte par notre commission, je vais m’efforcer d’en expliquer la portée.
Alors que les permis exclusifs de recherches d’hydrocarbures prévus par le code minier correspondent à une initiative privée, motivée par la perspective ultérieure d’une éventuelle exploitation commerciale, les projets d’expérimentation introduits ici seront conduits sur l’initiative de l’État et sous son contrôle. Ils auront pour objet de déterminer l’état des ressources, d’étudier les conséquences des techniques de forage et de fracturation de la roche, afin de les améliorer si possible.
Il est essentiel de chercher à connaître le niveau de nos ressources. Sommes-nous certains que nous pourrons nous priver définitivement de cette source d’énergie, alors même que des pays peu suspects de laxisme dans la protection de l’environnement s’engagent dans cette voie ? Je pense, par exemple, à l’Allemagne ou aux pays scandinaves. Un rapport parlementaire anglais vient aussi de s’opposer à tout moratoire concernant les gaz de schiste.
Ces travaux seront menés dans la transparence, grâce à la création à l’article 1er bis d’une commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux. Cette commission nationale réunira des représentants des cinq collèges du Grenelle de l’environnement. Les résultats des projets d’expérimentation seront bien évidemment rendus publics.
Il faudra répondre aux questions qui se posent à nous après six années d’exploitation intensive aux États-Unis : faut-il interdire l’utilisation d’eau provenant des nappes phréatiques ? Faut-il fixer une liste limitative d’agents chimiques autorisés ? Comment réglementer le retraitement des boues et de l’eau de récupération ? Les produits toxiques peuvent-ils être remplacés par des composés non toxiques ?
Une étude préalable des milieux naturels et des nappes phréatiques devra également être conduite, ce qui n’a pas toujours été fait aux États-Unis, afin de nous donner la capacité de déceler tous les effets que les forages auraient sur les ressources naturelles.
La France dispose de chimistes et de géologues ; elle a les moyens d’apporter des réponses rigoureuses à des questions difficiles. L’expertise scientifique peut s’appuyer sur des organismes de qualité, tels que le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques ou l’Institut français du pétrole-Énergies nouvelles. Un comité scientifique pourrait également éclairer les travaux de la commission nationale.
Nous avons aussi la capacité de mettre au point et d’imposer une régulation sanitaire et environnementale meilleure qu’aux États-Unis, en veillant à la transparence et à l’information du public et des élus locaux.
Il est essentiel de construire une compétence française dans la connaissance et, éventuellement, l’exploitation des couches géologiques profondes dans le respect de l’environnement, alors que nous dépendons aujourd’hui d’expertises et de technologies élaborées aux États-Unis. C’est à cette condition que nous serons en mesure de fonder nos décisions futures sur une évaluation réelle et complète des faits.
Une fois ce cadre établi, l’article 2 tend à poser le principe de l’abrogation des permis exclusifs de recherches dont le titulaire prévoit d’employer la technique de fracturation hydraulique.
Interdire tous les permis de recherches d’hydrocarbures non conventionnels aurait été inefficace, parce que les permis n’indiquent pas les techniques employées. Quant aux dossiers déposés pour l’instruction des permis, ils ne mentionnent pas nécessairement la technique employée et n’ont pas une valeur juridique suffisante pour justifier une abrogation du permis. Une sanction pénale d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende est d’ailleurs instituée à l’encontre de celui qui procéderait tout de même à une fracturation hydraulique.
Certains craignent que les industriels ne fassent une fausse déclaration. Je rappelle qu’il s’agit d’une opération lourde, qui nécessite l’emploi de 10 000 à 20 000 mètres cubes d’eau pour un puits, une emprise au sol d’un ou deux hectares et une activité fournie pendant plusieurs semaines, en comptant le temps du forage et celui de la remise en état du site. Il n’y a aucune crainte à avoir sur la mise en application effective de la loi, à laquelle nos concitoyens et nos élus seront très attentifs.
Je rappelle que les propositions de loi comportaient initialement un article 3, qui visait à réformer le code minier afin d’améliorer les procédures d’information et de participation du public. Cet objectif doit être approuvé, car le code minier est, sur bien des aspects, en retard. L’évolution des techniques doit en effet nous conduire à améliorer la transparence des opérations, à faire progresser l’information et la participation du public comme des collectivités. L’esprit de la convention d’Aarhus et de la Charte de l’environnement doit inspirer une réforme de ce droit.
Je crois tout particulièrement que, contrairement à ce qui se passe pour d’autres activités industrielles, les collectivités territoriales ont été laissées trop à l’écart des activités minières qui se déroulaient sur leur sol, comme si le mouvement de décentralisation engagé depuis près de trente ans n’avait pas eu lieu. Il faudra revoir les procédures d’implication des collectivités territoriales afin de les informer plus en amont et plus complètement de ces opérations techniquement complexes. Il faudra aussi construire une fiscalité minière plus favorable aux communes concernées par les activités minières ; les industriels eux-mêmes y sont favorables, ce qui facilitera le dialogue.
Il a semblé cependant préférable aux députés et aux membres de notre commission de traiter ces questions dans le cadre d’autres projets de loi. En effet, le Gouvernement a déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, le 13 avril dernier, un projet de loi de ratification du nouveau code minier, dont certaines dispositions vont précisément dans ce sens.
Madame la ministre, vous avez confié à l’avocat Arnaud Gossement une mission portant également sur la réforme du code minier. Pouvez-vous nous indiquer quand le Gouvernement disposera des conclusions de cette mission et à quelle échéance le Parlement pourrait être saisi d’une réforme de fond du code minier ?
Alors que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond à une situation d’urgence, le code minier, qui engage l’avenir de notre sous-sol et des ressources qu’il contient, doit être réformé dans son ensemble, par un texte et selon une méthode qui permettent de le considérer dans toute sa cohérence.
Enfin, l’article 4 vise à prévoir la remise annuelle, par le Gouvernement, d’un rapport au Parlement sur l’évolution des techniques, la connaissance du sous-sol et le cadre législatif et réglementaire. Ce rapport guidera les travaux futurs relatifs aux gaz et huiles de schiste.
Pour conclure, je veux rappeler que l’application du principe de précaution, si souvent invoqué dans les débats sur le gaz de schiste, suppose, d’abord, la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques, ensuite – ou en même temps –, l’adoption de mesures afin de parer à la réalisation du dommage. Ces mesures doivent être provisoires et proportionnées. Tel est l’esprit du texte qu’a adopté la commission.
Une interdiction absolue et définitive, qui reviendrait par ailleurs sur de nombreux permis de recherches légalement attribués sans pour autant se fonder sur une étude complète de la situation française, ne correspondrait, me semble-t-il, ni à la lettre ni à l’esprit de la Charte de l’environnement, et sûrement pas à l’intérêt de notre pays.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
La parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi n° 377.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il faut le dire tout net : notre proposition de loi est née de l’émoi que nous avons partagé avec les élus que nous représentons, les associations de défense de l’environnement, les collectifs qui se sont constitués partout et les populations qui ont découvert – parfois de façon très concrète, comme ce fut le cas dans mon département – que des sociétés disposaient, en toute légalité, de permis d’exploration sur leur territoire de proximité.
Aucune démarche n’avait été entreprise par les préfectures auprès des maires, des conseillers généraux ou des représentants d’associations environnementales, pourtant parfaitement identifiables dans chaque département concerné. Sur le principe, une telle opacité, qui perdure, n’est pas acceptable.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Le contexte et les conditions dans lesquels ces autorisations ont été accordées ne le sont pas davantage.
Faut-il le rappeler, en 2009, nous étions en pleine discussion, dans cette assemblée, de la loi portant engagement national pour l’environnement, dite « loi Grenelle 2 », et la France préparait le sommet de Copenhague sur le changement climatique ? C’est durant cette année qu’ont cheminé les demandes d’autorisation visant la recherche d’hydrocarbures de roche-mère…
Au moment du dépôt de ces demandes, cette activité existait déjà depuis plusieurs années aux États-Unis, et le Gouvernement ne pouvait ignorer les dégâts environnementaux et sanitaires qu’elle avait engendrés. Or ces demandes ont abouti sous la forme de permis indifférenciés, pour le conventionnel comme le non-conventionnel. Un tel permis a ainsi été accordé dans mon département de Seine-et-Marne – où prévaut une tradition de forage, puisque l’on y exploite du pétrole – à la société Vermilion, avec le permis dit de Champotran, et à la société Toreador – la bien nommée ! –, avec le permis dit de Château-Thierry. Mais on pourrait citer d’autres départements – et je vais le faire, puisque mes collègues sont présents : ils sont venus, ils sont tous là ! – l’Ardèche, la Drôme, le Gard, le Lot, la Savoie, l’Hérault, le Vaucluse, et bien d’autres encore…
Ces autorisations ont été délivrées en totale méconnaissance des règles posées par le Grenelle de l’environnement et sur le fondement d’un code minier obsolète, dont on devait apprendre, chemin faisant, qu’il était en cours de réforme dans le secret des ministères.
Chers collègues de la majorité, il est à cet égard regrettable que vous ayez habilité le Gouvernement à réformer le code minier par voie d’ordonnance, sans même l’avoir encadré, comme le Parlement en a le pouvoir…
Il aura fallu que le groupe socialiste du Sénat prenne l’initiative, par le dépôt de sa proposition de loi, le 24 mars dernier, pour que s’ensuive, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, le dépôt d’autres propositions de loi et que la mécanique parlementaire se mette enfin en marche.
Notre proposition de loi vise à répondre à l’obligation de réparer les erreurs du Gouvernement. Ces erreurs se résument en trois mots : précipitation, imprécision, opacité.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
La précipitation a en effet prévalu dans le traitement des demandes adressées au ministère pour l’exploitation d’un nouveau type d’hydrocarbure, encore inconnu en France, coupant court à tout débat public et, au premier chef, au débat parlementaire.
Les permis, du moins les documents publics consultables sur le site Legifrance, sont à l’image de la précipitation et de l’opacité : ils se contentent de mentionner la société requérante, l’intitulé du permis et la surface impactée. Il aura fallu que notre collègue parlementaire européen, José Bové, présent aujourd’hui dans les tribunes du public
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Chers collègues, j’ai deux exemplaires sous la main : le permis de Nant et le permis de Montélimar, qui couvre une surface extravagante…
Mme Nicole Bricq. On peut constater que le recours à la technique de fracturation y est clairement explicité. J’en déduis donc que la chaîne de responsabilité ministérielle, du service déconcentré au ministre, a avalisé cette technique. Elle ne pouvait pas l’ignorer !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur Houel, j’ai la détestable habitude de lire les rapports, notre collègue Marini le sait bien ! Vous considérez, vous y avez fait allusion tout à l’heure, que le dossier d’instruction a un caractère indicatif, qu’il n’a pas de valeur juridique et que cela ne peut donc justifier l’abrogation du permis.
Mme Nicole Bricq. L’argument est spécieux, monsieur le rapporteur. Vous le savez, en tant que maire de Crécy-la-Chapelle, commune qui a la particularité d’abriter deux magnifiques églises, vous ne pouvez pas délivrer un permis de construire sans disposer des plans de la maison. Eh bien, il en va de même pour le dossier d’instruction : il est partie intégrante du permis !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
J’en conclus – c’est très désagréable à dire et à entendre, je le conçois – qu’on nous a menti, …
… ce qui est grave pour la crédibilité de l’action publique.
Aujourd'hui, nous essayons de réparer cette erreur, afin de préserver les territoires concernés par ces activités ; tel est l’objet de l’article 1er de notre proposition de loi, qui vise à interdire les activités portant sur les hydrocarbures de roche-mère.
J’en viens à l’imprécision du dispositif actuel, qui ne permet pas de distinguer entre les permis pour les hydrocarbures conventionnels et pour les hydrocarbures non conventionnels, d’où la nécessité d’abroger les permis qui ont été accordés. C’est seulement après cette abrogation que l’étude des demandes pourra reprendre, et seules les activités relatives aux hydrocarbures conventionnels pourront être autorisées ; tel est l’objet de l’article 2 de notre proposition de loi, qui tend à compléter l’article 1er.
On me rétorque que l’on ne peut pas distinguer les deux types d’exploitation. Or, dans les fameux dossiers d’instruction que j’ai pu consulter, j’ai vu que la société requérante, dans le dossier de Montélimar notamment, distinguait clairement les hydrocarbures conventionnels et non conventionnels. Par conséquent, ce qui est écrit peut tout à fait être codifié.
J’aborde enfin l’opacité des procédures, sans doute l’aspect le plus insupportable : une opacité tenace, pour ne pas dire une omerta.
Le code de l’environnement prévoit pourtant un triptyque que personne n’ignore, vous l’avez tous rappelé : la participation du public, une enquête publique et une étude d’impact.
Le Gouvernement n’avait même pas envisagé de reprendre ces obligations dans la version initiale de l’ordonnance du 20 janvier 2011 portant codification de la partie législative du code minier. Il l’a fait le 19 avril. On peut penser que la pression populaire et nos propositions parlementaires l’ont amené à revoir sa copie, au moins partiellement. Cette mobilisation est donc extrêmement utile et ne devrait pas s’arrêter ce soir.
Obtenir des informations pertinentes sur les projets des sociétés nous a demandé, à nous parlementaires, beaucoup de pugnacité. C’est en recoupant les informations que celles-ci fournissent à des investisseurs sur les marchés financiers que l’on peut cerner leurs véritables intentions.
Pour ma part, voilà six mois que je m’y intéresse, depuis la discussion du projet de loi de finances, le 19 novembre 2010, et j’ai compris qu’il y avait un problème. Quand la mobilisation populaire est née, au mois de janvier, j’ai immédiatement fait le rapprochement avec la demande de la majorité sénatoriale de maintenir une niche fiscale au profit des sociétés qui extraient des hydrocarbures.
Je me suis donc informée sur le modèle financier, classiquement spéculatif, qui est caché derrière ce type d’activités.
Notre proposition de loi remédie à cette opacité en appliquant les règles du Grenelle et en les introduisant aux articles 3, 4 et 5, dans le cadre des procédures d’autorisation de permis de recherches et d’exploitation d’hydrocarbures liquides ou gazeux.
Par ailleurs, ces articles permettent de rendre le dispositif plus lisible, en soumettant le code minier aux dispositions de la convention d’Aarhus et de la Charte de l’environnement, qui, dans la hiérarchie des normes, prévalent sur les lois ordinaires et, a fortiori, sur les ordonnances ou les autres textes de nature réglementaire.
À ce jour, madame la ministre, nous ne savons pas si le Gouvernement a l’intention d’introduire ces références dans le code minier, comme il le laisse entendre. Il n’a toujours pas inscrit à l’ordre du jour du Parlement la ratification de cette ordonnance. Or, aux termes de l’article 38 de la Constitution, celle-ci doit expressément être législative.
Vous ne devriez donc pas voir d’objection à ce que ces principes, auxquels vous êtes attachée, entrent immédiatement en application grâce à notre proposition de loi.
Il faut, par cohérence, mettre en regard notre proposition de loi et le texte de la commission, laquelle a amendé la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale, la rendant à nos yeux encore plus dangereuse, comme mon collègue Michel Teston le montrera.
Ce texte, en l’état, constitue un recul de la majorité par rapport à la proposition initiale du groupe de l’UMP, au Sénat comme à l’Assemblée nationale. Je regrette le temps, chers collègues, où nous étions tous unis pour réclamer l’abrogation des permis ! Cependant, ce recul de la majorité n’est pas vraiment une surprise, car le Gouvernement n’a jamais été clair, oscillant entre une réponse à la mobilisation populaire afin d’éviter qu’elle ne s’amplifie, …
… et la défense des permis qu’il avait octroyés, afin de ne pas être contraint de se dédire.
Il n’a jamais clairement pris de décision formelle visant à stopper cette activité et à reprendre la procédure en toute transparence. Il n’a pas imposé de moratoire formel, …
… tout au plus a-t-il demandé aux entreprises concernées de bien vouloir suspendre leurs opérations jusqu’à la remise d’un rapport sur le sujet par une mission interministérielle, rapport attendu pour une date désormais indéterminée, puisqu’il devait être rendu le 31 mai et que nous sommes aujourd'hui le 1er juin.
S’agit-il pour le Gouvernement de prendre ses responsabilités ou de gagner du temps ? Nous penchons pour la seconde hypothèse.
À la différence de la majorité, le groupe socialiste est resté constant dans ses positions.
Je les rappelle, en trois mots : l’interdiction, l’abrogation et la transparence.
Le Premier ministre, le 12 avril dernier, n’avait-il pas solennellement déclaré devant nos collègues députés : « Il faut tout remettre à plat, et donc il faut annuler les autorisations qui ont déjà été données » ?
Entre-temps, on l’a bien compris, les sociétés ont multiplié les interventions auprès des élus, et le texte issu de l’Assemblée nationale, repris par la commission, n’a plus rien à voir ni avec celui de M. Jacob, président du groupe de l’UMP à l’Assemblée nationale, ni avec le vôtre, chers collègues du groupe de l’UMP du Sénat.
Il convient tout de même de s’interroger : pouvez-vous croire que les sociétés, après avoir obtenu ou conservé les permis, vont désormais déclarer benoîtement qu’elles utilisent la technique de fracturation hydraulique ? Ce serait de votre part faire preuve d’une grande naïveté ! Elles trouveront la parade.
À cet égard, je citerai le président-directeur général de Total, notre champion national en la matière, …
… qui déclarait devant l’assemblée générale des actionnaires, à propos du texte issu de l’Assemblée nationale : « Ce texte est habile. On va s’en sortir […] ».
Je dispose, si vous le souhaitez, du compte rendu intégral de son intervention.
En fait, majorité et Gouvernement, vous cherchez à éteindre la contestation. Je crois que vous n’y parviendrez pas !
Vous prenez prétexte de l’absence de distinction dans notre droit français entre hydrocarbures conventionnels et non conventionnels. Or notre proposition de loi souligne le caractère central de ce problème dès le deuxième paragraphe de notre exposé des motifs, connu de tous depuis le 24 mars. D'ailleurs, le permis de Montélimar, auquel je me suis déjà référée, est extrêmement clair sur ce sujet.
Hormis le fait que le Gouvernement avait la responsabilité d’anticiper cette difficulté juridique avant d’accorder les permis, pourquoi ne l’a-t-il pas fait depuis ? Il peut encore opérer cette distinction dans le cadre de l’ordonnance portant codification de la partie législative du code minier, comme le groupe socialiste le proposera par voie d’amendement.
Je souhaite que la discussion permette au Gouvernement d’étayer sa position à ce sujet devant la représentation nationale.
M. de Margerie…
… – Oui, monsieur Sido, il a le mérite de ne jamais employer la langue de bois, il est franc ! – a répondu aux associations contestataires qui s’étaient introduites dans son assemblée générale « qu’il respectait la loi » et qu’il convenait de changer les lois si elles n’étaient pas satisfaisantes.
C’est justement ce que nous vous proposons de faire en distinguant hydrocarbures conventionnels et non conventionnels ! Ainsi, nous lèverons l’obstacle juridique à l’interdiction et à l’abrogation. La majorité pourrait se saisir de cette proposition pour démontrer qu’elle ne s’inscrit pas dans une simple stratégie de contention de la contestation, mais bien dans le cadre d’un débat démocratique menant à une prise de décision concertée et responsable.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous croyons que le choix d’une politique énergétique globale est une question clé de l’avenir des États de l’Union européenne. Elle doit être posée au peuple français.
Souhaitons-nous durablement nous rendre dépendants des énergies fossiles ? Que faisons-nous de l’accord de décembre 2007, obtenu à l’unanimité sous la présidence française, qui fixe pour les vingt-sept pays de l’Union européenne des objectifs ambitieux de réduction de gaz carbonique, d’économie d’énergie et de développement des énergies renouvelables ?
Dans le schéma économique et financier qui est ouvert par l’octroi des permis, il s’agit non pas de garantir notre indépendance énergétique, mais d’autoriser des opérateurs privés à réaliser des profits importants dans le plus court laps de temps par une exploitation intense. Est-ce cela que veulent les Français ?
Voulons-nous plutôt opérer une transition socialement acceptable vers une économie moins prédatrice ?
Ces questions, il appartient aux Français d’y répondre dans le débat qui s’ouvre pour l’échéance de 2012 et pas à une poignée d’opérateurs attirés par un nouvel Eldorado !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous sommes confrontés à un mode de gouvernance de moins en moins satisfaisant. Le Parlement est amené à légiférer sur la question complexe des gaz de schiste alors que rien, absolument rien ne justifie une telle précipitation si ce n’est la mobilisation citoyenne, laquelle est bien évidemment légitime. Mais, nous, parlementaires, devons-nous réagir à chaud et dans l’urgence ? Personnellement, je ne le crois pas, à plus forte raison au sein de notre Haute Assemblée, connue pour sa grande sagesse.
On nous demande de faire du mauvais travail législatif pour tenter de corriger les erreurs et les égarements du Gouvernement et d’un ministre d’État. On nous demande ainsi d’adopter au plus vite, sans même disposer de tous les éléments scientifiques et objectifs, une proposition de loi rédigée à la hâte par nos collègues députés.
Or, avant même son adoption définitive, il est évident que ce texte n’apportera pas de solution satisfaisante et raisonnée à la question très complexe de l’exploitation des gaz de schiste. Il est donc de nature à ne satisfaire personne ; la forte mobilisation citoyenne ne faiblira pas, les industriels concernés ne pourront poursuivre leurs recherches et notre pays risque de se priver de ressources essentielles, à un moment où nous redéfinissons notre politique énergétique, que nous souhaitons toujours fondée sur le principe de l’indépendance.
