Ce que nous propose notre collègue par cet amendement, c’est une exception à la règle selon laquelle – et c’était déjà le cas sous la IVe République et, me semble-t-il, sous la IIIe – seuls le Président de la République et le Gouvernement – disons l’exécutif – sont compétents pour négocier, conclure et signer des traités et des accords. C’est la raison pour laquelle le Parlement ne donne que l’autorisation d’approuver ou de ratifier. Et le Gouvernement fait ce qu’il veut : il peut ne jamais ratifier ni approuver – c’est arrivé – bien que l’autorisation ait été donnée ; il peut approuver ou ratifier en totalité ; il peut approuver ou ratifier avec des réserves.
Dans cette maison, nous avons eu autrefois un débat qui a beaucoup passionné sur la Convention européenne des droits de l’homme. Lorsque le Gouvernement a été autorisé à ratifier ce texte, il a formulé un certain nombre de réserves, dont la plus connue concerne le recours individuel, sans informer préalablement les assemblées de son intention, ce qui n’était pas très correct.
Si Mme Boumediene-Thiery nous proposait de préciser que le Gouvernement doit informer le Parlement de son intention éventuelle de formuler des réserves ou des déclarations explicatives, cela m’irait très bien. Mais j’avoue que je suis tout de même un peu gêné d’entrer dans un domaine qui n’est pas le nôtre, et de cette manière-là, car il s'agit d’un changement complet d’attribution et de répartition des compétences entre l’exécutif et le Parlement.
J'ajoute qu’aujourd'hui on informe généralement le Parlement, et cela, je le rappelle, depuis qu’Alain Poher, alors Président de la République par intérim, a décidé de lever la réserve de la France sur le droit de recours individuel.
Les réserves envisagées sont connues depuis cette date. Je rappelle à nos amis socialistes qu’à l’époque notre ancien collègue André Chandernagor avait fait à l’Assemblée nationale des déclarations très complètes et convaincantes sur ce sujet parce qu’il trouvait, comme Mme Alima Boumediene-Thiery aujourd'hui, qu’il n’était pas correct de cacher les réserves envisagées.
Tel qu’il est rédigé, cet amendement n’est pas acceptable parce qu’il conduirait, de mon point de vue, à remettre en cause l’équilibre indispensable qui prévaut sur ce sujet entre l’exécutif et le législatif.
Je conclurai en soulignant que, si le Gouvernement informe aujourd'hui généralement le Parlement de ses intentions, la matière internationale est parfois mouvante : entre le moment où le Parlement a voté l’autorisation et celui où la loi est promulguée, il peut arriver que la situation ait évolué de telle manière que le Gouvernement soit conduit à énoncer des réserves qu’il n’avait pas prévues initialement.
Mes chers collègues, j’en prendrai un exemple simple : imaginez que nous signons un accord avec un pays comme la Turquie, dont la Constitution prévoit que, dans certaines circonstances, l’armée prend le pouvoir pour rétablir ou garantir la laïcité. Il pourrait se produire des circonstances telles que le Gouvernement dirait qu’il ne veut rien signer pour le moment avec un gouvernement turc qui est présidé par le général-chef d’état-major des armées turques. Mais ce n’est qu’un exemple qui, soit dit en passant, nous en promet de belles pour le jour où la Turquie entrera dans l’Europe – mais c’est une autre histoire !
Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas cet amendement.