Les propositions contenues dans ce texte sont à la fois ambitieuses et réalistes : ambitieuses, car il s'agit de remédier aux faiblesses de notre économie ; réalistes, car on sait bien que rien ne remplacera jamais la mobilisation des hommes et des femmes qui sont les acteurs de notre économie : entrepreneurs, investisseurs, salariés.
C'est pourquoi ce projet de loi vise simplement à fournir un certain nombre d'outils aux acteurs de l'économie, à lever des blocages pour rendre l'action plus fluide et à tracer des pistes et définir des opportunités qu'il appartiendra aux Français de saisir.
Les faiblesses structurelles de notre pays auxquelles je souhaite m'attaquer au moyen de ce projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie sont au nombre de trois : les entreprises françaises sont sous-capitalisées ; elles ne sont pas assez dynamiques dans leur effort de recherche et d'innovation ; elles n'associent pas suffisamment les salariés à la direction stratégique de l'entreprise, ce qui crée une rupture, parfois inquiétante, alors que la pédagogie doit être incessante dans une économie mondialisée.
La sous-capitalisation des entreprises constitue donc notre première faiblesse
Nous savons, en France, créer des entreprises, et nous en avons beaucoup, le plus souvent petites, voire très petites, mais nous avons une réelle difficulté à les faire grandir. C'est un enjeu stratégique pour notre pays. Pour ma part, j'y vois la source de nos difficultés à exporter. L'Allemagne a le même euro, la même banque centrale que nous et doit respecter les mêmes règles environnementales européennes. Cela ne l'empêche pas d'être le premier exportateur mondial. Elle tire ses atouts d'une spécialisation réussie, mais aussi d'une base de petites et moyennes entreprises exportatrices plus solide et d'une taille supérieure aux nôtres.
Pour faire grandir nos PME, nous avons plusieurs signaux à lancer. Le Premier ministre a ouvert un chantier salutaire en s'attaquant au blocage que constitue le franchissement du seuil de dix salariés, dont l'effet en termes financiers est très violent. Le projet de loi que défend Renaud Dutreil - et que vous avez adopté - facilite la transmission et le développement des TPE. Pour ma part, je souhaite, grâce à ce projet de loi, « connecter » très vite les entreprises avec les marchés financiers et la Bourse. Pourquoi ? Tout simplement parce que c'est un mode de financement profond et régulier, auquel une entreprise de croissance devra se confronter tôt ou tard au cours de son existence. Plus vite elle se sera organisée pour répondre aux attentes que ce type de financement suscite, plus vite elle se placera dans une logique de croissance.
Le texte vise à créer cette dynamique autour de trois axes.
Le premier axe est celui de la simplification du premier accès au marché.
Le projet de loi prévoit une stratégie ordonnée pour que les PME en croissance aient accès aux marchés financiers. Là où les obligations croissantes qui pèsent sur les entreprises pour protéger les investisseurs - et c'est un objectif légitime - avaient conduit à créer un effet de seuil très difficile à franchir, le projet de loi vise à organiser une progressivité des obligations d'information des entreprises selon la maturité du marché sur lequel elles s'introduisent, et donc selon le type d'investisseurs auxquels elles s'adressent.
L'appel public à l'épargne pourra être ainsi gradué, avec un niveau minimum - ce qui ne veut pas dire vide - pour la cotation libre et le « meilleur niveau » pour l'Euroliste de la Bourse de Paris. A mi-chemin, un marché organisé, tel Alternext, qui cible le premier accès à la Bourse tout en visant une base solide et profonde d'investisseurs, et qui est donc à la recherche d'un double label de souplesse et de qualité, pourra discuter avec l'Autorité des marchés financiers, l'AMF, un niveau intermédiaire taillé, sur mesure, d'obligations en matière d'informations financières.
La création de ce marché offre une vraie chance à nos PME, et je salue ses premiers succès : en quelques semaines à peine, en effet, huit introductions ont été réalisées, qui ont permis de « lever » 42 millions d'euros. Ce montant doit être comparé aux 140 millions d'euros « levés » au cours de l'ensemble de l'année 2004 sur les marchés parisiens destinés aux petites entreprises - le second marché, le nouveau marché et le marché libre. La comparaison avec le concurrent londonien place cependant la barre très haut : trois cents introductions ont été réalisées l'en dernier sur l'Alternative Investment Market, l'AIM, qui ont permis de « lever » 6, 7 milliards d'euros, dont 4 milliards d'euros d'actions nouvelles. Il est temps d'agir pour redonner au marché parisien toute sa place auprès des petites et moyennes entreprises.
Le deuxième axe de ma stratégie vise précisément à consolider une base d'investisseurs solide, profonde et durable. Pour ce faire, j'ai tenu à renforcer sensiblement le projet de loi et ai proposé à l'Assemblée nationale d'ajouter un nouveau titre, le titre Ier A, intitulé « Encourager la détention durable d'actions ». Ses articles mettent en place un régime fiscal propre à assurer le décollage de ce marché, en le faisant démarrer sous les meilleurs auspices, non seulement réglementaires, mais aussi fiscaux. Un volet « incitation des investisseurs » est ainsi venu équilibrer le volet « simplification pour l'entreprise » que je viens de présenter, avec une très forte cohérence. Ainsi, Alternext est rendu éligible à l'avantage fiscal dit « Madelin », qui prévoit une réduction d'impôt sur le revenu de 25 % à la souscription pour les participations dans les PME, grâce à un aménagement des conditions de détention adapté à la situation des entreprises qui viennent s'y faire coter.