C’est pourquoi, avec mes collègues du groupe du RDSE, nous avions souhaité un débat sur la question des gaz de schiste plutôt qu’une loi. Il est encore trop tôt, nous semble-t-il, pour légiférer sur le sujet.
Mes chers collègues, personne n’ignore que les gaz de schiste suscitent des convoitises et font naître de nombreuses inquiétudes auxquelles la science n’a pas encore apporté toutes les réponses. Toutefois, l’enjeu est considérable ! Or nous ne savons pas grand-chose, si ce n’est, au vu des expériences pratiquées dans d’autres pays, que l’exploitation du gaz de schiste est loin d’être neutre d’un point de vue écologique, du moins pour le moment et en l’état des outils techniques et scientifiques dont nous disposons.
Les gisements sont très profonds – jusqu’à trois kilomètres sous la surface de la terre – et la seule pression ne suffit pas à faire émerger l’huile et le gaz de schiste. Si ces sources ont longtemps été délaissées, c’est parce qu’elles sont plus difficiles et potentiellement plus coûteuses à exploiter.
La technique retenue depuis une dizaine d’années pour les exploiter consiste à forer verticalement jusqu’au schiste, puis horizontalement, avant, depuis la surface, d’injecter sous pression un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques destiné à fracturer la roche et à permettre au gaz de circuler pour être pompé. C’est désormais la fameuse technique de la fracturation hydraulique.
De nombreux arguments sont avancés pour plaider purement et simplement contre l’exploitation des gaz de schiste.
Tout d’abord, les grandes quantités d’eau nécessaires à la fracturation hydraulique effrayent. Selon l’Institut français du pétrole, chaque fracturation nécessite de 10 000 à 15 000 mètres cubes d’eau, dont seule une partie est récupérée. Sachant que chaque puits peut être fracturé plusieurs fois, la consommation d’eau requise est absolument considérable. Il est vrai que cette perspective va à l’encontre de notre politique de protection des sources d’eau potable, surtout à l’heure où la menace de sécheresse devient une réalité sur nos territoires.
Ensuite, les produits chimiques utilisés seraient toxiques et pollueraient les nappes phréatiques. Plusieurs affaires récentes de pollution de l’eau ont suscité l’émoi aux États-Unis comme au Canada. Le documentaire Gasland a particulièrement choqué l’opinion en montrant un robinet d’eau prenant feu. Cependant, une étude scientifique américaine récente, si elle met en évidence des cas de contamination de l’eau potable, estime que la contamination serait plutôt due à un défaut de cimentation du puits.
Par ailleurs, les rejets accidentels de méthane, gaz à effet de serre, sont aussi pointés du doigt, tout comme le retraitement de boues toxiques remontant à la surface.
Enfin, l’implantation de machines à forer et les installations connexes constituent indéniablement des nuisances pour les riverains, notamment du fait du bruit qu’elles provoquent, sans parler de leur impact sur les paysages.
De ce point de vue, la technique de la fracturation hydraulique est dangereuse et va à l’encontre des principes les plus fondamentaux du Grenelle de l’environnement. La lutte contre les gaz à effet de serre ou l’objectif de protection des sources d’eau potable sont tout simplement relégués au second plan de notre politique énergétique et environnementale.
Notre ambition n’était-elle pas non de nous tourner vers de nouvelles énergies fossiles de substitution, dont l’extraction a un impact incertain et pourrait présenter de graves risques pour l’environnement, mais de développer des énergies renouvelables ? Mon collègue Robert Tropeano, particulièrement mobilisé dans son département de l’Hérault, développera ces arguments au cours de son intervention dans la discussion générale.
Outre le fait que la prospection d’énergies fossiles est contraire à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les conséquences environnementales pour la santé publique des techniques d’exploration et d’exploitation des gaz de schiste, si elles sont potentiellement graves, sont peu connues. Là est le problème fondamental. Pour ma part, j’insiste sur le fait que, indiscutablement, une incertitude scientifique demeure.
La recherche sur les possibilités d’exploiter demain des gisements potentiels de gaz de schiste n’a jamais été conduite jusqu’à son terme en France, ce qui pose également problème.
Les incertitudes sont encore immenses, ainsi que les divergences de point de vue, nous le savons. La semaine dernière, par exemple, c’était au tour de la très sérieuse commission en charge de l’énergie et du changement climatique de la Chambre des communes britannique de donner son avis. Selon elle, la fracturation hydraulique ne présente aucun risque pour l’environnement. Alors qui croire ?
Avec la majorité de mes collègues du groupe du RDSE, je pense qu’il est indispensable de lancer le plus rapidement possible un programme de recherche scientifique sur les techniques de fracturation hydraulique et leurs impacts environnementaux, à l’échelon national, voire européen.
Mes chers collègues, c’est la raison, et non l’émotion, qui devrait guider notre réflexion. Nous attendons réellement, je le répète, que la science nous éclaire. Nous avons besoin de travaux scientifiques sérieux pour faire les bons choix. Nous n’en disposons pas aujourd'hui.
Une fois de plus, nous légiférons dans l’urgence – c’est une habitude – et sous l’emprise de l’émotion, alors que les expertises attendues sur ce sujet ne sont même pas achevées et connues. La mission d’information créée à l’Assemblée nationale le 1er mars dernier devrait rendre ses conclusions dans quelques jours. La mission confiée au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et au Conseil de l’environnement et du développement durable publiera, quant à elle, son rapport définitif dans le courant du mois de juin. N’aurait-on pas pu attendre quelques semaines ?
Pourquoi tant de précipitation ? Le Gouvernement semble agir sans réflexion suffisante sur un sujet très grave. Il a mis le feu aux poudres ne se laissant d’autre choix a posteriori que de légiférer pour éteindre l’incendie.
C’est un véritable problème de gouvernance, madame le ministre ! Toute cette affaire du gaz de schiste a été particulièrement mal gérée.
C’est d’ailleurs un cas d’école à enseigner à l’ENA, un exemple de ce qu’il ne faut pas faire, un contre-exemple de gouvernance démocratique et avisée.
En mars 2010, malgré tous les griefs évoqués et les questions qui demeurent en suspens, des permis de forage de prospection ont été accordés sur le territoire français à plusieurs industriels, américains et français, pour des recherches de gaz de schiste dans le sud-est du pays et d’huile de schiste en Île-de-France. Cette décision a été prise, on peut le dire, en catimini et sans la moindre consultation.
Les populations, les associations et les élus concernés n’ont eu aucune connaissance de ces projets et ils ont découvert leur existence par hasard. Quant aux élus locaux et aux parlementaires, ils ont été abasourdis d’apprendre ces projets dans la presse. On peut aisément comprendre le tollé que ces nouvelles ont suscité, tollé que, pour notre part, nous regrettons.
Je le répète, car cela choque particulièrement le groupe du RDSE : aucune concertation n’a eu lieu. Comment peut-on tolérer que des actes administratifs ayant des conséquences aussi importantes sur les territoires soient pris dans de telles conditions ? Les territoires concernés par certains de ces permis sont des parcs naturels régionaux, dont l’intérêt patrimonial est reconnu. Certains sont mêmes candidats au classement au patrimoine mondial de l’UNESCO !
Les acteurs locaux auraient par la suite dû être associés à la mission sur les enjeux de l’exploitation des hydrocarbures de schiste lancée il y a quelques semaines par le Gouvernement, embarrassé sans doute face à l’ampleur de la contestation sur le terrain. Mais cela n’a pas été le cas et, à ma connaissance, cela ne l’est d’ailleurs toujours pas.
Enfin, il n’est pas admissible que les demandes d’exploration du sous-sol ne soient toujours pas soumises à des enquêtes publiques locales. Sur ce point, une mise à jour du code minier est attendue. Ce code, qui engage l’avenir de notre sous-sol, doit être réformé dans son ensemble. Un texte est annoncé, mais combien de temps faudra-t-il encore attendre pour qu’il soit inscrit à l’ordre du jour des assemblées parlementaires ?
Madame le ministre, les paroles et les actes doivent être en harmonie, particulièrement si vous souhaitez donner l’exemple en matière de protection de l’environnement et de gestion des ressources énergétiques.
Depuis le Grenelle de l’environnement, l’État invite chacun, et notamment les collectivités territoriales, à s’engager toujours davantage en faveur de la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles, de la réduction des pollutions, des consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre.
Les collectivités locales tentent du mieux qu’elles le peuvent de répondre à ces exigences nouvelles, qui sont pourtant souvent sources de lourdes contraintes pour elles. Mais le Gouvernement, lui, de son côté, semble mener une tout autre politique, à l’opposé de ses déclarations médiatiques.
L’année dernière, sans aucune consultation préalable, le Gouvernement, par la signature d’un ministre d’État, a pris la décision d’autoriser des explorations en vue d’une exploitation, potentiellement très polluante, d’énergies fossiles. Au moment même où étaient délivrées ces autorisations, le Grenelle de l’environnement était présenté aux parlementaires. Quelle crédibilité accorder au Gouvernement face à une telle dissonance politique ?
Le comble de l’ironie est que le ministre de l’écologie qui a alors délivré les permis d’exploration, aujourd’hui député, a déposé une proposition de loi pour abroger les autorisations. Nous ne sommes plus à une incohérence près dans ce dossier ! Pensez aussi, madame le ministre, à l’image que nous donnons à nos concitoyens des politiques et de leurs convictions, et plus encore à ce que signifie le principe de responsabilité politique.
Quant aux industriels, ils sont aussi beaucoup trop discrets sur leurs méthodes. Qui peut nous garantir qu’il n’existe pas aujourd’hui d’autre technique d’exploration et d’exploitation du gaz de schiste que la fracturation hydraulique ? Pour ma part, je n’en connais pas, mais la science et les techniques vont vite. Là encore, le manque de transparence et d’information du public ainsi que l’opacité d’une filière sont patents et contribuent à la situation de blocage actuelle.
La polémique a obligé le Gouvernement à instaurer un moratoire et à confier, après coup, au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et au Conseil de l’environnement et du développement durable une mission destinée à l’éclairer sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux des hydrocarbures de roche-mère que sont le gaz et les huiles de schiste.
On ne peut pas nier que, dans cette affaire, tout a été fait dans le désordre le plus total. À croire que ce désordre a été organisé pour permettre à quelques-uns de parvenir à leurs fins…
Après avoir proposé l’annulation pure et simple des permis, les députés ont révisé leur copie et préféré proscrire la technique elle-même. Du point de vue de la stricte sécurité juridique, ce choix semble plus pertinent, j’en conviens.
Néanmoins, au regard du manque de connaissances scientifiques sur le sujet et compte tenu des enjeux énergétiques auxquels nous sommes confrontés, est-il responsable pour le législateur d’adopter un tel texte ? Les membres du groupe du RDSE n’en sont pas du tout convaincus.
La sécurisation et la diversification de nos approvisionnements énergétiques sont des questions majeures en toile de fond du débat que nous avons aujourd’hui sur l’exploitation du gaz de schiste.
La France dispose d’une soixantaine de gisements pétroliers et gaziers, principalement situés dans le Bassin aquitain et dans le Bassin parisien, dont la production représente à peine 1 % à 2 % de la consommation nationale. En France, 98, 5 % du gaz naturel consommé est donc importé. Notre facture d’importation gazière s’élève à 10 milliards d’euros et ne pourra aller qu’en augmentant dans la mesure où notre consommation de gaz est appelée à croître dans les cinquante années à venir.
Malgré les efforts faits pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée en matière de développement d’énergies renouvelables, la France, il faut le rappeler, est toujours aujourd’hui une grande consommatrice d’hydrocarbures et le restera sans doute encore longtemps. Même si l’on peut regretter cet état de fait, il faudra faire avec. Dès lors, l’exploitation de nouvelles ressources paraît presque inévitable et représenterait même un grand intérêt pour notre indépendance énergétique.
Selon une étude publiée en avril 2011 par l’EIA – l’Energy Information Administration –, la France serait, avec la Pologne, le pays d’Europe dont les ressources en gaz de schiste sont les plus importantes. La question de l’exploration et de l’exploitation de ces gisements se pose donc avec une particulière intensité d’un point de vue économique. Nos sous-sols pourraient nous permettre d’acquérir une plus grande indépendance sur le plan énergétique en nous rendant moins tributaires du marché mondial du gaz. On sait les conséquences que cela pourrait avoir sur les prix du gaz pour nos concitoyens. Notre rôle de parlementaires n’est-il pas aussi de veiller à cela ?
Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’exploitation des gisements de gaz de schiste a permis aux États-Unis de passer devant la Russie en termes de production de gaz naturel. Ils prennent ainsi la tête du classement mondial. Je n’admire évidemment pas la situation actuelle des États-Unis concernant l’exploitation de leur gaz de schiste – les polémiques vont bon train, je l’ai dit, et certains cas de pollution grave sont avérés –, néanmoins leur exemple prouve à quel point cette ressource peut représenter un enjeu non négligeable, qu’il serait sans doute irresponsable d’ignorer et de refuser a priori.
De fait, l’exploitation des gaz et huiles de schiste dans le monde serait susceptible de modifier profondément et durablement la carte de la production d’énergie. Cette question ne doit donc pas être traitée à la légère. Au-delà de la question écologique, qui se pose avec acuité, c’est tout le marché des ressources énergétiques et l’ensemble des politiques énergétiques mondiales qui pourraient être bouleversés.
Pour en prendre la mesure, encore faudrait-il avoir de véritables certitudes sur le niveau réel des ressources mondiales en gaz et en huile de schiste. À cet égard, le travail des scientifiques n’est pas non plus achevé, ce qui fait cruellement défaut à notre réflexion.
Le débat que nous avons aujourd’hui met une nouvelle fois en évidence l’opposition entre l’enthousiasme pour de nouvelles sources d’énergie et les risques réels que leur exploitation fait peser sur l’environnement. Cela symbolise clairement l’éternel paradoxe auquel nous sommes soumis : notre civilisation peine à satisfaire sa boulimie énergétique, mais elle voudrait être moins dépendante du nucléaire, surtout après les événements de Fukushima. Et je ne parlerai même pas de la fin annoncée de l’ère du pétrole...
L’orientation de notre politique énergétique mérite d’être mise à plat. Nous appelons de nos vœux un plus grand débat sur la politique énergétique de la France. Pourquoi pas un Grenelle de l’énergie, madame le ministre ? Agir dans la précipitation n’est jamais un gage de qualité. L’obscurantisme ne doit pas non plus prendre le pas sur le principe de précaution. Il n’appartient pas au législateur d’interdire aujourd’hui une technique qui sera peut-être mieux maîtrisée demain. C’est selon nous un non-sens.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe du RDSE demandent à l’unanimité un grand débat public, démocratique et transparent sur l’exploitation des gaz de schiste dans notre pays. Nous regrettons d’avoir à nous prononcer sur cette proposition de loi alors que des études sont encore en cours et que des rapports sont sur le point d’être rendus.
Dans ces conditions, et pour les multiples raisons que je viens d’évoquer à cette tribune, aucun des membres du groupe du RDSE n’approuvera la présente proposition de loi : certains se prononceront contre, d’autres s’abstiendront.
Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat sur les hydrocarbures de schiste intervient au moment même où le marché européen de l’électricité et du gaz est bouleversé par la décision allemande d’une sortie rapide du nucléaire.
Ce choix de la première puissance économique européenne va provoquer un bouleversement sur tout le vieux continent.
Tout d’abord, parce que l’Allemagne sera contrainte à court terme de recourir au charbon, sa première ressource, qui représente 45 % de sa production d’énergie. Le prix à payer – vous y avez fait allusion, madame la ministre – sera une augmentation importante des émissions de gaz à effet de serre.
Ensuite, parce que ses centrales nucléaires, qui produisent actuellement 23 % de l’électricité allemande, seront remplacées par des centrales à gaz alimentées principalement par la Russie. Cela augmentera inévitablement le prix du kilowattheure en Allemagne, et par ricochet dans le reste de l’Europe.
Le troisième pilier de la politique énergétique allemande pour compenser l’arrêt des réacteurs nucléaires repose sur les énergies renouvelables. Cependant, cela sera insuffisant à court et à moyen terme.
En attendant, que fera l’Allemagne ? Elle n’aura d’autre choix que d’importer du courant nucléaire, peut-être un peu de Tchéquie, mais essentiellement de France, notamment si elle veut éviter le risque d’un black-out tel que celui qu’elle a connu en 2006 et qui a eu des répercussions à l’autre bout de l’Europe, au Portugal et en Espagne.
Ce sera peut-être une bonne chose pour notre balance commerciale, puisque nous leur vendons déjà de l’électricité en été, mais cela posera un véritable problème pour notre approvisionnement, car chaque hiver la France doit importer son électricité.
En résumé, chacun a le droit de choisir son mix énergétique, mais il faut savoir que tout choix a des répercussions sur les autres nations européennes.
La France possède probablement des ressources en hydrocarbures de schiste considérables. Pour le gaz de schiste, on évoque le chiffre de 5 000 milliards de mètres cubes, alors que notre pays en consomme 40 milliards de mètres cubes par an. Dans un pays qui importe 98, 5 % de son gaz naturel, avec un impact négatif de 10 milliards de dollars sur la facture énergétique nationale, ces chiffres doivent être considérés avec attention.
Le premier intérêt de ces propositions de loi est donc de pousser le Parlement à se saisir de la question de l’approvisionnement en énergie de notre pays, concernant tout particulièrement le gaz naturel. Car le gaz de schiste, c’est avant tout du méthane !
Mes chers collègues, je voudrais appeler votre attention sur quatre points.
En premier lieu, le gaz naturel a vu son importance croître considérablement dans le monde au cours de ces dernières décennies : il représente aujourd’hui 21 % de la consommation mondiale d’énergie, contre 13 % seulement en 1960. Or l’Europe dépend beaucoup pour son approvisionnement des pays de l’ex-Union soviétique et du Moyen-Orient. On a vu les problèmes de sécurité énergétique que pouvait poser cette situation en 2009, lorsqu’un différend entre la Russie et l’Ukraine a privé de gaz plusieurs pays européens.
Une réponse consiste dans le gaz naturel liquéfié, ou GNL, qui circule par bateau. Il permet de diversifier les sources d’approvisionnement. À cet égard, il faut approuver la construction du nouveau terminal méthanier à Dunkerque que vient d’annoncer le Président de la République.
Reste que ces infrastructures ont un coût très élevé. L’idéal serait donc de produire du gaz naturel sur notre propre sol. C’est précisément ce que pourrait permettre le gaz de schiste. Dans une moindre mesure, les huiles de schiste présenteraient le même avantage par rapport aux importations de pétrole.
C’est donc à un enjeu géopolitique aussi bien qu’économique que répondrait cette nouvelle ressource.
En deuxième lieu, nous devons le répéter, il s’agit non pas de remplacer les énergies renouvelables par du gaz de schiste, mais de substituer du gaz extrait de notre sous-sol à du gaz acheté dans des pays lointains et acheminé le plus souvent par gazoduc. Cette ressource ne doit donc pas nuire aux investissements dans les énergies renouvelables. Au contraire – ainsi que vous l’avez rappelé, madame la ministre –, toutes les pistes doivent être explorées pour diversifier et sécuriser le bouquet énergétique français.
Or les capacités hydrauliques n’ont plus qu’une marge de progression limitée dans notre pays et le développement nécessaire de l’électricité éolienne ou photovoltaïque ne peut remplacer à court terme le gaz naturel, qui représente 15 % de la consommation d’énergie primaire.
Reste la biomasse, qui présente des marges de progression importante en France. Je salue à ce propos l’arrêté visant à revaloriser les tarifs d’achat de l’électricité produite par méthanisation, qui a été publié au Journal officiel le 21 mai 2011. Cette source d’énergie est prometteuse, et j’ai regretté que le Grenelle de l’environnement ne lui ait pas fixé des objectifs plus ambitieux.
En troisième lieu, la plupart des critiques à l’encontre des gaz de schiste se fondent – comme cela a été rappelé – sur les excès constatés aux États-Unis, tout particulièrement à travers le film Gasland, qui aligne des images-chocs et des corrélations inquiétantes, mais sans aller véritablement au fond des choses.
Les études scientifiques disponibles sont beaucoup plus mesurées et on ne peut de toute manière pas transposer aussi simplement en France la situation des États-Unis. Tout d’abord, parce que la géologie n’est pas la même.
En France même, il faut distinguer les couches géologiques régulières et peu fissurées du Bassin parisien, pourvues d’huiles de schiste, et celles, plus tourmentées et moins bien connues, qui caractérisent les zones dotées de gaz de schiste dans le sud de la France.
Ensuite, parce que les contrôles permettent de vérifier que les forages sont conduits selon les meilleures techniques possibles. La réglementation française, beaucoup plus rigoureuse, permet de garantir l’étanchéité des puits afin que le méthane ne s’échappe pas en direction des nappes phréatiques. Sans doute faudra-t-il adapter cette réglementation afin, d’une part, de limiter, par exemple, les fuites de méthane dans l’atmosphère lors de la remontée des fluides de fracturation, car le méthane est un puissant agent de réchauffement climatique, et, d’autre part, de mieux associer les élus. Vous serez, je crois, plusieurs à le rappeler, mes chers collègues.
Je considère que les entreprises américaines n’ont pas pris toutes les précautions nécessaires. Elles ont manqué d’un cadre de régulation suffisant, dans un pays où cinquante États peuvent fixer cinquante règles différentes.
Pour toutes ces raisons, il faut approuver l’interdiction générale de la fracturation hydraulique. Si nous ne sommes pas certains de maîtriser les conditions de mise en œuvre de cette technique, celle-ci ne peut être utilisée sur une grande échelle.
