Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui est de ceux qui font honneur à notre pays.
Il est de ceux qui permettent de transcender les querelles partisanes au nom des valeurs fondamentales de la démocratie.
Je me réjouis que l'Assemblée nationale l'ait adopté à l'unanimité en première lecture après en avoir fait un examen approfondi, exigeant et attentif.
M. le rapporteur, Hugues Portelli, a parfaitement cerné les enjeux de ce texte. Je salue ici la qualité de son travail.
Je sais, monsieur le rapporteur, que la lutte contre la corruption fait écho à d'autres travaux que vous avez menés dans cet hémicycle. Je pense, en particulier, aux avancées en termes de déontologie et d'éthique que vous avez soutenues lors de l'examen de la loi de modernisation de la fonction publique.
Je vous remercie d'avoir apporté toute votre expérience et votre rigueur au projet relatif à la lutte contre la corruption. La commission des lois a reconnu tout le mérite du rapport que vous présentez aujourd'hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la corruption n'est pas un mal nécessaire. Elle n'est pas inévitable. Elle est un poison pour l'intérêt général. Elle est un mal insidieux qui sape notre économie et les fondements de l'esprit public.
La corruption nuit à la bonne gestion des affaires publiques. Elle freine le développement économique. Elle renchérit le coût des investissements. Elle utilise des procédés criminels. Plus fondamentalement, elle affecte durablement la confiance des citoyens dans leurs institutions.
Cependant, la corruption n'est pas une fatalité. Elle doit être combattue avec détermination. Cette lutte ne peut être efficace dans un cadre strictement national. C'est une évidence.
Dans une économie qui ne connaît plus de frontières, la lutte contre la corruption appelle une action concertée des États. Seul un engagement international fort permet d'imposer une compétition loyale et saine, une gestion publique impartiale et probe.
Le projet de loi qui vous est soumis achève d'adapter notre droit aux engagements européens et internationaux de la France.
Pour vous présenter l'économie générale de ce texte, il faut rappeler que ce dernier prolonge la loi du 30 juin 2000, qui transposait deux conventions de 1997 : l'une sur la corruption intracommunautaire, l'autre, de l'OCDE, sur la corruption dans les transactions internationales.
En transposant aujourd'hui deux conventions postérieures du Conseil de l'Europe et de l'ONU, nous sommes amenés à aller plus loin. Nous le faisons essentiellement sur trois points.
Premièrement, nous élargissons la répression du délit de corruption des agents publics étrangers et internationaux.
Deuxièmement, nous incriminerons désormais le trafic d'influence exercé envers les agents des organisations internationales.
Troisièmement, nous protégerons mieux la justice contre toute influence extérieure et rendrons plus efficace la lutte contre la corruption.
Ce projet de loi élargit donc le délit de corruption des agents publics étrangers et internationaux.
La Convention pénale sur la corruption du Conseil de l'Europe nous amène à opérer cet élargissement de deux façons.
En premier lieu, nous avons l'obligation de ne pas limiter aux seules transactions commerciales la sanction de la corruption d'un agent public.
Aujourd'hui, hors de l'Union européenne, la loi française ne punit la corruption d'un agent étranger ou d'une organisation internationale que si cette corruption s'inscrit dans un cadre commercial.
Cette corruption est punissable s'il s'agit, par exemple, d'obtenir un marché. En revanche, elle n'est pas punissable s'il s'agit d'obtenir toute autre décision favorable d'une autorité publique - l'octroi d'un passeport ou d'un permis de construire, le vote d'un texte, un jugement favorable.
C'est ce dernier point que nous devons changer. Tout acte de corruption d'un agent public étranger ou international sera désormais punissable, quel que soit l'objectif visé.
En second lieu, tous les acteurs de la corruption relèveront des tribunaux français.
En l'état actuel de notre législation, seul le corrupteur peut être poursuivi. L'agent public étranger ou international corrompu, lui, échappe aux poursuites, car la corruption passive de cet agent n'est pas réprimée.
Il faut aller plus loin en prenant exemple sur nos partenaires internationaux. Trente-trois États du Conseil de l'Europe incrimineront la corruption passive d'agent public étranger. La France doit se doter des mêmes moyens d'action.
C'est aussi la garantie d'un jugement plus équitable puisque le corrupteur et le corrompu répondront de leurs actes dans un même procès.
Le projet de loi permettra également de punir le trafic d'influence exercé envers les agents des organisations internationales.
Le trafic d'influence consiste à rémunérer un intermédiaire pour qu'il abuse de son influence sur un décideur public afin de peser sur l'une de ses décisions.