Ensuite, j'ai proposé, pour créer un effet de signal, d'anticiper la réforme des plus-values de cessions à long terme, réforme adoptée sur votre initiative dans le cadre de la discussion de la loi de finances - pour les entreprises mises sur un marché organisé destiné aux PME, tel que Alternext.
A ces propositions est venue s'ajouter une initiative parlementaire dont je me réjouis, parce qu'elle orientera l'assurance vie vers l'investissement en actions.
En effet, dans le respect de la neutralité fiscale, les épargnants pourront désormais, sur une base contractuelle, transformer leurs contrats obligataires dits « en euros » en contrats « multi-supports » pouvant comporter des actions. Compte tenu du montant très important des placements en assurance vie - environ 400 milliards d'euros -, même une réorientation progressive et modeste aura un effet important sur l'investissement des ménages en actions.
Comme je l'ai indiqué à l'Assemblée nationale en réponse aux questions des députés, le Gouvernement travaille sur la réforme du régime des plus-values à l'impôt sur le revenu pour les détentions durables, conformément aux voeux du Président de la République. Il est en effet souhaitable que la détention durable d'actions bénéficie d'un avantage comparatif par rapport à une démarche de court terme. Soyons neutres pour le court terme, mais soyons avantageux pour le long terme : tel est le principe qui doit nous guider.
Le Gouvernement envisage donc d'aligner, dans le projet de loi de finances, la fiscalité des plus-values des participations de plus de 25 %, qui ne sont pas éligibles au PEA sur le régime de l'immobilier, en réfléchissant à une durée pertinente pour des actions.
Ce serait toutefois une erreur de considérer que, pour consolider une base stable et profonde d'investisseurs en actions dans notre pays, la seule fiscalité suffit. En revanche, il est indispensable de renforcer la confiance des investisseurs.
Cela fait l'objet du troisième axe de ma stratégie pour orienter l'épargne des Français vers les entreprises.
Les Français retournent progressivement vers la Bourse, après avoir subi les déconvenues liées au dégonflement de la bulle spéculative, dite « internet ». Des leçons ont été tirées, qu'il ne faut pas oublier. Les informations données aux épargnants ont sensiblement progressé grâce avec la loi du 1er août 2003 de sécurité financière. Mais si la France veut être une place financière de premier plan, nous devons faire en sorte qu'elle assure toujours aux investisseurs une protection du meilleur niveau qui soit. Or il y a urgence. En effet, il n'il y a plus seulement une directive dont la transposition a pris du retard, mais deux. Grâce à ce texte, nos marchés réglementés rejoindront le club fermé des bourses se situant aux meilleurs standards internationaux.
Ainsi, les règles relatives aux prospectus diffusés lors de l'émission des titres sont revues, notamment pour prévoir un résumé plus accessible pour les investisseurs et une mise à jour destinée à tenir compte de faits significatifs ayant touché l'émetteur.
Parmi les mesures permettant de renforcer la confiance des investisseurs, je relève plus particulièrement l'extension du champ de compétence de l'AMF en matière d'injonctions et de sanctions, un meilleur encadrement des recommandations d'investissement portant sur des titres cotés - y compris lorsqu'elles émanent de journalistes financiers -, le renforcement des règles relatives à l'information périodique des investisseurs et une coopération accrue entre l'AMF et ses homologues européennes.
Cela complète les dispositions détaillées dans le projet de loi portant diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des marchés financiers - que vous avez adopté en première lecture et que vous réexaminerez le 11 juillet prochain -, texte qui prévoit deux nouvelles procédures sur les marchés réglementés : la tenue par les entreprises et leurs correspondants de listes d'initiés qui ont accès à des informations privilégiées ; l'obligation de déclaration de soupçon des opérations d'initiés mise à la charge des intermédiaires financiers qui reçoivent un ordre suspect.
Je voudrais m'attarder un peu plus longuement sur le renforcement du pouvoir de sanction de l'AMF, essentiel au bon fonctionnement des marchés financiers. Notre droit actuel prévoit que l'AMF doit faire la preuve, avant de sanctionner une manipulation de marché, que cette manipulation a eu un impact effectif sur le cours d'un titre ou sur le bon fonctionnement du marché. Or un comportement condamnable peut ne pas aboutir. Le droit européen nous demande donc de considérer que, lorsque les comportements fautifs sont avérés, le manquement peut être sanctionné. Cela est de nature à accroître l'efficacité de l'AMF, qui a aujourd'hui du mal à sanctionner les manipulations de cours. Dans la même veine, elle pourra désormais sanctionner les tentatives de délits d'initiés. Enfin, le projet de loi réorganise le champ d'application des délits et manquements boursiers sur les marchés : les abus de marché seront désormais tous sanctionnés sur les marchés non réglementés par des sanctions administratives prononcées par l'AMF.
Pour compléter cet arsenal élargi, le Gouvernement pourrait également envisager de confier à l'AMF un pouvoir de transaction en matière de manquements et de délits d'initiés. Une concertation approfondie serait nécessaire pour qu'une telle procédure - pour laquelle les différentes parties prenantes ont d'ores et déjà marqué leur intérêt - conjugue attractivité, sécurité juridique et respect des prérogatives de la justice.
Confier à l'AMF un pouvoir de transaction serait très « structurant » pour cet organisme et constituerait un bouleversement assez profond de ses pratiques et de ses responsabilités. Le cas échéant, le législateur devra donc sans doute accompagner également la réforme sur ce plan. En revanche - je tiens à le dire dès maintenant -, il me semblerait inopportun de faire évoluer aujourd'hui, sans vision stratégique claire, les structures de l'AMF, ainsi qu'y visent un certain nombre d'amendements émanant de l'opposition.