C’est précisément pour la même raison que la recherche dans ce domaine est indispensable. En effet, certains toxicologues critiquent la présence de benzène dans les fluides utilisés pour la fracturation. Faut-il le traiter ? Faut-il l’interdire ?
Il est facile de dresser des listes impressionnantes d’agents chimiques et de les publier sur internet. Mais leur toxicité dépend des quantités utilisées, de la manière dont ils sont diffusés et des conditions d’exposition des hommes ou des animaux. Tout cela doit être étudié et mieux compris.
En quatrième lieu, la France devrait-elle se passer d’une nouvelle ressource telle que les hydrocarbures de schiste sans chercher à la comprendre ?
Nous serions les seuls à faire ce choix. Les autres pays savent pourtant aussi bien que nous, et souvent mieux, les risques qu’a représentés l’exploitation du gaz de schiste telle qu’elle a été pratiquée aux États-Unis. Les Américains eux-mêmes le reconnaissent : le président Barack Obama exige l’utilisation de méthodes plus propres, mais il ne remet pas en cause l’exploitation de cette ressource. Il l’a encore dit lors de sa visite en Pologne la semaine dernière. La Pologne, qui a probablement encore plus de ressources que la France, compte beaucoup sur le gaz de schiste pour réduire sa dépendance envers le gaz russe.
À l’échelle de l’Union européenne, qui sera bientôt présidée par la Pologne, le professeur Dieter Helm, qui préside le groupe consultatif sur la feuille de route 2050 pour la politique énergétique européenne, plaide pour l’exploitation des gaz de schiste en remplacement du charbon. Les Allemands, bien qu’ils soient très en avance sur nous dans le domaine des énergies renouvelables, ont décidé de développer la filière des hydrocarbures de schiste au moment où ils choisissent d’arrêter le nucléaire.
Sans oublier la décision prise la semaine dernière par le Royaume-Uni d’explorer cette filière. Faut-il également citer la Suède ou encore la Norvège, qui exploite déjà les gaz de schiste en mer ? Ces pays ne s’y lancent pas à corps perdu.
Au Québec, où la contestation concernant le gaz de schiste a commencé bien avant chez nous, un moratoire a été déclaré en attendant les résultats d’une évaluation environnementale stratégique des méthodes d’extraction.
Mais nulle part on envisage d’interdire purement et définitivement toute exploration, toute recherche, toute expérimentation concernant les gaz et huiles de schiste, alors même qu’on n’a pas encore conduit d’étude scientifique sérieuse et adaptée au contexte français.
Dans ces conditions, le groupe de l’UMP soutiendra le texte qui est soumis à notre examen et qui a été excellemment présenté par Michel Houel.
Ce texte vise en effet à stopper tous les projets de fracturation hydraulique en cours et à empêcher que de nouveaux forages utilisant cette technique soient mis en œuvre, au besoin en abrogeant des permis déjà accordés.
Il vise en outre à prévoir une procédure expérimentale, sous contrôle public, bénéficiant de meilleures conditions de transparence que celles prévues actuellement par le code minier. Cette procédure nous permettra de mieux connaître l’état de notre sous-sol, d’évaluer les techniques d’extraction, de définir un cadre réglementaire.
Le texte de la commission, renforcé notamment par les amendements de Claude Biwer, est particulièrement équilibré, compte tenu des délais fort courts qui ont été laissés à l’Assemblée nationale comme au Sénat pour l’examiner. Il répond à une situation d’urgence sans compromettre l’avenir.
Après l’accident de Fukushima, la France a refusé à juste titre toute décision précipitée concernant l’avenir de l’énergie nucléaire. Elle s’est donné le temps et les moyens d’évaluer avec soin la sûreté de ses centrales, grâce au travail de l’Autorité de sûreté nucléaire. Le Parlement s’est également saisi de la question. Des décisions seront prises, le moment venu, en toute connaissance de cause.
Souhaitons que les débats relatifs aux gaz et huiles de schiste, dont l’exploitation industrielle ne serait de toute manière techniquement pas possible avant plusieurs années, puissent se dérouler dans la même sérénité.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues – je salue également les personnes qui assistent à notre débat –, à la fin de l’année 2010, la découverte de la délivrance par le Gouvernement de permis exclusifs de recherches de gaz et huiles de schiste a suscité une très forte mobilisation citoyenne sur les territoires concernés. Les manifestations ont été et sont toujours très nombreuses – c’est encore le cas aujourd’hui devant le Sénat – avec, en particulier, celle du 26 février 2011 à Villeneuve-de-Berg en Ardèche, qui a rassemblé plus de 20 000 personnes.
En effet, le retour d’expérience des États où se pratique l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels a fait prendre conscience des dangers de la technique utilisée, c'est-à-dire celle de la fracturation hydraulique. Cette technique est énormément consommatrice d’eau et fait courir le risque d’une pollution de la nappe phréatique par les adjuvants chimiques utilisés dans le processus.
Pris, en quelque sorte, la main dans le sac, le Gouvernement a décidé de mettre en place une mission et de suspendre les recherches et les travaux dans l’attente du rapport de ladite mission.
En outre, après s’être précipité pour accorder, en mars 2010, les permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux, le Gouvernement a fait inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale la proposition de loi déposée par Christian Jacob. Ainsi, nous devons nous prononcer, qui plus est en procédure accélérée, sur cette proposition de loi, qui a été modifiée par l’Assemblée nationale. Ce texte est inacceptable en l’état, puisqu’il se caractérise par des ambiguïtés majeures venant s’ajouter au manque de transparence du Gouvernement dans la conduite de ce dossier.
Le premier point que je souhaite aborder porte précisément sur le manque de transparence dont a fait preuve le Gouvernement.
Depuis le départ, le dossier a été conduit dans la précipitation et l’opacité.
Tout d’abord, les arrêtés du 1er mars 2010 concernant les permis exclusifs de recherches, dits de « Villeneuve-de-Berg », de « Montélimar » et de « Nant », ont été pris en catimini, …
… sans en informer quiconque, en particulier les maires des communes concernées, et ce tout de suite après le vote des lois dites « Grenelle 1 » et « Grenelle 2 ».
Ensuite, le Gouvernement a décidé d’apporter des modifications au code minier en utilisant la procédure des ordonnances. Certes, le Gouvernement a rédigé depuis un projet de loi de ratification de l’ordonnance du 20 janvier 2011 portant codification de la partie législative du code minier. Cependant, il n’en demeure pas moins que ce projet de loi n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour du Parlement !
En outre, les documents, pourtant publics, concernant les permis exclusifs de recherches délivrés n’ont été rendus accessibles que très récemment, parce que des citoyens ont saisi la Commission d’accès aux documents administratifs.
Sourires sur les travées du groupe socialiste.
Je trouve cette procédure tout à fait anormale.
Comment croire que tout cela n’est qu’un concours de circonstances, alors que des informations concernant les dégâts environnementaux et sanitaires causés par les exploitations en Amérique du nord étaient dans le même temps diffusées sur internet ?
La seconde partie de mon intervention porte sur les ambiguïtés du texte qui a été adopté à l’Assemblée nationale.
Les députés ont profondément modifié le texte initial sur des points essentiels. Les arguments de sécurité juridique invoqués au cours de la discussion à l’Assemblée nationale pour justifier de telles modifications ne nous semblent pas fondés. En tout cas, le texte actuel comporte de nombreuses ambiguïtés.
Ainsi, nous sommes passés de l’interdiction générale de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère à l’interdiction de la seule technique dite « de fracturation hydraulique », ce qui est loin d’être la même chose. Cette technique n’étant pas définie dans le texte, les entreprises titulaires des permis pourraient vouloir contourner l’interdiction en y ayant recours, mais en la nommant autrement.
Quant à l’abrogation inconditionnelle des permis exclusifs déjà délivrés, elle est désormais soumise à un processus déclaratif, au « bon vouloir », des titulaires des permis. Cette disposition crée une véritable insécurité, puisque les entreprises pourraient également, autre hypothèse, déclarer ne pas utiliser la technique de la fracturation hydraulique, afin de conserver leur permis, de prendre pied sur le terrain et de commencer des recherches en se limitant à des forages.
Cette dernière hypothèse me semble corroborée par les recours formulés par les titulaires des permis exclusifs de recherches contre les arrêtés municipaux interdisant l’exploration et l’exploitation des gaz et huiles de schiste.
Finalement, ce texte se caractérise par le « ni-ni » : ni véritable interdiction ni abrogation !
Ces ambiguïtés paraissent avoir pour seul objectif de ne pas mécontenter les entreprises concernées, en ne fermant pas la porte à la poursuite de la recherche, voire à l’expérimentation de la fracturation hydraulique, une expérimentation rendue désormais possible par l’adoption d’un amendement allant dans ce sens lors de la réunion, mercredi dernier, de la commission de l’économie du Sénat. Pour notre part, nous nous sommes fortement opposés à l’adoption de cet amendement, mais il a été voté par la majorité sénatoriale.
À l’évidence, le Gouvernement veut éviter le risque éventuel de devoir payer des indemnités aux entreprises titulaires de permis.
Ce constat conduit notre groupe à demander une remise à plat complète de ce texte en préalable à la révision du code minier et à un débat sur la politique énergétique de la France.
Nos amendements ont donc pour objet de faire reconnaître la distinction entre hydrocarbures dits « conventionnels » et hydrocarbures dits « non conventionnels », d’obtenir l’abrogation avec effet rétroactif des permis exclusifs de recherches et de conditionner la délivrance d’un permis au respect de certaines règles, en l’occurrence la réalisation d’une enquête publique préalable et d’une étude d’impact, ainsi que la consultation du public. Ces amendements nous paraissent rendre parfaitement compte du souhait d’une large majorité de nos concitoyens.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Applaudissements sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis maintenant plusieurs mois, une très forte mobilisation citoyenne, appuyée par une très large majorité d’élus, se fait entendre, exprimant non seulement ses inquiétudes quant à l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste, mais également sa colère d’avoir découvert les autorisations d’exploration et d’exploitation accordées par le Gouvernement.
Madame la ministre, même si vous avez reconnu que les permis n’avaient pas été accordés dans de bonnes conditions, avec des procédures suffisantes, cette faute avouée n’est pas pour autant pardonnée.
En effet, ce texte, qui a fait l’objet d’une discussion à l’Assemblée nationale les 10 et 11 mai derniers, arrive devant notre assemblée sans apporter les garanties indispensables quant à la volonté d’interdire l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste et d’abroger les permis de recherches.
Alors que différents textes ont été déposés par l’opposition parlementaire pour abroger les permis exclusifs d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels, l’arrivée rapide de l’examen de cette proposition de loi issue de votre majorité ne cherchait-elle pas avant tout à calmer une colère grandissante à la veille d’une échéance électorale ?
Avant d’aborder la question sur le fond, je souhaite en préambule soulever un point de principe qui me semble fondamental dans une démocratie, celui de l’information et de la concertation.
C’est ainsi que, sans concertation locale préalable avec les élus des territoires concernés et encore moins avec les populations, le Gouvernement a accordé à différents groupes industriels des permis de recherches concernant les huiles et gaz de schiste, et ce en totale opposition avec l’application du principe de précaution inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement, ajoutant de fait une énième contradiction avec les objectifs affichés du Grenelle de l’environnement.
Madame la ministre, je vous le confirme, le mouvement citoyen qui s’est mis en place est très fort. Et vous pourrez compter sur la mobilisation des élus comme des populations sur ce sujet !
J’en viens à présent à la question de fond.
Nous sommes là pour enrichir ce texte. Il est donc important que nous regardions la réalité en face. Ainsi, quelques améliorations ont pu être apportées, notamment à l’article 1er, avec l’introduction d’une référence à l’ensemble des principes, des exigences et des obligations contenus dans tous les articles de la Charte de l’environnement. Voilà une précision qui méritait tout de même de figurer dans cette proposition de loi !
En tant qu’élu du département de l’Hérault, je tiens à vous alerter sur les conséquences catastrophiques d’un tel projet d’exploration et d’exploitation des gaz de schiste. La zone du Larzac, qui est concernée en l’occurrence, est un réservoir hydrique pour toute notre région. Le système hydrologique est celui non pas des nappes phréatiques, mais des eaux de résurgence.
Que fait-on du risque encouru par les réseaux hydrogéologiques des eaux profondes contenues dans le sous-sol de l’Hérault et, plus généralement, du sud de la France ? Ces réseaux d’une forte densité et d’une extrême fragilité constituent des réserves d’eau précieuses pour les départements qui doivent affronter, comme en ce moment, des épisodes de sécheresse très rude.
Ainsi que l’a souligné notre collègue Yvon Collin, ce territoire développe le projet de classement au patrimoine mondial de l’humanité de l’espace « Causses-Cévennes ». Un tel classement se verrait fortement remis en cause par l’UNESCO. La préservation de l’environnement de nos territoires est un élément essentiel au maintien des équilibres économiques. L’exemple de ce territoire en est une bonne illustration.
La rédaction initiale de l’article 2 de la proposition de loi visait à abroger les « permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels ». Le texte s’est transformé en « proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique ». Cela signifie clairement que les titulaires de permis de recherches pourront, dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la loi, préciser « les techniques employées pour exploiter leurs gisements ».
Nous savons que nous pouvons faire confiance à l’inventivité sémantique des groupes industriels, surtout quand on leur laisse une telle porte ouverte !
Je crois que la sémantique a de beaux jours devant elle.
Par la modification qui est apportée, on comprend que le Gouvernement n’entend pas renoncer au gaz de schiste. On est passé d’une interdiction de l’exploration et de l’exploitation des huiles et gaz de schiste à l’interdiction de la fracturation hydraulique.
Chacun d’entre nous le sait, une telle fracturation n’est pas le seul risque avéré. Que fait-on des conséquences sur le climat, de la destruction des paysages ou encore de l’importance de l’emprise foncière d’une telle exploitation ?
Madame la ministre, vous le savez, la destruction des réseaux et la pollution des nappes phréatiques ne sont qu’une infime partie des conséquences désastreuses que ce texte va provoquer. Il serait fort regrettable que l’objectif non avoué de l’examen de cette proposition de loi soit de calmer les nombreuses protestations tout à fait légitimes de nos concitoyens. Le texte doit répondre aux questions énergétiques et environnementales qui se poseront à moyen terme.
Aux termes de l’article 6 de la Charte de l’environnement, « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » À mon sens, nous en sommes encore très loin !
L’enjeu n’est-il pas de réduire notre dépendance aux énergies fossiles et de poursuivre et d’accélérer le développement des énergies renouvelables ?
Alors que les principes élémentaires de transparence et de participation des citoyens affichés par le Gouvernement dans le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, le Grenelle 2, ont été écartés, il est de notre devoir collectif de répondre aux exigences environnementales et de santé publique qu’attendent nos concitoyens. Réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 20 % en 2020 doit être la ligne directrice de notre démarche politique.
Aussi, madame la ministre, dans ces conditions, et devant le refus de revenir à la rédaction initiale de l’article 2, il m’est impossible de voter, comme d’ailleurs la majorité de mes collègues du groupe du RDSE, en faveur de cette proposition de loi. Alors que notre action politique doit être guidée par une réduction de notre dépendance énergétique, une réduction des émissions de gaz à effet de serre, le Gouvernement a décidé de sacrifier ses engagements issus du Grenelle 2 de l’environnement, qui devait favoriser le développement des énergies renouvelables. Voilà une contradiction supplémentaire à ajouter à votre bilan !
Il ne suffit pas de venir sur le mont Lozère et d’affirmer que « Le gaz de schiste, c’est fini » pour que les inquiétudes légitimes soient levées.
M. Robert Tropeano. Nos concitoyens sont beaucoup plus attentifs que vous ne semblez le penser, et ils sauront vous le rappeler en temps voulu, car l’heure n’est pas à la démobilisation sur ce sujet, bien au contraire.
Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’avenir énergétique passe-t-il par l’exploitation des huiles et des gaz de schiste ? Telle est la question qui nous est aujourd'hui posée.
Vifs et passionnés, les débats à l’Assemblée nationale ont été à la hauteur de l’indignation et de l’exaspération des élus et des populations sur l’octroi, dans une opacité totale, de permis exclusifs de recherches de gaz et huiles de schiste couvrant une superficie non négligeable du territoire. Au moins vingt-trois départements sont concernés.
En effet, loin des discours consensuels entendus lors de l’adoption de la Charte de l’environnement ou à l’occasion des débats du Grenelle de l’environnement, au moment même où ces permis étaient octroyés, nous voyons bien que le Gouvernement est pris dans des contradictions qu’il n’arrive pas à résoudre. On pourrait même parler de « double langage » !
Alors que le principe de précaution, principe à valeur constitutionnelle qui figure à l’article 5 de la Charte de l’environnement, devrait prévaloir sur tout autre intérêt, le précédent ministre de l’environnement, sans doute saisi par une faiblesse coupable, n’a pas pu ou n’a pas su résister aux sirènes des industriels voyant dans l’exploitation des huiles et gaz de schiste un nouvel « Eldorado » énergétique, une nouvelle source de profit.
C’est regrettable !
Pourtant, nous savons tous que cette activité a des conséquences particulièrement néfastes sur l’environnement, notamment du fait de la pratique spécifique de la fracturation hydraulique, seule technique existante aujourd’hui – faut-il le rappeler ? – permettant l’exploitation de ces hydrocarbures.
Celle-ci, en effet, met gravement en péril la préservation de la ressource aquatique, et ce alors même que la loi sur l’eau a fait de cette question une priorité de l’action publique. Elle conduit également à la pollution de l’air, sans parler de l’impact sur les paysages ou du bilan carbone, qui, selon l’étude de l’université Cornell de New York, serait équivalent à celui de l’exploitation du charbon. Ce point a été souligné par notre collègue rapporteur, M. Houel, dans l’exposé des motifs, preuve que nous étions tous d’accord au départ.
Cependant, n’oublions pas que le premier obstacle à l’exploitation de ces hydrocarbures est la nature même de la ressource. Est-il, en effet, opportun d’ouvrir un nouvel âge de l’énergie fossile au nom de la sécurité d’approvisionnement, alors même que ces ressources sont, par définition, en voie d’épuisement et génératrices de gaz à effet de serre, autre gros problème à l’échelle planétaire ?
Conformément aux engagements pris, l’heure est plutôt au développement de la recherche, non sur la fracturation de la roche, mais prioritairement dans le domaine des énergies renouvelables. Dans ce cadre, notons que le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, a rendu un rapport le 9 mai dernier indiquant qu’en 2050 la part des énergies renouvelables pourrait, sous réserve d’une politique volontariste, atteindre 80 % dans la composition du bouquet énergétique. Voilà quelle devrait être notre ambition !
La politique énergétique demande une vision de long terme incompatible avec l’instauration d’un marché totalement libéral soutenu par des sociétés d’investissement souvent américaines faisant prévaloir les critères de rentabilité immédiate sur ceux de durabilité. Nous en avons là un nouvel exemple !
Les événements dramatiques de Fukushima ont également démontré, s’il en était besoin, que la transparence et l’information exhaustive étaient absolument nécessaires dans le nucléaire comme dans les autres domaines.
Il aura pourtant fallu attendre la diffusion du film Gasland et la popularisation des recherches sur les inconvénients de ces hydrocarbures pour que nos concitoyens et les élus locaux soient correctement informés. Il s’agit d’une violation manifeste de l’article 7 de la Charte de l’environnement, charte à valeur constitutionnelle, qui prévoit que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Une telle attitude gouvernementale a conforté la crise de confiance avec les élus, qui ne supportent plus d’être traités comme quantité négligeable, pire d’être traînés, comme c’est le cas aujourd'hui, devant les tribunaux par des compagnies américaines.
Vous nous dites que ces dysfonctionnements sont liés à l’obsolescence du code minier et que vous prévoyez très prochainement une refonte de celui-ci afin de permettre une meilleure transparence et une meilleure information. Soit, mais dois-je rappeler que c’est cette majorité parlementaire qui a fait voter en 1994 l’abrogation de l’enquête publique minière et que vous avez coutume de renvoyer à d’autres textes certaines décisions, ce qui ne nous donne aucune visibilité globale ni aucune garantie concrète sur les futures décisions ? Autrement dit, les choses sont faites à moitié.
Nous aurions pu saisir l’occasion offerte par l’examen de ces propositions de loi, d’autant qu’elles étaient consensuelles, pour répondre aux problèmes posés, mais nous sommes malheureusement passés à côté de cette opportunité.
Ainsi, les propositions de loi initiales ont été édulcorées par les travaux des commissions, d’abord à l’Assemblée nationale puis au Sénat, perdant de leur force. Nous sommes passés d’une interdiction d’exploration et d’exploitation des gaz et huiles de schiste à une formulation ambiguë. Nous voyons bien qu’il s’agit avant tout de gagner du temps en espérant que les esprits s’apaisent et préserver la possibilité de revenir sur le sujet. Les manifestants qui sont aujourd’hui devant nos portes ne sont pas dupes de la manœuvre et sont décidés à ne pas vous laisser faire.
Nous sommes opposés à la réécriture par la commission de l’économie du Sénat de l’article 1er. Si nous reconnaissons tous que la fracturation hydraulique est dangereuse pour l’environnement, chacun l’a dit ici, pourquoi l’autoriser à des fins de recherche ? Cela fait trente ans qu’on fait de la recherche sur le sujet et cela fait trente ans qu’on utilise en réalité cette technique. Cette réécriture traduit parfaitement la contradiction qui existe entre le discours et les dispositions concrètes de la loi. Admettez-le, sous couvert de recherche, votre intention est de légaliser une pratique, que nous souhaitons interdire, en jouant la montre !
