Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la demande croissante de justice exprimée par les citoyens donne une place centrale aux magistrats dans notre société. Dès lors, en raison de leurs prérogatives étendues, les magistrats sont plus que jamais, et encore bien plus que tout autre agent public, tenus de rendre compte de leurs actes, conformément aux exigences de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Or, ces dernières années, le comportement peu scrupuleux ou les insuffisances professionnelles de certains magistrats, dans quelques affaires isolées, ont porté atteinte à la confiance des justiciables dans la justice.
Les dysfonctionnements apparus dans l'affaire d'Outreau, qui ont été analysés par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale au mois de juin dernier, n'ont fait que donner un plus large écho à la mise en évidence de certaines défaillances de la justice judiciaire.
Bien entendu, l'institution judiciaire n'est pas restée indifférente à la crise qu'elle traverse.
La mise en place, par le ministère de la justice, d'une commission chargée de réfléchir sur l'éthique dans la magistrature, la création d'un groupe de travail par ce même ministère sur la responsabilité des magistrats au mois de juillet 2005 ou encore les nombreuses suggestions esquissées par le Conseil supérieur de la magistrature dans ses récents rapports d'activité témoignent d'une volonté réelle de rechercher les moyens efficaces pour mieux détecter et prévenir les difficultés préjudiciables à son bon fonctionnement.
Toutes les pistes de réforme évoquées dans ces rapports convergent vers une même orientation : le renforcement de la responsabilité du corps judiciaire.
La responsabilité dont il s'agit ici doit s'entendre au sens large. En effet, elle ne saurait se réduire à l'obligation de réparer les dommages causés à autrui ou de répondre de ses fautes devant une instance disciplinaire. Elle implique plus généralement d'avoir conscience à tout instant de toutes les obligations qu'implique l'état de magistrat.
Le présent projet de loi organique s'inscrit dans cette perspective, en proposant de nombreuses innovations pour responsabiliser les magistrats à tous les stades de leur carrière.
C'est le cas en amont, à l'occasion du recrutement dans le corps, durant la formation initiale, puis dans l'exercice quotidien de leur métier, au moyen de la formation continue ou encore grâce à des règles de mobilité plus ouvertes. Il en est de même en aval, en cas de manquement aux obligations qui découlent de leur statut ou lorsque le magistrat est affecté par une pathologie incompatible avec ses fonctions.
La réforme aujourd'hui soumise au Sénat opère une synthèse des travaux de la commission de réflexion sur l'éthique dans la magistrature et des recommandations de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'affaire d'Outreau.
Le Sénat a toutes les raisons de se réjouir des avancées ainsi proposées, car elles sont l'aboutissement d'une réflexion plus ancienne. À cet égard, permettez-moi de mentionner les travaux de contrôle menés en 2002 par la commission des lois sur l'évolution des métiers de la justice. Beaucoup de choses avaient alors déjà été dites.
Dans la mesure où l'économie du dispositif vous a déjà été excellemment présentée par M. le garde des sceaux, je centrerai mes propos sur les principales propositions de modifications adoptées par la commission.
Je tiens à le souligner, les principaux amendements de fond qui vous seront soumis ont été guidés par un même souci : assurer un équilibre satisfaisant entre l'exigence accrue de responsabilité et le respect intangible de l'indépendance de l'autorité judiciaire, principe consacré par la Constitution de 1958.
Tout d'abord, s'agissant de la formation des magistrats judiciaires, on ne peut qu'approuver la généralisation à tous les magistrats judiciaires de l'obligation de formation continue, qui a été introduite par les députés. Ainsi, la formation est non pas un droit, mais bien une obligation.
Monsieur le garde des sceaux, je souhaite toutefois attirer votre attention sur un point important : les moyens qu'il faudra allouer à l'ENM pour assurer la mise en oeuvre de cette réforme, dont le coût budgétaire est loin d'être négligeable puisqu'il est évalué à 4, 4 millions d'euros. Or le budget de fonctionnement de cette école prévu pour l'année 2007 ne permettra pas de financer la réforme.
L'allongement du stage d'immersion au sein de la profession d'avocat, qui a été proposé par l'Assemblée nationale, mérite d'être approuvé. En effet, la brièveté du stage actuel n'offre aux auditeurs qu'un trop modeste aperçu de ce métier. Il est vrai que certains trouvaient que ce stage était déjà à la fois trop long et inutile... Mais peut-être en percevront-ils mieux l'utilité si ce stage dure plus longtemps.
Dans le souci de ne pas perturber le bon déroulement de la scolarité de l'École nationale de la magistrature, il nous a semblé judicieux de proposer de réduire la durée de ce stage de six mois à cinq mois.
