Cela étant dit, nous allons enfin franchir le cap de l’exception d’inconstitutionnalité, instrument indispensable de protection des droits des citoyens que, depuis vingt ans, nous souhaitons voir créé. Alors, je vous le dis franchement, il me paraît prématuré d’aller vers une dimension nouvelle, celle de l’exception d’inconventionnalité, et d’assigner cette tâche au Conseil constitutionnel.
Nous sommes aujourd’hui, avec l’ensemble des États de l’Union européenne, dans une situation d’une complexité juridique extraordinaire, comme j’ai eu l’occasion de le constater en œuvrant, au sein de la Convention sur l’avenir de l’Europe, sur le projet de Constitution européenne.
En effet, nous avons non seulement des ordres nationaux, mais aussi des ordres européens. De surcroît, s’agissant des ordres européens – et j’utilise le pluriel à dessein –, nous avons l’ordre normatif, l’espace conventionnel, qui a pour régulateur la Cour de Strasbourg, et l’autre espace, qui a pour régulateur la Cour de Luxembourg.
Le fait que les mêmes droits fondamentaux soient définis dans des instruments différents, avec des juridictions suprêmes internationales pour en déterminer le contenu, ne préviendra pas l’inévitable problème de la divergence entre les solutions apportées par ces deux ordres juridictionnels et conventionnels.
À l’heure actuelle, il convient de poursuivre la réflexion sur un problème clé : comment parvenir, dans un monde juridique que je qualifierai de « multipolaire », à une unité d’interprétation ? Ce serait très facile si nous avions un système fédéral pour l’Union européenne ; ce serait beaucoup plus difficile en ce qui concerne l’ordre européen conventionnel de Strasbourg.
Je rappellerai simplement à notre ami Portelli la phrase qu’Edgar Faure se plaisait à dire : « On a toujours tort d’avoir raison trop tôt. » En cet instant, vous ouvrez les voies qui sont celles de l’avenir, mais je dois vous dire très franchement, et à regret, que voter un tel amendement dans le cadre du présent débat me paraît prématuré. C’est pourquoi je suivrai la position de la commission.