L’article 2 pose également problème. Il reste, en effet, difficile de croire qu’il est impossible d’abroger l’ensemble des permis de recherche au motif que ceux-ci sont muets pour l’administration, et ce alors même que le bureau qui s’occupe de cette question a été capable de désigner, selon le rapport rédigé à l’Assemblée nationale, les seize permis qui posent problème. Dans son intervention, Nicole Bricq a très précisément indiqué ce que contiennent ces documents.
On a essayé de nous faire croire que cette réécriture répondait au principe à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Force est de constater que l’objectif n’est pas atteint puisque la nouvelle rédaction est beaucoup moins claire et laisse la porte ouverte au maintien de permis de recherche d’exploitation d’huiles et de gaz de schiste, contrairement aux ambitions affichées. Il faut admettre que, en l’état, la présente proposition de loi ne réglera pas la question de manière satisfaisante et pérenne, surtout lorsque l’on sait que les entreprises titulaires des permis n’imaginent pas un seul instant abandonner cette activité. Il est même déjà question de nouvelles techniques. Je pense aux fracturations par azote, par air comprimé ou par propane, qui ont été évoquées en commission ce matin.
De plus, cette nouvelle écriture inverse la charge de la preuve : nous passons d’une abrogation de l’ensemble des permis de recherche pour les hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels à un principe d’autorisation de ces permis, sauf si les industriels déclarent utiliser la fracturation hydraulique. Notons que rien n’est prévu pour évaluer l’impact environnemental du florilège de techniques et sous-techniques envisagées par les industriels depuis que le sujet a été porté au grand jour.
Nous regrettons, par ailleurs, la suppression de l’article 3, qui prévoyait, avant l’octroi du permis, non une simple consultation sur internet, comme l’autorise l’ordonnance du mois de janvier, mais bien une enquête publique, un débat public et une étude d’impact.
Nous ne pouvons accepter que l’enquête publique soit simplement demandée dans le cas de projets réalisés à des fins scientifiques, ainsi que le prévoit l’article 1er. Au vu de la situation actuelle, il est clairement urgent de réaffirmer la nécessité de transparence en ce qui concerne l’utilisation du sous-sol, patrimoine de la nation au sens de l’article L. 110-1 du code de l’environnement.
Enfin, l’article 4, avec la fourniture d’un rapport annuel aux parlementaires, notamment sur l’évolution des techniques, confirme que le Gouvernement ne souhaite pas se priver dans le futur de la possibilité d’explorer et d’exploiter ces hydrocarbures.
Tout cela s’inscrit dans le droit fil du pré-rapport présenté par la mission d’information interministérielle installée le 4 février dernier, qui affirme la nécessaire compatibilité entre environnement et exploitation des huiles et gaz de schiste afin de contribuer à l’émergence et à la formation d’opérateurs et de sous-traitants capables de se positionner sur le marché mondial. Total n’a-t-il pas annoncé le 13 mai dernier avoir pris des participations dans des concessions de gaz de schiste en Pologne ?
Pour une question de méthode, il aurait peut-être été intéressant d’attendre la fin de toutes les missions et le rendu des rapports avant de débattre puisque ces travaux sont censés nous éclairer…
Au final, cette loi ne constitue aucunement une interdiction de l’exploitation du gaz et des huiles de schiste, comme cela était prévu initialement. Le texte qui nous est présenté laisse la porte ouverte à tous les excès, à toutes les pratiques, au plus grand bénéfice des sociétés pétrolières.
Contrairement à ce que l’on aurait pu espérer initialement, aucun consensus n’a pu émerger dans notre assemblée sur cette question importante, ce que nous regrettons. À défaut, bien entendu, de l’adoption des amendements que nous vous présenterons, mes chers collègues, nous voterons contre ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, à l’instar de Michel Teston, de saluer le public présent dans les tribunes et le féliciter de sa patience. Cependant, j’arrêterai là la comparaison car, contrairement à notre collègue, je ne juge pas les textes que nous examinons au nombre de manifestants ou de visiteurs !
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Notre assemblée examine aujourd’hui trois propositions de loi visant à interdire la recherche et l’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels.
Je tiens, avant d’entrer dans le vif du sujet, à saluer l’apport de l’Assemblée nationale, qui a distingué, d’une part, la technique d’exploration et d’exploitation et, d’autre part, l’exploitation elle-même. Mais c’est bien la technique de la fracturation hydraulique qui semble poser le plus de problèmes.
En effet, on exploite depuis longtemps en France des hydrocarbures conventionnels, notamment du gaz dans le bassin aquitain et du pétrole en Île-de-France depuis les années soixante, sans que cela entraîne une telle levée de boucliers. Je n’ai pas vu non plus de péréquation financière intervenir pour autant.
Pour les hydrocarbures de schiste, autre technologie, je comprends que leur exploitation exige d’être pensée différemment. Pour autant, la discussion ne doit pas prendre la tournure trop électoraliste que nous lui connaissons aujourd'hui.
Ce débat est bien un débat national, car la politique énergétique est un enjeu d’ampleur nationale, voire internationale, et non locale. C’est parce que le sous-sol appartient à l’État et non aux propriétaires des parcelles de surface que nous devons envisager les choses autrement que dans certains pays.
Souhaitons-nous connaître l’étendue des ressources en hydrocarbures non conventionnels de notre territoire ? Oui, parce que cela a un impact sur l’emploi, sur les finances locales, sur la balance commerciale et sur notre indépendance énergétique. Il serait dommage de fermer la porte à ces opportunités pour importer du gaz de schiste exploité en Pologne, pays où les ressources sont comparables aux nôtres et où, cela vient d’être souligné, les autorisations semblent avoir été accordées. Il serait également dommage de continuer à acheter à Gazprom, à des tarifs élevés, le pétrole ou le gaz dont nous avons besoin. Dans le cas où la France disposerait de ressources, je préférerais que nous consommions un gaz dont les méthodes d’exploitation sont connues et contrôlées.
Par ailleurs, souhaitons-nous exploiter d’éventuelles ressources ? Quand on sait que l’importation d’hydrocarbures coûte à la France 45 milliards d’euros chaque année, alors que le potentiel de ressources d’hydrocarbures de schiste représente peut-être 5 000 milliards de mètres cubes, il semble raisonnable, d’un point de vue économique comme géopolitique, d’étudier scientifiquement la question de l’exploration et de définir un cadre à l’exploitation pour protéger l’environnement.
L’enjeu, en termes d’indépendance énergétique, est de taille puisque le mix énergétique, à moyen terme, reste tributaire des énergies fossiles. En ces temps où l’énergie est chère, la France doit pourvoir à ses besoins incompressibles en énergies fossiles au meilleur coût économique.
L’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels aux États-Unis aurait fait chuter le prix du gaz de 60 % sur le marché nord-américain. Les Américains sont même en train de devenir exportateurs !
C’est la raison pour laquelle nous devons avoir une approche rationnelle et non politicienne de la question.
Il est hors de question de condamner les opportunités d’exploitation avant même d’en avoir étudié les tenants et les aboutissants.
M. Claude Biwer. Or c’est le contraire de ce que font aujourd’hui certains animateurs du mécontentement. Ils agitent l’opinion publique par des campagnes à charge en éludant le caractère scientifique et économique du débat.
Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.
Au moins, ils ne se font pas dicter leur position par les entreprises !
C’est au Parlement de légiférer, chers collègues !
Je considère qu’il ne faut pas céder au catastrophisme, les aspects négatifs de l’exploitation dans certains pays, comme le montre le film Gasland, n’est pas nécessairement valable dans d’autres et j’ai constaté, moi aussi, que ce film avait bien des aspects négatifs dans sa présentation. Des puits non étanches qui entraînent une pollution des sols, peut-être des nappes phréatiques, ce n’est pas ce que nous voulons en France, et vous le savez bien. Dans notre pays, la réglementation imposant un triple cuvelage des puits est bien plus stricte et sécurisante.
Alors qu’en Angleterre, en Suède, en Allemagne, les gaz de schiste ont reçu un accueil favorable, je comprends mal, en dehors du coût environnemental de la fracturation hydraulique, qui est l’élément de base – je le répète – comment la contestation populaire a pu être aussi forte sur la question « globale » de l’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels en France, y compris dans la recherche.
Je le comprends d’autant moins que ni les conclusions du rapport des députés Gonnot et Martin, ni le rapport final du conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et du conseil général du développement durable n’ont été finalisés. Et je le comprends encore moins quand on m’assure, dans mon propre département, la Meuse, que le stockage des déchets radioactifs à 800 mètres de profondeurs est sans risque et que nous pouvons les accepter alors qu’une fracturation de la roche à 3000 mètres en serait un et qu’il faudrait prendre mille précautions supplémentaires.
Il faut donc remettre chaque chose à sa place dans le débat : l’opportunité en termes de ressources, mais aussi le coût environnemental de leur exploitation. Or la méthode de la fracturation hydraulique pose un vrai problème environnemental, c’est vrai…
La grosse consommation d’eau qu’elle exige semble gênante dans l’esprit de certains. Je partage ce sentiment surtout au moment où l’on accuse les agriculteurs de trop utiliser d’eau pour l’irrigation. Il faut en effet essayer de l’économiser. Je crois que nous avons besoin de travailler cette question. Il ne serait pas admissible pour moi de ne pas engager une réflexion sur ce thème.
Il est nécessaire de mener des recherches sur d’autres solutions. C’est la raison pour laquelle j’avais déposé, en commission, trois amendements visant à autoriser les forages à des fins de recherche scientifique pour faire évoluer la technique sur ce point et éviter la fracturation.
Je remercie d’ailleurs la commission et son rapporteur, Michel Houel, d’avoir soutenu cette initiative et de l’avoir utilement complétée en prévoyant, entre autres, la possibilité de faire des recherches sur des techniques alternatives d’extraction.
En effet, il existe des marges de manœuvre pour réduire la consommation d’eau. Par exemple, dans le cas de la fracturation hydraulique, la récupération et l’injection de l’eau saline contenue dans les poches d’hydrocarbures est une méthode qui mérite d’être expérimentée.
Il existe par ailleurs d’autres techniques qui ont recours au propane, peut-être au gaz comprimé, peu importe…
Mais vous pouvez vous chauffer comme vous le voulez, ma chère collègue !
Ainsi, on injecte, à la place de l’eau, du propane gélifié permettant l’expansion de la roche mère, ce qui est finalement l’objectif de l’opération.
L’avantage de cette technique brevetée et expérimentée dès 2007 réside dans le fait que 100 % du propane injecté est récupérable et repart dans les pipe-lines avec le gaz qui l’accompagne et que nous recherchons.
Ce sont des perspectives d’avenir, d’autres sont encore à l’étude et nous devons faire confiance aux scientifiques, dont la mission ne manquera pas de déboucher sur des propositions ; c’est ainsi que nous avancerons tranquillement mais sûrement.
Si l’on n’y croit pas a priori, laissons au moins l’expérience se faire et nous constaterons les résultats in situ, une fois que les scientifiques auront accompli leur mission et que les contrôles auront été effectués. Nous trouverons alors la solution qui s’impose.
Madame la ministre, je partage votre point de vue lorsque vous dites que le principe de précaution, c’est aussi l’évaluation du risque et de la recherche. J’ajouterai – si vous le permettez – que c’est avant tout vers la recherche que doivent porter nos efforts. En tout cas, tel est mon souhait.
Ne fermons donc pas complètement la porte comme nous l’avons fait, certainement à tort, au nom du principe de précaution sur des sujets tels que les nanotechnologies ou encore les OGM : triste expérience ! Soutenons la recherche au lieu de la déclarer mort-née. C’est dans la droite ligne de ce principe que le groupe centriste a apporté sa pierre à l’édifice pour élaborer le texte qui est proposé aujourd’hui. Ce texte, nous le défendrons parce que les enjeux économiques et environnementaux sont tels qu’il est de notre devoir de ne céder ni à la pression électoraliste ni au catastrophisme.
Ainsi, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la grande majorité des sénateurs centristes soutiendra le texte de la commission, ouvert à la recherche scientifique sous contrôle de l’État. Dans tous les cas, nous avons conscience que ce débat n’est qu’une première étape d’une réforme de plus grande ampleur du code minier, nécessaire afin que l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures sur notre territoire ne causent pas de dommage à nos populations, à l’environnement ou à nos paysages mais servent utilement la transition énergétique de la France.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la raréfaction des énergies fossiles met les gaz de schiste au cœur de notre débat d’aujourd'hui.
Certains disent que, compte tenu de cette raréfaction, il faut, le plus vite possible, utiliser tout ce qui se trouve dans notre sous-sol afin d’obtenir des énergies nouvelles. À l’instar de notre éminent collègue aveyronnais Alain Fauconnier, je voudrais insister sur le fait que ce qui se passe – et le mini-séisme lié à la fracturation hydraulique qui a hier secoué la ville de Blackpool le montre bien – n’a rien à voir avec des raisons électoralistes ou je ne sais quelles autres allégations. Seuls nous importent l’avenir de la planète et notre environnement.
Les permis ont été délivrés – d’autres l’ont dit avant moi – dans la plus grande opacité, en catimini, comme si le Gouvernement avait quelque chose à se reprocher, comme s’il voulait donner la possibilité à des entreprises de forer et d’exploiter sans que cela se sache. Il pensait que cela se passerait sans heurts.
Mais, si nous débattons de ce texte cet après-midi au Sénat, c’est grâce à l’immense mobilisation des citoyens – pas une mobilisation politicienne ! –, celle de femmes et d’hommes de catégories sociales et de régions différentes pour qui il importe avant toute chose que l’environnement et, accessoirement, leur santé soient préservés.
Aux côtés de ces dizaines de milliers de citoyens, les élus se sont aussi mobilisés. Quelle situation inadmissible en effet de voir un jour sur sa commune un camion arriver pour forer sans que le maire ait été consulté ni même informé ! Voilà ce que refusent des dizaines de milliers de Français et, avec eux, de nombreux élus.
C’est donc grâce à cette mobilisation immense, sans précédent, que nous délibérons, certes dans l’urgence.
Ce que demandent ces citoyens et ces élus, c’est un débat de société. Ils veulent défendre, protéger, sauver notre environnement. Or qu’est devenu le rôle des citoyens, madame la ministre, si bien décrit, démontré dans le Grenelle de l’environnement, qui devait permettre aux uns et aux autres – citoyens, associations, organismes, élus locaux – de nouer entre eux un dialogue ? Ce rôle des citoyens, cette gouvernance, cette volonté affirmée dans le Grenelle de l’environnement ont été totalement oubliés.
Ces citoyens ne veulent pas des paysages de ruines, des champs dévastés, ni que les communes rurales, dont certaines sont situées sur des parcs naturels régionaux, deviennent des sites touristiques abandonnés à la logique du toujours plus.
Où est l’ambition du Grenelle de l’environnement ? Le dialogue et la gouvernance ont été oubliés.
Quel grand écart entre les déclarations du Premier ministre, François Fillon, qui, à la tribune de l’Assemblée nationale, annonçait l’abrogation des permis, et cette proposition de loi amoindrie où il n’est plus question d’abrogation ! Nous apprenons maintenant que pour des raisons juridiques, contrairement ce qu’avait dit le Premier ministre, il ne sera pas possible au Gouvernement d’abroger ces permis. Il a donc changé d’avis, peut-être sous la pression ou après réflexion. En tout état de cause, ce recul n’est pas acceptable. On ne gouverne pas contre les citoyens, contre les élus, on gouverne avec eux, pour eux et pour la nation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
C’est la raison pour laquelle notre groupe demande de nouveau l’abrogation des permis et que nous avons déposé une proposition de loi au mois de mars dernier. Qu’y disions-nous ?
Premièrement, il faut réformer le code minier, qui, aujourd’hui, n’est plus d’actualité, ne permet pas de garantir la transparence ni d’aborder sereinement la situation. Certes, il y a des ordonnances, mais, dans la proposition de loi précipitée qui nous est aujourd'hui soumise, on procède à l’envers. Il aurait fallu d’abord réformer le code minier, cette réforme entraînant un « blindage » juridique qui aurait permis à l’ensemble des territoires de bien mieux s’en sortir.
Deuxièmement, l’objet de notre proposition de loi était de dire que nous ne voulons pas un débat sur la technique, car ce n’est pas le sujet. Nous voulons l’interdiction de l’exploration et de l’exploitation des gaz de schiste, quelle que soit la technique utilisée.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Nous voulons protéger, sanctuariser la roche-mère ; c’est le b-a-ba si nous voulons assurer l’avenir de notre territoire.
Enfin, nous pensons que la proposition de loi qui nous est soumise est un texte d’affichage et d’opportunité. Face à l’immense mobilisation qui est apparue, le Gouvernement s’est dit qu’il fallait essayer de la freiner, car il ne pouvait plus rien faire d’autre. Mais cette proposition de loi, qui sera vraisemblablement votée tout à l’heure, ne résout absolument rien et laisse la porte ouverte à toutes les dérives, aux explorations et aux exploitations, et c’est contre cela que nous nous battons.
Aujourd’hui, madame la ministre, c’est nous, groupe d’opposition, qui vous demandons de réhabiliter le Grenelle de l’environnement.
Nous vous demandons de réhabiliter les grands principes qui semblent avoir été oubliés, peut-être d’ailleurs sous la pression de certains de vos amis qui pensaient que les contraintes environnementales, les contraintes du Grenelle poseraient des problèmes dans la vie de tous les jours. Ce n’est pas notre avis.
C’est la raison pour laquelle, en conclusion, j’insiste, au nom de notre groupe, pour qu’un grand débat sur l’énergie soit organisé dans notre pays, non pas en catimini, non pas dans l’opacité, comme cela vient d’être fait. Ce grand débat sur l’énergie est nécessaire. On ne peut pas aborder les dossiers de l’énergie les uns après les autres : énergies fossiles, gaz de schiste, énergie nucléaire, centrales thermiques, énergies renouvelables. Cela n’a aucun sens. Il faut mettre en place un grand et beau débat au Parlement, et y associer les citoyens, c’est une urgence.
« À quoi servent les richesses ? », disiez-vous tout à l’heure, madame la ministre. Elles servent à vivre mieux. Nous, ce que nous voulons, c’est vivre mieux en vivant plus longtemps sans les contraintes que nous imposerait le toujours plus. Ce qui nous importe, c’est la sécurité, la santé publique et la préservation de l’environnement, qui doivent toujours prévaloir sur la recherche de profits, même et surtout en matière d’énergie.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis quelque peu attristé par ce débat.
Nous sommes tous soucieux de protéger notre environnement et d’empêcher que des explorations ou des exploitations d’huile et de gaz de schiste ne viennent le mettre en danger.
Or, dans ce dossier, Mme la ministre a, me semble-t-il, fait preuve à la fois de courage et d’une grande capacité d’écoute.
À travers ce texte, nous démontrons – j’espérais même que nous pourrions le faire d’un commun élan, en dépassant nos clivages politiques – notre capacité à mettre nos territoires à l’abri de ce risque, sans pour autant nous prononcer définitivement sur les grands problèmes énergétiques, qui ne manqueront pas de faire l’objet de débats à l’avenir.
Il me semble donc que les critiques adressées à Mme la ministre sont quelque peu injustifiées. Reconnaissons que, face à cette situation délicate, et même si l’on a d’abord agi vite et mal, nous réagissons aujourd’hui vite et bien.
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Dans un premier temps, le Gouvernement a eu la sagesse de décider d’un moratoire sur les projets de forage et de lancer des études. Puis, sensible aux arguments des parlementaires de tous horizons qui l’ont sollicité, il a décidé de soutenir une proposition de loi susceptible de mettre nos territoires à l’abri de tout danger.
En ce qui concerne mon département, la Lozère, l’association des maires et des élus, que j’ai l’honneur de présider, avait très clairement exprimé son refus de voir un tel risque peser sur notre environnement, dont nous espérons qu’il sera bientôt inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, au titre de sa tradition d’agropastoralisme.
Il n’y a aucune ambiguïté dans nos positions. Il fallait aller plus loin que le moratoire et, par la loi, garantir qu’il n’y aurait aucun risque d’exploration ou d’exploitation au moyen de techniques susceptibles de mettre en danger l’environnement.
Au terme des débats à l'Assemblée nationale, un accord est intervenu pour interdire les techniques de fracturation hydraulique. En interdisant ces techniques, les seules qui existent à l’heure actuelle, on rend ipso facto caducs les permis de recherche en cours.
Cette solution, qui nous met à l’abri, est sans doute préférable à une négociation, qui aurait pu coûter cher aux différents protagonistes. On ne saurait reprocher au Gouvernement et à l'Assemblée nationale d’avoir choisi cette voie.
On nous dit que des industriels pourraient être tentés de contourner l’interdiction ou de tricher. C’est faux ! Chacun sait bien qu’il est impossible d’utiliser de telles quantités d’eau ou de faire un forage en catimini. Ayons l’honnêteté de dire que ce risque n’existe pas !
Si nous n’avons pas décidé définitivement de ce que seraient les politiques énergétiques à l’avenir – dieu sait si ce sujet est compliqué ! –, nous avons répondu à une urgence, et il me semble qu’il fallait déjà un certain courage politique pour le faire.
J’avais, hélas ! le privilège d’être déjà un acteur de la vie politique lorsque la France a décidé, après la crise du pétrole, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, de s’engager plus avant dans la voie de l’énergie nucléaire. Le sujet fait certes débat aujourd’hui, mais il s’agissait, à l’époque, d’une décision courageuse.
