Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 13 octobre 2004 à 21h30
Simplification du droit — Article 4

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Nous abordons, avec cet article, une question particulièrement grave : celle des dispositions du code civil relatives à la filiation.

Comme vous le savez, le gouvernement de Lionel Jospin avait demandé à Mme Irène Théry, en 1998 et à Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, en 1999, de faire des propositions afin de rénover le droit de la famille.

Le même gouvernement a apporté plusieurs modifications au droit de la famille, et toutes ces modifications ont été débattues devant le Parlement.

Vous savez que ce même gouvernement a amorcé une réforme du divorce, qui s'est traduite par une loi dont nous avons débattu très récemment.

S'agissant de la filiation, Irène Théry soulignait que « les règles techniques sont devenues d'une complexité telle que seul un expert confirmé peut y retrouver ses petits. » Quant à Françoise Dekeuwer-Défossez, elle soulignait que la complexité du droit de la filiation est naturelle et que « la réduire en deçà d'un certain seuil risque de créer de violentes injustices », mais qu'« une complexité excessive masque aussi incontestablement le sens du lien juridique ».

En effet, soucieux d'assurer la primauté de la famille fondée sur le mariage, le code civil de 1804 avait établi une hiérarchie entre les enfants. Il avait ainsi accordé à l'enfant naturel simple, c'est-à-dire né de parents tous deux célibataires, des droits inférieurs à ceux des enfants légitimes, nés de parents mariés entre eux. Il avait par ailleurs interdit l'établissement de la filiation des enfants adultérins ou incestueux.

La loi du 3 janvier 1972 a marqué une étape décisive en la matière en posant le principe de l'égalité des filiations. Elle a toutefois apporté certaines restrictions aux droits de l'enfant adultérin, notamment en matière de successions et de libéralités.

Comme vous le savez, mes chers collègues, ces dernières dispositions ont été jugées contraires à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, a en conséquence supprimé les différentes dispositions du code civil qui organisaient une discrimination au détriment de l'enfant adultérin.

Les statuts des enfants étant unifiés sans considération pour les conditions de leur naissance, le Gouvernement prétend que la distinction entre filiation légitime ou naturelle est devenue sans objet et qu'il convient donc que le Parlement lui permette de procéder par ordonnance aux modifications nécessaires.

Si ces modifications étaient adoptées par voie d'ordonnance, elles entraîneraient, et cela est loin d'être négligeable, la réorganisation des titres VII, VIII et IX du livre I du code civil respectivement relatifs à la filiation, à la filiation adoptive et à l'autorité parentale.

Il nous paraît, et je veux parler ici au nom de notre groupe avec une certaine gravité, totalement inconcevable que l'on dessaisisse le Parlement du droit de légiférer sur ces matières dont le bref exposé que je viens de faire a montré combien elles étaient complexes et sensibles.

C'est pourquoi, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, au-delà des critiques que j'ai formulées tout à l'heure et que je maintiens, je me réjouis que la commission des lois ait adopté un amendement de suppression identique à celui qui a été présenté par le groupe socialiste.

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