Par ailleurs, la commission des lois souscrit pleinement à l'objectif de l'Assemblée nationale de diversifier le recrutement des magistrats. Une telle évolution est nécessaire pour enrichir le corps judiciaire d'expériences nouvelles et lui apporter une respiration.
À cet égard, monsieur le garde des sceaux, je souhaite attirer votre attention sur le fait que l'ouverture du corps de la magistrature, pour être effective, exige que les voies de recrutement parallèles soient suffisamment attractives pour susciter des candidatures du haut niveau. C'est un véritable sujet !
Il est impératif que le Gouvernement respecte l'engagement pris voilà cinq ans, dans le cadre de la réforme statutaire du mois de juin 2001, d'ouvrir aux magistrats recrutés par concours complémentaires la possibilité de racheter leurs droits à pension au titre des activités exercées antérieurement à leur entrée dans le corps judiciaire. Cette réforme est très attendue par les intéressés.
La question du recrutement des magistrats est essentielle, car un recrutement de qualité constitue le gage d'une justice de qualité. À ce propos, il est essentiel que les magistrats disposent de capacités qui les distinguent particulièrement, afin de leur permettre d'assumer au mieux leurs responsabilités. Une telle exigence suppose non seulement d'avoir un minimum de connaissances juridiques et techniques, mais, plus encore, de savoir faire preuve d'un nécessaire recul et d'un minimum de bon sens et de maturité, compte tenu des conséquences de leurs décisions sur la vie des justiciables.
Aussi la commission des lois a-t-elle souhaité amplifier la diversification du recrutement en déposant plusieurs amendements relatifs à la procédure de recrutement des candidats à l'intégration directe, à l'exercice temporaire des fonctions judiciaires et à la composition de la commission d'avancement, qui est aujourd'hui majoritairement composée de magistrats du second grade.
L'obligation de mobilité statutaire au premier grade pour l'accès aux emplois placés hors hiérarchie, qui a été proposée par les députés, doit être approuvée et confortée. Ainsi, afin de faciliter la gestion du nouveau dispositif par le corps judiciaire, la commission a déposé un amendement visant à instituer un dispositif plus souple, donc plus facile à mettre en oeuvre.
Le projet de loi prévoit également de regrouper les règles déontologiques au sein d'un recueil. Cette initiative heureuse présente l'avantage, par rapport à un code de déontologie, de ne pas figer une matière par nature évolutive.
La commission tient à rappeler le rôle essentiel des chefs des cours d'appel : placés au coeur du système judiciaire, ils sont les mieux placés pour détecter d'éventuels dysfonctionnements. Certes, la faculté de saisir le Conseil supérieur de la magistrature pour engager des poursuites disciplinaires, qui leur a été ouverte en 2001 sur l'initiative du Sénat, a été peu mise en oeuvre jusqu'à présent Aussi doivent-ils être encouragés à assumer pleinement leurs responsabilités en devenant les « gardiens de la déontologie » dans leur juridiction.
La commission des lois a souhaité apporter sa contribution à l'approfondissement de la déontologie des magistrats en comblant certaines lacunes du droit actuel, notamment lorsque les magistrats demandent à exercer une activité dans le secteur privé ou le secteur public concurrentiel. Au moment où nous venons de voter un projet de loi de modernisation de la fonction publique, qui oblige maintenant tous les fonctionnaires de l'État à passer devant une commission de déontologie, il était paradoxal que les magistrats soient les seuls à ne pas être soumis à la vérification de la compatibilité entre les fonctions exercées précédemment et celles qui leur seraient confiées dans une institution privée.
Le projet de loi organique comporte un volet disciplinaire important. Il renforce notamment l'effectivité des sanctions disciplinaires en en élargissant la portée par plusieurs dispositifs. Cette évolution nous paraît nécessaire.
Un des apports du texte qui nous est soumis concerne la clarification des contours de la faute disciplinaire à raison des actes juridictionnels, introduite à l'Assemblée nationale.
Comme vous l'avez souligné, monsieur le garde des sceaux, le dispositif voté par les députés nous semble présenter deux écueils. Il paraît excessif au regard des limites fixées par nos principes constitutionnels et notre organisation judiciaire, en créant une confusion possible entre l'exercice des voies de recours et le pouvoir d'appréciation du CSM en matière disciplinaire. Il paraît également trop étroit, en ne permettant pas de sanctionner efficacement les carences d'un magistrat, car la poursuite ne pourrait être engagée que tardivement, une fois l'instance close par une décision de justice définitive. Cela pourrait durer dix ans !