De même, nous avons aujourd’hui le courage – je regrette simplement qu’il ne soit pas partagé – de dire non à ces techniques dangereuses pour l’environnement.
Ce faisant, nous sommes fidèles au Grenelle de l’environnement
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Nous avons fait une erreur ; nous la corrigeons. Le médecin que je suis a appris à faire preuve de modestie : le diagnostic est parfois difficile, et la critique est toujours plus facile que l’action.
Le Gouvernement n’a pas refusé d’admettre que des choses devaient changer, et il nous propose aujourd’hui d’effectuer ces changements dans la dignité, en respectant l’expression des convictions de chacun.
Je souhaite aussi féliciter M. le rapporteur, avec qui j’ai cosigné l’une des propositions de loi. Il a accompli, en peu de temps, un travail approfondi, et il nous invite à ne pas complètement bloquer les perspectives de recherches scientifiques sur l’évolution des techniques de forage. Il me semble que personne ne peut refuser cette proposition, sous réserve bien entendu qu’elle n’ouvre pas la porte à des contournements de la loi que nous pourrions voter et que ces recherches ne se déroulent pas sur des territoires spécifiquement protégés comme les parcs naturels nationaux et régionaux, les zones Natura 2000 et celles classées au patrimoine mondial de l’UNESCO.
À l’heure actuelle, la fracturation hydraulique est la seule technique disponible. On l’interdit : il n’y aura donc aucun risque ! Au demeurant, nous ne devons pas fermer la porte aux technologies qui pourraient voir le jour dans le futur, à condition que leur développement soit maîtrisé sur le plan scientifique.
J’appelle chacun à faire preuve de modestie. Le Gouvernement a eu le courage de reconnaître que la situation exigeait de prendre des mesures. Le Parlement fait son travail, en ayant sur ce sujet un débat respectable et respectueux des positions de chacun. Ce faisant, on prépare le terrain à des débats essentiels sur le problème global de l’énergie. Ce grand débat sera incontournable, nous le savons tous, et en aucun cas nous ne pouvons décider d’exclure pour l’avenir telle ou telle source d’énergie.
Il faudra voir quelles conséquences seront tirées des événements récents dans le domaine de la sécurité de l’énergie nucléaire. Sur ce plan, j’oserai presque dire que la France est exemplaire. Elle est sans doute le pays qui a porté le plus d’attention aux questions de sécurité. Bien sûr, personne n’est jamais à l’abri d’un accident. Mais l’on s’aperçoit aujourd’hui que d’autres pays n’ont pas fait preuve de la même rigueur en matière de sécurité.
De surcroît, à l’heure où la France est touchée par la sécheresse, et où nos agriculteurs, en particulier nos éleveurs, vivent un véritable drame, on ne pouvait pas fermer les yeux sur le problème de l’utilisation massive de la ressource en eau – et je ne parle pas du risque induit par l’utilisation de produits chimiques.
J’ai aujourd’hui le sentiment que nous pouvons répondre pleinement à l’attente de ceux qui, sur le territoire, ont manifesté leur refus de l’exploration et de l’exploitation des gaz de schiste.
Je vous remercie, madame la ministre, d’être venue sur le terrain, en Lozère, parler de ces problèmes avec les élus locaux. Votre message a été compris, et il suffit d’ailleurs de laisser de côté ses a priori pour adhérer à vos arguments.
Évitons donc les procès d’intention et attachons-nous aux faits, de manière objective ! Il me semble que nous pouvons aujourd’hui donner l’exemple de sénateurs sérieux, à l’écoute des élus locaux, soucieux de respecter le principe de précaution, conformément à l’exigence du Grenelle, mais aussi désireux de ne pas freiner des recherches scientifiques qui pourraient aboutir au développement de techniques d’exploration réellement protectrices de notre environnement.
Tel est le message que nous pouvons porter tous ensemble, grâce à vous, madame la ministre, mais aussi grâce au travail exceptionnel de la commission de l’économie et de son rapporteur.
C’est donc avec beaucoup de conviction que le groupe UMP soutiendra la proposition de la commission.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si j’interviens dans ce débat qui nous occupe aujourd’hui, ce n’est pas seulement en tant que cosignataire d’une des trois propositions de loi que nous discutons aujourd'hui, c’est aussi en tant qu’élu d’un territoire menacé au premier chef par la technique d’extraction du gaz de schiste, le sud et l’ouest de l’Aveyron, avec en particulier le site de Nant situé au cœur du Larzac.
J’avais abordé ce problème lors d’une question orale sans débat posée ici-même le 2 février dernier. J’y dénonçais non pas seulement la technique, dite de fracturation hydraulique, que nous connaissons tous à présent après trois mois de polémiques et de manifestations, mais celle plus générale d’une façon de gouverner.
Tout a déjà été dit sur la méthode : aucune concertation, aucune information des élus et des populations, en fait un mépris total des territoires et de leurs habitants.
On connaît la suite : protestations et manifestations des élus dans leurs diversités – il n’y avait pas que des élus de gauche ou des écologistes – et, finalement, une première capitulation tactique du Gouvernement dans une cacophonie dont il a le secret…
Je n’aurai ni le temps ni la cruauté de rappeler le contenu de la réponse que me fit M. Besson à l’époque, en totale contradiction avec les propos que vous avez tenus, madame la ministre, quelques jours plus tard lors de votre audition par la commission de l’économie du Sénat.
Entre-temps, il est vrai, les manifestations étaient passées par là et avaient eu quelque effet.
Enfin, tout cela pour dire que la confiance n’est plus au rendez-vous et que l’heure de la clarification est arrivée.
La loi doit être claire et, malheureusement, le Gouvernement continue à « finasser » sous la pression des entreprises extractives qui sévissent sur tous les continents.
Dès lors, deux questions se posent, madame la ministre.
Voulez-vous tout sacrifier pour une hypothétique recherche de gaz de schiste, à la seule fin de poursuivre un type d’énergie en fin de vie et condamné, pour le seul profit de sociétés peu soucieuses d’environnement et obnubilées par l’argent ?
Considérez-vous que le vrai patrimoine de l’humanité à préserver est l’eau et non les réserves en gaz de schiste ?
Je le rappelle haut et fort : la proposition de loi, votée le 11 mai à l’Assemblée nationale, avec l’appui du Gouvernement, contrairement à ce que certains disent, n’interdit pas expressément l’exploitation du gaz de schiste ou, plus généralement, des hydrocarbures offshore, pas plus qu’elle n’interdit des techniques consistant à injecter de l’eau sous pression, voire l’expérimentation de « nouvelles techniques » de la même veine.
Je voudrais donc rapidement en illustrer les conséquences pour mon territoire.
Vous avez décidé de planter des foreuses à Nant. Mais où est Nant ?
Cette commune est située au milieu du parc naturel régional des Grands Causses, qui est régi par une charte dont vous avez été cosignataire, madame la ministre, au milieu du territoire des Causses et des Cévennes, que vous venez d’agréer pour postuler au classement du patrimoine de l’UNESCO, au milieu du territoire du premier et plus ancien AOC de France : le Roquefort !
Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.
Ces réservoirs d’eau sont autant de châteaux d’eau naturels, des millions de mètres cube d’eau contenus dans les calcaires fissurés et karstiques ressurgissant dans nombre de rivières et approvisionnant, non seulement les 50 000 habitants de ce territoire, mais, bien au-delà, les plaines du littoral de la Méditerranée.
Nous avons entendu le couplet, bien connu, des modernes contre les archaïques, des défenseurs de la science contre les obscurantistes, des égoïstes et des soucieux de l’intérêt général.
Alors non, dans ce domaine, la ruralité, nos territoires n’ont aucune leçon de modernité ou de solidarité à recevoir ! Ils ont même quelques leçons à donner en termes de bon sens.
Par exemple, dans le débat sur les profondeurs d’exploration, on nous dit explorer bien au-dessous des nappes aquifères à 2 000 et 3 000 mètres et que nous n’avons rien à craindre.
Sur le site de Nant sur le Larzac, c’est totalement faux.
Deux aquifères principaux sont exploités : l’aquifère supérieur du jurassique et celui du lias inférieur. Ils ont fait l’objet de plus de 5 millions d’euros d’études pour les cartographier et les protéger. Votre ministère, madame la ministre, l’Europe et la région Midi-Pyrénées ont financé ces études. Ce travail, sur dix ans, a été gigantesque.
Il existe aussi dans le Permien, situé sous les aquifères, ces marnes noires à plus grandes profondeurs, mais elles sont aussi à faible profondeur.
Les couches géologiques ciblées pour l’extraction sont celles du lias, notamment celles du Toarcien, qui est constitué de marnes noires incluant les fameux schistes carton, qui peuvent renfermer du méthane. Ce Toarcien situé entre 600 et 800 mètres et non à 2 000 ou 3 000 mètres, comme on veut le laisser croire, est compris entre les deux aquifères, ce que l’on peut imaginer comme un danger majeur.
Il n’est pas besoin d’être expert pour comprendre qu’en relief karstique, caractérisé par de nombreuses failles et une extrême fragilité, les fracturations, les explosions, auront des conséquences gravissimes indépendamment des produits injectés.
Les métaux lourds emprisonnés dans les roches – voire des éléments radioactifs – peuvent aussi remonter à la surface sous l’effet de la pression du fluide de fracturation. Rien ne peut garantir non plus l’étanchéité de ces forages.
Je pourrais donner des dizaines d’arguments scientifiques démontrant combien ces autorisations d’exploration et d’exploitation sont inadmissibles.
Il suffit de voir ce qui s’est passé hier en Grande-Bretagne pour comprendre qu’il y a un autre danger : le danger sismique.
Madame la ministre, ne transformez pas les Causses et les Cévennes en delta du Niger ! On connaît les pratiques environnementales et sociales de ces grandes sociétés extractives.
M. Alain Fauconnier. Nous attendons une loi qui nous protège, madame la ministre, et pas une loi qui nous trompe.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs, il y a au moins un point sur lequel nous sommes tous d’accord, à droite comme à gauche sur l’ensemble des travées : il devient urgent de revoir de fond en comble la politique énergétique de notre pays.
À l’heure où l’Allemagne décide de sortir du nucléaire, à l’heure où l’Agence internationale de l’énergie pointe le fait que les émissions de carbone sur la planète ont atteint un pic inégalé, il nous faudra aller au-delà des professions de foi de certains des experts autoproclamés, très érudits, très indépendants des intérêts des entreprises du secteur énergétique, et qui préféreraient mourir plutôt que de se laisser dicter leur position par l’une ou l’autre d’entre elles… Ces experts se permettent de commenter la décision allemande en spéculant sur l’obligation dans laquelle se trouverait l’Allemagne d’acheter des kilowattheures nucléaires à la France, comme si ce n’était pas déjà le cas depuis des décennies, …
… comme si la France n’achetait pas, elle aussi, de l’électricité à l’Allemagne.
C’est une vérité éculée de le rappeler : nous vendons de l’électricité en base, nous en achetons en pointe. Le marché de l’énergie est unifié depuis très longtemps au niveau européen et il faudra aller au-delà.
Est-il nécessaire d’avoir un débat de plus sur les questions énergétiques ? Je ne le crois pas. Le débat que nous attendons les uns et les autres, c’est le débat de l’élection présidentielle, …
… qui devra être mené à visage découvert, devant les Français et pas dans les cénacles où s’auto-congratulent depuis toujours les experts du secteur. Nous avons besoin d’en débattre parce que, en vérité, il faudra, quel que soit le mix énergétique de la France, préparer un sevrage énergétique en rupture avec la phase de boulimie pétrolière et nucléaire que nous venons de vivre pendant cinquante ans et qui nous a « gavés », dans tous les sens du terme.
J’espère que ce débat sera de qualité, que tous les démocrates voudront y contribuer et que nous ne serons pas une fois de plus traités de catastrophistes, accusés de sonner le tocsin, et qu’il nous sera épargné d’entendre des vérités soigneusement distillées au compte-gouttes pour ne pas affoler. Je vous reposerai la question, madame la ministre.
Vous êtes allée au Japon avec le Président de la République, Anne Lauvergeon et Bernard Bigot, à un moment où la société japonaise et l’ensemble de la planète se demandaient si oui ou non le cœur des réacteurs de Fukushima avait fondu. Aujourd’hui, vous devez bien reconnaître que c’était le cas au moment où vous étiez sur place.
Je reviens aussi du Japon. J’ai vu la colère et le désarroi des ingénieurs de ce secteur, des chefs d’entreprise, des députés. Dans cette société, qui a si longtemps fait confiance à l’atome, on n’a plus confiance ni dans la parole des politiques, ni dans celle des industriels, ni dans celle des journaux. C’est un problème démocratique majeur qu’il nous faudra régler.
C’est dans ce contexte-là que nous examinons aujourd’hui cette proposition de loi, pas celle de Nicole Bricq, que nous avons cosignée parce qu’elle était claire, limpide, parce qu’elle prévoyait tout simplement d’interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère, parce qu’elle abrogeait les permis exclusifs de recherche, dont on sait avec quelle transparence et quel discernement ils ont été délivrés par M. Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement !
Et je veux que vous entendiez une vérité première, madame la ministre. La colère des élus locaux, l’inquiétude des populations sont au moins aussi largement la résultante de la méthode utilisée par le Gouvernement…
… que du fait lui-même : l’instruction clandestine de ce dossier conduisant à l’octroi de permis d’exploration privée en violation du droit de la concurrence et d’une directive de 1994 organisant cette mise en concurrence des entreprises est évidemment éminemment suspecte.
La proposition de loi, telle qu’elle nous est présentée et telle qu’elle a été amendée après un passage à l’Assemblée nationale et un examen en commission de l’économie, peut être qualifiée de basse manœuvre électorale visant à étouffer la voix des citoyens et de leurs élus.
La vérité est connue de tous : les portes restent ouvertes pour les industries gazières et pétrolières.
On doit ici pointer le jésuitisme du rapporteur, qui fait mine de regretter de ne pouvoir disposer des conclusions définitives des études qui ont été commandées et de s’interroger sur le fait qu’il ne dispose pas du travail de la mission commune d’information en cours à l’Assemblée nationale. Mais au moins n’insulte-t-il pas la mobilisation populaire et ne caricature-t-il pas les positions des élus locaux !
M. Biwer, quant à lui, s’y livre sans danger. Sa méthode me fait penser là encore, puisque j’évoquais le Japon, à celle qu’utilisent les diplomates japonais pour continuer à pêcher la baleine depuis des décennies. Le prélèvement des cétacés est interdit, … sauf en petites quantités à des fins scientifiques.
Monsieur Biwer, la science doit être traitée avec sérieux et respect. Invoquer la science pour masquer un recul massif et honteux du Sénat n’est pas acceptable.
Les industriels préparent déjà la prochaine étape. Les techniques de remplacement du forage hydraulique, qu’il s’agisse de l’utilisation d’adjuvants agroalimentaires ou de fracturation par arc électrique, sont en cours d’élaboration.
Nous ne pouvons pas nier les impacts environnementaux massifs de ces techniques : la quantité d’eau requise pour l’exploitation d’un puits est colossale, comme l’ont dit d’autres intervenants avant moi, le nombre de mouvements de camions qui serait nécessaire, le nombre d’adjuvants et de produits chimiques dont plusieurs dizaines sont connus pour être cancérigènes : benzène, toluène, xylène, éthylbenzène, acétone, azote ou encore 2-butoxyéthanol, une substance connue pour ses risques de destruction des globules rouges ou de dommages à la moelle osseuse.
Par ailleurs, il y a les effets secondaires de ces techniques : l’eau industrielle remontant à la surface après injection dans les puits de forage, le recyclage des boues – que faire des éléments toxiques contenus dans ces boues ? – la contamination des nappes phréatiques, les taux de méthane retrouvés dans l’eau à proximité des zones de forage, comme l’a montré l’étude de l’université de Duke, et j’en passe…
On cherche à nous vendre le gaz de schiste comme source d’énergie menant à l’indépendance énergétique de la France et étant moins polluante peut-être que d’autres.
En fait, les effets du méthane sur le réchauffement climatique sont cent cinq fois plus importants que ceux du dioxyde de carbone, les fuites de gaz seront évidemment nombreuses et bien plus importantes que pour les hydrocarbures exploités par simple forage.
Nous n’échapperons pas aux efforts nécessaires pour opérer une transition vers un mode de développement sobre, responsable, où la répartition équitable des richesses de la planète et des moyens de développement en matière énergétique sera plus largement partagée.
Voilà, monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs, ce qu’il me semblait important de dire à cet instant. J’attends avec beaucoup d’impatience le débat qui aura lieu lors de l’élection présidentielle. Je pense que vous l’attendez avec au moins autant d’impatience, mais peut-être plus d’inquiétude que moi, sinon vous n’auriez peut-être pas prêté la main à l’élaboration de cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les révoltes du monde arabe et la flambée des prix du pétrole et du gaz font peser des incertitudes sur notre indépendance énergétique. Si des solutions alternatives doivent être recherchées, les ambitions du Grenelle de l’environnement ne doivent pas être pour autant sacrifiées.
Certains industriels estiment que les gaz et huiles de schiste constituent, pour demain, la panacée. Il est indéniable que ceux-ci, dont nous n’avons pas encore une bonne connaissance des ressources contenues dans notre sous-sol, peuvent présenter, pour l’avenir, un intérêt pour l’indépendance énergétique de notre pays, mais cela ne doit pas se faire à n’importe quel prix.
Cette question suscite incontestablement des inquiétudes, mais elle est particulièrement difficile à appréhender du fait des enjeux économiques et énergétiques. En effet, l’exploitation des gaz et huiles non conventionnels dans le monde serait susceptible de modifier profondément et durablement la carte de la production d’énergie.
L’Agence internationale de l’énergie estime que les ressources exploitables de gaz non conventionnels pourraient être supérieures aux réserves prouvées de gaz conventionnels, ce qui pourrait sans aucun doute avoir des répercussions géopolitiques considérables, puisque les gaz non conventionnels semblent beaucoup mieux répartis que les gaz conventionnels dans la mesure où seuls trois pays – la Russie, l’Iran et le Qatar – détiennent plus de la moitié des réserves mondiales.
Si la France a beaucoup investi dans le nucléaire et l’hydraulique et, plus récemment, dans les énergies renouvelables, elle a toujours besoin de gaz naturel, notamment pour remplacer le charbon qui nous sert à produire l’électricité en période de pointe. Les gaz et huiles de schiste présentent donc, de façon évidente, un potentiel économique important, en même temps qu’une possibilité de réduire notre dépendance énergétique.
Toutefois, pour exploiter ces mines d’hydrocarbures non conventionnels, la seule technique connue à ce jour présente des risques non encore calculés ou étudiés, et pourrait entraîner des nuisances en termes de pollution des nappes souterraines et des sols, de dégradation du paysage, de bruit et d’augmentation du trafic routier.
Ce qui est incriminé, ce ne sont pas les gaz et huiles de schiste en eux-mêmes, mais c’est bel et bien la technique d’extraction par fracturation hydraulique, eu égard, d’une part, aux énormes quantités d’eau utilisées – de l’ordre de 15 000 mètres cubes par forage horizontal – et, d’autre part, à la présence d’additifs chimiques dans le fluide de fracturation, ce qui pose un sérieux problème que nous ne pouvons occulter.
Même si certaines technologies utilisées sont en fait, comme dans l’exploitation américaine, relativement anciennes, notre capacité collective à maîtriser les risques fait aujourd’hui débat. Cependant, nous n’avons pas l’assurance que d’autres nouvelles technologies existent ; en tout cas, rien ne le prouve aujourd’hui. Il n’est donc pas pensable de faire en France de l’exploitation de gaz et huiles de schiste au moyen de procédés d’extraction qui auraient une incidence écologique désastreuse. Ce serait un retour en arrière par rapport à tout ce que nous avons fait et voulu ensemble.
Les produits chimiques utilisés pour la fracturation hydraulique ont-ils un impact sur la ressource en eau potable ? Peut-on les sélectionner pour éliminer ceux qui sont dangereux ? Est-il possible ou non d’avoir une exploitation propre et sûre, réalisée sous le contrôle rigoureux de l’administration et dans le cadre d’une réglementation française particulièrement protectrice de l’environnement ? En outre, la sécheresse que nous connaissons cette année nous fait prendre conscience que la ressource en eau est une denrée de plus en plus précieuse, car de moins en moins abondante.
Toutes ces questions sont posées ; elles sont en débat, un débat dont on voit bien qu’il fait écho à de très fortes inquiétudes.
Des recherches scientifiques doivent être menées à bien pour que l’on puisse avoir des réponses à ces questions. Les industriels doivent pouvoir prouver qu’ils peuvent faire autrement qu’une exploitation à l’américaine, et qu’une exploitation propre est possible. Si tel n’est pas le cas, nous n’accepterons pas ce type d’exploitation en France ; ce sont des risques que nous n’avons pas le droit de prendre pour nos territoires et nos populations.
Les riverains sont, quant à eux, particulièrement mobilisés. Je pense notamment à ceux du Bassin parisien, principalement de mon département de Seine-et-Marne, qui sont déjà familiers de l’exploitation pétrolière : 80 % de ce territoire est concerné par des demandes de permis d’exploration d’huiles de schiste en cours d’instruction ou déjà attribués. On peut donc aisément comprendre l’inquiétude et la mobilisation des Seine-et-Marnais.
Si les extractions de pétrole ne sont pas nouvelles en Seine-et-Marne, les puits exploités depuis une trentaine d’années sont quasiment épuisés. Il est donc nécessaire pour les entreprises pétrolières de trouver d’autres approvisionnements. Les forages de gaz et huiles de schiste coûtent trois fois plus cher, mais peuvent contenir dix à vingt fois plus de pétrole qu’un forage vertical classique.
