Au moment où le constituant se penche sur la modernisation du contrôle de constitutionnalité, en envisageant d’introduire le contrôle a priori sous la forme de l’exception d’inconstitutionnalité, soulevée à l’occasion d’un litige par l’une des parties au procès, une autre question apparaît, celle du contrôle de « conventionnalité », c'est-à-dire de la conformité de la loi française aux engagements internationaux souscrits par la France.
La supériorité des traités sur les lois enjoint à toutes les juridictions d’écarter une disposition législative contraire à un traité ou au droit dérivé de celui-ci, conformément à la jurisprudence issue de la décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975 sur la loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse.
Depuis plus de trente ans, les juridictions françaises ont l’habitude d’écarter, à l’occasion de tout type de litige, l’application d’une loi qu’elles considèrent comme contraire à un traité ou à son droit dérivé.
En fait, le problème est réglé pour le droit de l’Union européenne puisque tout le contentieux est unifié sous l’autorité de la Cour de justice des Communautés européennes.
En revanche, le problème demeure pour le droit international, comme par exemple les conventions de l’Organisation internationale du travail, l’OIT, ou pour le droit du Conseil de l’Europe – je pense notamment à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales –, avec un système diffus, qui manque de régulation, les juridictions suprêmes étant éventuellement saisies pour avis par le juge de base.
Du fait de la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État, le problème est aujourd'hui plus compliqué et risque de l’être davantage si la révision constitutionnelle introduit l’exception d’inconstitutionnalité.
Sous couvert du contrôle du respect de l’application de l’article 88-1 de la Constitution, c'est-à-dire de la transposition d’une directive communautaire, le Conseil constitutionnel opère une fusion du contrôle de conventionnalité, puisqu’il vérifie si la loi de transposition est conforme à la directive, et du contrôle de constitutionnalité, puisqu’il vérifie si la directive respecte le bloc de constitutionnalité de la République française.
Cette jurisprudence récente – elle date de 2006 –, rejointe l’an dernier par le Conseil d'État, ajoute à la confusion. N’importe quelle juridiction peut aujourd'hui exercer un contrôle de conventionnalité d’une loi ou d’un règlement, mettant le droit français dans une situation de précarité permanente.
Dans le système actuel, le contrôle de constitutionnalité n’est que la roue de secours du contrôle de conventionnalité et n’intervient qu’à la marge. Si l’exception d’inconstitutionnalité est introduite demain, elle restera marginale, car, dans un procès réel, les parties qui soulèveront concomitamment l’exception d’inconventionnalité et l’exception d’inconstitutionnalité préféreront jouer la première, qui est plus facile d’usage et de résultat. Mais qu’en sera-t-il si, un jour, une loi est écartée pour inconventionnalité, alors qu’elle est déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ? Quelle sera, alors, l’autorité des décisions de ce dernier ?
L’amendement qui vous est proposé répond à plusieurs objectifs.
Premièrement, il vise à instituer un mode de régulation globale du contrôle de conventionnalité, laissant le juge saisi trancher lorsque la question posée est sans ambiguïté, mais lui enjoignant de renvoyer à la juridiction suprême de son ordre, Cour de cassation ou Conseil d'État, lorsqu’un sérieux problème d’interprétation se pose.
Deuxièmement, il permet d’assurer une coordination entre le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité, en confiant au Conseil constitutionnel le soin de trancher en dernier ressort d’éventuels conflits de jurisprudence, tout en laissant le Conseil d'État et la Cour de cassation réguler la jurisprudence dans leur ordre de juridiction respectif.
Troisièmement, il renforce la sécurité juridique en imposant la même sanction dans les deux cas – l’abrogation de la loi –, en fondant constitutionnellement les deux procédures sur une base égalitaire – les articles 55 et 88-1 de la Constitution – et en tentant d’introduire un peu de cohérence dans la hiérarchie des normes juridiques.
Mes chers collègues, certains d’entre vous jugent cette introduction prématurée. Je crains malheureusement qu’en cas de report à des jours meilleurs, elle n’advienne trop tard. Les juridictions auront pris définitivement l’habitude, tout comme les justiciables, d’utiliser d’abord la procédure de l’exception d’inconventionnalité.
Dès lors, même si elle est introduite, l’exception d’inconstitutionnalité deviendra marginale, sauf à ce que le Conseil constitutionnel, pour survivre, la fusionne avec l’exception d’inconventionnalité, ce qu’il a déjà commencé à faire.