Le droit français punit cette infraction afin de préserver la liberté, l'impartialité et la légalité des décisions que prennent les agents publics et les élus français.
Le projet de loi étend cette incrimination aux agents publics des organisations internationales, mais non aux agents publics étrangers.
Nous avons fait ce choix dans un souci de réciprocité, car nos partenaires se sont réservé la possibilité de ne pas poursuivre le trafic d'influence envers un agent public d'un autre pays. C'est le cas, entre autres, du Royaume-Uni, du Danemark, de la Finlande, de la Suède, des Pays-Bas, de la Suisse et, très probablement, de l'Allemagne lorsqu'elle ratifiera la convention.
En revanche, nous avons fait un choix différent pour les agents publics affectés dans des organisations internationales. Ainsi, nous punirons le trafic d'influence qui les vise en raison de leur situation très particulière.
S'il appartient, en effet, à chaque État de veiller comme il le souhaite à ce que ses agents n'agissent pas sous influence, il n'en va pas de même pour les agents des organisations internationales dont les décisions intéressent tous les États membres.
Les organisations internationales jouent un rôle majeur dans l'ordre public international, et leurs responsabilités vont croissant. Les États renoncent parfois à des prérogatives essentielles à leur profit. Parce que les enjeux de leur mission sont extrêmement importants, elles se doivent d'être au-dessus de tout soupçon.
Le processus normal de décision fixé par les États ne doit pas être faussé impunément. C'est pourquoi le Gouvernement a choisi de réprimer le trafic d'influence exercé en direction des agents publics internationaux.
Le projet de loi permettra de mieux protéger la justice contre toute influence extérieure et de lutter plus efficacement contre la corruption.
Il permettra de sanctionner le trafic d'influence visant à obtenir une décision favorable d'un magistrat ou de tout autre collaborateur judiciaire français.
Ce texte doit mettre les juges, procureurs, greffiers, experts, conciliateurs, médiateurs et les arbitres de commerce à l'abri de toute influence dans les actes de leurs fonctions. C'est une exigence dans un État de droit.
Le projet de loi permet également de punir les actes d'intimidation ou de subornation destinés à peser sur le cours de la justice rendue dans un État étranger ou dans une enceinte internationale.
L'efficacité de la lutte contre la corruption passe également par les moyens de lutte dont on dispose.
Conformément aux dispositions de la convention de Mérida, des techniques spéciales d'enquête pourront désormais être employées dans la lutte contre la corruption et le trafic d'influence.
Le projet du Gouvernement prévoyait de permettre la surveillance des biens et des personnes, l'infiltration des réseaux de corruption, la sonorisation et la captation d'images dans les lieux privés. L'Assemblée nationale a ajouté la possibilité d'écoutes téléphoniques pendant l'enquête préliminaire et de mesures conservatoires sur les biens des personnes impliquées dans des affaires de corruption.
Ces moyens d'enquêtes sont parfaitement adaptés à ces affaires. Ils permettront d'obtenir plus efficacement des preuves. Ils éviteront que l'argent de la corruption ne se volatilise, en assurant les confiscations en cas de condamnation.
En contrepartie, les personnes mises en cause dans ces procédures bénéficieront d'un droit d'information sur les suites données aux enquêtes.
Enfin, le texte tend à mettre en place une protection des salariés qui dénoncent de bonne foi des faits de corruption. Ils seront désormais préservés de façon plus efficace et mieux adaptée contre toute forme de sanction ou de discrimination.
Cette disposition nouvelle permet de répondre à certaines des recommandations adressées à la France dans le cadre de l'OCDE et du Conseil de l'Europe. Nous satisferons ainsi pleinement aux exigences de la convention civile du Conseil de l'Europe contre la corruption. Cela s'inscrit parfaitement dans la volonté du Gouvernement de transposer dans notre droit nos engagements internationaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, votre rapporteur, suivi par la commission des lois, vous propose de voter ce projet de loi sans réserve, dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale. Ce serait là un message fort en direction de la communauté internationale pour traduire toute la détermination de la France en cette matière.
Je sais que, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, nous pouvons nous retrouver autour d'un texte comme celui-ci, qui engage notre pays tout entier sur la scène internationale.
Il permettra à la France de se soumettre rapidement et dans les meilleures conditions à l'évaluation de sa législation par le groupe d'États contre la corruption, le GRECO, institué par le Conseil de l'Europe.
Plus encore, ce texte répond à des principes fondamentaux et à des exigences impérieuses auxquels tous les élus nationaux, j'en suis convaincue, sont sensibles.