Par ailleurs, le code minier apparaît aujourd’hui comme insuffisant au regard des exigences de notre société et de celles des riverains, ainsi que de la Charte de l’environnement. Il ne répond pas, en effet, au désir légitime de transparence exprimé par la population et par beaucoup d’élus des territoires concernés. Nous attendons donc du Gouvernement qu’il s’engage à inscrire à l’ordre du jour des travaux du Parlement un projet de loi visant à moderniser le code minier dans un délai raisonnable.
Pour enrichir le débat, le Gouvernement a heureusement mis en place une mission de haut niveau, menée conjointement par le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et par le Conseil général de l’environnement et du développement durable. Un rapport définitif doit être rendu incessamment. Peut-être pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, madame la ministre ?
Parallèlement, une mission parlementaire a été lancée. Ces travaux devraient nous permettre d’avoir un éclairage complet du sujet.
Pour l’heure, bien évidemment, au nom du principe de précaution consacré par la Charte de l’environnement, nous demandons que tout projet d’exploitation par la technique de la fracturation hydraulique soit abandonné. À l’évidence, il n’est pas pensable que l’exploitation des gaz et huiles de schiste soit matière à un quelconque recul environnemental, qu’il s’agisse du mix énergétique, de la protection de l’eau, des paysages ou encore du sol. Mais toute question mérite d’être prise en considération, et tel est l’objectif de la mission. Je vous remercie, madame la ministre, des éléments rassurants que vous ne manquerez pas de nous donner en la matière.
Au travers du Grenelle de l’environnement et de la Charte de l’environnement, nous avons manifesté un engagement fort en faveur de la protection de notre environnement et de la santé humaine. C’est la raison pour laquelle nous avons estimé que le recours à des technologies présentant des risques pour l’environnement, la santé, l’identité de nos territoires et allant à l’encontre de nos valeurs devait être interdit.
Tel est l’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, excellemment rapportée par notre collègue Michel Houel, qui a donné à la Haute Assemblée un certain nombre d’éclairages essentiels.
Dans un souci de transparence et de contrôle, nous approuvons la remise annuelle au Parlement d’un rapport du Gouvernement portant sur l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation, la connaissance des sous-sols en matière d’hydrocarbures liquides et gazeux, la conformité du cadre législatif et réglementaire à la Charte de l’environnement dans le domaine minier, les conditions de mise en œuvre d’expérimentations réalisées aux seules fins de recherche scientifique sous contrôle public.
Enfin, nous approuvons l’institution d’une commission nationale chargée de l’orientation, du suivi et de l’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux, qui réunira des représentants de l’État, des collectivités territoriales, des associations, des salariés et des responsables des entreprises concernées.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Claude Biwer applaudit également.
Beaucoup de choses ont été dites au cours de la discussion générale et nous allons poursuivre le débat lors de la discussion des amendements. Mais il me semble que se dégage au sein de cette assemblée un accord quasiment général – en tout cas, très fortement majoritaire –, qui fait d’ailleurs écho à celui qui a prévalu à l'Assemblée nationale, pour considérer qu’il n’est pas aujourd'hui possible, ni souhaitable, d’exploiter, ni même d’explorer les gaz de schiste. Peut-être cet accord pourrait-il mieux s’incarner dans un texte commun ?... C’est en tout cas le souhait que je formule pour la suite de la discussion.
En fait, que reproche-t-on au texte qui vous est soumis ? Essentiellement, son habileté !
Il s’agit bel et bien d’empêcher toute exploration et toute exploitation du gaz de schiste. Il y a deux manières de le faire : annuler les permis, ce qui revient à annuler une autorisation administrative et donc ouvrir des droits à indemnisation, ou interdire une technologie, la seule qui soit utilisée aujourd'hui pour explorer et exploiter les gaz de schiste. C’est cette voie qui est ici proposée : on aboutit donc au même résultat, mais en empruntant un chemin plus habile, qui ne présente pas les mêmes risques financiers pour l’État.
Bref, je forme le vœu que, à l’image de ce qui eut lieu pour le principe de précaution ou le Grenelle 1, on parvienne à trouver un début d’unanimité sur ce texte.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
L'amendement n° 9, présenté par Mme Bricq, MM. Guillaume, Teston, Fauconnier, Sutour, Courteau, Mirassou, Chastan et Raoul, Mme Khiari, MM. Daunis, Bérit-Débat et Berthou, Mme Voynet, M. Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa (1°) de l’article L. 111-1 du code minier, après le mot : « gazeux », sont insérés les mots : « y compris les hydrocarbures liquides ou gazeux de roche-mère ».
La parole est à M. Roland Courteau.
Comme cela a été rappelé, l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures dits non conventionnels nécessitent aujourd’hui l’emploi de techniques de fracturation des roches particulièrement préjudiciables pour l’environnement et la santé. La plus utilisée aujourd’hui est celle de la fracturation hydraulique. Or ce mode d’extraction est particulièrement nuisible à l’environnement et il comporte des risques sanitaires extrêmement graves.
De plus, il est contraire aux principes de la Charte de l’environnement, aux engagements du Grenelle de l’environnement et à de nombreux articles du code de l’environnement.
Que le code minier soit obsolète ne dédouane pas le Gouvernement d’avoir accordé des permis en catimini, sans concertation aucune ni respect des procédures prévues dans le code de l’environnement.
Force est aussi de constater que les groupes industriels du secteur de l’énergie sont déjà dans les starting-blocks pour nous vendre de nouvelles techniques ! Et, bien évidemment, ils voudront non seulement préserver leur permis, comme le leur permet l’article 2, mais aussi en obtenir d’autres ! Et c’est d’autant plus facile que, si des permis spécifiques sur les hydrocarbures de schiste ont été octroyés en 2010, de nombreux autres n’opérant aucune distinction quant au type d’hydrocarbure concerné – de schiste ou non – ont également été accordés.
Aujourd’hui, il est absolument nécessaire de clarifier les choses ! Il faut donc introduire dans le code minier un terme permettant de distinguer clairement les hydrocarbures de schiste des autres hydrocarbures, plus classiques.
Le rapport d’étape de la mission conjointe du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et du Conseil général de l’environnement et du développement durable souligne « le caractère trompeur de l’appellation hydrocarbures dits “non-conventionnels” : ce qui est “non conventionnel” n’est pas la nature de l’hydrocarbure, mais la roche dans laquelle on les trouve et les conditions dans lesquelles ils sont recherchés et exploités dans cette roche ».
Pour cette raison même, les auteurs de ce rapport préconisent d’utiliser le terme de « gaz ou huile de roche-mère » pour désigner les hydrocarbures qui « sont dispersés au sein d’une formation de roche non poreuse qu’il faut fissurer pour extraire les huiles ou le gaz qui s’y trouvent ».
Nous proposons donc, par cet amendement, d’introduire dans le code minier cette terminologie qui est de nature à permettre une identification et un recensement précis, plutôt que de rester dans l’opacité en continuant à délivrer des permis non dédiés ou, comme le prévoit l’article 2, en permettant aux industriels de garder ceux qui ont été délivrés par l’administration,
De même, et tel est le sens même de notre proposition de loi et des amendements que nous avons déposés, nous souhaitons interdire l’exploration et l’exploitation des mines de gaz et huiles de roche-mère dans l’attente, au moins, de l’organisation d’un véritable débat démocratique sur le contenu de notre politique énergétique et ses enjeux ou, en tout cas, de la mise en œuvre des procédures prévues dans le code de l’environnement, qui devraient s’appliquer à l’exploration et l’exploitation de ce nouveau type d’hydrocarbures de roche-mère, comme le prévoient nos amendements n° 13, 14 et 15.
Les hydrocarbures liquides ou gazeux de roche-mère relèvent d’ores et déjà du régime légal des mines, puisque l’article L. 111-1 du code minier vise les hydrocarbures dans leur ensemble, quelle que soit leur origine ou leur mode d’extraction.
Il n’est donc pas nécessaire d’apporter cette précision. Par conséquent, la commission est défavorable à cet amendement.
Je mets aux voix l'amendement n° 9.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement sont défavorables à cet amendement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
En application de la Charte de l’environnement de 2004 et du principe d’action préventive et de correction prévu à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national, sauf dans le cadre de projets réalisés à des fins scientifiques pour évaluer la technique de la fracturation hydraulique ou des techniques alternatives, précédés d’une enquête publique soumise aux prescriptions du chapitre III du titre II du livre premier du code de l’environnement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous entamons l’examen des articles de cette proposition de loi, qui a beaucoup évolué depuis son dépôt à l’Assemblée nationale au mois de mars dernier.
Madame la ministre, après la polémique née de l’octroi par votre prédécesseur, dans la plus grande opacité, de permis exclusifs de recherche de gaz et huiles de schiste, au moment même d’ailleurs où il appelait sur ces bancs à une révolution verte, votre Gouvernement a été obligé de réagir en déclarant un moratoire provisoire sur l’exploration et l’exploitation de ces hydrocarbures.
Les parlementaires se sont émus également de cette situation, puisque ce sont cinq propositions de loi qui ont été déposées sur ce sujet, tant les enjeux sont importants. Il n’est en effet plus à démontrer que l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de roche posent de multiples problèmes environnementaux.
Nous savons que la consommation importante en eau pose problème, puisqu’il faut entre 10 000 mètres cubes et 20 000 mètres cubes d’eau pour un puits de gaz non conventionnel. L’eau est une ressource bien trop précieuse, notamment en ces temps de sécheresse, pour être ainsi utilisée, sans parler, évidemment, de l’acheminement par camion de cette eau, qui n’est pas fait pour améliorer le bilan carbone !
Parallèlement, nous constatons une contamination des nappes phréatiques, et cela à deux moments : lors de la fracturation, puis lors de la remontée d’une partie du fluide de fracture.
Le traitement des eaux usagées n’est pas non plus satisfaisant, puisque ce taux de retraitement varie entre 30 % et 80 %. À ce titre, voilà ce que des scientifiques de l’université de Montpellier ont estimé : « Le mode de recharge de ces aquifères et leur structure interne favorisent les déplacements de polluants éventuels et la quasi-absence d’autoépuration ». Ils concluent : « Ainsi, leur vulnérabilité aux pollutions est reconnue comme élevée et très spécifique. »
Rappelons également que les additifs chimiques dans les eaux de fracturation sont des produits cancérigènes. Ils présentent donc un risque majeur pour la santé.
De plus, l’emprise au sol de ce type d’installation n’est pas sans impact sur les paysages, puisqu’il faut creuser de nombreux trous de forage.
Enfin, l’étude menée par l’université Cornell à New York indique que les hydrocarbures de roche génèrent du méthane, qui ajoute aux inconvénients de cette exploitation.
Pourtant, dans notre assemblée, force est de le constater, la majorité parlementaire considère que de tels éléments, s’ils sont pour le moins inquiétants, ne justifient pas l’interdiction pure et simple de l’exploration et de l’exploitation de ces hydrocarbures par fracturation hydraulique.
Vous avez ainsi fait le choix en commission d’ouvrir à nouveau la porte à cette technique sous couvert de permettre la recherche scientifique alors que l’exploration avec fracturation est conduite depuis une trentaine d’années déjà du côté de Lacq.
Tout cela est absolument incompatible avec le principe de précaution posé à l’article 5 de la Charte de l’environnement, qui dispose : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »
Il est donc aujourd’hui de la responsabilité des pouvoirs publics d’interdire toute fracturation hydraulique, quel qu’en soit l’objectif, qu’il soit commercial ou de recherche.
L’amendement adopté en commission constitue un recul très important par rapport au texte issu de l’Assemblée nationale, puisqu’il revient à autoriser la fracturation hydraulique. Le groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche ne peut donc absolument pas l’accepter.
Pardonnez-moi de revenir un peu en arrière : comment a-t-on pu ? Comment a-t-on pu laisser passer cela ? Comment a-t-on pu accorder de tels permis ?
Quelle faiblesse coupable !
Ce qui est le plus choquant sur ce dossier, c’est que, pendant que nous examinions ici, en 2009-2010, les projets de loi portant sur le Grenelle de l’environnement et que nous nous échinions à fixer certains principes de gouvernance, d’information et de participation des citoyens, le ministère octroyait ces fameux permis dans la plus grande opacité, « en cachette » devrais-je dire !
D’un côté, on entendait ici même le Gouvernement plaider en faveur d’un processus de concertation et d’information et, de l’autre, les mêmes s’employaient à le court-circuiter au ministère.
Faut-il parler de double langage ? Il y a bien eu, d’un côté, les discours. Il y a bien eu, de l’autre, les actes. Mais, et c’est le problème, les actes n’ont pas été en phase avec les discours. Or, en matière d’action publique, la morale, c’est de ne jamais faire de promesses inconsidérées ; mais l’honneur, c’est de toujours mettre en accord les actes avec les discours.
Aujourd’hui, côté Parlement, on propose de légiférer pour rattraper le coup. Certains tentent même de procéder à un rétropédalage, toutefois partiel. Pourtant, le texte qui nous est proposé ne nous satisfait aucunement.
Mais, mesdames et messieurs les membres de la majorité, monsieur le rapporteur, madame la ministre, dites-le nous : que se serait-il passé sans cet immense mouvement de contestation, cette fronde ? Que se serait-il passé si élus, associations et populations n’avaient pas sonné la mobilisation générale contre ces projets ?
Tout laisse à penser qu’on aurait laissé faire, c’est-à-dire qu’on aurait laissé utiliser ces techniques de fracturation hydraulique des roches, avec toutes les conséquences que l’on connaît : un mode d’extraction très consommateur d’eau qui peut porter atteinte à la ressource, des risques de pollution des nappes phréatiques par l’introduction d’adjuvants chimiques, des risques de remontée de matériaux dangereux pour la santé et un impact ravageur sur les paysages.
Et tout cela en des lieux où il a été démontré que la complexité des relations entre les aquifères et leur vulnérabilité aux pollutions est très élevée. Et tout cela en des lieux où la ressource en eau est si rare. Et tout cela au mépris de l’article 6 de la Charte de l’environnement, qui précise : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. »
Qui peut me certifier ici que la multiplication des puits, tous les trois cents mètres ou tous les cinq cents mètres, n’aurait pas un impact sur les paysages, le développement du tourisme et le développement social et économique de nos territoires ?
Que se serait-il passé si les vagues de contestation et de protestation n’étaient pas venues, heureusement, gripper le processus largement engagé, au mépris d’ailleurs des lois sur le Grenelle de l’environnement ?
Mais quel est donc ce mode de gouvernance ? N’était-il pas inadmissible d’accorder ces permis sans en mesurer toutes les conséquences ? Ou alors, et c’est encore plus grave, peut-être connaissait-on les ravages causés par l’exploitation des gaz de schiste, ce qui expliquerait que l’on ait voulu agir dans la plus grande opacité. Vraiment, il y a de quoi être révolté.
Durant des jours et des nuits, nous avons travaillé ici sur les lois relatives au Grenelle de l’environnement. Il nous avait semblé que Gouvernement, majorité et opposition étaient d’accord sur la nécessité de tout mettre en œuvre pour assurer la transition énergétique, en réduisant l’utilisation des énergies fossiles. Et voilà qu’avec les gaz de schiste on voudrait ouvrir un nouvel âge d’or aux énergies fossiles, à l’origine des gaz à effet de serre et du changement climatique. Pis, ces gaz-là auraient même un bilan carbone très négatif.
Aurait-on oublié les engagements internationaux de la France en matière de lutte contre les gaz à effets de serre ? Aurait-on oublié nos engagements quant à l’objectif européen des trois fois vingt : 20 % de réduction des gaz à effets de serre, 20 % d’économies d’énergie, 20 % d’énergies renouvelables supplémentaires.
Alors, arrêtons là cette affaire de gaz de schiste !
Le texte de l’article 1er qui nous est proposé ne nous convient absolument pas. Pour nous, l’interdiction de la technique de fracturation hydraulique n’est pas suffisante. Il est clair que les groupes du secteur énergétique titulaires des permis vont tout faire pour contourner l’obstacle à tout moment. La manne est trop importante et les profits trop immenses ! Voilà pourquoi il est essentiel d’adopter les amendements que nous proposerons aux articles 1er et 2.
Mes chers collègues, nous sommes là pour légiférer, dans l’intérêt des populations et non dans celui des grandes firmes.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si je prends la parole sur ce sujet, c’est que, à l’instar d’un certain nombre d’autres territoires, Paris est également concerné par ces forages. Les Parisiens en subiront peut-être même les conséquences les plus redoutables.
L’erreur, dans ce dossier, consisterait à n’avoir qu’une vue locale des événements quand tout indique au contraire qu’il convient de considérer le bilan environnemental et humain d’un point de vue global.
Au-delà de ses propres habitants, Paris est le principal bassin d’emploi de l’Île-de-France. Chaque jour, environ un million de personnes viennent y travailler. Ses habitants tout comme ceux qui, sans résider dans la capitale, y sont employés ont des besoins importants : il est essentiel que la capitale y pourvoie par une offre de restauration adaptée à chacun et une eau de qualité.
Sur ce dernier point, je rappelle que l’eau de Paris vient de loin : la plupart des captages sont situés à une centaine de kilomètres de la capitale et les usines de traitement et de stockage, pour la majorité d’entre elles, à une quinzaine de kilomètres. L’un des principaux fournisseurs d’eau des Parisiens n’est autre que le département de Seine-et-Marne, …
… avec les nappes environnant les zones de Provins et Nemours, où sont puisées d’importantes quantités d’eau.
La qualité des approvisionnements est une question de sécurité majeure sur laquelle on ne peut transiger. Il en va de même pour la qualité des nappes phréatiques très profondes, qui sont des réserves d’eau stratégiques, réservées aux cas de force majeure.
Chacun comprendra où je souhaite en venir. Ne nous laissons pas berner par les sirènes des grands groupes industriels, qui minimisent régulièrement les risques environnementaux et, surtout, les localisent, en oubliant que l’eau circule et que leurs projets peuvent avoir de graves répercussions sur certaines agglomérations, même si elles sont lointaines.
Pour chacun des permis qui font aujourd’hui l’objet, à juste titre, d’une contestation, il existe un risque pour les habitants, qu’ils vivent ou non à proximité des zones d’exploration et d’exploitation. À l’évidence, on n’a même pas jugé utile de demander leur avis aux uns et aux autres, et surtout pas à leurs représentants, les élus locaux.
Cela a été dit, les techniques de fracturation posent des problèmes sanitaires et environnementaux et personne ne peut garantir qu’une eau porteuse de produits cancérigènes et de métaux lourds ne finira pas dans nos nappes phréatiques, puis dans nos verres.
Les nappes communiquent entre elles, cela a été prouvé. Le risque est bien trop grand pour que l’on puisse même tolérer une simple recherche, sans contrôle de ces techniques. C’est une interdiction totale qu’il faut prononcer, c'est-à-dire l’interdiction de l’exploitation, de l’exploration et de la recherche de gaz de roche-mère par quelque moyen que ce soit.
Cette richesse potentielle étant plus porteuse de risques que de développement, le principe de précaution doit s’appliquer. Refusons de voir nos paysages souillés localement et notre eau polluée à des kilomètres à la ronde parce que certains ont cru voir la poule aux œufs d’or !
Selon un mécanisme bien connu, l’exploitation du gaz de roche-mère consistera encore à privatiser les profits pour mieux socialiser les coûts environnementaux et humains. Refusons ce cynisme ! Je me prononce donc pour la préservation de la qualité de l’eau des Parisiens et, plus généralement, des Français.
En conséquence, les sénateurs parisiens sont contre toute forme d’exploitation ou d’exploration du gaz de roche-mère, par quelque moyen que ce soit.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Beaucoup de choses ont déjà été dites sur l’article 1er, qui est le cœur de cette proposition de loi.
La majorité parlementaire, soutenue par le Gouvernement, a choisi de cibler la méthode d’extraction appelée « fracturation hydraulique ». Chacun d’entre nous sait que cette technique ravage notre environnement. Dans nos territoires, nous avons vu, notamment, des agriculteurs inquiets de voir leurs champs, leurs cultures se transformer en vaste terrain d’exploration.
Je prendrai l’exemple du département dans lequel j’ai l’honneur d’habiter, la Drôme, qui se trouve être le premier de France en matière d’agriculture biologique. Cette réalité est totalement incompatible avec la volonté manifestée par le Gouvernement d’exploiter à terme les hydrocarbures de schiste. Il faudra choisir : le bio ou le schiste !
Par l’article 1er, tel qu’il est rédigé, vous vous contentez d’interdire la technique de la fracturation hydraulique. Mais qui est capable de définir cette technique avec exactitude ? Aucun texte, aucune norme n’y fait référence. La fracturation hydraulique n’est pas définie juridiquement. En soutenant cette rédaction, le Gouvernement laisse ouverte la voie de l’emploi de techniques alternatives susceptibles de porter atteinte à l’environnement.
Il y avait pourtant une solution juridique, que nous avons évoquée tout à l’heure : la réforme du code minier.
Les permis de recherche délivrés ne concernent pas spécifiquement les hydrocarbures non conventionnels. Le droit français n’opère aucune distinction entre hydrocarbures conventionnels et hydrocarbures non conventionnels. Pour interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de schiste, il aurait fallu désigner spécifiquement ces derniers dans le code minier. Dans la foulée, nous aurions tout simplement adopté une loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. Et nous n’en serions pas à discuter des techniques d’exploration !
En effet, nous ne souhaitons pas entrer dans un débat strictement technique. La priorité politique est non pas d’interdire une technique d’exploration, mais bien de sauver l’environnement. Il est actuellement impossible d’extraire du gaz de schiste sans avoir recours à la fracturation hydraulique. Il faut donc purement et simplement interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère, comme le prévoient plusieurs amendements à l’article 1er.
Il convient de protéger, de sanctuariser la roche-mère. Bien sûr, nous devons continuer à assurer l’indépendance énergétique de notre pays, mais pas à n’importe quel prix !
À cet égard, je reprendrai l’argument avancé tout à l’heure par Mme Voynet. Les mois qui viennent, et notamment la campagne pour l’élection présidentielle, devront voir s’ouvrir un long débat, noble et transparent, sur l’énergie en France et en Europe.
Je suis saisi de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 16, présenté par Mmes Voynet, Blandin et Boumediene-Thiery et M. Desessard, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Sont considérés comme non conventionnels tous les gisements ou les roches contenant des hydrocarbures, liquides ou gazeux, dont la perméabilité est insuffisante pour extraire les hydrocarbures et qui, de ce fait, nécessite l'utilisation de moyens, quels qu'ils soient, pour fracturer, fissurer ou porter atteinte à l'intégrité de la roche.
En application de la Charte de l'environnement et du principe d'action préventive et de correction prévu à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, l'exploration et l'exploitation des gisements non conventionnels sont interdites sur le territoire national.
La parole est à Mme Dominique Voynet.
La distinction entre hydrocarbures dits conventionnels et hydrocarbures dits non conventionnels n’existe pas dans le droit français.
Or, nous le voyons bien aujourd’hui avec le problème des gaz de schiste, le besoin de définir les différentes catégories d’hydrocarbures se fait cruellement sentir. Roland Courteau a d’ailleurs détaillé tout à l’heure la rhétorique utilisée à propos des gaz de schiste.
L’exploration et l’exploitation des gisements non conventionnels, déjà expérimentées avec pertes et fracas en Amérique du Nord, sont un fait nouveau pour la France. Il est urgent de se prémunir contre ces dérives en instaurant des définitions claires et des règles strictes. Il y va de l’intelligibilité de la loi.
Puisque le produit final est dans tous les cas un hydrocarbure, il semble pertinent de prendre en compte la nature du gisement où il se situe. C’est donc la structure géologique qui déterminera l’aspect conventionnel ou non-conventionnel d’un hydrocarbure, selon qu’il y a besoin ou non de porter atteinte à l’intégrité de la roche qui le contient, par quelque méthode que ce soit.
Par ailleurs, un tel critère permet d’interdire entièrement l’exploration et l’exploitation des gisements non conventionnels, sans avoir à préciser la nature de la méthode employée.
On le voit bien, personne n’est capable de donner une définition précise et consensuelle de la fracturation hydraulique. Il en existe un certain nombre : laquelle de ces méthodes est-elle réellement interdite par ce texte ? Je crains que la réponse ne soit simple : aucune ! En effet, sous couvert de science et d’expérimentation, on peut en fait continuer, si on n’apporte pas de plus grandes précisions en la matière, de jouer aux apprentis sorciers.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
L'amendement n° 11, présenté par Mme Bricq, MM. Guillaume, Teston, Fauconnier, Sutour, Courteau, Mirassou, Chastan et Raoul, Mme Khiari, MM. Bérit-Débat et Daunis, Mme Voynet, M. Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après les mots :
article L. 110-1 du code de l'environnement,
insérer les mots :
l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux de roche-mère sont interdites sur le territoire national.
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
Permettez-moi de citer, madame la ministre, mes chers collègues, un extrait du rapport de notre collègue Michel Houel : « Il a été indiqué à votre rapporteur que la fracturation hydraulique est utilisée dans certains cas pour extraire du pétrole difficilement accessible dans des réservoirs d’hydrocarbures dits “conventionnels”. »
Cette technique est également utilisée pour accroître la productivité de certains puits conventionnels, avec les dégâts que l’on connaît, liés à l’utilisation de la ressource en eau et à la pollution des nappes phréatiques. Il convient donc de l’interdire, y compris pour les hydrocarbures dits conventionnels.
Par cet amendement, il est donc proposé de compléter l’article 1er en élargissant le champ de son application aux hydrocarbures de roche-mère. On interdirait ainsi non seulement la technique de fracturation hydraulique, mais aussi l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures de roche-mère.
Car, au fond, nous n’avons aucunement la garantie que cette proposition de loi puisse régler quelque situation que ce soit. En fait, on peut penser qu’elle ne va même pas aussi loin que la fameuse formule : « Il faut que tout change pour que rien ne change ».
Si le Gouvernement a décidé d’apporter quelques améliorations au code minier via le dépôt, le 13 avril dernier, d’un projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2011-91 du 20 janvier 2011 portant codification de la partie législative du code minier, force est de constater qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Nous attendons de pied ferme ce projet de loi de ratification avant qu’il ne soit trop tard !
Je rappelle en effet que l’article 2 de cette proposition de loi accorde un délai de deux mois aux industriels pour défendre leur permis.
Je note également que, pour le moment, ce projet de loi n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour, même si, madame la ministre, vous vous êtes engagée à ce qu’il soit examiné avant l’été. Le calendrier de fin de session ordinaire ne laisse pas vraiment de marge de manœuvre. Reste donc la session extraordinaire de juillet…
Vous avez certes confié à un cabinet une mission d’expertise juridique relative à la réforme du code minier, dont le rapport définitif devrait être rendu à la fin du mois de septembre 2011. Mais l’urgence est de modifier le code minier sur les points qui nous occupent ce soir, ce qui ne nécessite pas une refonte totale et immédiate de ce code.
Quoi qu’il en soit, les sénateurs socialistes refusent l’exploration et l’exploitation de gaz et huiles de schiste en France, et c’est le sens de cet amendement.
L'amendement n° 10, présenté par Mme Bricq, MM. Guillaume, Teston, Fauconnier, Sutour, Courteau, Mirassou, Chastan et Raoul, Mme Khiari, MM. Bérit-Débat et Daunis, Mme Voynet, M. Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
1° Remplacer les mots :
par des forages suivis de facturation hydraulique de la roche
par les mots :
de roche-mère
2° Après les mots :
territoire national
supprimer la fin de cet article.
La parole est à M. Gérard Miquel.
L’article 1er de la proposition de loi que nous examinons interdit l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche.
Nous considérons que cette interdiction, fondée sur l’identification d’une technique particulière d’extraction du gaz et des huiles de schiste, ne convient pas et qu’il faut aller plus loin en interdisant l’exploration et l’exploitation du type d’hydrocarbures en cause, à savoir les hydrocarbures de roche-mère, pour reprendre la terminologie du rapport de la mission du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et du Conseil général de l’environnement et du développement durable.
En effet, les groupes du secteur énergétique ne semblent pas prêts à renoncer à ces nouveaux gisements d’hydrocarbures de schiste, qu’ils considèrent comme une véritable manne. Certains d’entre eux – ceux qui, hier, étaient pourtant prêts à l’utiliser – ont déjà communiqué sur le fait qu’ils ne recourraient pas à la technique de fracturation hydraulique de la roche, mais qu’ils n’envisageaient pas pour autant d’abandonner leurs projets d’exploration ou d’exploitation de ces mines. Plusieurs de ces sociétés se sont néanmoins associées à des groupes américains, qui maîtrisent précisément ce mode d’extraction.
Dans votre rapport, monsieur Houel, vous notez : « L’ensemble des experts et industriels auditionnés ont indiqué à votre rapporteur qu’aucune autre technique que la fracturation hydraulique n’était aujourd’hui utilisable pour extraire de manière économiquement rentable les gaz et huiles de roche-mère. » Vous ajoutez : « Votre rapporteur a toutefois été informé que certaines techniques alternatives faisaient l’objet de recherches qui ne font pas encore l’objet d’une application industrielle. »
Certaines entreprises nous affirment qu’elles utilisent déjà des techniques propres, qui ne causeraient aucun préjudice à l’environnement.
Qui doit-on croire ?
Il y aurait donc une bonne technique qui chasserait bientôt la mauvaise et permettrait de lancer à grande échelle l’exploration et l’exploitation de ces mines d’hydrocarbures emprisonnés dans la roche, sans provoquer de dégâts sur notre territoire ?... Une technique alternative qui permettrait d’attirer les capitaux du monde entier pour explorer et exploiter les sous-sols de notre territoire ?...
Il est vrai que la fiscalité, dans ce domaine, est particulièrement attractive ; du reste, chers collègues de la majorité, vous n’y êtes pas pour rien !
Dans sa rédaction actuelle, l’article 1er n’interdit pas l’exploration et l’exploitation de ces nouvelles ressources fossiles, pourvu que les titulaires des permis déclarent ne pas avoir recours à la technique de la fracturation hydraulique.
Quant aux techniques alternatives, rien ne nous dit qu’elles ne causeraient aucun préjudice à l’environnement et à la santé… Il n’y a guère que les industriels pour le prétendre !
Pour l’heure, des permis ont été accordés, qui ne seront pas abrogés : c’est ce qui résulte de l’article 2 du texte de la commission.
Pour toutes ces raisons, dans la ligne de notre précédent amendement, compte tenu de la persistance de multiples incertitudes et en l’absence d’un véritable débat démocratique et citoyen, nous proposons l’interdiction pure et simple de l’exploration et de l’exploitation d’hydrocarbures de roche-mère en France. §
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Didier, MM. Danglot et Le Cam, Mmes Schurch, Terrade, Labarre et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après les mots :
territoire national
supprimer la fin de cet article.
La parole est à M. Bernard Vera.
Cet amendement vise à supprimer les dispositions introduites dans la proposition de loi lors de son examen par la commission de l’économie. Celles-ci ouvrent en effet une brèche importante dans le principe général d’interdiction posé par l’article 1er.
Dès le départ, nous étions en présence de deux options : alors que la proposition de loi présentée par le groupe UMP tendait à interdire en particulier la technique de la fracturation hydraulique, celle qu’avait déposée le groupe socialiste comportait cette formule plus simple, et dépourvue d’ambiguïté : « l’exploration et l’exploitation de gaz et d’huile de schiste sont interdites sur le territoire national ». Évidemment, cette dernière proposition prévoyait en outre l’abrogation des permis délivrés.
Le texte issu des débats à l’Assemblée nationale retient la solution qui consiste à interdire, sur le territoire national, l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux par la technique du forage suivi de fracturation hydraulique.
En limitant la portée de l’interdiction aux seuls cas où cette technique est utilisée, il s’agit, pour les membres de la majorité parlementaire, de laisser la porte ouverte à une exploitation ultérieure des hydrocarbures de roche-mère par le moyen de techniques différentes, sans poser pour autant d’exigences quant à leurs effets sur l’environnement.
Les propositions de loi se rejoignaient pourtant sur ce point : la fracturation hydraulique doit être interdite sur le territoire national.
Alors qu’un consensus semblait pouvoir se faire au sein de notre assemblée, l’amendement de M. Bizet est venu remettre en cause cette interdiction en donnant une base légale à la technique de la fracturation hydraulique lorsqu’elle est mise en œuvre dans le cadre de projets scientifiques et de recherches.
Ainsi l’examen de ce texte nous conduit-il de recul en repli.
Par ailleurs, la démarche consistant à invoquer une future réforme d’ampleur du code minier pour justifier la suppression de l’article 3 – celui qui prévoyait la réalisation d’enquêtes publiques préalables à l’octroi de permis de recherche – tout en réintroduisant le principe d’une enquête publique, au détour de ce même amendement, mais seulement dans le cadre de projets scientifiques, nous paraît contradictoire et pour le moins limitative.
Nos populations et leurs élus ont besoin d’un signal clair et d’une position courageuse, qui prenne de la distance vis-à-vis des intérêts privés des grandes compagnies pétrolières.
C’est la raison pour laquelle, par cet amendement, nous vous proposons de supprimer la fin de l’article 1er.
L'amendement n° 28, présenté par M. Houel, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après le mot :
sauf
rédiger ainsi la fin de l’article :
dans le cadre de projets scientifiques d’expérimentation pour évaluer la technique de la fracturation hydraulique ou des techniques alternatives. Ces projets sont précédés d'une enquête publique soumise aux prescriptions du chapitre III du titre II du livre premier du code de l'environnement et réalisés dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État.
La parole est à M. le rapporteur.
Il s’agit d’un amendement rédactionnel tendant à utiliser la même formulation que celle qui figure à l’article 1er bis du texte de la commission : « projets scientifiques d’expérimentation ».
L'amendement n° 17 rectifié, présenté par Mmes Labarre, Didier et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
L’exploration et l’exploitation de gisements d’hydrocarbures en eaux profondes sont interdites sur le territoire national.
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Cet amendement vise à inclure dans le champ de la proposition de loi les forages marins, c’est-à-dire l’exploitation des gisements potentiels offshore.
En Guyane, un permis a été attribué en mai 2001 par le ministère de l’industrie, alors que la loi du 13 décembre 2000 avait transféré cette compétence au conseil régional ; le décret d’application n’ayant pas été publié, l’État l’avait conservée.
L’autorisation d’un forage pétrolier récemment accordée par le préfet de Guyane au bénéfice de la société Tullow Oil a suscité de nombreuses protestations, cette attribution n’ayant pas été accompagnée, à l’inverse de celles qui concernent les forages d’exploration en métropole, d’un processus d’enquête publique.
Que la fracturation hydraulique n’ait jamais été utilisée ne constitue pas une garantie. Même dans le cas de forages conventionnels, on pourrait imaginer d’y recourir dans le but de stimuler la production.
La protection des sols marins, de la faune et de la flore aquatiques représente un objectif important. Il s’agit donc, avec cet amendement, de mettre en application le principe de précaution, mais aussi ceux de prévention et de protection de la biodiversité marine. En effet nous connaissons déjà certaines des conséquences que ce type de forages peut avoir : rappelez-vous les événements dramatiques qui se sont produits l’an dernier dans le golfe du Mexique !
Au Gouvernement, resté silencieux sur ce point lors de l’examen de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, je précise que la notion de territoire national ne recouvre pas, par exemple, la zone de Guyane que j’ai évoquée ; celle-ci, en effet, est située à 153 kilomètres des côtes.
Si notre amendement n’est pas vraiment complet, il nous permet d’alerter notre assemblée au sujet de la manière dont le Gouvernement tente de garder le secret sur l’exploitation de tels gisements.
Le territoire national est en effet composé d’une partie terrestre et d’une partie marine, dans la limite de 12 miles marins, conformément aux stipulations de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
L'amendement n° 21 rectifié, présenté par Mmes Labarre, Didier et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
L’exploration et l’exploitation de gisements d’hydrocarbures bitumineux sont interdites sur le territoire national.
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Les schistes bitumineux ne sont ni mentionnés ni visés par cette proposition de loi, …
… alors même que la France pourrait posséder sur son sol certains sites exploitables.
Parmi les techniques possibles d’extraction, on peut mentionner le strip mining et le open pit mining, qui consistent à trépaner les montagnes où est enfermée la ressource, et le true in-situ process, ou TIS, par lequel le pétrole non finalisé est chauffé en profondeur avant de pouvoir être extrait. Ces méthodes sont autant de manières d’éviter toute fracturation hydraulique ; elles n’en constituent pas moins des formes d’exploitation pétrolière particulièrement nocives pour l’environnement.
Les effets sur l’environnement de l’extraction du schiste bitumineux sont plus prononcés lorsque des méthodes d’extraction en surface, plutôt que des méthodes souterraines, sont mises en œuvre. Ces effets sont de différentes sortes : drainage minier acide, déversement de métaux dans les eaux de surface et les eaux souterraines, augmentation de l’érosion, émissions de gaz sulfurés et pollution de l’air par des particules produites lors des phases de transformation, du transport ou de certaines activités annexes.
En 2002, environ 97 % de la pollution de l’air, 86 % de la production de déchets et 23 % de la pollution de l’eau résultaient, en Estonie, des activités de l’industrie de l’énergie, qui utilise le schiste bitumineux comme principale source de carburant.
L’extraction de schiste bitumineux est dommageable pour la richesse biologique du terrain et son écosystème. La combustion et le traitement thermique produisent des déchets et rejettent dans l’atmosphère du dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre. La production et l’usage du schiste bitumineux sont à l’origine d’une plus grande quantité de gaz à effet de serre que ceux des carburants fossiles conventionnels.
Le processus expérimental de transformation in situ et les technologies de capture et de stockage du carbone sont susceptibles, à l’avenir, d’apaiser certaines de ces inquiétudes, mais risquent de poser à leur tour de nouveaux problèmes, tels celui de la pollution des nappes phréatiques.
Certains analystes ont en outre exprimé leur préoccupation au sujet de l’utilisation de l’eau par l’industrie du schiste bitumineux. En 2002, celle-ci utilisait 91 % de l’eau consommée en Estonie. En fonction des techniques utilisées, l’autoclavage hors sol utilise de un à cinq barils d’eau par baril d’huile de schiste produit. Une étude d’impact environnemental publiée par le département américain de gestion du territoire fait apparaître que l’extraction hors sol et l’autoclavage produisent un pourcentage important d’eau souillée par tonne d’huile de schiste produite.
Ces inquiétudes sont encore plus vives dans les régions arides, comme l’ouest des Etats-Unis où le désert du Néguev, en Israël, où des plans existent pour étendre l’extraction du schiste bitumineux en dépit de la pénurie d’eau. Nous-mêmes, en France, subissons d’ailleurs une très grave période de sécheresse.
Notre amendement vise donc à interdire l’exploration et l’exploitation de gisements d’hydrocarbures bitumineux.
Quant à vous, comme à votre habitude, vous préférez tourner vos regards vers les promesses de profits plutôt que vers la préservation de notre écosystème… Comme l’aurait dit l’un de vos vieux amis, notre maison brûle et vous regardez ailleurs !
La définition proposée dans l’amendement n° 16 est incomplète, car elle ne permet pas de savoir si un gisement classique doit être qualifié de non conventionnel lorsque la fracturation se révèle nécessaire seulement en fin d’exploitation.
La notion de perméabilité insuffisante pour extraire les hydrocarbures me paraît d’ailleurs trop imprécise. Même sans fracturation, une partie des hydrocarbures sort naturellement de la roche.
En tout état de cause, il est plus simple et plus sûr d’interdire le recours à la fracturation hydraulique, dans le cadre aussi bien de l’exploration que de l’exploitation : c’est ce que prévoit l’article 1er.
Pour ces différentes raisons, la commission demande le rejet de cet amendement.
L’amendement n° 11 est justifié par la crainte que d’autres techniques que la fracturation hydraulique, utilisées un jour pour l’extraction des gaz et huiles de schiste, ne se révèlent préjudiciables à l’environnement ou à la santé. Il s’agit d’une simple hypothèse, sur laquelle il paraît difficile de fonder une disposition législative d’interdiction. Des techniques néfastes peuvent être inventées dans tous les domaines d’activité !
Il convient d’observer en outre que de longues années seraient nécessaires pour mettre au point, sur le plan industriel, une technique différente. Aussi n’y a-t-il aucune urgence à légiférer. L’avis est donc défavorable.
Pour les mêmes raisons, la commission est défavorable à l’amendement n° 10.
S’agissant de l’amendement n° 1 rectifié, je rappelle que la commission de l’économie a prévu la possibilité de réaliser des projets scientifiques d’expérimentation. J’ai déjà expliqué qu’il serait incompréhensible de refuser, sans étude scientifique adaptée à la situation française, toute possibilité de connaître et de comprendre l’état d’une ressource potentiellement aussi considérable. Les projets concernés seront des expérimentations limitées, dont les effets seront donc eux-mêmes très limités, mais leurs résultats permettront au débat de reposer enfin sur des données concrètes. En conséquence, l’avis est défavorable.
L’amendement n° 17 rectifié vise à étendre le champ de la proposition de loi à un nouveau domaine puisque toute exploration ou exploitation d’hydrocarbures offshore serait interdite, quels que soient les hydrocarbures recherchés et les techniques employées.
Bien entendu, l’accès à ces ressources doit être strictement réglementé afin d’éviter la survenance de catastrophes, telle l’explosion d’une plateforme qui s’est produite en avril 2010 dans le golfe du Mexique. Néanmoins, cette question, qui n’a pas été soulevée au cours des auditions que j’ai menées, ne présente aucun caractère d’urgence sur le territoire national et réclamerait un examen plus approfondi. Je sollicite donc le retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis sera défavorable.
Concernant l’amendement n° 21, je fais observer que les schistes bitumineux relèvent d’un mode d’exploitation fondamentalement différent de la fracturation hydraulique : en effet, la roche doit être chauffée par pyrolyse pour fabriquer les hydrocarbures.
Il est exact que les modes d’exploration et d’exploitation y afférents doivent être étudiés d’un point de vue environnemental, mais je ne crois pas qu’il y ait urgence à légiférer sur cette ressource puisque aucune activité de cette nature ne semble exister en France – même si des gisements existent probablement.
Les schistes bitumineux font partie des ressources pour lesquelles il conviendra de réfléchir à des procédures transparentes et protectrices de l’environnement au moment de la réforme du code minier.
Là encore, à défaut du retrait de cet amendement, la commission y sera défavorable.
L’amendement n° 16 soulève une question que j’ai moi-même posée : celle de savoir s’il existe d’autres moyens que ceux qui sont actuellement utilisés pour extraire le gaz et l’huile de schiste. Aujourd’hui, certains évoquent la technologie de la fracturation au propane, qui serait utilisée aux États-Unis. Or le propane à haute pression est un liquide et, quand on parle de fracturation hydraulique, on ne vise pas seulement l’eau, mais bien tout liquide. En interdisant la fracturation hydraulique, on interdit donc également la fracturation réalisée au moyen du propane.
De toute manière, les préfets pourront interdire par arrêté une nouvelle technique que nous ne connaîtrions pas et qui verrait le jour.
L’avis du Gouvernement est, par conséquent, défavorable.
L’amendement n° 11 nous renvoie au débat général : s’agit-il d’interdire une technique au motif que celle-ci est aujourd’hui identifiée comme dangereuse ou bien s’agit-il d’interdire l’accès à un produit utilisé par ailleurs ? Car il faut rappeler que le gaz dont cet amendement tend à interdire l’exploration et l’exploitation est exactement le même que celui qui est transporté par les méthaniers.
Aussi le Gouvernement émet-il un avis défavorable. La rédaction retenue par la commission permet de répondre à la préoccupation exprimée par les auteurs de cet amendement, mais d’une manière qui me semble plus cohérente.
S’agissant de l’amendement n° 10, je me suis déjà exprimée sur son 1° puisqu’il concerne également les hydrocarbures de roche-mère. Quant à son 2°, il a pour objet d’interdire toute expérimentation à des fins scientifiques. Or celle-ci nous paraît être consubstantielle au principe constitutionnel de précaution. Selon ce principe, il faut s’abstenir d’agir en cas de risque avéré, mais il n’est aucunement interdit d’acquérir les connaissances permettant d’identifier les différents risques. C'est ce qui se passe, entre autres, pour les OGM. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Pour les mêmes raisons, il est défavorable l'amendement n° 1 rectifié, qui a le même objet que le 2° de l’amendement n° 10.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 28 de la commission.
L'amendement n° 17 rectifié est un cavalier législatif, car il traite d’un sujet qui ressortit à la partie réglementaire du code minier. Cela dit, je conviens que les forages en eaux profondes soulèvent les mêmes problèmes d’encadrement que les autres forages que nous évoquons cet après-midi. Aussi, je m'engage à ce que les demandes d’autorisation pour ces forages soient désormais soumises à enquête publique et ne se limitent plus à de simples déclarations avec des arrêtés d'encadrement des travaux, comme c'est le cas actuellement. Cette modification du régime des autorisations interviendra par la voie réglementaire ; encore une fois, je m’y engage devant vous.
Pareillement, l'amendement n° 21 rectifié, relatif aux schistes bitumineux, est un cavalier législatif. De toute façon, la France n’est pas concernée, car on ne trouve pas de tels gisements sur notre territoire. Certes, des carrières de schistes bitumineux pourraient être exploitées pour les travaux routiers, mais c’est un problème différent. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Je mets aux voix l'amendement n° 16.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici le résultat du scrutin n° 223 :
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote sur l'amendement n° 11.
Si la majorité sénatoriale veut vraiment faire la démonstration qu'elle n'est pas favorable à l'exploration et à l'exploitation des gaz de schistes eu égard aux risques que ces opérations font planer sur l'environnement, et si elle est d’accord avec Mme la ministre pour souhaiter que nous nous retrouvions sur ce texte, alors, je l’invite à voter cet amendement n° 11.
Ceux qui auront voté cet amendement pourront, de manière claire, nette et précise, expliquer aux populations de leurs départements qu'il faut sanctuariser les hydrocarbures de roche-mère en en interdisant purement et simplement l'exploration et l'exploitation.
En revanche, ceux qui ne l'auront pas voté devront justifier qu’ils ont choisi la voie contraire, qu’ils laissent toute latitude pour forer et exploiter ici ou là.
Et qu’ils ne viennent pas ensuite prétendre qu’ils ont voté une loi interdisant l'exploitation et l'exploration des hydrocarbures de schiste ! Ce sera faux !
Plusieurs amendements leur donnent l’occasion de prononcer une véritable interdiction, mais c’est particulièrement vrai pour celui-ci. C'est pourquoi, au nom de notre groupe, j'appelle chacun des membres de notre Haute Assemblée à prendre ses responsabilités en votant cet amendement. Par ce vote consensuel, le Sénat indiquerait clairement qu'il est opposé à l'exploration et à l'exploitation des hydrocarbures de roche-mère.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Depuis plusieurs heures, il me semble que nous tournons autour du pot. Je n'ai pas compris quelle était, en fin de compte, la position exacte du Gouvernement.
Certains de nos collègues du groupe UMP nous ont expliqué que, puisque les industriels étaient tout autant attachés que nous à la protection de l'environnement, à la qualité de l'eau, à la santé des populations, il n’était pas douteux que des techniques plus propres d'exploitation seraient mises au point et que nous pourrions ainsi, peut-être, contribuer à l'avenir énergétique de notre pays.
Dans le même temps, j'ai cru comprendre, en écoutant l'exposé introductif de Mme la ministre et les rares réponses, toujours laconiques, qu'elle a apportées à nos questions, que la formulation retenue dans l’article 1er pouvait bien avoir été conçue de telle sorte que l'exploitation des hydrocarbures de schiste soit réellement interdite compte tenu des critiques assez radicales dont ont fait l’objet les techniques de fragmentation hydraulique. Cela étant, je ne sais pas exactement ce qu'il en est. Qu’est-ce qui justifie cette formulation ambiguë ? L’objectif est-il de protéger le Gouvernement d'un risque juridique ou bien est-il de calmer la colère des populations ? Je n'ai toujours pas de réponse claire.
L’adoption de l’amendement n° 11 permettrait d’apporter une réponse limpide aux Français.
Celle qui a soutenu devant les parlementaires l'inscription d'une Charte de l'environnement adossée à la Constitution, qui a défendu le principe de précaution non pas comme une intervention a posteriori, pour se donner bonne conscience, mais comme une démarche scientifique exigeante et éclairée, destinée à peser les avantages et les risques de telle ou mesure ou de tel ou tel projet, ne devrait pas rester sourde à cette attente.
Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Je mets aux voix l'amendement n° 11.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Mes chers collègues, le dépouillement du scrutin n° 224 faisant apparaître un résultat aberrant quant au nombre de votants, il est nécessaire de procéder à un pointage. J’annoncerai donc le résultat définitif ultérieurement.
La parole est à M. Jean-Pierre Miquel, pour explication de vote sur l’amendement n° 10.
Monsieur le président, je me permettrai de faire une première remarque : il est surprenant que, sur un sujet de cette importance, les membres de la majorité soient aussi peu nombreux, ce qui contraint le Sénat à se prononcer par scrutin public sur chaque amendement. C’est fort regrettable ! Nos concitoyens, qui sont très mobilisés sur ce sujet, apprécieront…
Il est par ailleurs pour le moins étonnant que le ministre qui a, dans un battage médiatique rarement égalé, fait voter le Grenelle de l’environnement, dont nombre de mesures phares ont été reportées, soit aussi celui qui délivre les autorisations de recherche de gaz de schiste avec la technique de fracturation hydraulique, et ce sans aucune concertation avec les élus locaux des secteurs en cause, et encore moins avec la population. Nous avons, tout à coup, découvert que ces autorisations avaient été accordées !
Élu du Lot, département concerné par un permis de recherche, je peux vous assurer, madame la ministre, que la mobilisation est forte, et justifiée, et que les élus de toutes sensibilités sont opposés à ces recherches.
Mes chers collègues, comment nos concitoyens pourraient-ils donner du crédit à la parole de gouvernants qui vont aujourd’hui à l’encontre de dispositions qu’ils ont, hier, défendues et fait voter ?
Le principe de précaution est inscrit dans la Constitution. Aujourd’hui, il n’existe aucune technique sûre. Nous devons donc abroger les autorisations de recherche qui ont été délivrées.
Nous ne pouvons laisser des grands groupes industriels et financiers conduire des recherches dont le premier objectif est la réalisation d’importants profits à long terme.
Mes chers collègues, nous devons aujourd’hui prendre nos responsabilités. Nos concitoyens nous observent. Je suis persuadé qu’ils porteront un jugement sévère sur ceux qui, par discipline, auront voté ce texte permettant des recherches impliquant l’usage de techniques non maîtrisées, susceptibles de surcroît de faire peser des risques de pollution de la ressource en eau, qui est plus que jamais notre bien le plus précieux.
Ne touchons pas à la roche-mère, sauf à prendre des risques majeurs !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Naïvement, je pensais que nous allions avoir un débat riche, intense, et surtout fructueux. Mais de débat, il n’y a point, faute de débatteurs ! La responsabilité en revient à la droite de cet hémicycle, qui brille d’abord par son absence et, pour les rares présents, par son mutisme. La majorité est devenue physiquement minoritaire : d’où la multiplication des scrutins publics et le retard que prennent les débats.
Mais peut-être la majorité sénatoriale s’entraîne-t-elle à devenir minoritaire en septembre prochain… Quoi qu’il en soit, tout cela est bien regrettable !
Applaudissements sur les mêmes travées.
Je mets aux voix l'amendement n° 10.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici le résultat du scrutin n° 225 :
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Monsieur le président, au rythme où nous avançons, nous ne pourrons guère achever nos travaux avant une heure et demie du matin.
Force est donc de constater que la majorité n’assume pas ses responsabilités.
Elle a voulu ce texte, et le Gouvernement l’a inscrit à l’ordre du jour prioritaire. Il méritait un débat.
Le groupe socialiste a présenté sa propre proposition de loi. Puis nous avons fait l’effort de justifier les amendements que nous avons déposés sur le texte qui nous est soumis, mais nous n’obtenons pratiquement pas de réponses à nos arguments. Pardonnez-moi de vous le dire, madame la ministre, les rares explications que vous nous donnez sont pour le moins rapides.
Déjà dans votre intervention liminaire, que nous avons écoutée avec un grand intérêt, vous ne sembliez pas convaincue de la pertinence du texte qui nous arrive de l’Assemblée nationale.
En tout cas, je ne suis pas convaincue par vos arguments !
Effectivement, vous n’assumez pas ! Or, lorsqu’on est membre du Gouvernement, on a un devoir de solidarité, y compris à l’égard de ce qui a été fait par d’autres.
Monsieur le président, je vous demande très solennellement de bien vouloir suspendre la séance. Le Sénat ne peut continuer à travailler dans des conditions qui n’ont rien de démocratiques.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Je suis scandalisée par les propos de Mme Bricq, qui juge utile de me mettre personnellement en cause !
Madame la sénatrice, quand je lève les yeux au ciel, c’est en général à la suite de vos propos ou de ceux de vos collègues !
Vous nous resservez plusieurs fois de suite le même amendement, et je peux vous en donner un exemple : vous avez déposé un amendement sur la fracturation, un autre sur l’expérimentation, puis un amendement visant à la fois fracturation et expérimentation.
Cette manière de procéder, à mon avis, n’a aucun intérêt.
Concernant le débat de fond sur l’environnement, c’est cette majorité qui est au rendez-vous.
Sur le principe de précaution, inclus dans la Charte de l’environnement, je m’en souviens d’autant mieux que j’étais rapporteur à l’Assemblée nationale, …
… tout le monde était d’accord. Où étiez-vous le jour de son vote au Congrès ?
Madame Bricq, je vous ai écoutée ; j’aimerais maintenant pouvoir parler sans être interrompue sans cesse ! Monsieur le président, les règles sont-elles respectées dans cet hémicycle ?
Madame la sénatrice, quand le principe de précaution a été voté au Congrès, le parti socialiste…
… a donné consigne à ses parlementaires, non pas de s’abstenir, mais de ne pas voter, c’est-à-dire d’aller prendre un café !
Alors, c’est tout à votre honneur. Seuls quelques députés et sénateurs socialistes ont voté en sa faveur. Cela signifie que ce principe de précaution, maintenant invoqué par la gauche à grand renfort de lyrisme, n’a pas été voté par la plupart de ses représentants !
Il en a été de même pour le Grenelle de l’environnement. Le Grenelle 1, c’est vrai, a été adopté à la quasi-unanimité §; pour le Grenelle 2, tout le monde s’est égaillé ! Et aujourd’hui, alors que la plupart d’entre vous ne l’ont pas voté, vous me réclamez des décrets, vous vous impatientez de sa mise en œuvre !
Bien sûr, et c’est bien pourquoi, en l’espèce, je la mets en œuvre !
Le principe de précaution est illustré, incarné, dans cette proposition de loi que le Gouvernement soutient.
Arrêtez de nous faire des procès d’intention. Regardez les choses sur le fond, et cessez d’instrumentaliser à des fins…
Monsieur le président, puis-je terminer mon propos ?
Cessez d’instrumentaliser à des fins politiques une proposition de loi qui, aujourd’hui, est essentiellement technique §
… puisque tout le monde est d’accord pour interdire les processus de fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste.
Le débat, vous le savez très bien, porte sur la façon de procéder, afin de répondre au souhait de la majorité.
L’enjeu est d’agir correctement, pour éviter tout contentieux et ne pas être contraint de payer des dédits absolument effrayants aux industriels.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. À moins que, pour le symbole, comme le souhaite l’opposition, on ne prenne des risques juridiques, c’est-à-dire in fine des risques financiers qui pèseraient sur les impôts des Français !
Applaudissementssur les travées de l’UMP.
Mes chers collègues, je serai reconnaissant à chacun de garder son calme et d’écouter les différents intervenants.
Je vais donner la parole à M. Jean-Jacques Mirassou, qui me l’a demandée, et je formulerai ensuite une proposition, car il me semble que nos travaux sont, si vous me permettez cette litote, quelque peu chaotiques.
Le problème n’est pas tant d’être écouté que d’être entendu !
Madame la ministre, il ne faut pas que, dans un souci de galvanisation de vos troupes, vous inversiez les roses… je veux dire les rôles. §Ce lapsus est révélateur parce que, chaque fois que vous évoquez l’opposition socialiste, vous vous croyez obligée de dire « le parti socialiste ». Si nous étions tous présents, il faudrait repousser assez sensiblement les murs de cet hémicycle…
Je conçois que votre intervention soit de nature à galvaniser vos troupes, mais, quoi que vous disiez, vous n’assisterez pas pour autant à une « génération spontanée » de sénateurs de la majorité !
Même si cela ne vous plaît pas, nous ne vous donnerons pas les moyens, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues de la majorité, de trouver un soulagement honteux en subissant, à l’issue de chaque présentation d’amendement, un vote qui, dans ses modalités pratiques, n’est pas de nature à assurer la promotion du fonctionnement démocratique de notre institution.
Sur le fond, madame la ministre… mais j’attends que vous ayez terminé votre aparté avec M. le rapporteur… sur le fond, nous vous appelons également à un peu plus de prudence. Contrairement à ce que vous avez dit, le débat n’est pas technique ; nous avons la faiblesse de penser qu’il s’agit d’un débat éminemment politique, au sens le plus littéral du terme, car il s’agit bien ici de la gestion de la cité.
Quand nous sommes ici pour défendre, avec sincérité, notre conception de l’intérêt général, vous n’avez pas le droit de caricaturer notre position et, dans le même temps, d’expliquer que notre présence dans cet hémicycle résulte d’une option politicienne.
N’essayez pas, à toute force, de nous appliquer les schémas intellectuels qui sont de votre côté et, si vous avez un téléphone portable opérationnel, faites en sorte que les rangs de la majorité s’épaississent dans les minutes qui viennent ! §
Il n’y a pas, dans cet hémicycle, les vertueux et les autres, ceux qui feraient de la politique politicienne et ceux qui feraient de la politique de façon noble. Entendre cela de la bouche d’un membre du Gouvernement est à peine acceptable !
Ce que nous faisons, ce n’est pas de la politique politicienne, c’est tout simplement notre travail, et ce travail consiste à chercher à convaincre. Madame la ministre, vous ne pouvez pas dire que nous présentons trois amendements qui disent la même chose de trois manières différentes. Oui, nous intervenons plusieurs fois sur le même sujet, mais c’est parce que nous sommes convaincus que l’option que nous avons choisie, différente de la vôtre, est la bonne.
Si les membres de la majorité sont si peu nombreux aujourd’hui dans l’hémicycle, c’est sans doute parce qu’ils préparent le week-end ou mènent d’autres activités d’élus…
Mais cela ne voudrait-il pas dire aussi que la majorité n’est pas convaincue par ce texte ? C’est ce que je pense !
Comment notre collègue M. Jacques Blanc – je sais qu’il veut aussi s’exprimer : il me répondra donc s’il le souhaite – pourra-t-il expliquer dans son département, la Lozère, que la loi qui va être votée ce soir à une heure tardive n’empêchera aucunement – car c’est cela, la réalité – les explorations et l’exploitation du gaz de schiste sur ce territoire ?
La démonstration est faite, et Mme la ministre vient de le reconnaître elle-même. Mais, pour des raisons juridiques et peut-être financières, pour ne pas alourdir, a-t-elle dit, les impôts des Français, on ne pourrait pas, contrairement à ce qu’a affirmé le Premier ministre à l’Assemblée nationale, abroger les permis.
Nous, nous voulons tout simplement, et ce n’est pas de la politique politicienne, que ces permis soient abrogés parce que nous sommes opposés aux forages de gaz de schiste – aujourd’hui, mais aussi demain et après-demain –, quelle que soit la méthode employée, en Lozère, dans l’Aveyron, la Drôme, le Gard ou l’Ardèche. Voilà exactement notre position.
Nous sommes très sereins et nous irons au bout de la discussion s’il le faut, car ce sujet très important a mobilisé des milliers de citoyens dans les plus petits villages de mon département : 300, 500, 800 personnes dans les salles des fêtes ! Tous les élus sont également mobilisés pour défendre ceux des nôtres qui ont été assignés devant les tribunaux.
Aujourd’hui, le Parlement, et particulièrement le Sénat, s’honorerait en prenant des décisions claires. Vous ne voulez pas les prendre parce que le Gouvernement ne souhaite pas interdire totalement les forages et l’exploitation de gaz de schiste. Alors, nous allons continuer…
Mais, comme l’a dit très tranquillement Mme Bricq, ce que nous vivons aujourd’hui, c’est tout de même un simulacre de démocratie, reconnaissons-le ensemble. Vous n’y êtes évidemment pour rien, chers collègues de la majorité qui êtes présents ce soir, mais c’est un fait : vingt-six demandes de scrutin public pour une loi qui est censée régler la question du gaz de schiste. Nous désapprouvons ces méthodes !
Mme Bricq a raison : cela ne changera rien au résultat final, mais, afin que nous puissions retourner devant les électeurs, il serait sage que le président lève la séance et que les débats reprennent un autre jour, si possible à une heure un peu moins tardive, en tout cas pas à la veille d’un long week-end, et que vous assumiez, chers collègues de l’UMP, votre responsabilité de groupe majoritaire.
Si la séance n’est pas levée, nous continuerons cette discussion jusqu’à une heure ou deux heures du matin. Nous pouvons le faire, mais franchement, cela ne donnerait pas la meilleure image du Sénat sur un sujet aussi important.
Ainsi, après Mme Bricq et au nom du groupe socialiste, je demande la levée de la séance, de manière que cette discussion se poursuive lorsque nos collègues de la majorité seront un peu plus nombreux.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
M. Jacques Blanc. Ne pensez pas que nous ne sommes pas convaincus ! C’est au contraire parce que nous avons une conviction que vous pouvez la contester : nous sommes certains que notre vote interdira toute exploitation de gaz de schiste !
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Vous pensez différemment, mais vous me permettrez de dire une dernière fois ce que nous pensons, même si cela a déjà été dit tout à l’heure.
Mais oui ! sur les travées du groupe socialiste.
Moi, j’ai la conviction très forte que, puisqu’on interdit toute fracturation hydraulique, …
… alors qu’aucune autre technique n’est envisageable aujourd’hui et que les permis tombent ipso facto, …
M. Jacques Blanc. Mes chers collègues, ayons l’honnêteté de dire que nous partageons le même objectif puisque les permis tombent ipso facto.
Mais non ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG
L’erreur, je l’ai dit à la tribune et chacun le reconnaît, n’a pas été commise aujourd’hui. Elle a consisté à délivrer des permis sans aucune transparence. Or nous ne voulons pas que l’État soit engagé dans des situations qui, juridiquement, seraient mauvaises.
Donc, nous obtenons le même résultat, mais sans risque. C’est uniquement notre analyse qui est différente. Ayons l’honnêteté de dire que, vous comme nous, nous ne voulons aucune exploration ni exploitation avec une fracturation hydraulique, c’est-à-dire des techniques qui ne correspondent pas à ce que nous souhaitons pour notre environnement.
Mes chers collègues, cette discussion a été inscrite à l’ordre du jour par le Sénat puisque, si je m’en réfère à la dernière conférence des présidents, elle l’a été à la demande du groupe UMP, avec le soutien de la commission de l’économie.
Un certain nombre d’entre vous souhaitent que la séance soit levée et que, en conséquence, la suite de la discussion de la présente proposition de loi soit renvoyée à une séance ultérieure.
De manière à procéder avec un minimum de rigueur, je vais réunir pendant quelques instants, dans le « cabinet de départ », le président de la commission et un représentant de chaque groupe afin que nous puissions rapidement prendre une décision sur la manière dont il convient d’envisager la suite de nos travaux. Évidemment, madame la ministre, le Gouvernement est invité à cette réunion.
Madame Voynet, c’est moi qui préside la séance et j’organise la réunion comme je le souhaite. Je n’ai pas le pouvoir de convoquer le Gouvernement et je ne le revendique pas ; mais il peut tout à fait assister à cet échange.
Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt-et-une heures dix, est reprise à vingt-et-une heures vingt.